[20,0] LIVRE VING'T'IÈME. [20,1] Je vais maintenant, avec la grâce de Dieu, parler du jour du dernier jugement, et, pour l'établir contre l'incrédulité des impies, poser d'abord la pierre fondamentale des témoignages divins. Ceux qui ne veulent pas y croire ne leur opposent que de misérables raisonnements humains, faux et trompeurs : ils contestent le sens reconnu des témoignages empruntés aux saintes Lettres, ou leur refusent toute autorité divine. Car assurément il n'existe pas un homme, prenant ces textes dans leur vrai sens, et persuadé que les âmes saintes dont ils émanent étaient les interprètes du Dieu de vérité, qui ne leur donne enfin son adhésion; soit qu'il le confesse de bouche, ou que, retenu par certains vices, il rougisse ou craigne de le confesser, soit que, par une opiniâtreté qui ressemble au délire, il s'acharne même à défendre ce qu'il sait et croit être faux, contre ce qu'il sait et croit être vrai. Donc l'avénement futur de Jésus-Christ qui doit descendre du ciel pour juger les vivants et les morts, cet avénement confessé et professé par toute l'Église du vrai Dieu, c'est ce que nous appelons le dernier jour du jugement divin, c'est-à-dire la fin des temps. Car combien de jours doit durer ce jugement ? Cela est incertain; mais, suivant son langage accoutumé, l'Écriture se sert de « jour » au lieu de « temps ; » locution que la lecture même la plus négligente des saints livres ne permet pas d'ignorer. Or, lorsque nous parlons du jour du jugement de Dieu, nous ajoutons « le dernier ou « le jour final, » parce que dès aujourd'hui même il juge, et que dès le commencement du genre humain il a jugé, quand il chassa du paradis et sépara de l'arbre de vie les premiers hornmes coupables du grand crime. Que dis-je? quand il condamna les anges prévaricateurs dont le prince, séducteur lui-même, séduisit l'homme par jalousie, Dieu n'à-t-il pas jugé? Et ce n'est pas sans un juste et profond jugement de Dieu que, dans les régions de l'air ou sur la terre, la vie des démons et des hommes est si misérable, si remplie d'erreurs et d'angoisses. Et si nul n'eût péché, ce ne serait pas non plus sans un saint et équitable jugement que la créature raisonnable demeurerait unie au Seigneur par les liens d'une éternelle félicité. Et Dieu ne se contente pas de prononcer sur les démons et sur les hommes un jugement général qui les condamne à la misère à cause du péché du premier ange et du premier homme; mais il juge chacun sur ses oeuvres propres, imputables à son libre arbitre. Car les démons le prient de ne pas les tourmenter; et c'est avec justice qu'il les épargne ou qu'il mesure leurs supplices à leur perversité. Et les hommes subissent en raison de.leurs crimes, d'ordinaire publiquement, toujours du moins en secret, un châtiment divin, soit en cette vie, soit après la mort ; et cependant nul homme ne fait le bien, s'il n'est soutenu de l'assistance divine; nul démon, nul homme ne fait le mal, si Dieu, dans sa profonde justice, ne lui en laisse la permission. « L'injustice n'est pas en Dieu, » dit l'Apôtre; et ailleurs : « Les jugements de Dieu sont impénétrables, et ses voies incompréhensibles. » Je ne discuterai donc pas en ce livre des jugements de Dieu à l'origine et au milieu des temps, mais seulement, et avec le secours de sa grâce, du jugement final, quand Jésus-Christ viendra du ciel juger les vivants et les morts, véritable jour du jugement; car alors il n'y aura plus lieu à ces plaintes aveugles sur la prospérité du méchant et le malheur du juste. Alors, et dans une parfaite évidence, aux bons seuls la véritable et pleine félicité, aux méchants seuls la misère infinie qu'ils méritent. [20,2] Maintenant nous apprenons à souffrir avec patience les maux dont les bons ne sont pas exempts, et à ne pas faire grand état des biens qui ne sont pas refusés aux méchants. Ainsi, dans les mystères mêmes de sa justice, Dieu cache un enseignement salutaire. Nous ne savons pas, en effet, par quel jugement de Dieu, ce juste est pauvre, et ce méchant est riche ; celui-ci dans la joie, qui, selon nous, meriterait d'expier par de cruelles douleurs la corruption de ses moeurs; celui-là dans la tristesse, à qui une vie exemplaire devrait assigner le bonheur pour récompense. Pourquoi les tribunaux humains, non contents de dénier à l'innocent l'arrêt qui le venge, prononcent encore la sentence qui le condamne ? — Qu'ainsi l'innocence succombe sous l'iniquité du juge ou sous le poids des faux témoignages; et qu'au contraire le crime, son ennemi, se retire impuni, que dis-je, vainqueur et insultant : que l'impie jouisse de la santé, que le juste dépérisse de langueur; que des hommes, dans la force de l'âge, vivent de rapine ; que d'autres, incapables d'un mot qui nuise, subissent les tortures de différentes maladies ; que des enfants d'heureuse espérance soient enlevés par une mort prématurée, et que des êtres à qui nous n'eussions pas permis de voir le jour vivent et vivent très longtemps ; que l'infâme couvert de crimes monte au faîte des honneurs, et que l'homme sans reproche demeure enseveli dans l'obscurité. — Oui, pourquoi ? Contrastes étranges ! qui pourrait tous les recueillir ? tous les énumérer? Encore si cet ordre, en apparence absurde, offrait quelque constance; si dans cette vie où « l'homme, suivant l'expression du Psalmiste, n'est rien que vanité et où ses jours passent comme l'ombre, » ces biens passagers et terrestres ne tombaient en partage qu'aux méchants, si l'épreuve des maux n'était réservée qu'aux bons, on pourrait attribuer cette disposition à la justice de Dieu, tempérée par sa clémence, qui laisserait aux hommes exclus à jamais de la possession heureuse des biens éternels l'illusion ou la consolation des biens temporels, illusion à cause de leur malice; consolation, à cause de sa miséricorde : — tandis que les hommes exempts des peines futures de l'éternité trouveraient dans les afflictions présentes le châtiment de leurs fautes ou l'épreuve de leurs vertus. Or, comme aujourd'hui le mal est non seulement le lot des bons, mais encore le bien celui des méchants, ce qui paraît injuste; comme en outre le mal arrive souvent aux méchants et le bien aux bons : alors les jugements de Dieu n'en deviennent que plus impénétrables et ses voies plus incompréhensibles. Donc, quoique nous ignorions par quel jugement Dieu veut ou permet qu'il en soit ainsi, Dieu en qui réside la souveraine vertu, et la souveraine sagesse, et la souveraine justice, sans la moindre trace d'infirmité, de témérité ou d'iniquité ; toutefois il nous est salutaire d'apprendre à ne pas compter pour beaucoup les biens ou les maux que nous voyons êtres communs aux bons et aux méchants, à ne rechercher que les biens propres aux bons, à ne fuir que les maux propres aux méchants. Et quand nous serons arrivés à ce jugement de Dieu, dont le temps est proprement appelé le jour du jugement et quelquefois le jour du Seigneur, les jugements de ce dernier jour, et ceux du commencement, et ceux qui seront encore prononcés jusqu'à la fin des temps, dévoileront tous leur justice profonde. Alors aussi il paraîtra combien est juste ce jugement de Dieu qui, presque toujours, dérobe au sens et à l'intelligence des mortels le mystère de sa justice. Mais ce qui n'est pas un mystère pour la foi des âmes religieuses, c'est que le mystère ne couvre que la justice. [20,3] Car le plus sage des rois d'Israël, qui régna dans Jérusalem, l'auteur du livre intitulé l'Ecclésiaste, que les Juifs comprennent dans le canon des saintes Écritures, Salomon debute par ces paroles : « Vanité des hommes de vanité, dit l' Ecclésiaste ; vanité des hommes de vanité, et tout n'est que vanité. Que revient-il à l'homme de tout son travail, de ce travail qui le fatigue sous le soleil ? » Et rattachant tout à cette pensée, il représente les afflictions et les erreurs de cette vie, cette fuite du temps qui sans cesse se dérobe, ne laissant rien de solide, rien de stable; et dans la vanité de toutes choses sous le soleil, ce qu'il déplore davantage, c'est que, malgré l'excellence de la sagesse sur la démence, comparable à l'excellence de la lumière sur les ténèbres, quoique les yeux du sage soient à sa tête, tandis que l'insensé