(CHAPITRE 1.) S'il faut dire "tertium" ou "tertio consul"; et comment Pompée, lorsqu'il fit graver ses titres sur le frontispice du théâtre qu'il allait dédier, éluda, de l'avis de Cicéron, cette difficulté. 1.$ J'écrivis à un ami, d'Athènes à Rome. 2.$ Je disaisdans ma lettre que je lui avais déjà écrit "tertium", pour la troisième fois. 3.$ Il me demanda dans sa réponse de lui expliquer pourquoi je disais "tertium", et non "tertio". Il me demandait encore de lui apprendre s'il fallait dire "tertium, quartum" ou "tertio, quarto consul". Il avait entendu à Rome un savant dire "tertio" et "quarto consul", et non "tertium, quartum". Coelius avait dit de même au commencement de son livre; et on lit, ajoutait-il, dans le dix-neuvième livre de Q. Claudius, que Marius fut nommé consul "septimo", pour la septième fois. 4.$ Je me bornai dans ma réponse à lui citer la définition de M. Varron, homme, je pense, plus savant que Claudius et Coelius ensemble; définition qui devait résoudre les deux difficultés. 5.$ En effet, Varron donne là-dessus une règle assez claire ; et je ne voulais pas, tandis que j'étais loin de Rome, engager une discussion en mon nom avec un homme dont on me vantait le savoir. 6.$ Voici les paroles de M. Varron, tirées de son ouvrage intitulé "Règles", livre cinquième : " Autre chose est être fait préteur "quarto", en quatrième lieu, et "quartum", pour la quatrième fois. "Quarto" désigne l'ordre, et signifie que trois autres avaient été nommés déjà; "quartum" marque le temps, et signifie qu'on avait été nommé déjà trois fois. Ennius a donc bien dit : " Quintus le père est nommé consul pour la "quatrième fois ("quartum") ; " et Pompée se montra timide lorsque, pour ne mettre au frontispice de son théâtre ni "tertium" ni "tertio consul", il supprima les dernières lettres. " 7.$ Ce que Varron dit de Pompée en passant, et non sans obscurité, Tiron Tullius, affranchi de Cicéron, le raconte avec plus de développement, à peu près en ces termes : "Pompée, sur le point de dédier le temple de la Victoire, dont les degrés devaient servir de théâtre, y faisait graver son nom et ses titres. On vint à se demander s'il fallait mettre "tertium" ou "tertio consul". Pompée soumit la question à l'élite des savants de la ville. Il y eut dissentiment; les uns se prononçaient pour "tertio", les autres pour "tertium". Pompée pria Cicéron de faire mettre dans l'inscription le mot qui lui semblerait préférable. Mais Cicéron craignit de décider entre des savants; il eut peur de blesser ceux dont il condamnerait l'opinion, et il décida Pompée à ne mettre ni "tertium" ni "tertio", mais à s'arrêter au second T.; cette abréviation, claire pour le sens, laisserait dans le doute la forme du mot. " 8.$ Du reste, l'inscription n'est pas aujourd'hui telle que Varron et Tiron la rapportent. 9.$ Lorsque, plusieurs années après, le théâtre, qui s'était écroulé, fut rebâti, les trois consulats furent désignés, non plus par les premières lettres d'un mot, mais par trois lignes verticales. 10.$ Dans le quatrième livre des Origines de M. Caton, on lit en toutes lettres : " Les Carthaginois ont manqué au traité "sextum", pour la sixième fois." Cela veut dire qu'ils avaient violé le traité déjà cinq fois, et que celle-ci était la sixième. 11.$ Les Grecs disent dans le même sens g-triton g-kai g-tetarton ce qui répond aux mots latins "tertium quartumque". (CHAPITRE II.) Combien d'enfants peuvent naître, selon Aristote, d'un même accouchement. 1.$ Aristote rapporte qu'en Égypte une femme accoucha de cinq enfants, et il dit que c'est là la limite dans l'espèce humaine; que jamais un plus grand nombre d'enfants ne sont nés d'un même accouchement. Il ajoute même que ce nombre est très rare. 2.$ Sous le règne d'Auguste, une servante de cet empereur, ainsi que le rapportent les historiens de cette époque, mit au monde, dans la campagne de Laurente, cinq enfants à la fois. Les enfants vécurent quelques jours; la mère mourut peu après ses couches; et Auguste lui fit élever, sur la voie de Laurente, un tombeau où fut gravé le fait que nous rapportons. (CHAPITRE III.) Comparaison critique de quelques passages célèbres des discours de C. Gracchus, de M. Cicéron et de M. Caton. 1.$ C. Gracchus passe pour un orateur énergique et véhément ; personne ne lui conteste ces qualités. Mais qu'il paraisse à certains hommes plus mâle, plus vif, plus abondant que Cicéron, cela est-il supportable? 2.$ Nous lisions tout récemment son discours "Sur les lois promulguées". Il y déplore, avec toute l'indignation dont il est capable, l'outrage fait à Marius et à quelques hommes honorables des villes municipales, par des magistrats romains, qui les firent sans motif battre de verges. 3.$ Voici ses paroles à ce sujet : " Naguère le consul vint à Téanum, ville des Sidicins : sa femme dit qu'elle voulait se baigner dans les bains destinés aux hommes. Le questeur des Sidicins fut chargé par M. Marius de faire sortir des bains tous ceux qui s'y trouvaient. La femme rapporte au mari qu'elle a éprouvé quelque retard, et qu'elle a trouvé les bains peu propres. Aussitôt un poteau fut dressé sur la place publique : l'homme le plus distingué de la ville, M. Marius, y fut attaché, dépouillé de ses vêtements, et battu de verges. Les habitants de Calès, à cette nouvelle, défendirent par un édit l'entrée de leurs bains pendant tout le temps qu'un magistrat romain serait dans leur ville. A Férentinum, pour le même motif, notre préteur ordonna l'arrestation des questeurs. L'un se précipita du haut des murs, l'autre fut pris et battu de verges. " 4.$ Dans un sujet si triste, dans le récit d'une injure publique si atroce et si déplorable, que trouvons-nous de frappant, d'abondant, de touchant, de pathétique? où l'orateur déploie-t-il la richesse d'une éloquence animée par l'indignation? où fait-il entendre des plaintes fortes et pénétrantes? Il y a là sans doute de la précision, de la grâce et de la netteté, quelque chose de semblable à l'élégante simplicité du style de la comédie. 5.$ Le même orateur dans un autre endroit parle ainsi: "Voulez-vous savoir jusqu'où va la licence effrénée de nos jeunes gens? un exemple vous l'apprendra. Dans ces dernières années, un jeune homme, qui n'avait pas encore exercé de magistrature, fut envoyé de l'Asie en qualité d'ambassadeur. Il se faisait porter en litière: un bouvier de la campagne de Vénuse le rencontra, et demanda en plaisantant, ne sachant qui était dans la litière, si on portait un mort. Le jeune homme fit aussitôt arrêter la litière; il ordonna qu'on en détachât les cordes, et il en fit frapper cet homme jusqu'au moment où il expira." 6.$ Cette violence inouïe, cet acte barbare est raconté d'un style qui ne diffère certainement en rien du langage ordinaire. 7.$ Au contraire, quand Cicéron nous montre, dans un discours sur un sujet semblable, des citoyens romains, qui n'avaient commis aucun crime, battus de verges et livrés au dernier supplice, contrairement au droit naturel et aux lois, quelle douleur! que de larmes! quel tableau! quel fleuve d'indignation et d'amertume! 8.$ Pour moi, quand je lis ce discours, le bruit des fouets, les cris, les plaintes retentissent de toutes parts autour de moi, et me pénètrent jusqu'à l'âme. 9.$ Voici, par exemple, ce qu'il dit de C. Verrès; je citerai le passage aussi fidèlement que ma mémoire me le permettra: "Il vint au forum, respirant la fureur et le crime : ses yeux étincelaient; la cruauté était empreinte sur sa figure. On attendait à quels excès il allait se porter, ce qu'il allait faire; quand, tout à coup, il ordonne qu'on amène Gavius, qu'au milieu du forum on le dépouille, qu'on l'attache, qu'on apprête les verges." 10.$ Certes, ces mots seuls: "il ordonne qu'on le dépouille, qu'on l'attache, qu'on apprête les verges", font une image si vive et si effrayante, qu'on ne croit pas entendre un récit, mais voir une action. 11.$ Gracchus au contraire ne se plaint pas, ne pleure pas, mais raconte : "Un poteau", dit-il, "fut dressé dans le forum; on le dépouilla de ses vêtements, et on le battit de verges". 12.$ Cicéron, bien plus éloquent, donne de l'étendue à son tableau, il ne dit pas: "On le battit de verges", mais: "On battait de verges, au milieu de la place publique de Messine, un citoyen romain; et au milieu des douleurs, parmi le bruit des coups redoublés, on n'entendait s'échapper de la bouche de ce malheureux pas un gémissement, pas d'autre cri que ces mots, "Je suis citoyen romain". Il croyait qu'il lui suffisait de rappeler ce titre pour faire cesser les coups, et éloigner de lui les tourments." 13.$ Et ensuite, avec quelle abondance, quelle vivacité, quel feu il déplore cet excès de barbarie, exhale son indignation contre Verrès, et soulève contre lui celle de tous les citoyens romains! " 0 doux nom de la liberté! droit magnifique du citoyen! loi Porcia! loi Sempronia, puissance tribunitienne, si amèrement regrettée, et enfin rendue aux voeux du peuple romain! sacrés privilèges, ne nous avez-vous été donnés que pour qu'un citoyen romain, dans une province du peuple romain, dans une ville de nos alliés, fût, par l'ordre de celui qui tenait du peuple romain les faisceaux et la hache, attaché à un poteau sur une place, et battu de verges ? Hé quoi! lorsque tu faisais approcher les feux, les lames ardentes et tous les instruments de la torture, si ses larmes amères, si sa voix lamentable ne te touchaient pas, les pleurs et les gémissements des citoyens romains, présents à son supplice, n'ont-ils pu t'émouvoir?" 14.$ On voit avec quelle véhémence, quelle dignité, quelle convenance et quelle abondance Cicéron a traité ce sujet. 15.$ Du reste, s'il est un homme dont le goût soit assez sauvage et l'oreille assez barbare pour ne pas sentir la richesse et la beauté de ce langage, l'heureux arrangement de ces paroles; s'il préfère le premier orateur, parce qu'il trouve chez lui une concision sans apprêt, une allure simple, un certain charme de naïveté, et ces teintes rembrunies d'un style antique; cet homme peut lire sur un sujet semblable un discours de Caton, orateur plus ancien que C. Gracchus, et d'une vigueur et d'une abondance à laquelle Gracchus n'a pas même aspiré. 16.$ Il comprendra, je pense, pour peu qu'il lui reste de goût, que, loin de se contenter de l'éloquence de son temps, Caton essaya ce que dans la suite Cicéron porta au comble de la perfection. 17.$ En effet, dans le livre intitulé "Des faux combats", Caton invective en ces termes contre Q. Thermus: " Il dit que les décemvirs ne s'étaient pas assez occupés de ses provisions de bouche; il les fit dépouiller de leurs vêtements et frapper à coups de fouet. Des décemvirs furent frappés par des Bruttiens, en présence de nombreux témoins. Un tel affront, un tel commandement, une telle servitude est-elle supportable? Jamais roi n'osa rien de semblable; et vous, honnêtes citoyens, vous approuverez qu'on traite ainsi des hommes de bien, de bonne maison? Où sont les droits de l'alliance? où est la foi de nos ancêtres. Quoi! l'injure la plus outrageante, les coups, les blessures, les douleurs, le ministère des bourreaux, l'outrage et l'infamie, dans la ville même de ces malheureux, en présence de leurs concitoyens, et de témoins sans nombre! Voilà jusqu'où tu as porté ton audace! De quel deuil, de quels gémissements, de quelles larmes, de quels pleurs ce supplice fut accompagné! Les esclaves ne souffrent que trop impatiemment les injures; et ces hommes de bonne maison, d'une grande vertu, quels sentiments pensez-vous qu'ils éprouvérent, et qu'ils garderont toute leur vie? " 18.$ Ces mots de Caton, "frappés par des Bruttiens", méritent une explication ; la voici : 19.$ Pendant le séjour d'Annibal en Italie, après quelques batailles malheureuses pour le peuple romain, les Bruttiens furent les premiers qui passèrent du côté d'Annibal. Après le départ d'Annibal et la défaite des Carthaginois, les Romains, dans leur ressentiment, refusèrent par mépris de recevoir des Bruttiens sous leurs drapeaux: ils n'en voulurent pas pour alliés; ils les mettaient, comme esclaves, au service des magistrats envoyés dans les provinees. Ils suivaient donc les magistrats, jouant le même rôle que les "lorarii" dans les comédies, garrottant et battant de verges ceux qu'on leur désignait. Comme ils étaient du Bruttium, ils furent appelés Bruttiens. (CHAPITRE IV.) Observations ingénieuses par lesquelles P. Nigidius prouvait que les mois sont des signes naturels. 1.$ P. Nigidius enseigne, dans ses "Commentaires sur la grammaire", que les mots ne sont pas une invention arbitraire de l'homme, mais qu'ils ont leur origine et leur raison dans l'instinct et dans la nature. 2.$ Question célèbre dans les annales de la philosophie. Les philosophes en effet se sont souvent demandé: Si les mots sont fournis par la nature, ou s'ils sont le résultat d'une convention, g-phusei g-è g-thesei. 3.$ Nigidius a donné plusieurs raisons d'où il pourrait résulter que les mots sont des signes naturels plutôt qu'arbitraires. 4.$ Parmi ces preuves je choisis celle-ci, qui m'a paru ingénieuse et piquante: "Quand nous prononçons "uos", dit-il, le mouvement de notre bouche est d'accord avec le sens du mot; l'extrémité de nos lèvres avance légèrement, et le souffle se dirige vers la personne à laquelle nous nous adressons. Au contraire, quand nous disons "nos", nous ne chassons pas au dehors notre souffle, nous n'avançons pas nos lèvres: nous retirons le souffle et les lèvres, et les retenons, pour ainsi dire, en nous. Il en est de même quand nous disons "tu" et "ego", "tibi" et "mihi". Lorsque nous approuvons ou désapprouvons par des signes, le mouvement de la tête et des yeux n'est pas sans rapport avec l'idée que ce signe exprime. De même, les mots que nous avons cités sont produits par un mouvement naturel de la bouche et de l'haleine qui répond à leur signification. On peut observer dans les mots grecs correspondants ce que j'ai remarqué dans les nôtres. " (CHAPITRE V.) Le mot "auarus", avare, est-il simple, ou bien composé, comme l'a cru P. Nigidius? 1.$ P. Nigidius dit, dans le vingt-neuvième livre de ses "Commentaires", que le mot "auarus" n'est pas simple, mais composé. " En effet, dit-il, on appelle avare celui qui est avide d'argent, "auidus aeris". 2.$ Seulement dans l'union des deux mots la lettre a disparu. C'est ainsi que le mot "locuples", riche, est composé des deux mots "pleraque loca", beaucoup de lieux, et signifie propriétaire de beaucoup de terres." 3.$ Je regarde comme plus probable et mieux établi ce qu'il dit du mot "locuples". Pour le mot "avarus", il y a doute. Pourquoi ne dériverait-il pas du seul mot "aueo", désirer, et n'aurait-il pas été formé comme le mot "amarus", amer? On ne saurait dire que ce dernier mot soit composé. (CHAPITRE VI.) De l'amende prononcée par les édiles plébéiens contre la fille d'Appius Caecus, pour quelques paroles insolentes. 1.$ Ce n'est pas seulement dans les actes, mais aussi dans ies paroles, que la république a puni l'insolence. On croyait cette sévérité nécessaire pour conserver dans leur intégrité les moeurs romaines. 2.