marche dans la nuit, une même destinée cependant les menace tous en cette vie qui passe sous le soleil. Assurément il fait allusion à ces maux que nous voyons communs aux bons et aux méchants. Il dit encore que les bons souffrent comme s'ils étaient méchants, et que les méchants prospèrent comme s'ils étaient bons ; et voilà ses paroles : "Il est encore une vanité répandue sur la terre : l'on voit des justes qui payent pour l'oeuvre des impies, et des impies qui reçoivent pour l'oeuvre des justes. Je dis que c'est encore là une vanité." C'est à la peinture de cette vanité, dont il veut suffisamment nous convaincre, que le plus sage des hommes consacre tout son livre, sans doute pour nous inspirer le désir de cette autre vie où la vanité n'est plus sous le soleil, mais la vérité, sous celui qui a fait le soleil. Eh! sans un juste jugement de Dieu, l'homme irait-il ainsi se dissiper dans sa vanité, devenu semblable à la vanité même? Et cependant, en ses jours de vanité, il importe infiniment qu'il résiste ou qu'il cède à la vérité, qu'il demeure étranger ou non à la piété véritable, non pour obtenir les biens de cette vie ou pour en éviter les maux : vapeur légère qui s'évanouit; mais par crainte du jugement à venir qui assignera aux bons les biens, aux méchants les maux qui ne doivent pas finir. Enfin le sage termine son livre par cet enseignement : « Crains Dieu, et garde ses commandements ; c'est là tout l'homme. Car Dieu évoquera en jugement toutes les oeuvres, celles même du plus méprisable, soit bonnes, soit mauvaises. Que peut-on dire de plus court, de plus vrai, de plus salutaire? « Crains Dieu, et garde ses commandements ; c'est-là tout l'homme. » Oui, tout homme qui est est cela : l'observateur des commandements de Dieu; et qui n'est pas cela n'est rien. Car il n'est pas réformé à l'image de la vérité, celui qui demeure semblable à la vanité. « Or toute oeuvre » dont l'homme est l'auteur en cette vie, "soit bonne, soit mauvaise, Dieu l'évoquera en jugement, l'oeuvre même du plus méprisable", c'est-à-dire de celui qui paraît le plus méprisable, et par conséquent paraît le moins aux yeux des hommes; mais il paraît aux yeux de Dieu, qui ne détourne de lui ni ses regards ni son jugement. [20,4] Quant aux témoignages du dernier jugement de Dieu, que je me suis proposé de demander aux saintes Écritures, je les dois choisir d'abord dans les livres du Nouveau Testament, puis dans les livres de l'Ancien. Car, bien que le Vieux Testament ait la priorité de temps, le Nouveau a celle d'excellence; le Vieux, en effet, n'est que l'introducteur du Nouveau. Nous commencerons donc par les témoignages nouveaux, et, pour les établir plus solidement, nous les appuierons sur les anciens. Le Vieux Testament comprend la Loi et les Prophètes; le Nouveau, l'Évangile et les Lettres des Apôtres. Or l'Apôtre dit : « Par la Ioi est venue la connaissance du péché. Mais aujourd'hui, sans la loi, la justice de Dieu se découvre, attestée néanmoins par la loi et les prophètes; et elle se communique, par la foi en Jésus-Christ, à tous ceux qui croient. » Or cette justice de Dieu appartient au Nouveau Testament et elle tire ses preuves de l'Ancien, c'est-à-dire de la loi et des prophètes. Il faut donc poser d'abord le fait; puis donner audience aux témoins. Et c'est Jésus-Christ lui-même qui nous enseigne à observer cet ordre, quand il dit : « Tout docteur instruit dans le royaume de Dieu est semblable à un père de famille qui tire de son trésor des objets nouveaux et des objets anciens. » Il ne dit pas « anciens et nouveaux; ce qu'il eût dit s'il n'eût préféré l'ordre de l'excellence à l'ordre des temps. [20,5] Quand le Sauveur lui-même réprimandait l'incrédulité de plusieurs villes où il avait fait de grands miracles, et leur préférait les cités étrangères : « Je vous le déclare, disait-il, au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous. » Et, peu de temps après, il disait encore à un autre ville : « Je le déclare en vérité, la terre de Sodome sera traitée moins rigoureusement que toi. » Il établit clairement par ces paroles l'avénement futur du jour du jugement. Et ailleurs : « Les hommes de Ninive, dit-il, se lèveront à l'heure du jugement contre cette génération pour la condamner; car ils ont fait pénitence à la prédication de Jonas; et quelqu'un est ici plus grand que Jonas. "La Reine du midi se lèvera à l'heure du jugement contre cette génération pour la condamner; car elle est venue des extrémités de la terre entendre la sagesse de Salomon ; et quelqu'un est ici plus grand que Salomon". Ce passage nous apprend deux vérités : la venue du jugement, et, à ce même instant, la résurrection des morts. Assurément, quand le Sauveur parlait ainsi des habitants de Ninive et de la Reine du midi, ils étaient morts, et toutefois les paroles précédentes témoignent qu'ils ressusciteront au jour du jugement. Et s'ils se lèvent "pour condamner", ce n'est pas en qualité de juges; mais leur présence suffira pour justifier la condamnation des autres. Parlant ailleurs du mélange actuel des bons et des méchants, et de leur séparation future au dernier jour, le Seigneur propose la parabole d'un champ semé de bon grain où l'on répand ensuite de l'ivraie, et l'expliquant ensuite à ses disciples : « Celui qui sème la bonne semence, dit-il, c'est le Fils de l'homme; le champ, c'est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du royaume; l'ivraie, les fils de perdition. L'ennemi qui l'a semé, c'est le diable; la moisson, c'est la consommation du siècle; les moisonneurs, ce sont les anges. Comme l'on ramasse l'ivraie pour la jeter au feu, il en sera de même à la consommation du siècle. Le Fils de l'homme enverra ses anges ; ils retrancheront de son royaume tous les scandales et tous les artisans d'iniquité, pour les précipiter dans la fournaise ardente : là il n'y aura que pleurs et grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Entende qui a des oreilles pour entendre! » Sans doute il ne nomme pas ici le jugement, ou le jour du jugement, mais il l'exprime beaucoup plus clairement par les choses mêmes, et annonce qu'il arrivera à la fin du siècle. « En vérité, dit-il encore à ses disciples, en vérité je vous le dis, vous qui m'avez suivi, au jour de la régénération, quand le Fils de l'homme viendra s'asseoir sur le trône de sa majesté, vous siégerez aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d'Israël. » Nous apprenons ici que Jésus-Christ doit juger avec ses disciples. Aussi dit-il ailleurs aux Juifs : « Si c'est au nom de Beelzébub que je chasse les démons, au nom de qui vos enfants les chassent-ils? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. » Et ce n'est pas que ces douze trônes dont il parle limitent à douze le nombre de ceux qui jugeront avec lui ; car le nombre douze est l'expression de la multitude des juges, à raison de deux parties du nombre septenaire, qui représente l'universalité; et ces parties sont trois et quatre, qui, multipliés l'un par l'autre, égalent douze, car trois fois quatre et quatre fois trois sont douze : sans préjudice de toute autre raison que peut figurer ici ce nombre douze. Autrement, comme Matthias fut élevé à l'apostolat à la place du traître Judas, il ne resterait donc à celui qui a le plus travaillé que tous les autres, à l'apôtre Paul, aucun trône pour juger? Et cependant il proclame assez haut qu'il sera lui-même, avec les saints, du nombre des juges, quand il dit : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? » Et c'est dans le même sens que le nombre douze est employé pour ceux qui doivent être jugés. Car de cette expression : « les douze tribus d'Israël, » il ne faut pas conclure que la tribu de Lévi, la treizième tribu sera exempte du jugement; ou bien que ce peuple seul sera jugé, et non les autres nations de la terre. Et par cette parole : "A l'heure de la régénération", il a, sans aucun doute, voulu faire entendre la résurrection des morts. Car notre chair sera régénérée par l'incorruptibilité, comme notre âme est régénérée par la foi. J'omets beaucoup d'autres textes qui se rapportent en apparence au dernier jugement, mais qu'un examen plus sérieux trouve ambigus ou susceptibles d'une autre