$ La fille du célèbre Appius Caecus fut ballottée , au sortir d'un spectacle, par le flux et le reflux de la foule. Elle racontait ensuite quel mal elle avait éprouvé, et elle ajouta : "Que me serait-il arrivé, combien j'aurais été pressée davantage, si P. Claudius, mon frère, n'avait pas perdu dans un combat naval, avec la flotte, un si grand nombre de citoyens? Certes la foule m'aurait étouffée. Oh! puisse mon frère revivre, conduire en Sicile une nouvelle flotte, et faire périr cette multitude qui m'a si cruellement tourmentée!" 3.$ Pour ce propos barbare et si peu digne d'une citoyenne, C. Fundanius et Tib. Sempronius, édiles, lui infligèrent une amende de vingt mille as de l'ancien poids. 4.$ Ce fait eut lieu, selon Capiton Attéius, dans son commentaire "Sur les jugements publics", pendant la première guerre punique, sous le consulat de Fabius Licinus et d'Otacilius Crassus. (CHAPITRE VII.) De tous les fleuves qui coulent en dehors de l'empire romain, le plus grand, c'est le Nil; l'Ister vient après; le Rhône, selon Varron, est le troisième. 1.$ De tous les fleuves ayant leur embouchure dans la mer qui baigne l'empire romain et que les Grecs appellent la mer intérieure, le Nil est, d'un commun consentement, le premier; Salluste affirme que l'Ister vient immédiatement après. 2.$ Varron, traitant de cette partie du monde qu*on nomme l'Europe, place le Rhône au nombre de ses trois plus grands fleuves, par où il semble croire que le Rhône rivalise de grandeur avec l'Ister, qui coule aussi en Europe. (CHAPITRE VIII.) Que la perte du sang était une des peines infamantes infligées aux soldats. Motif de ce genre de châtiment. 1.$ L'usage d'ouvrir une veine et de tirer du sang aux soldats qu'on veut frapper d'une peine infamante, remonte à la plus haute antiquité. 2.$ Je n'en trouve pas la raison dans les anciens écrits que j'ai pu me procurer, mais je pense que ce fut d'abord moins un châtiment qu'un remède employé envers les soldats dont l'intelligence était troublée et l'activité engourdie. 3.$ Dans la suite, la saignée devint un châtiment; et on prit l'habitude de punir ainsi différentes fautes, sans doute dans l'idée que celui qui commet une faute est malade. (CHAPITRE IX.) Différentes dispositions de l'armée romaine. Mots employés pour les désigner. 1.$ Les termes militaires qui indiquent les diverses parties et les différentes dispositions d'une armée sur le champ de bataille sont : le front ("frons"), les renforts ("subsidia"), le coin ("cuneus"), le cercle ("orbis"), le globe ("globus"), les ciseaux ("forfices"), la scie ("serra"), les ailes ("alae"), les tours ("turres"). 2.$ On les trouve avec quelques autres dans les livres qui traitent de la tactique militaire. 3.$ Ces termes sont tirés métaphoriquement des objets réels dont les différents mouvements d'une armée présentent une image. (CHAPITRE X.) Origine de l'usage adopté chez les anciens Grecs et chez les Romains, de porter un anneau au doigt de la main gauche le plus voisin du plus petit. 1.$ Les anciens Grecs portaient un anneau au doigt de la main gauche qui est le plus voisin du plus petit. On dit que cet usage a été général chez les Romains. 2.$ Voici la raison qu'en donne Apion dans ses "Égyptiaques": La science que les Grecs appellent "anatomie", et qui fut habituellement pratiquée en Egypte, fit découvrir, dit-il, un nerf très délié qui, chez l'homme, va de ce doigt au coeur. Cette union avec la partie la plus noble de l'homme parut devoir lui mériter cette distinction. (CHAPITRE XI.) Sens de l'adverbe "mature". Étymologie de ce mot. Usage impropre qu'en fait le vulgaire. Le génitif de "praecox" est "praecocis", et non "praecoquis". 1.$ L'adverbe "mature" signifie maintenant, à la hâte, vite, contrairement à l'étymologie du mot. Autre chose, en effet, est agir mûrement, autre chose agir à la hâte. 2.$ Aussi Nigidius, homme d'une science profonde, disait-il : " On fait mûrement ("mature") ce qu'on ne fait ni trop vite ni trop lentement. Ce mot exprime un milieu entre la lenteur et la précipitation." 3.$ Cette définition est exacte. En effet, nous disons des fruits qu'ils sont mûrs, lorsqu'ils ne sont ni verts ni passés, mais venus à point. 4.$ Mais comme ce mot exprimait l'absence de la lenteur, sa signification s'étant étendue de ce côté, il exprime aujourd'hui la hâte et la précipitation, quoiqu'une chose hâtée sans mesure demande plutôt à être appelée "immatura". 5.$ Cette juste mesure, exprimée, selon Nigidius, par "mature", Auguste la recommandait très élégamment par deux mots grecs qui revenaient souvent, dit-on, dans sa conversation et dans ses lettres : "Hâtez-vous lentement, " disait-il, g-speude g-bradeos. C'était un avertissement d'unir la promptitude de l'activité à la lenteur de l'application. En alliant ces deux qualités, on agit mûrement ("mature"). 6.$ On verra aussi, pour peu qu'on y songe, que Virgile a heureusement opposé "maturare" à "properare" dans les vers suivants : "Frigidus agricolam si quando continet imber, Multa, forent quae mox caelo properanda sereno, Maturare datur". " Si la pluie retient le laboureur, il peut exécuter avec une lenteur diligente beaucoup de travaux qu'il faudrait plus tard précipiter sous un ciel serein. " 7.$ Les deux verbes sont très élégamment distingués; car le laboureur peut employer le loisir que lui laissent la pluie et les orages à faire sans trop de hâte des préparatifs que dans les beaux jours il serait, faute de temps, obligé de précipiter. 8.$ Du reste, pour exprimer un excès de hâte et de précipitation, on emploie "praemature" avec plus de justesse que "mature". Ainsi l'a fait Afranius dans une de ses pièces appelée "Titulus". "Appetis dominatum demens praemature praecocem." " Insensé! tu ambitionnes trop tôt une autorité prématurée. " 9.$ Remarquez que dans ce vers il y a "praecocem", et non "praecoquem"; en effet, le nominatif est "praecox", et non "proecoquis". (CHAPITRE XII.) Récits fabuleux que Pline attribue fort injustement au philosophe Démocrite. Sur une colombe de bois qui volait. 1.$ Pline rapporte dans le vingt-huitième livre de son "Histoire naturelle", que Démocrite, l'illustre philosophe, avait fait un livre sur la vertu et la nature du caméléon : il dit avoir lu ce livre, et rapporte aussi, comme extraites de l'ouvrage, des fables frivoles et révoltantes d'absurdité. En voici quelques-unes que j'ai retenues, malgré l'ennui qu'elles m'ont causé. 2.$ Quand le plus rapide des oiseaux, l'épervier, passe en volant au-dessus du caméléon rampant sur le sol, celui-ci l'attire par une force inconnue, et le fait tomber de l'air : alors l'oiseau se livre de lui-même aux autres oiseaux, qui le déchirent. 3.$ Autre fait incroyable : brûlez la tête et le cou du caméléon avec du bois de rouvre, aussitôt un orage éclate, et le tonnerre gronde. Le même effet se produit, si on brûle le foie de l'animal au haut d'un toit. 4.$ Autre prodige: celui-ci est si sot et si ridicule que j'ai hésité à le rapporter. Je ne lui donne une place ici que pour montrer ce que je pense sur ce charme trompeur des récits merveilleux, qui séduit et égare ordinairement les esprits trop subtils, et surtout ceux que possède une curiosité démesurée. 5.$ Mais je reviens à Pline : On brûle le pied gauche du caméléon, dit-il, avec un fer chaud; on fait brûler en même temps une herbe qui s'appelle aussi caméléon. On délaye l'un et l'autre dans une liqueur odorante; on recueille de ce mélange une sorte de gâteau qu'on place dans un vase de bois: celui qui portera le vase sera invisible à tous les regards. 6.$ Ces fables que Pline reproduit, doivent-elles être mises sur le compte de Démocrite? Je ne le pense pas. 7.$ J'en dirai autant de cet autre prodige que Pline a trouvé, assure-t-il, dans le dixième livre de Démocrite : Certains oiseaux ont un langage qui ne varie pas; mêlez leur sang, il en nait un serpent, et quiconque mange le serpent comprend la conversation des oiseaux. 8.$ Ce sont ces hommes sottement curieux dont je parlais tout à l'heure qui ont attribué de pareils contes à Démocrite, afin de mettre leurs absurdités à couvert sous une autorité illustre. 9.$ Cependant il est un prodige, opéré par Archytas, philosophe pythagoricien, qui n'est pas moins étonnant, et dont on conçoit davantage la possibilité. Les plus illustres des auteurs grecs, et entre autres le philosophe Favorinus, qui a recueilli avec tant de soin les vieux souvenirs, ont raconté du ton le plus affirmatif qu'une colombe de bois, faite par Archytas à l'aide de la mécanique, s'envola. Sans doute elle se soutenait au moyen de l'équilibre, et l'air qu'elle renfermait secrètement la faisait mouvoir. 10.$ Je veux, sur un sujet si loin de la vraisemblance, citer les propres mots de Favorinus : "Archytas de Tarente, à la fois philosophe et mécanicien, fit une colombe de bois qui volait. Mais, une fois qu'elle s'était reposée, elle ne s'élevait plus; le mécanisme s'arrètait là. (CHAPITRE XIII.) Sur l'emploi de l'expression "cum partim hominum" dans les vieux auteurs. 1.$ On dit souvent : "partim hominum uenerunt", une partie des hommes, quelques hommes sont venus. Dans cette expression, "partim" sert d'adverbe, et est indéclinable. On peut dire également "cum partim hominum", c'est-à-dire avec quelques hommes, et, pour ainsi dire, avec une certaine partie des hommes. 2.$ M. Caton, dans son discours "Sur les jeux floraux", a dit : "Elle servit alors de courtisane, elle quitta souvent le festin pour passer dans la chambre; déjà elle avait fait souvent ce métier avec quelques-uns d'entre eux. " "Cum partim illorum". 3.$ Les moins éclairés disent "cum parti", prenant un adverbe pour un nom décliné. 4.$ Q. Claudius, dans le vingt-unième livre de ses Annales, a fait de cette locution un emploi insolite: "Avec une partie des troupes ("cum partim copiis"), ce jeune homme content de lui .... " Le même auteur dit encore dans son vingt-troisième livre : "Telle fut ma conduite : faut-il attribuer l'événement à la négligence d'une partie des magistrats ("negligentia partim magistratuum"), à l'avarice, ou au malheur qui poursuit le peuple romain? Je l'ignore." (CHAPITRE XIV.) Sur l'expression "iniuria mihi factum itur", employée par Caton. 1.$ On dit communément : "illi iniuriam factum iri", une injure lui sera faite; "contumeliam dictum iri", une insolence lui sera dite; et l'usage de cette locution est tellement établi, que je m'abstiens de citer des exemples. 2.$ Mais "contumelia" ou "iniuria factum itur" est plus rare. Citons-en un exemple. 3.$ M. Caton parle ainsi dans sa défense contre Cassius : " Or il arrive, Romains, que l'outrage dont me menace l'insolence de cet homme ("quae mihi per huiusce petulantiam factum itur") remplit mon âme de pitié pour la république. " 4.$ "Contumeliam factum iri" signifie qu'on va pour faire un outrage, qu'on s'apprête à faire un outrage; "contumelia factum itur" a le même sens; le cas seul est changé. (CHAPITRE XV.) Cérémonies observées par le prêtre et la prêtresse de Jupiter. Édit par lequel le préteur déclare qu'il n'exigera jamais de serment ni des vestales, ni d'un flamine de Jupiter. 1.$ Le flamine de Jupiter était obligé à un grand nombre de cérémonies et de rites, que nous trouvons dans les livres qui traitent du sacerdoce public, et dans le premier livre de Fabius Pictor. 2.$ Voici à peu près ce que je me souviens d'avoir lu dans cet auteur: 3.$ "Le flamine de Jupiter ne peut sans crime monter à cheval; 4.$ il ne peut voir "classem procinctam", c'est-à-dire l'armée sous les armes, hors de l'enceinte des murs. Aussi fut-il rarement nommé consul, lorsqu'il fallait que le consul prît le commandement des armées. 5.$ Il ne lui est jamais permis de jurer. 6.$ L'anneau qu'il porte doit être ouvert et creux. 7.$ On ne peut prendre dans sa maison d'autre feu que le feu sacré. 8.$ Si un homme lié entre dans sa maison , il faut qu'il soit délié, que les liens soient montés par la gouttière sur le toit, et de là jetés dans la rue. 9.$ Il n'a aucun noeud sur lui, ni à la tête, ni à la ceinture, ni en aucun endroit de son corps. 10.$ Si un homme qu'on va battre de verges tombe à ses pieds en suppliant, il ne peut sans crime être frappé ce jour-là. 11.$ Un homme libre peut seul couper les cheveux du flamine. 12.$ Une chèvre, de la chair crue, des feuilles de lierre, des fèves, sont des objets qu'il ne peut toucher; il n'en prononce pas même le nom. 13.$ Il ne doit pas couper les provins des vignes qui s'élèvent trop haut. 14.$ Les pieds de son lit doivent être enduits d'une légère couche de boue, et il ne peut en découcher trois nuits consécutives. Personne que lui ne doit y coucher. Il ne doit point placer près du bois de son lit un gâteau dans une cassette. 15.$ Les rognures de ses ongles, et les cheveux qu'on lui a coupés, sont cachés dans la terre sous un arbre heureux. 16.$ Tous les jours sont pour lui jours de fête. 17.$ Il ne doit jamais être sans son bonnet en plein air : il peut rester nu-tête sous son toit ; mais il y a peu de temps que les pontifes l'ont ainsi établi. " (Massurius Sabinus nous apprend qu'on s'était relâché aussi sur d'autres points, 18.$ et qu'on avait fait grâce aux flamines de plusieurs prescriptions). " 19.$ Il ne peut toucher à la farine fermentée; 20.$ il ne dépouille sa tunique de dessous que dans les lieux couverts, pour ne point paraître nu sous le ciel , c'est-à-dire sous les yeux de Jupiter. 21.$ Dans les repas, le roi seul des sacrifices se place avant lui. 22.$ S'il perd sa femme, il quitte ses fonctions; 23.$ son mariage ne peut se dissoudre que par la mort. 24.$ Il n'entre pas dans les lieux où on brûle les morts. Il ne touche jamais un mort. 25.$ Il peut cependant assister à un convoi. 26.$ Les rites imposés aux prêtresses de Jupiter sont à peu près les mêmes. Elles ont un vêtement de couleur ; elles portent à leur voile un rameau d'un arbre heureux ; elles ne doivent monter que trois degrés des échelles appelées échelles grecques; et lorsqu'elles vont aux Argées, elles ne doivent point peigner ni orner leur chevelure. " J'ajouterai un fragment d'un édit perpétuel du préteur relatif au flamine de Jupiter et aux prêtresses de Vesta: JAMAIS JE N'EXIGERAI, DANS MA JURIDICTION, DE SERMENT NI D'UNE PRETRESSE DE VESTA NI D'UN PLAMINE DE JUPITER. Voici ce que dit Varron sur le flamine de Jupiter dans son second livre "Des choses divines": "Lui seul porte un bonnet blanc, ou comme marque de sa supériorité, ou parce que les victimes qu'on immole à Jupiter sont blanches. " (CHAPITRE XVI.) Erreurs historiques relevées par J. Hygin dans le sixième livre de l'Éneide. 1.$ Hygin trouve dans le sixième livre de l'Enéide des erreurs que Virgile n'aurait pas manqué, dit-il, de corriger, si la mort ne l'eût surpris. 2.$ Palinure, dans les enfers, prie Énée de rechercher son corps et de lui donner la sépulture : " Héros invincible, dit-il, arrache-moi à ce supplice; jette sur moi un peu de terre, tu le peux; retourne au port de Vélia. " 3.$ Comment, dit le critique, Palinure a-t-il pu connaître et nommer le port de Vélia ? Comment Enée a-t-il pu trouver l'endroit que lui désignait Palinure, puisque la ville de Vélia n'a été bâtie sur le rivage de Lucanie que plus de six cents ans après l'arrivée d'Énée en Italie, sous le règne de Servius Tullius? 4.