application; soit, par exemple, l'avénement du Sauveur qui s'accomplit chaque jour dans son Église, c'est-à-dire dans ses membres, en particulier et peu à peu, car l'Église tout entière est son corps ; soit la ruine de la terrestre Jérusalem ; car Notre-Seigneur parle de cette catastrophe en termes qui permettraient de la confondre avec la fin des temps, avec ce grand et dernier jour du jugement; et l'on pourrait distinguer entre ces deux événements si l'on ne conférait ensemble sur ce point les passages des trois évangélistes saint Matthieu, saint Marc et saint Luc; car où l'explication de l'un est plus obscure, celle de l'autre est plus claire, et ce qui a rapport à un même objet ressort avec plus d'évidence. C'est ce que j'ai fait, autant que possible, dans ma lettre à Hésychius, de sainte mémoire, évêque de Salone. Le titre de cette lettre est : "de la Fin du siècle". Enfin j'arrive à ce passage qu'on lit dans l'Évangile de saint Matthieu sur la séparation des bons et des méchants par le jugement final du Christ en personne : « Quand le Fils de l'homme viendra dans sa majesté environné de tous ses anges, alors il siégera sur le trône de sa gloire, et devant lui seront rassemblées toutes les générations, et il séparera les unes des autres comme un pasteur sépare les brebis et les boucs ; et il rangera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux de sa droite : Venez, les bénis de mon Père, venez posséder le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire; j'étais errant, et vous m'avez recueilli; j'étais nu, et vous m'avez couvert; malade, et vous m'avez visité ; captif, et vous êtes venus à moi. Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand donc vous avons-nous vu avoir faim, pour vous donner à manger? quand avoir soif, pour vous donner à boire? quand sans vêtement, pour vous couvrir? quand sans asile, pour vous recueillir? quand dans les souffrances ou dans les fers, pour venir à vous? —Et le Roi leur répondra : En vérité, je vous le déclare, autant de fois vous l'avez fait aux moindres de mes frères, autant de fois vous l'avez fait à moi-même. Et alors il dira à ceux de sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits; allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. » Puis il leur reproche d'avoir omis toutes les oeuvres dont il a loué ceux de sa droite. Et quand les damnés lui demandent aussi : En quel temps ils l'ont vu dans un tel dénuement? même réponse : tout ce qu'on a manqué de faire aux moindres des siens, on a manqué de le faire à lui-même; et il conclut par ces paroles : « Et ceux-ci iront au supplice éternel, et les justes à la vie éternelle.» Saint Jean l'évangéliste témoigne clairement que Jésus a marqué la venue du jugement à l'heure de la résurrection des morts. Car, après avoir dit : « Le Père ne juge personne, mais il a remis tout pouvoir de juger au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui n'honore point le Fils n'honore point le Père qui l'a envoyé; « le Seigneur ajoute aussitôt : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui entend ma parole et croit à Celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle, et il ne viendra point en jugement; mais il est déjà passé de la mort à la vie. » Voilà qu'il assure que ses fidèles ne viendront point en jugement; comment donc seront-ils séparés des méchants et placés à sa droite, si ce n'est qu'ici « jugement » est synonyme de « condamnation? » Et c'est un tel jugement que n'encourront point ceux qui entendent sa parole et croient à celui qui l'a envoyé. [20,6] Il ajoute : « En vérité, en vérité, je vous le dis, l'heure vient, elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront. Car le Père a la vie en soi, et il a donné au Fils d'avoir aussi la vie en soi. Il ne parle pas encore de la seconde résurrection, celle des corps qui est la résurrection finale, mais de la première, qui est la résurrection présente; aussi dit-il pour la distinguer de la seconde : « L'heure vient, elle est déjà venue. » Or, cette résurrection n'est pas aujourd'hui celle des corps, mais celle des âmes ; car les âmes ont aussi leur mort : le crime et l'impiété. C'est d'hommes morts de cette mort que le Seigneur a dit : « Laisse les morts ensevelir leurs morts ; » — que ces morts d'âme ensevelissent ces morts de corps; c'est donc pour ces morts d'âme, ces morts de crime et d'impiété, qu'il dit : « L'heure vient, elle est déjà venue où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront ; » — « ceux qui l'auront entendue, » c'est-à-dire ceux qui auront obéi, qui auront cru, qui auront persévéré jusqu'à la fin. Il ne fait ici aucune différence des bons et des méchants; car il est bon d'entendre sa voix et de vivre, en passant de la mort de l'impiété à la vie de la grâce. Et c'est de la mort du crime que parle l'apôtre Paul, quand il dit : « Donc tous sont morts et il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus à eux-mêmes, mais à celui qui est mort et ressuscité pour eux. » Ainsi tous, sans nulle exception, sont dans la mort du péché, soit péché originel, soit péchés volontaires qu'ajoutent au premier crime l'ignorance, la malignité, l'oubli de la justice ; et pour tous ces morts, il est mort un seul vivant, c'est-à-dire un seul pur de tout péché, afin que ceux qui vivent par la rémission des péchés ne vivent plus à eux-mêmes, mais à celui qui est mort pour nous, pour nos péchés, qui est ressuscité pour notre justification, et que croyant en Celui qui justifie l'impie, rendus de l'impiété à la justice, comme de la mort à la vie, nous puissions appartenir à la première résurrection, à la résurrection présente. Or à cette résurrection n'appartiennent que les prédestinés à la béatitude éternelle; car le Maître va nous enseigner qu'à la seconde appartiendront à la fois et les bienheureux et les damnés. La première est de miséricorde ; la seconde, de justice : « Seigneur, s'écrie le Psalmiste, je chanterai à votre gloire la miséricorde et la justice. » C'est de la sentence dernière qu'il parle ensuite quand il dit : "Et il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le Fils de l'Homme." Il viendra donc juger en cette chair dans laquelle il est venu pour être jugé. Tel est le sens de ces mots : « Parce qu'il est le Fils de l'Homme.» Et il ajoute sur le sujet qui nous occupe : « Ne vous étonnez pas de ceci; car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix ; et ceux qui auront fait le bien sortiront pour ressusciter à la vie, et ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter au jugement. » Jugement dans le sens de condamnation, comme un peu plus haut : « L'homme qui entend ma parole et croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle, et il ne viendra point en jugement; mais il est déjà passé de la mort à la vie. » C'est-à-dire, appartenant à la première résurrection qui est le passage actuel de la mort à la vie, il ne tombera pas dans la damnation que le mot « jugement » exprime ici : « Ceux qui auront fait le mal ressusciteront au jugement, » c'est-à-dire à la damnation. Ressuscitez donc à la première résurrection, vous qui ne voulez pas être condamnés à la seconde. Car « l'heure vient, elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui l'auront entendue vivront; c'est-à-dire ne tomberont point dans la damnation, dans la seconde mort, où, après la seconde résurrection, après la résurrection du corps, seront précipités ceux qui ne ressuscitent pas à la première, à la résurrection des âmes. L'heure viendra, » dit-il, et il n'ajoute pas elle est déjà venue, » car elle ne doit venir qu'à la fin du siècle, c'est-à-dire au grand et suprême jugement de Dieu; « l'heure viendra, où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et sortiront. » Il ne dit pas, comme en parlant de la première résurrection : « et ceux qui l'auront entendue vivront. » Car tous ne vivront pas, de cette vie du moins qui en tant que bienheureuse mérite seule le nom de vie. Toutefois il leur faut une vie quelconque pour entendre, pour relever leur poussière du fond de leurs sépulcres. Or, pourquoi tous ne vivront pas, il nous l'apprend quand il ajoute : « Ceux qui ont fait le bien sortiront pour ressusciter à la vie; « voilà ceux qui vivront : « ceux qui ont fait le mal, pour ressusciter au jugement; voilà ceux qui ne vivront pas; car ils mourront de la seconde mort : ils ont fait le mal, car ils ont mal vécu : ils ont mal vécu, car ils ne sont pas ressuscités à la première résurrection, à la résurrection actuelle des âmes, ou ils n'ont pas persévéré jusqu'à la fin. Ainsi, je le répète, deux régénérations : l'une selon la foi, qui s'accomplit maintenant par le baptême; l'autre selon la chair, qui s'accomplira par l'incorruptibilité et l'immortalité, au jour du grand et dernier jugement; et deux résurrections : l'une dans le temps, celle des âmes, qui nous sauve de la seconde mort ; l'autre au delà dû temps, à la fin du siècle, résurrection non des âmes, mais des corps, qui en vertu de la suprême sentence, enverra ceux-ci dans la seconde mort, ceux-là dans la vie qui n'a point de mort. [20,7] Le même évangéliste, saint Jean, dans son Apocalypse, parle de ces deux résurrections. Mais son langage a dérobé à plusieurs l'intelligence de la première résurrection, qu'ils ont tra- duite en fables ridicules. Voici comment l'apôtre Jean s'exprime dans le livre précité : « Et je vis descendre du ciel un ange qui avait la clef de l'abîme et une chaîne en sa main; et il saisit le dragon, l'antique serpent, qu'on nomme aussi le Diable et Satan, et il le lia pour mille ans, et il le précipita dans l'abîme ; et il ferma et scella sur lui l'abîme, afin qu'il cessât de séduire les nations jusqu'à la révolution des mille ans; après quoi il doit être délié pour un temps court. Et je vis des trônes, et je vis plusieurs s'assoir sur ces trônes, et puissance de juger leur fut donnée. Et les âmes de ceux qui par leur mort ont rendu témoignage à Jésus et à la parole de Dieu, et ceux qui n'ont point adoré la bête ni son image, qui n'ont point été marqués de son sceau sur le front ou dans la main; et ils régnèrent mille ans avec Jésus. Le reste ne revint pas à la vie, jusqu'à l'expiration des mille ans. Voilà la première résurrection. Heureux et saint, celui qui participe à cette première résurrection. Sur eux la seconde mort n'a point de pouvoir. Mais ils seront prêtres de Dieu et de Jésus-Christ, et ils régneront mille ans avec lui. Ceux à qui ces paroles ont donné lieu de soupçonner que la première résurrection sera corporelle se sont laissé surprendre principalement par ce nombre de mille ans, comme si ce temps devait être pour les saints le sabbat nouveau, une époque de sainte quiétude après le labeur de ces six mille ans écoulés depuis le jour où l'homme a été créé, et, en expiation du grand crime primitif, précipité des joies du paradis dans les misères de cette vie mortelle; et puisque : « Devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour ; » six mille ans étant passés comme six jours, les derniers mille ans seraient le septième ou le sabbat des saints qui ressusciteraient pour le célébrer. Opinion presque tolérable, si l'on supposait que la présence du Seigneur dût répandre sur ce sabbat quelques délices spirituelles. Et moi-même autrefois j'ai professé ce sentiment. Mais, comme ils prétendent que cette résurrection se passera en longs banquets où les bornes de la modération, que dis-je ? où celles même des orgies païennes seront franchies, il faut décidément abandonner cette croyance aux âmes charnelles. Les hommes spirituels appellent ceux qui l'adoptent chiliastes, mot grec qui peut se rendre litéralement par « millénaires. » Les réfuter en détail serait trop long; et il vaut mieux montrer en quel sens il faut prendre ce texte de l'Écriture. Notre-Seigneur Jésus-Christ dit lui-même : « Personne ne peut entrer dans la maison du fort et lui enlever ses vases, qu'il n'ait auparavant lié le fort. » Par "le fort" il désigne le diable; car le diable a pu tenir le genre humain captif; et par les vases qu'il allait lui enlever, ses fidèles à venir, que l'ennemi tenait enchaînés dans le crime et l'impiété. C'était donc pour lier le fort que, dans l'Apocalypse, l'apôtre « vit un ange descendre du ciel, ayant la clef de l'abîme et une chaîne en sa main. Et il saisit le dragon, l'antique serpent, que l'on nomme aussi le Diable et Satan, et il le lia pour mille ans. C'est-à-dire qu'en faveur de l'affranchissement des élus, il enchaîne sa puissance de séduire et de dominer. Quant à ces mille ans, il peuvent, si je ne me trompe, s'entendre de deux manières : ou ces choses se passent aux derniers mille ans, soit au sixième millénaire, comme au sixième jour, dont maintenant la dernière période s'écoule pour être suivie du sabbat qui n'aura point de soir ou de l'éternel repos des saints, et c'est la fin de ce jour millénaire qui dure encore jusqu'à la consommation du siècle, que l'Écriture appelle mille ans, prenant la partie pour le tout; ou par ce nombre elle exprime la durée du siècle ; nombre parfait qui représente la plénitude des temps. Car le nombre millénaire est le carré solide de dix. Dix reproduits dix fois égalent cent, et c'est une figure carrée, mais plane. Or, pour l'élever en hauteur et la rendre solide, il faut encore multiplier cent par dix ; ce qui fait mille. Si, d'autre part, le nombre cent se prend pour l'infinité des nombres; ainsi quand Notre-Seigneur promet à celui qui abandonne tout pour le suivre, que dès cette vie il recevra le centuple, promesse que l'Apôtre semble expliquer en ces termes : « comme n'ayant rien, et possédant tout; » et même auparavant n'avait-il pas été dit « Le monde entier est le trésor du fidèle; » combien plutôt encore l'infinité des nombres doit-elle être représentée par le nombre mille, qui est le solide de la quadrature même de dix? Aussi ne saurait-on mieux entendre qu'en ce sens ces paroles du psaume : "Il a conservé dans les siècles la mémoire de son alliance et de la promesse qu'il a faite pour mille générations, » c'est-à-dire pour toutes les générations. « Et il le précipita dans l'abîme. » Et cet abîme, où il précipite le diable, représente la multitude innombrable des impies dont les coeurs sont pour l'Église de Dieu des abîmes de haine; non que le diable n'y fût déjà ; mais, exclus de la possession des fidèles, il s'est plus profondément emparé des impies. Car celui-là est davantage dans la possession du diable, qui, non content de se détourner de Dieu, poursuit encore d'une haine gratuite les serviteurs de Dieu. « Et il ferma et scella sur lui l'abîme, afin qu'il cessât de séduire les nations jusqu'à l'expiration des mille ans. » Il ferma : c'est-à dire il lui défendit de sortir, ou d'enfreindre la défense; il scella : cette circonstance me semble indiquer le mystère dont la volonté divine voile à nos yeux ceux qui appartiennent ou non au démon. Mystère impénétrable dans le temps : qui sait si cet homme qui paraît debout ne tombera point, et si cet homme qui paraît tombé ne se relèvera point? Or c'est pour dérober au séducteur les nations élues, héritage du Christ qu'il usurpait, que la prison et la chaîne compriment son audace. Car « Dieu, dit l'Apôtre, a choisi ces nations, avant la création du monde, pour les arracher de la puissance des ténèbres et les transférer dans le royaume du Fils de sa charité. En effet, qu'il séduise maintenant encore les nations non prédestinées à l'éternelle vie, et qu'il les entraîne avec soi aux éternels supplices, quel fidèle l'ignore? Et que l'on ne s'étonne pas s'il séduit souvent ceux-là mêmes qui, régénérés en Jésus-Christ, marchent dans les voies de Dieu. Car « le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; » et de ces élus, il n'en séduit aucun jusqu'à l'entraîner dans la damnation éternelle. Le Seigneur les connaît, comme Dieu, comme celui pour qui l'avenir n'a aucun secret ; et non comme l'homme qui ne voit que l'homme présent (s'il voit toutefois celui dont le coeur lui est invisible), sans savoir ce que cet homme doit devenir, et qui ne se voit pas lui-même. Voilà donc pourquoi le diable est lié et emprisonné dans l'abîme, c'est afin qu'il ne séduise plus les nations que l'Église réunit, et qu'il tenait sous l'empire de ses séductions avant que l'Église fût. Il n'est pas dit, afin qu'il cesse de séduire, mais « afin qu'il cesse de séduire les nations, » par lesquelles