$ En effet, les Phocéens, chassés de leur pays par Harpalus, lieutenant de Cyrus, s'en allèrent fonder les uns Vélia, les autres Marseille. 5.$ Il est donc ridicule de prier Énée de retourner au port de Vélia, puisque le nom même de cette ville n'existait pas. 6.$ On peut être moins sévère pour ce passage du premier livre : " Exilé par le destin, il vint en Italie, sur le rivage de Lavinium; " 7.$ et pour cet autre du sixième livre: " Enfin il se posa d'un vol léger sur la citadelle de Chalcis. " 8.$ Le poète, parlant en son nom, peut bien par anticipation faire figurer dans ses vers des faits qu'il a pu apprendre dans l'histoire : ainsi Virgile savait qu'une ville avait porté le nom de Lavinium, que les habitants de Chalcis avaient fondé une colonie en Italie. 9.$ Mais Palinure, comment aurait-il pu connaître ce qui n'a eu lieu que six cents ans après lui? à moins qu'on ne dise qu'il l'a deviné, profitant du privilège dont jouissent les morts. 10.$ Mais quand cela serait (et Virgile n'en parle pas), Énée, qui n'était pas devin, pouvait-il retourner au port de Vélia, dont le nom, nous l'avons dit, n'existait pas? 11.$ Voici une autre erreur qu'Hygin relève, et qu'il croit que Virgile aurait corrigée aussi. Virgile met Thésée au nombre de ceux qui sont descendus aux enfers et en sont revenus, dans le vers suivant : 12.$ " Parlerai-je de Thésée, du grand Alcide? Et moi aussi je descends de Jupiter. " Le poète dit ensuite : " Le malheureux Thésée est assis, et demeurera assis éternellement. " 13.$ Comment pourra-t-il demeurer assis éternellement, lui qui tout à l'heure faisait partie de ceux qui ont pu descendre aux enfers et en revenir? Observez même que Thésée, selon la fable, fut détaché par Hercule de la pierre où il était assis, et ramené au jour. 14.$ Virgile est également en faute dans les vers suivants : Il détruira Argos et Mycène, patrie d'Agamemnon ; et, vainqueur de l'Éacide, descendant du terrible Achille, il vengera les Troyens ses ancêtres, et le temple profané de Minerve. " 15.$ C'est confondre et les hommes et les temps. La guerre contre les Achéens, et celle que Rome eut avec Pyrrhus, n'ont pas eu lieu à la même époque. 16.$ Pyrrhus, que Virgile appelle Éacide, ayant passé de l'Épire en Italie, eut à combattre contre Manius Curius, qui commandait les troupes romaines dans cette guerre; 17.$ mais la guerre Argienne ou Achaïque fut faite longtemps après par L. Mummius. 18.$ On peut donc, dit Hygin, retrancher le second vers, où il est mal à propos parlé de Pyrrhos, et que Virgile aurait certainement supprimé. (CHAPITRE XVII.) Motif pour lequel Démocrite se priva de la vue. Vers élégants de Labérius à ce sujet. 1.$ On lit dans les écrits historiques des Grecs que Démocrite, ce sage vénérable, ce philosophe fameux par son savoir, se priva volontairement de la vue. Il pensa que ses idées, dans la recherche des causes naturelles, auraient plus de justesse et de force si elles n'étaient pas troublées par les plaisirs et les distractions que ce sens fait naître. 2.$ La manière ingénieuse dont il s'ôta facilement l'usage des yeux a été décrite par Labérius, dans son "Cordier", en vers élégants et expressifs. Mais Labérius prête une autre intention au philosophe : et voici par quel rapprochement heureux il introduit ce trait dans sa pièce. 3.$ Le personnage qui parle dans le poème est un riche, économe jusqu'à l'avarice, qui déplore le luxe et la prodigalité d'un jeune homme. 4.$ Je cite les vers: " Démocrite d'Abdère, physicien et philosophe, plaça un bouclier en face de l'orient, afin que l'éclat de l'airain paralysât ses yeux. Il voulut perdre l'usage de la vue, pour ne pas voir les mauvais citoyens dans la prospérité. Et moi je veux, sur la fin de ma vie, que l'éclat de l'or étincelant me rende aveugle, afin que je ne voie pas dans les plaisirs un indigne fils." (CHAPITRE XVIII.) Histoire d'Artémise. Combat d'écrivains célèbres auprès du tombeau de Mausole. 1.$ On dit qu'Artémise eut pour son époux Mausole un amour extraordinaire, au-dessus des passions célèbres que nous retrace la fable, au-dessus de tout ce qu'on peut attendre de la tendresse humaine. 2.$ Mausole fut, selon Cicéron, roi de la Carie; selon certains historiens grecs, gouverneur ou satrape de la province de Grèce. 3.$ Après sa mort, Artémise serrant son corps entre ses bras, et l'arrosant de ses larmes, le fit porter au tombeau avec un magnifique appareil. Ensuite, dans l'ardeur de ses regrets, elle fit mêler les os et les cendres de son époux à des parfums, les fit réduire en poussière, les mêla dans sa coupe avec de l'eau, et les avala. Elle donna encore d'autres marques d'un violent amour. 4.$ Elle fit élever à grands frais, pour conserver la mémoire de son époux, ce sépulcre fameux, qui mérita d'être compté au nombre des sept merveilles du monde. 5.$ Le jour où elle dédia le monument aux mânes de Mausole, elle établit un concours pour célébrer les louanges de son époux; le prix était une somme considérable d'argent, et d'autres récompenses magnifiques. 6.$ Des hommes distingués par leur génie et leur éloquence, vinrent disputer le prix ; c'était Théopompe, Théodecte, Naucrites. On a même dit qu'Isocrate avait concouru. Quoi qu'il en soit, Théopompe fut proclamé vainqueur. Il était disciple d'Isocrate. 7.$ Nous avons encore de Théodecte la tragédie qu'il composa sous le nom de Mausole. Ce poème de Théodecte fut plus goûté que sa prose, si l'on en croit Hygin dans ses "Exemples". (CHAPITRE XIX.) Qu'on ne justifie pas ses fautes en alléguant l'exemple de ceux qui en ont commis de semblables. Paroles de Démosthène à ce sujet. 1.$ Le philosophe Taurus adressait, à un jeune homme qui venait de passer de l'école d'un rhéteur dans la sienne, une réprimande vive et sévère sur une action contraire à l'honnêteté et à la justice. Le disciple ne niait pas sa faute, mais il alléguait la coutume. Il voulait couvrir sa honte des exemples d'autrui, et invoquait l'indulgence qu'on accorde aux fautes devenues générales. 2.$ Taurus, que cette défense irritait davantage, s'écria : " Jeune insensé, si les philosophes ni la philosophie ne peuvent te prémunir contre la séduction des mauvais exemples, ne te souvient-il plus du moins d'une pensée de votre grand modèle, de Démosthène? Cette pensée, revêtue d'une forme ingénieuse et habilement cadencée, a pu se graver dans ta mémoire de rhétoricien, comme un modèle d'élégance et d'harmonie. 3.$ Si je n'ai pas oublié ce que j'ai appris dans ma première enfance, voici ce que disait cet orateur à un homme qui prétendait comme toi justifier sa faute par les fautes d'autrui : "Ne me dis pas que cela est souvent arrivé, mais que cela est bien. Que d'autres aient violé les lois, que tu aies suivi leur exemple, qu'importe? Ce n'est pas là une raison pour t'absoudre: c'en est une, au contraire, pour te punir. Car si quelqu'un de ceux-là avaient été punis, tu n'aurais pas fait rendre ce décret; de même, si tu es puni aujourd'hui, personne ne sera tenté de t'imiter." 4.$ C'est ainsi que Taurus, par des exhortations et des autorités de tout genre, enseignait à ses élèves à vivre selon les principes de la vertu. (CHAPITRE XX.) Qu'est-ce qu'une rogation, qu'une loi, qu'un plébiscite, qu'un privilège? 1.$ J'entends demander ce que c'est qu'une loi, qu'un plébiscite, qu'une rogation, qu'un privilège. 2.$ Capiton, très versé dans le droit public et privé, a ainsi défini la loi : "La loi est un décret général du "populus" ou de la "plebs" sur la demande d'un magistrat. " 3.