il veut sans doute faire entendre l'Église; « jusqu'à la révolution des mille ans, » c'est-à-dire jusqu'à la fin de la dernière période du sixième jour millénaire ou de toutes les années que le siècle doit accomplir. Et ces paroles, « afin qu'il cesse de séduire les nations jusqu'à la fin des mille ans, » il ne faut pas les entendre comme s'il devait exercer désormais ses prestiges sur les nations qui composent l'Église prédestinée, dont l'élection, au contraire, lui a valu ses chaînes et sa prison. Mais, ou cette locution, fréquente dans les Écritures, est analogue à celle du psaume : « Ainsi nos yeux sont vers le Seigneur notre Dieu, jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous ; » non que certains de sa pitié, les yeux de ses serviteurs cessent d'être vers lui; ou tel est l'ordre de ces paroles : « Et il ferma et scella l'abîme sur lui jusqu'à la révolution des mille ans; et cette phrase incidente : « afin qu'il cessât de séduire les nations, » il faut l'affranchir de la phrase principale, l'entendre à part comme si elle venait à la suite et que l'ensemble de la période fût ainsi conçu : « Et il ferma et scella l'abîme sur lui jusqu'à la révolution des mille ans, afin qu'il cessât de séduire les nations ; » en d'autres termes, c'est afin qu'il cesse de séduire les nations que l'abîme est fermé jusqu'à la révolution des mille ans. [20,8] « Après quoi, dit l'Apôtre, il doit être délié pour un temps court. » Si, pour le diable, c'est être lié et captif que de ne pouvoir séduire l'Église, sera-ce donc sa délivrance que de le pouvoir? — Blasphème! Non, jamais il ne séduira l'Église élue et prédestinée avant la création du monde, l'Église dont il est dit : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; » et cependant cette Église, à l'heure même de la délivrance du diable, sera, comme depuis le jour de son institution, comme elle a été, comme elle sera de tout temps ici-bas, dans ses enfants qui se succèdent par la naissance et la mort. Car l'Apôtre dit bientôt après que le démon, libre et maître des nations séduites, les entraînera a la guerre contre elle, et que le nombre des ennemis de l'Église épiera les grains de sable de la mer : "Et ils s'élancèrent, dit-il, sur toute l'étendue de la terre, et ils environnèrent le camp des saints et la cité bien-aimée : et Dieu fit descendre un feu du ciel, qui les dévora ; et le diable, leur séducteur, fut précipité dans un étang de feu et de soufre, avec la bête et le faux prophète, et ils y seront tourmentés jour et nuit dans les siècles des siècles". Mais ceci appartient au jugement dernier, et si j'ai cru devoir rappeler ce texte, c'est afin que nul ne s'imagine, que, dans ce peu de temps laissé à la domination du diable, il n'y aura plus d'Église sur la terre, soit qu'il ne la trouve plus à l'heure de la délivrance, soit qu'il l'anéantisse en multipliant les fureurs de la persécution. Ainsi, pendant toute la durée que ce livre mystérieux comprend depuis le premier avénement du Christ jusqu'à la fin du siècle, époque du second avénement pendant cette durée que l'Apôtre appelle mille ans, la captivité du diable n'est donc pas son impuissance à séduire l'Église, puisque, délié même, il ne pourra la séduire. Et cependant, si pour lui c'est être lié que de n'avoir pas la puissance ou la permission de séduire; être délié, ne sera-ce pas recouvrer cette puissance ou cette permission? A Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi! La captivité du diable, c'est de n'avoir pas la liberté d'exercer toutes les tentations, soit de force, soit de ruse, dont il est capable pour séduire les hommes, soit qu'il les entraîne violemment à son parti, soit que frauduleusement il les y amène. Que s'il avait cette permission pendant cet espace si long sur notre infirmité si grande, plusieurs mêmes succomberaient auxquels Dieu a voulu sauver de telles épreuves; aux uns, il enlèverait la foi, et en détournerait les autres. C'est pourquoi il est lié. Et il sera délivré, quand il ne restera plus qu'un temps court. Trois ans et six mois, voilà l'espace que l'Écriture abandonne à toutes les fureurs du démon et de ses complices; mais tels seront les fidèles qu'il doit combattre, que toute sa rage, toutes ses ruses les trouveront invincibles. Or, s'il n'était jamais délié, sa maligne puissance serait moins évidente; la patience de la Cité sainte et fidèle, moins éprouvée, et tout le bien que le Très-Haut sait tirer d'un si grand mal, moins à découvert. Car l'ennemi n'a pas perdu tout pouvoir de tenter les saints, quoique chassé du for intérieur où l'on croit en Dieu; toutefois, pour le progrès des élus, les attaques extérieures lui sont permises; et il est lié dans ses partisans, de peur que la libre effusion de toute sa rage, accablant tant de faibles par qui l'Église doit se multiplier et se remplir, ne brise la foi des uns, n'en détruise le germe chez les autres; et il sera délié au déclin des temps, afin que la Cité de Dieu reconnaisse, à la gloire de celui qui est son rédempteur, son protecteur et son libérateur, quel terrible adversaire elle a surmonté. Car, en comparaison des saints et des fidèles qui seront alors, que sommes-nous, puisqu'il ne faudra rien moins à leur épreuve que la liberté de cet ennemi, pour nous si dangereux à combattre, malgré ses chaînes ? Et toutefois, de nos jours, cela n'est pas douteux, il a été et il est encore quelques soldats de Jésus-Christ, si prudents et si forts, que, fussent-ils vivants à la dernière génération, leur sagesse déjouerait tous les piéges, leur patience soutiendrait tous les assauts. Or, le diable n'a pas été seulement enchaîné quand l'Église, sortant de la terre de Judée, a commencé à se répandre de proche en proche dans les autres nations, mais il l'est aujourd'hui, et il le sera jusqu'à la fin du siècle où il doit redevenir libre. Car, aujourd'hui même, les hommes abjurent l'infidélité où il les retenait, pour se convertir à la foi, et jusqu'à la fin ils se convertiront ainsi. Et le fort est lié à chaque esclave qui lui est enlevé comme un de ses vases ; et l'abîme, d'autre part, n'a pas été comblé par la mort des persécuteurs qui vivaient au premier temps de la captivité, mais d'autres leur ont succédé, et jusqu'à la fin de ce monde leur succéderont, ennemis des chrétiens, et qui, chaque jour, lui donnent pour prison l'aveugle et profond abîme de leurs coeurs. Or, dans ces trois dernières années où il doit sévir de toutes les forces de sa liberté recouvrée, la foi pourra-t-elle faire encore quelques conquêtes? C'est une question. Et comment cette parole sera-t-elle justifiée : « Qui entre dans la maison du fort pour lui enlever ses vases, sans avoir lié le fort? » si ces vases lui sont enlevés quoiqu'il soit libre? Réflexion qui, ce semble, nous oblige de croire que, dans ce peu de temps, aucun fidèle nouveau ne viendra se réunir au peuple chrétien ; mais que le diable déclarera la guerre à ceux qui se trouveront déjà chrétiens. Et si quelques-uns d'entre eux, vaincus, se rangent à sa suite, c'est qu'ils n'appartiennent pas au troupeau prédestiné des enfants de Dieu. Car ce n'est pas en vain que l'auteur même de l'Apocalypse, l'apôtre Jean, dans ses épîtres, a dit de plusieurs : « Ils sont sortis d'entre nous; mais ils n'étaient pas avec nous; car, s'ils eussent été avec nous, avec nous ils seraient demeurés. » Mais qu'arrivera-t-il des petits enfants? Il est en effet trop invraisemblable que cette dernière épreuve n'en surprenne pas un seul avant le baptême, ou qu'il n'en naisse aucun durant ces jours, ou que des parents chrétiens ne les présentent pas, aussitôt après leur naissance, au bain régénérateur. Et s'il en est ainsi, comment le démon délié se laissera-t-il enlever ces vases, lui qu'il faut enchaîner pour pénétrer dans sa maison? Croyons donc plutôt que ni les conversions, ni les apostasies ne manqueront à l'Église; mais que les pères, pour baptiser leurs enfants, et les nouveaux fidèles, déploieront tant de force, qu'ils triompheront de ce fort, même en liberté; et tout, ruses plus perfides, efforts plus violents que jamais, tout doit échouer contre la vigilance de leur sagesse et la force de leur patience. Quoique libre, ces vases lui