$ Si cette définition est juste, on ne doit pas donner le nom de lois aux décrets sur le commandement de Pompée, sur le retour de Cicéron, sur le meurtre de P. Clodius, ni à tant d'autres décrets du "populus" ou de la "plebs", 4.$ qui ne furent pas des décrets généraux, puisqu'ils ne regardaient pas l'ensemble des citoyens, mais seulement quelques particuliers. Il faut les appeler plutôt privilèges, du vieux mot "priua", auquel nous avons substitué "singula". Ce vieux mot se trouve dans les satires de Lucilius, au livre premier : . . . . . Abdomina thynni Aduenientibus priua dabo, cephalaeque, acarne. " Ceux qui viendront auront pour leur part le ventre et la tête d'un thon. " 5.$ Capiton a distingué dans sa définition le "populus" de la "plebs". Le "populus" se composait de tous les ordres de la cité : la "plebs", c'était le peuple, moins les familles patriciennes. 6.$ Le plébiscite est ainsi, selon Capiton, une loi reçue par la "plebs" et non par le "populus". 7.$ Mais qu'un décret vienne du "populus" ou de la "plebs", qu'il regarde l'ensemble des citoyens ou les particuliers, qu'il s'appelle loi, privilège ou plébiscite, il a sa source dans la rogation. 8.$ Tout cela est, en effet, renfermé dans le terme général de rogation; puisque, si le "populus" ou la "plebs" ne sont pas consultés ("rogantur" ), ils ne peuvent rien décréter. 9.$ Quoique ces principes soient incontestables, vous ne trouverez pas dans les vieux écrits une grande différence entre tous ces mots. Les plébiscites et les privilèges y sont appelés du nom de lois, et les lois, les privilèges et les plébiscites sont confondus sous le nom de rogation. 10.$ Salluste lui-même, qui tenait singulièrement à la justesse des termes, s'est laissé aller à l'usage, et a nommé loi le privilège qui eut pour objet le retour de Cn. Pompée : "Sylla", dit-il dans le second livre de ses Histoires, "avait voulu, durant son consulat, faire passer une loi sur le retour de Pompée; mais le tribun du peuple C. Hérennius l'en avait empêché." (CHAPITRE XXI.) Pourquoi Cicéron a-t-il évité constamment de se servir des mots "nouissmus" et "nouissime"? 1.$ Il est un assez grand nombre de mots depuis longtemps usités, dont il est certain que Cicéron n'a pas voulu se servir, parce qu'il ne les approuvait pas. 2.$ Au nombre de ces mots étaient "nouissimus" et "nouissime". Salluste et M. Caton, et d'autres de la même époque, les ont employés sans scrupule; beaucoup de savants distingués leur ont donné place dans leurs écrits; et lui, cependant, paraît les avoir évités comme des mots qui n'étaient pas latins. L. Aelius Stilon, un des hommes les plus instruits de l'époque de Cicéron, eut là-dessus le même scrupule. Voici quelle est l'opinion de Varron sur ce mot ; je la trouve dans son sixième livre "Sur la langue latine", dédié à Cieeron. " L'usage s'est introduit de désigner par "nouissimus" ce qu'on appelait généralement "extremus"; j'ai souvenir qu'Aelius et d'autres vieillards évitaient ce mot comme trop nouveau. En voici 1'origine : de même que de "uetus" on a fait "uetustius" et "ueterrimum", ainsi de "nouus" on a tiré "nouius" et "nouissimum. " (CHAPITRE XXII.) Passage du Gorgias de Platon, où l'on adresse aux philosophes des reproches qui s'appliquent très justement à la fausse philosophie, mais dont les esprits ignorants et prévenus s'arment à tort contre la vraie. 1.$ Platon, ami de la vérité, toujours prêt à la montrer aux hommes, nous enseigne ce qu'il faut penser de ces lâches désoeuvrés qui parent du nom de la philosophie l'inutilité de leur loisir et l'obscurité de leur bavardage. La leçon qu'il donne là-dessus, pour être dans la bouche d'un personnage sans autorité, n'en est pas moins l'expression sincère de sa pensée. 2.$ Sans doute, Calliclès qu'il fait parler, ignore la vraie philosophie, et adresse aux philosophes d'indignes outrages. Profitons toutefois de ses paroles; car elles sont pour nous un avertissement secret de ne pas mériter de tels reproches, et de ne pas cacher sous une apparence de zèle pour la philosophie une oisiveté frivole et honteuse. 3.$ Le passage dont je parle se trouve dans le Gorgias; je me contente ici de le transcrire: car, lors même qu'il ne serait pas impossible de faire passer dans la langue latine les beautés du style de Platon, mon insuffisance m'interdirait de l'essayer. 4.$ "La philosophie, Socrate, est une chose amusante quand on s'en occupe modérément dans la première jeunesse; si l'on s'y arrête plus longtemps qu'il ne faut, elle est pour nous un fléau. 5.$ Car, fût-on doué du naturel le plus heureux, si l'on se livre à la philosophie dans un âge avancé, on reste nécessairement neuf en toutes les choses qu'il faut savoir pour devenir un homme comme il faut, et obtenir de la considération. 6.$ On ignore les lois de la cité, le langage dont il faut se servir pour traiter dans le monde les affaires publiques ou privées; on n'a aucune expérience des plaisirs et des passions des hommes, et de tout ce qu'on appelle les moeurs. 7.$ Aussi vient-on à se trouver engagé dans quelque affaire domestique ou civile, on est ridicule, 8-9.$ comme le sont aussi, je crois, les politiques lorsqu'ils assistent à vos réunions et à vos entretiens. 10.$ Car rien n'est plus vrai que ce que dit Euripide : "Chacun s'applique aux choses où il excelle, y consacrant la plus grande partie du jour, afin de se surpasser lui-même." Au contraire est-on sans talent pour un art, on s'en éloigne, et on l'insulte; tandis qu'on loue celui où on excelle, par complaisance pour soi-même, et croyant faire ainsi son propre éloge. Au reste, le mieux, selon moi, c'est d'étudier l'un et l'autre. Il est bon d'avoir une teinture de philosophie; c'est un moyen de cultiver son esprit, et il n'y a pas de honte à philosopher dans la jeunesse. 11.$ Mais dans un âge plus avancé, Socrate, philosopher encore! cela devient ridicule. Pour moi, les philosophes me font le mème effet que ceux qui bégayent et s'amusent à jouer. 12.$ Car, lorsque je vois un enfant, à qui cela convient encore, bégayer en parlant et jouer, cela me plaît, cela me paraît gracieux, noble, et séant au premier âge. 13.$ Mais que j'entende un enfant articuler avec précision, cela me choque, me blesse l'oreille, et me paraît sentir l'esclave. 14.$ Au contraire, si c'est un homme qu'on entend balbutier, ou qu'on voit folâtrer, la chose paraît ridicule, inconvenante pour cet âge, et digne du fouet. 15.$ Or voilà précisément l'effet que me font ceux qui se livrent à la philosophie. 16.$ Si je vois un jeune homme s'y appliquer, j'en suis ravi, je trouve cela fort convenable; je pense que ce jeune homme a une âme noble. S'il la dédaigne au contraire, je conçois de lui une opinion toute différente, et je le regarde comme incapable de rien faire de beau et de généreux. 17.$ Mais un homme plus âgé qui philosophe encore, qui n'a pas renoncé à cette étude, en vérité, Socrate, je le tiens digne du fouet. 18.$ Car, je le disaïs tout à l'heure, cet homme, fût-il doué le plus heureusement, cesse d'être homme, puisqu'il fuit les lieux fréquentés de la ville, et la place publique, où se forment les hommes, selon le poète, et qu'il passera le reste de sa vie dans un coin, à babiller avec trois ou quatre enfants, sans proférer jamais une parole noble, grande, ou bonne à quelque chose. 19-23.