seront donc enlevés. Et néanmoins cette maxime de l'Évangile subsiste : « Qui entre dans la maison du fort pour lui enlever ses vases, sans avoir lié le fort? » Tel est en effet l'ordre observé en témoignage de la parole divine; le fort a d'abord reçu des chaînes, et, riche de ces vases enlevés, recrutant au loin chez les nations et les forts et les faibles, l'Église a tellement multiplié ses conquêtes, que désormais son invincible confiance dans la parole de Dieu trouvée fidèle lui garantit la force d'enlever ses vases au diable, même délié. Car, s'il faut avouer que la charité de plusieurs doit se refroidir à la vue de l'iniquité triomphante, et que, par des persécutions inouïes, des ruses jusqu'alors inconnues, l'ennemi, libre de ses chaînes, doit entraîner la chute de plusieurs qui ne sont pas écrits au livre de vie; il faut croire aussi que non seulement ceux dont la foi sortira victorieuse de cette dernière épreuve, mais plusieurs même du dehors, aidés de la grâce et de la considération des Écritures qui prédisent la fin des temps dont ils sentiront l'approche,trouveront alors plus de fermeté pour croire ce qu'ils ne croyaient pas, et plus de force pour vaincre le diable déchaîné. Ainsi il n'aura d'abord reçu des fers que pour être dépouillé plus tard, captif ou libre, suivant cette parole : "Qui entredans la maison du fort pour lui enlever ses vases, sans avoir lié le fort?" [20,9] Or ces mille ans où le diable est lié, c'est-à-dire l'intervalle du premier avénement au second, sont les mille ans du règne des saints avec Jésus-Christ. Car, indépendamment de ce règne qu'il doit à la fin des temps inaugurer par ces paroles : "Venez, les bénis de mon Père, posséder le royaume qui vous est préparé," si dès aujourd'hui il ne partageait un royaume bien inférieur avec les saints auxquels il dit : « Je suis avec vous jusqu'à la consommation du siècle, » l'Église sans doute ne serait pas maintenant appelée son royaume ou le royaume des cieux. Car c'est aujourd'hui que le royaume des cieux est enseigné à ce docteur dont je viens de parler, qui tire de son trésor des objets nouveaux et anciens. Et c'est de l'Église que les moissonneurs doivent séparer l'ivraie à qui le père de famille permet de croître avec le froment, jusqu'à la moisson, suivant cette parabole qu'il dévoile ainsi : « La moisson, c'est la fin du siècle; les moissonneurs, ce sont les anges. Comme l'on ramasse l'ivraie pour la jeter au feu, il en sera de même à la consommation du siècle. Le Fils de l'homme enverra ses anges, et ils retrancheront de son royaume tous les scandales. » Quoi ! du royaume où il n'y a point de scandale? C'est donc du royaume d'ici-bas, de son Église. Il dit encore : « Celui qui enfreindra l'un de ces moindres commandements, et qui enseignera aux hommes à les suivre, sera le moindre dans le royaume des cieux; mais celui qui fera et enseignera sera grand dans le royaume des cieux. » Il place l'un et l'autre dans le royaume du ciel, et celui qui ne fait pas ce qu'il enseigne, car ce n'est pas garder le commandement, c'est l'enfreindre que de ne pas l'accomplir; et celui qui fait et enseigne ; mais il dit que l'un est bien petit et l'autre grand. Et aussitôt il ajoute : « Je vous déclare que si votre justice n'enchérit sur celle des docteurs de la loi et des pharisiens, » c'est-à-dire sur la justice de ceux qui violent leurs propres enseignements : car il est dit ailleurs des docteurs et des pharisiens : « Ils disent et ne font pas : » si donc votre justice n'enchérit sur la leur, c'est-à-dire si, pour éviter l'infraction au commandement, vous ne faites ce que vous enseignez : « Vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. » Il faut donc distinguer le royaume des cieux où se trouvent, en un rang inégal à la vérité, et celui qui enfreint ses propres enseignements et celui qui les accomplit, de cet autre royaume où l'on n'entre qu'à la condition de faire ce que l'on enseigne. Ainsi le royaume qui réunit ces deux hommes, c'est l'Église telle qu'elle est aujourd'hui ; et le royaume qui n'admet que l'un d'eux, c'est l'Église telle qu'elle sera quand les méchants n'y seront plus. L'Église est donc, même à cette heure, et le royaume du Christ et le royaume des cieux. Et ses saints règnent maintenant avec lui autrement qu'ils ne régneront alors; avec lui toutefois ne règne pas l'ivraie, quoique dans l'Église elle croisse avec le bon grain. Avec lui règnent ceux qui font ce que dit l'Apôtre : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, goûtez les choses d'en haut où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu, cherchez les choses d'en haut et non celles de la terre. » Et de ceux-là il dit encore que leur conversation est dans les cieux. Enfin règnent avec lui ceux qui, dans son royaume, sont eux-mêmes son royaume. Or comment seraient-ils le royaume de Jésus-Christ, ceux qui, tout en habitant son royaume jusqu'à la fin de ce siècle, jusqu'au retranchement de tous les scandales, y cherchent néanmoins leurs intérêts et non ceux de Jésus-Christ? Ainsi parle le livre prophétique de ce royaume militant, où nous sommes encore aux prises avec l'ennemi, tour à tour vaincus par la résistance de nos vices et vainqueurs par leur défaite, jusqu'à l'avénement du paisible royaume où l'on régnera sans combat; et il parle ainsi de la première résurrection, de la résurrection actuelle. Car, après avoir attesté les chaînes du diable pendant mille ans, et sa délivrance pour un temps court, reprenant aussitôt ce que fait l'Église ou ce qui se passe dans l'Église pendant ces mille ans : « Et j'ai vu des trônes, ajoute-t-il, et j'ai vu plusieurs s'asseoir sur ces trônes; et puissance de juger leur fut donnée. » Et il ne faut pas croire que ces paroles regardent le jugement dernier; il s'agit ici du trône de ces juges et de ces juges eux-mêmes qui gouvernent l'Église. Et cette puissance de juger qui leur est donnée ne saurait mieux s'entendre que de cette promesse : « Ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. » Et de là ce mot de l'Apôtre : « Qu'ai-je à faire de juger ceux qui sont dehors? N'êtes-vous pas juges de ceux qui sont dedans? » — Et les âmes de ceux qui ont versé leur sang pour rendre témoignage à Jésus et à la parole de Dieu : il faut sous-entendre ce qui vient ensuite : « Ont régné mille ans avec Jésus-Christ; » c'est-à-dire les âmes des martyrs à qui leurs corps ne sont pas encore rendus. Car les âmes des justes, après leur mort, ne sont point séparées de l'Église qui aujourd'hui même est le royaume de Jésus-Christ. Autrement, en ferait-on mémoire à l'autel du Seigneur dans la communion du corps de Jésus-Christ? et servirait-il de rien, quand le danger est venu, de courir à son baptême, pour ne pas quitter cette vie sans le recevoir, ou à la réconciliation, quand la pénitence ou une conscience criminelle nous ont séparés de ce même corps ? Car, pourquoi tout cela, sinon parce que les fidèles, quoique morts, sont ses membres? et leurs âmes, bien que séparées de leurs corps, règnent avec Jésus-Christ, pendant cette période de mille ans. Aussi, dans ce livre de Jean, et ailleurs, lisons-nous : « Bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur. Voici déjà que l'Esprit leur dit qu'ils se reposent de leurs travaux ; car leurs oeuvres les suivent. » L'Église règne donc ici d'abord avec Jésus-Christ dans les vivants et dans les morts. « Jésus-Christ est mort, dit l'Apôtre, afin de dominer sur les vivants et sur les morts. » Mais le même Apôtre ne rappelle que les âmes des martyrs, car ceux-là surtout règnent après leur mort, qui jusqu'à la mort ont combattu pour la vérité. Et néanmoins, prenant ici la partie pour l'ensemble, nous entendons que les autres morts appartiennent à l'Église, qui est le royaume de Jésus-Christ. Quant au passage suivant : « Et ceux qui n'ont point adoré la bête, ni son image; qui n'ont point été marqués de son sceau sur leur front ou dans leur main ; » il doit s'entendre des vivants et des morts. Et la bête, quoique cette question demande un examen plus sérieux, peut être prise, sans qu'il répugne à la rectitude de la foi, pour la cité impie et le peuple infidèle, contraire au peuple fidèle et à la cité de Dieu. L'image