$ Pour moi, Socrate, j'ai pour toi de la bienveillance et de l'amitié: voilà pourquoi j'éprouve dans ce moment à ton égard les mêmes sentiments que Zethus témoigne à Amphion dans Euripide, que j'ai cité tout à l'heure; et il me vient envie de t'adresser un discours semblable à celui que ce personnage tient à son frère: Tu négliges, Socrate, ce qui devrait t'occuper; tu dépares un naturel si généreux par un malheureux enfantillage; tu te rends incapable de proposer un avis dans les délibérations relatives a la justice, de saisir dans une affaire ce qui peut opérer la persuasion, ou de suggérer une résolution généreuse. Eh quoi! Socrate, (ne t'offense pas de mes paroles; c'est par pure amitié que je te parle ainsi), ne trouves-tu pas honteux d'être ce que je crois que tu es, et que sont tous les hommes qui poussent au- delà des limites l'étude de la philosophie? Si dans ce moment on venait te saisir, toi ou quelque autre de ceux qui te ressemblent, et te traîner en prison, pour une faute dont tu serais innocent, sais-tu bien que tu serais fort embarrassé de ta personne, que la tête te tournerait, et que tu ouvrirais une grande bouche sans savoir que dire? Traduit devant le tribunal, quelque vil et méprisable que fût ton accusateur, tu serais mis à mort, s'il lui plaisait de demander contre toi cette peine. Or, quelle sagesse peut-il y avoir dans un art qui, trouvant un homme doué du plus heureux naturel, altère et gâte ses facultés, le rend incapable de s'aider lui-même, inhabile à se tirer lui ou les autres des plus grands périls, et l'expose à se voir dépouiller de tout par ses ennemis, et à vivre dans sa patrie sans considération et sans honneur? Je vais te paraître violent; mais enfin, on peut frapper impunément sur la figure un homme de ce caractère. Ainsi, mon bon ami, écoute-moi, laisse là l'argumentation, cultive les belles choses, exerce-toi à quelque art qui te donne la réputation d'homme habile; laisse à d'autres toutes ces jolies choses qui ne sont que des extravagances on des puérilités, et avec lesquelles tu finiras par te trouver ruiné dans une maison vide; songe à prendre pour modèle non ceux qui disputent sur ces subtilités, mais ceux qui ont du bien, du crédit, et qui jouissent des avantages de la vie. " 24.$ Quoique ce discours, ainsi que je l'ai dit, soit mis dans la bouche d'un personnage sacrifié, Platon ne laisse pas d'y développer une pensée juste, raisonnable, confirmée par le sens commun, et dont la vérité ne peut pas être contestée. Sans doute, il ne parle pas de cette philosophie qui nous enseigne toutes les vertus, qui nous instruit de nos devoirs envers les individus et la société, et donne aux États, lorsqu'elle ne rencontre pas d'obstacles, une administration sage, forte et régulière. Platon attaque l'art futile et puéril des vaines arguties, qui n'instruit l'homme ni à défendre sa vie, ni à ordonner sa conduite; art où l'on voit vieillir ces oisifs auxquels la multitude, de même que Calliclès, donne très improprement le nom de philosophes. (CHAPITRE XXIII.) Passage de Caton sur le régime et les moeurs des femmes dans l'ancienne Rome. Droit du mari sur la femme surprise en adultère. 1.$ Les auteurs qui ont traité des moeurs et des coutumes du peuple romain, nous apprennent que les femmes de Rome et du Latium devaient être toute leur vie "abstemiae", c'est-à-dire s'abstenir de l'usage du vin , appelé "temetum" dans la vieille langue. Le baiser qu'elles donnaient à leurs parents servait d'épreuve: si elles avaient bu du vin, l'odeur les trahissait, et elles étaient réprimandées. 2.$ Elles faisaient usage de piquette, de liqueur faite avec des raisins cuits, d'hypocras, et d'autres boissons douces. Je reproduis ces détails d'après les livres que j'ai cités. 3.$ Caton nous apprend qu'elles n'étaient pas seulement réprimandées pour avoir pris du vin, mais punies aussi sévèrement que si elles avaient commis un adultère. 4.$ Je citerai ce passage de son discours "Sur les dots" : "L'homme, à moins d'un divorce, est le juge de sa femme à la place du censeur. Il a sur elle un empire absolu. Si elle a fait quelque chose de déshonnête et de honteux, si elle a bu du vin, si elle a manqué à la foi conjugale, c'est lui qui la condamne et la punit." 5.$ Caton nous apprend dans ce même discours que le mari pouvait tuer sa femme surprise en adultère. " Si tu surprenais ta femme en adultère, tu pourrais impunément la tuer sans jugement. Si tu commettais un adultère, elle n'oserait pas te toucher du bout du doigt. Ainsi le veut la loi. " (CHAPITRE XXIV.) Que des écrivains estimés ont dit, contrairement à l'usage actuel, "die pristini, die crastini, die quarti, die quinti." 1.$ Nous disons "die quarto, die quinto", dans le même sens que les Grecs disent g-eis g-tetarten, g-pempten. Aujourd'hui, les savants eux-mêmes parlent ainsi; et l'on passerait pour un homme sans savoir ni éducation, si l'on parlait autrement. Mais du temps de Cicéron, et avant lui, on employait une autre forme. On disait "die quinte" ou "die quinti". Ces mots accouplés formaient des adverbes, dans lesquels la seconde syllabe se prononçait brève. 2.$ L'empereur Auguste, dont on connaît le goùt pour l'érudition et le bon style, et qui recherchait dans son langage l'elégance dont son père lui avait laissé l'exemple, a fait un emploi fréquent de cette espèce de mots dans ses lettres. 3.$ Mais afin de prouver l'ancienneté de cette locution, je crois devoir citer les paroles solennelles dont le préteur, suivant une vieille coutume, se sert pour l'inauguration des fêtes appelées fêtes des carrefours. Voici ces paroles. "Les fêtes des carrefours auront lieu le neuvième jour ("die noni"); une fois inaugurées, on sera criminel de ne pas les observer. " 4.$ Le préteur dit "die noni", et non pas "die nono". Mais ce n'est pas lui seulement, c'est l'antiquité presque tout entière qui parle ainsi. 5.$ Je me rappelle en ce moment un vers de Pomponianus, que j'ai lu dans son "atellane" intitulée "Maevia" : "Voilà six jours, que je n'ai rien fait; dans quatre jours ("die quarto"), je mourrai de faim. " 6.$ Je puis citer aussi Caelius au second livre de ses "Histoires": " Si tu veux me confier la cavalerie et me suivre avec le reste de l'armée, dans cinq jours ("die quinti") je te ferai souper à Rome, au Capitole. " 7.$ Caelius a copié ici Caton, qui dit dans ses "Origines" : " Le maître de la cavalerie dit au général carthaginois: Envoie-moi à Rome avec la cavalerie; dans cinq jours ("die quinti") tu souperas au Capitole. " 8.$ Ce mot s'écrivait tantôt par "i", tantôt par "e". Car les anciens ont souvent confondu ces deux lettres; ainsi, ils disaient indifféremment "praefiscine" et "praefiscini" (sans vanité), "procliui" et "procliue" (penché). Voici encore d'autres locutions du même genre : on disait "die pristini" pour "die pristino", le jour précédent; ce que l'on exprime aujourd'hui par "pridie", où l'on trouve "die pristino" renversé. On disait de même "die crastini" pour "die crastino". 9.$ Les prêtres, lorsqu'ils assignent pour le troisième jour, disent "diem perendini", le surlendemain. 10.$ M. Caton, s'autorisant de l'expression "die pristini", a dit "die proximi" dans son discours contre Furius. Le savant Cn. Matius, pour dire, il y a quatre jours, ce que nous rendons par "nudius quartus", a mis "die quarto" dans ses Mimiambes: " Naguère, il y a quatre jours ("die quarto", je m'en souviens, il a brisé la seule cruche qu'il eût chez lui. " Concluons qu'il faut dire "die quarto" pour le passé, "die quarte" pour l'avenir. (CHAPITRE XXV.) Noms d'armes et de navires qu'on trouve dans les écrits anciens. 1.$ Un jour, étant en voiture, je m'amusai à rechercher quels étaient les noms de traits, de javelots, d'épées, et aussi les différents noms de navires, que l'on trouve dans les vieilles histoires. A défaut d'autre bagatelle, j'occupai avec celle-là mon indolent loisir. 2.$ Voici les noms d'armes que je me rappelai: " hasta, pilum, phalarica, semi-phalarica, soliferrea, gesa, lancea, spari, rumices, trifaces, tragulae, frameae, mesanculae, cateiae, rupiae, scorpii, sibones, siciles, ueruta, enses, sicae, machaerae, spatae, lingulae, pugiones, clunacula". 3.$ Pour le mot "lingula", l'emploi en étant peu fréquent, je crois qu'il faut l'expliquer : c'était une épée mince et longue, en forme de langue. Naevius se sert de ce terme dans le vers suivant de sa tragédie d'"Hésione": "Laisse-moi me satisfaire. - Oui, avec la langue. - Non, mais avec l'épée." "Verum lingula". 4.$ On appelait "rumpia" le javelot des Thraces; on trouve ce mot dans le quatorzième livre des Annales de Q. Ennius. 5.$ Voici maintenant les noms de navires que j'ai pu retenir : "gauli, corbitae, caudiceae, longae, hippagines, cercuri, celoces", ou, comme disent les Grecs, "celetes, lembi, oriae, renunculi, actuariae", que les Grecs appellent g-epikopoi ou g-epibatides; "prosumiae", ou "geseoretae" ou "horiolae, stlatae, scaphae, pontones, uaetitiae, hemioliae, phaseli, parones, myoparones, lintres, caupuli, camarae, placidae, cydarum, ratariae, catascopium". (CHAPITRE XXVI.) Que c'est à tort qu'Asinius Pollion reproche à Salluste d'avoir employé "transgressus" pour "transfretatio", et d'avoir dit "transgressi" en parlant d'hommes qui avaient passé un détroit. 1.$ Asinius Pollion, dans une lettre à Plancus, et quelques écrivains détracteurs de Salluste, ont jugé à propos de relever dans le premier livre des "Histoires" le mot "transgressus", pris au sens de traversée. Ils ont également blâmé Salluste d'avoir appliqué le mot "transgressi" à des hommes qui avaient passé un détroit, au lieu de se servir du verbe "transfretare", généralement usité dans ce sens. 2.$ Asinius Pollion cite les propres mots de l'historien : "Sertorius laissa une faible garnison en Mauritanie; et, profitant du flux et de l'obscurité de la nuit, s'efforça, en se hâtant et en dérobant sa marche, d'éviter le combat pendant la traversée ("in transgressu")." 3.$ Plus bas on lit : "Une montagne, occupée d'avance par les Lusitaniens, les reçut tous à leur débarquement." "Trangressos omnes recipit." 4.$ Les critiques voient là une impropriété, une négligence, une témérité désavouée par tous les bons auteurs. 5.$ "Transgressus", dit Asinius Pollion, vient de "transgredi", qui exprime la marche, le mouvement des pieds, "pedum gradus"; aussi ne peut-il se dire ni des oiseaux, ni des reptiles, ni des navigateurs; mais seulement de ceux qui marchent à l'aide de leurs pieds. Fondé sur cette étymologie, il soutient qu'on ne saurait trouver chez un bon écrivain "transgressus nauium", ou "transgressus" pris au sens de "transfretatio". 6.$ Mais je demande pourquoi "transgressus" ne se dirait pas d'un navire aussi bien que "cursus", dont l'emploi, dans ce sens, est très usité. D'ailleurs, ce mot ne s'appliquait-il pas élégamment au petit détroit qui sépare l'Espagne de l'Afrique, et qui n'est qu'un espace qu'on franchit pour ainsi dire en quelques pas? 7.$ Les critiques demandent une autorité, et prétendent que "ingredi"et "transgredi" n'ontjamais été dits des navigateurs. Je les prie de me dire quelle différence si grande ils mettent entre "ingredi" et "ambulare". 8.$ Or, Caton a dit dans son "De re rustica": "Il faut choisir sa terre auprès d'une grande ville, et près d'une mer ou d'un fleuve, où les vaisseaux marchent ("ambulant"). Tout écrivain aime à employer des expressions métaphoriques de ce genre, et s'en sert pour orner son style. 9.$ La même métaphore se retrouve chez Lucrèce. Dans son quatrième livre, il nous dit que le cri marche ("gradiens") à travers la trachée-artère et le gosier; expression bien autrement hardie que celle de Salluste. Voici les vers de Lucrèce: "Il faut reconnaître que la voix est corporelle, et le bruit aussi, puisqu'ils ont action sur les sens; car souvent la voix gratte le gosier en passant, et le cri, dans sa marche ("gradiens") du dedans au dehors, rend la trachée-artère plus sèche et plus rude." 10.$ C'est donc avec raison que Salluste dans le même livre a dit, en parlant d'embarcations en marche, "progressae". "Les unes, qui s'étaient un peu avancées ("progressae"), surchargées et perdant l'équilibre, lorsque la frayeur agitait les passagers, étaient submergées." (CHAPITRE XXVII.) Que, dans la rivalité de Roine et de Carthage, les forces des deux peuples étaient presque égales. Anecdote sur ce sujet. 1.$ Les vieux écrits attestent qu'il y eut autrefois égalité de force, d'ardeur et de grandeur entre Rome et Carthage. 2.$ Nous le croyons aisément. En effet, dans les guerres avec les autres nations, il ne s'agissait que de la possession d'un seul État; avec Carthage, il s'agissait de l'empire du monde. 3.$ Un trait historique nous peint bien la confiance que chacun des deux peuples avait en ses forces. Quintus Fabius écrivit aux Carthaginois que le peuple romain leur envoyait une lance et un caducée, symboles de la paix et de la guerre ; il leur disait de choisir l'un ou l'autre, et de ne tenir compte que de celui qu'ils auraient choisi. 4.$ Les Carthaginois répondirent qu'ils ne choisiraient pas, mais que les ambassadeurs seraient libres de laisser à leur choix la lance ou le caducée. Nous tiendrons pour choisi, disaient-ils, le symbole qu'ils auront laissé. 5.$ Selon M. Varron, ce ne fut point une lance ni un caducée qu'on envoya, mais deux tablettes ou étaient gravés sur l'une un caducée, et sur l'autre une lance. (CHAPITRE XXVIII) Limites des trois âges, d'après ce qu'on lit dans les "Histoires" de Tubéron. 1.$ C. Tubéron, dans le premier livre de ses "Histoires", nous apprend que Servius Tullius, roi de Rome, lorsqu'il établit, en vue du cens, les cinq classes de jeunes gens, décida qu'on était enfant jusqu'à dix-sept ans; et que tous ceux qui auraient passé cet âge, étant propres à servir la république, seraient enrôlés. La jeunesse commencait à dix-sept ans, et finissait à quarante-six. Alors commençait la vieillesse. 2.$ Je cite cette disposition prise par le sage roi Servius Tullius dans son recensement, afin de montrer quelles limites séparaient, au jugement de nos pères, l'enfance de la jeunesse, et celle-ci de la vieillesse. (CHAPITRE XXIX.) Rôles divers de la particule "atque". Qu'elle n'est pas seulement conjonctive. 1.$ La particule "atque" est appelée par les grammairiens conjonctive, et le plus souvent, en effet, elle sert à lier les mots. Toutefois, elle joue aussi d'autres rôles peu connus de ceux qui n'ont pas l'habitude de lire et d'étudier les vieux écrits. 2.$ Souvent elle est adverbe, comme dans la phrase "aliter ego feci atque tu", qui équivaut à "aliter quam tu". Redoublée, elle est augmentative; comme chez Ennius, qui, si ma mémoire ne me trompe pas, a dit dans ses Annales : "Atque atque accedit murum romana iuuentus". "La jeunesse romaine, dont l'ardeur redouble, s'avance vers les murs. " 3.$ A "atque" pris dans ce sens s'oppose "deque" que nous trouvons également dans les vieux auteurs. 4.$ "Atque" tient aussi lieu de "statim"; ceux qui l'ignorent ont trouvé dans les vers suivants de Virgile, où ce mot est employé ainsi, un défaut de suite et de clarté : "Telle est la loi du sort : tout dégénère, tout est entraîné en arrière par une force invincible. Le nautonnier qui, la rame à la main, remonte péniblement le courant d'un fleuve, cesse-t-il un instant de roidir ses bras, aussitôt l'onde rapide l'entraîne avec elle." "Atque ilium in praeceps prono rapit alueus amni." [Petrone, Apulée, Aulu-Gelle dans: Collection des Auteurs latins publiés sous la direction de M. NISARD, Paris, Dubochet, 1842]