de la bête, c'est la dissimulation de ces hommes qui paraissent professer la foi et vivent dans l'infidélité. Car ils feignent d'être ce qu'ils ne sont pas, et ne reproduisent du christianisme qu'une trompeuse image et non son effigie véritable. A la bête appartiennent non seulement les ennemis déclarés du nom de Jésus-Christ et de sa glorieuse Cité, mais encore cette ivraie qui, à la fin des temps, doit être retranchée de l'Église son royaume. Et quels sont les hommes qui refusent l'encens à la bête et à son image, sinon ceux qui, dociles à l'ordre de l'Apôtre, « ne se laissent pas atteler au même joug avec les infidèles. » Ils n'adorent point, c'est-à-dire ils ne consentent, ni ne se soumettent; ils repoussent le sceau, ou la note du crime, sur le front, à cause de leur profession sainte; dans leur main, à cause de leurs oeuvres. Ainsi les fidèles qui ne sont pas d'intelligence avec le mal, soit morts, soit vivant encore dans cette chair mortelle, partagent aujourd'hui même la royauté de Jésus-Christ ; ils règnent dans la mesure que comporte le siècle, pendant toute la durée désignée par le nombre de mille ans. « Les autres n'ont pas vécu, » dit l'Apôtre. Car l'heure est venue où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront; et les autres ne vivront pas; « jusqu'à la révolution de mille ans, » ajoute-t-il, pour exprimer qu'ils n'ont pas vécu au temps où ils devaient vivre, en passant de la mort à la vie. Ainsi, quand le jour sera venu, le jour de la résurrection des corps, ils sortiront de leurs sépulcres, non pour la vie, mais pour le jugement, c'est-à-dire pour la condamnation ou la seconde mort. Car, jusqu'à la révolution des mille ans, quiconque n'aura pas vécu, c'est-à-dire quiconque, pendant la durée de la première résurrection, aura refusé d'entendre la voix du Fils de Dieu et de passer de la mort à la vie, quand l'heure viendra de la seconde résurrection ou de la résurrection de la chair, est assuré de passer avec sa chair à la seconde mort. Car l'Apôtre ajoute : « Voilà la première résurrection. Heureux et saint celui qui a part, » ou qui participe « à cette première résurrection! » Et celui-là y participe, qui non seulement revit en ressuscitant de la mort du péché, mais persévère dans cette résurrection. « Voilà ceux, dit l'Apôtre, sur qui la seconde mort n'a pas pouvoir. Elle a donc pouvoir sur les autres, dont il est dit plus haut : « Le reste n'a pas vécu, jusqu'à la révolution des mille ans, c'est-à-dire pendant toute la période désignée par mille ans » aucun d'eux, quelle que fût la durée de sa vie corporelle, n'est ressuscité de la mort de l'impiété, renaissant à la première résurrection pour s'affranchir de la seconde mort. [20,10] Suivant l'opinion de quelques-uns, la résurrection ne peut se dire que des corps, et ils prétendent que cette première résurrection à venir est purement corporelle. Car, disent-ils, se relever n'appartient qu'à ce qui tombe. Les corps tombent en mourant, et c'est de leur chute ("a cadendo") que leur vient le nom de cadavres. Ainsi il ne peut y avoir résurrection d'âme, mais seulement de corps. Et que répondent-ils donc à l'Apôtre qui établit une résurrection spirituelle? Car ils étaient ressuscités, non pas selon l'homme intérieur, mais selon l'homme extérieur, ceux auxquels il est dit : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, goûtez les choses d'en haut. » Et c'est la même pensée qu'il exprime ailleurs en d'autres termes quand il dit : « Afin que comme Jésus-Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous marchions aussi dans le renouvellement de la vie. » Et de là cette autre parole : Lève-toi, toi qui dors ! lève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera! » Quant à ce principe qu'il n'est possible de se relever qu'à ce qui tombe, c'est-à-dire aux corps et non aux âmes, parce que la chute n'appartient qu'aux corps, que n'écoutent-ils cette parole : « Ne vous retirez pas de lui, de peur de tomber; » et « c'est pour son Seigneur qu'il demeure debout ou qu'il tombe; » et: « Qui se croit debout, prenne garde de tomber ! Assurément c'est l'âme, et non pas le corps, qui doit conjurer cette chute. Si donc la résurrection appartient à ce qui tombe, les âmes ont leur chute, accordez-leur donc la résurrection. Et, lorsqu'après avoir dit : « Sur eux la seconde mort n'a pas puissance, » l'Apôtre ajoute : « Mais ils seront prêtres de Dieu et de .Jésus-Christ, et ils régneront avec lui mille ans, » il ne faut pas l'entendre des seuls évêques et des seuls prêtres, c'est-à-dire du véritable corps sacerdotal dans l'Église, mais comme tous sont appelés chrétiens, à cause du chrême mystique, tous ainsi sont dits prêtres, parce qu'ils sont membres d'un seul grand-prêtre. Et c'est deux que l'apôtre Pierre parle ainsi : « Le peuple saint et le royal sacerdoce. » Or ici, saint Jean fait entendre, quoique brièvement et en passant, que Jésus-Christ est Dieu, quand il dit : « Prêtre de Dieu et de Jésus-Christ, » c'est-à-dire du Père et du Fils, bien qu'étant fils de l'homme « à cause de la forme d'esclave, » Jésus-Christ ait encore été institué prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech, comme je l'ai déjà dit plusieurs fois dans cet ouvrage. [20,11] « Et après la révolution des mille ans, Satan sera délivré de sa geôle, et il sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre coins de la terre, Gog et Magog, et il les entraînera à la guerre, aussi nombreuses que les grains de sable de la mer. » Il les séduira donc alors pour les entraîner à cette guerre : car auparavant il les amenait par toutes les séductions possibles à une infinité de prévarications. Alors « il sortira, » alors des ténèbres de la haine il se jettera dans les fureurs de la persécution. Et cette persécution, voisine du dernier jugement, sera la dernière; et elle désolera par toute la terre l'Église sainte; la Cité du Christ tout entière souffrira de la cité du démon tout entière. En effet, par ces nations que l'Apôtre désigne sous les noms de Gog et Magog, il ne faut pas entendre certains peuples barbares de certaine contrée, Gètes ou Massagètes, comme quelques-uns l'imaginent à cause des premières lettres de ces noms; soit quelque autre race inconnue et indépendante de la loi romaine. Il est bien clair que les ennemis viendront de toute la terre, puisqu'il est dit: « Les nations qui sont aux quatre coins de la terre; » et ces nations, ajoute l'Écriture, sont « Gog et Magog. » Et voici la signification de ces mots; ainsi que je l'ai appris, Gog, c'est le « toit; Magog, ce qui est « du toit ; » en d'autres termes, à peu près, « la maison » et celui qui sort « de la maison. » Ce sont donc les nations, où le diable est enfermé comme dans un abîme ; et c'est lui qui s'élance et se précipite dehors ; elles sont le toit, et il sort du toit. Si nous rapportons ces locutions, non pas l'une aux nations et l'autre au diable, mais toutes deux aux nations, alors les nations sont elles-mêmes « le toit, » qui renferme, et pour ainsi dire, couvre l'antique ennemi; et elles seront elles-mêmes « du toit, » quand elles briseront les barrières de cette haine qu'elles couvrent. L'Apôtre dit encore : « Et ils se répandirent sur toute la terre, et ils environnèrent le camp des saints et la cité bien-aimée. » Or il ne faut pas se les représenter ici comme venant ou devant venir en un lieu déterminé attaquer le camp des saints et la cité sainte; car cette cité n'est autre que l'Église du Christ répandue sur toute la terre ; et partout où elle sera, elle qui doit être dans toutes les nations, comme l'atteste cette expression : "l'étendue de la terre;" là sera le camp des saints, là aussi la Cité bien-aimée de Dieu ; là tous ses ennemis, répandus avec elle dans toutes les nations, formeront autour d'elle une enceinte sinistre; elle sera pressée, gênée, enfermée dans le cercle des tribulations ; mais, justifiant cette expression de « camp, » elle ne trahira pas ses étendards. [20,12] Quant à cette parole : « Et un feu descendit du ciel, qui les dévora, » il ne faut pas l'entendre du dernier supplice, qui commencera pour eux lorsqu'ils entendront cette voix : « Retirez-vous de moi, maudits; allez au feu éternel. » Car alors eux-mêmes tomberont dans le feu, et non le feu du ciel sur eux. Or, ce "feu du ciel" peut bien s'entendre ici de la fermeté des saints; fermeté qui les rendra invincibles à toutes les violences, et ne laissera sur eux aucune prise à la volonté de l'ennemi. Car le firmament, c'est le ciel; et voilà cette fermeté céleste qui allume au coeur des impies ce zèle ardent, ce zèle désespéré de son impuissance à entraîner les saints du Christ dans le parti de l'Antechrist. Voila le feu dévorant, ce feu qui vient « de Dieu. » Car c'est la grâce de Dieu qui donne aux saints cette indomptable constance, supplice de leurs ennemis. S'il est en effet un zèle légitime; — ainsi "Le zèle de votre maison me dévore;" l'Écriture en signale un contraire : « Le zèle s'est emparé d'une plèbe ignorante, et c'est maintenant le feu qui consume les impies; » « maintenant, » et sans préjudice du feu vengeur du dernier jugement. Si néanmoins c'est la plaie qui doit frapper les persécuteurs de l'Église que le Christ trouvera vivants à sa venue, quand il tuera l'Antechrist d'un souffle de sa bouche, si, dis-je, c'est cette plaie que l'Apôtre désigne par le feu descendu du ciel, par le feu dévorant, ce ne sera pas là toutefois le dernier supplice des impies : le dernier supplice est celui qui les attend après la résurrection des corps. [20,13] Nous l'avons déjà dit, d'après le témoignage de l'Apocalypse et celui du prophète Daniel, cette dernière persécution, qui doit venir de l'Antechrist, sera de trois ans et six mois. Or ce temps, si court qu'il soit, appartient-il aux mille ans de la captivité du diable et du règne des saints avec Jésus-Christ, ou bien est-il en dehors de cette période? c'est un point qui mérite examen. Si ce court espace est compris dans mille ans, le règne des saints avec Jésus-Christ devra s'étendre au delà de la captivité du diable. Car assurément les saints régneront avec leur roi, surtout dans l'épreuve dernière où ils triompheront de tant de maux, quand le démon, libre de sa chaîne, pourra les persécuter de toutes ses forces. Comment donc l'Écriture assigne-t-elle à la captivité du diable et au règne des saints le même terme de mille ans, si les fers du démon tombent trois ans et six mois avant la fin du règne de mille ans? Si, d'autre part, nous ne croyons pas devoir comprendre dans ces mille années cette courte durée de persécution, mais, au contraire, l'ajouter aux mille ans révolus, en prenant au sens propre la fin de ces mille ans et la délivrance de Satan ; prédiction qui vient après celle-ci : "Les prêtres de Dieu et de Jésus-Christ régneront avec lui pendant mille ans" ; alors nous faisons concorder la fin du règne des saints et celle de la captivité du diable; l'époque de cette persécution n'appartient plus ni à leur règne ni à sa délivrance, c'est un temps à part qu'il faut compter en dehors des mille ans, mais aussi nous voilà forcés d'avouer que pendant cette persécution les saints ne régneront plus avec Jésus-Christ. Et cependant qui oserait dire que ses membres cesseront de régner avec lui, au moment où ils lui seront unis de l'union la plus intime et la plus forte, au moment où la violence du combat donnera une nouvelle gloire à la constance, de nouveaux rayons à la couronne du martyre? Ou si les tribulations qu'ils auront à souffrir excluent l'idée de règne, il s'ensuit donc qu'aux jours antérieurs, pendant la période de mille ans, tous ceux d'entre les saints qui ont souffert, au moment même de leurs souffrances, ne régnaient pas avec Jésus-Christ ; il s'ensuit donc aussi que ces fidèles, dont l'auteur de l'Apocalypse atteste avoir vu les âmes, ces témoins égorgés pour Jésus-Christ et la parole de Dieu, ne régnaient pas avec le Christ quand ils souffraient persécution, et qu'il n'étaient pas le royaume du Christ quand ils étaient son plus précieux héritage? Conséquence absurde et qu'on ne saurait trop détester! Du moins est-il certain qu'après avoir fourni leur carrière de travaux et de douleurs, les victorieuses âmes des glorieux martyrs, dégagées de leurs membres mortels, ont régné et règnent avec Jésus-Christ jusqu'à la révolution des mille ans, pour régner à l'avenir revêtues de corps immortels. Ainsi, pendant ces trois années, les âmes des justes qui ont scellé leur foi de leur sang, les âmes dès longtemps sorties de leurs corps et celles qui doivent en sortir à la persécution dernière, régneront avec Jésus jusqu'à la fin du siècle mortel, jusqu'à l'avénement du royaume où la mort ne sera plus. Donc les années du règne des saints s'étendront au delà des fers et de la captivité du démon, puisqu'ils régneront avec le Fils de Dieu, leur roi, pendant ces trois ans et demi où le démon sera redevenu libre. Que conclure enfin de ces paroles : « Les prêtres de Dieu et de Jésus-Christ régneront avec lui mille ans, et, ces mille ans révolus, Satan sera délivré de sa prison. » Ou ces mille ans ne terminent pas le règne des saints, mais les fers et la détention du diable, en sorte que pour ses ad- versaires et lui cette même période développe une durée inégale, le règne des saints se continuant après la délivrance du démon; ou l'Écriture n'a pas voulu tenir compte de cet insignifiant espace de trois ans et six mois, soit qu'il faille le retrancher de la captivité de Satan, soit qu'il faille l'ajouter au règne des saints. Ainsi au seizième livre de cet ouvrage, nous avons vu l'Écriture compter quatre cents ans, malgré un excédant sur ce nombre; et, si l'on veut bien le remarquer, c'est le style ordinaire des saintes Lettres. [20,14] Après cette prophétie de la dernière persécution, l'Apôtre retrace en peu de mots tout ce qu'au dernier jugement le démon doit souffrir, et avec lui la cité ennemie dont il est le prince : « Et le diable, dit-il, leur séducteur, fut précipité dans un étang de feu et de soufre, avec la bête et le faux prophète, pour être tourmentés nuit et jour dans les siècles des siècles. » La bête, c'est probablement, comme je l'ai déjà dit, la cité impie ; le faux prophète ou l'Antechrist, c'est l'image, c'est la dissimulation dont j'ai parlé au même endroit. Et puis, venant au dernier jugement, qui arrivera à la seconde résurrection des morts, à la résurrection corporelle, il raconte comment il lui fut révélé : « Et je vis, dit-il, un grand trône blanc, et devant celui qui était assis sur le trône le ciel et la terre s'enfuirent, et leur place ne se retrouva plus. » Il ne dit pas : Je vis un grand trône blanc et celui qui était assis sur ce trône, et devant sa face le ciel et la terre s'enfuirent ; parce que cela n'arrive pas en ce moment, c'est-à-dire avant que le jugement soit rendu sur les vivants et les morts; il dit qu'il vit assis sur le trône celui devant qui le ciel et la terre s'enfuirent, mais plus tard. Car, le jugement étant prononcé, ce ciel et cette terre cesseront d'être, et il se fera un ciel nouveau et une terre nouvelle. C'est en effet par changement et non par destruction que ce monde passera. « La figure de ce monde passe, dit l'Apôtre, aussi veux-je vous voir libres de soins. » La figure passe donc et non pas la nature. Or Jean ayant vu celui devant qui le ciel et la terre doivent s'enfuir : « Et j'ai vu, ajoute-t-il, les morts grands et petits; et des livres furent ouverts; et un autre livre fut ouvert; livre de la vie de chacun; et les morts furent jugés sur ce qui était écrit dans ces livres, chacun selon ses oeuvres. » Ainsi des livres sont ouverts, puis un livre; et quel est ce livre? Celui, dit l'Apôtre, de la vie de chacun. » Or ces premiers livres sont assurément les livres saints, anciens et nouveaux; c'est le code des volontés divines. Et le livre de chacun, c'est le recueil des oeuvres ou conformes ou contraires à ces volontés. Pris matériellement, qui pourrait apprécier les dimensions de ce livre? Et combien de temps faudrait-il pour lire ce volume où la vie tout entière de tout homme est contenue? Le nombre des anges sera-t-il égal à celui des hommes, et chaque homme entendra-t-il de son ange la lecture de sa vie? Il n'y aura donc pas un livre unique pour tous, mais un livre pour chacun. L'Écriture toutefois ne parle que d'un seul : « Et un autre livre, dit-elle, fut ouvert. » Il faut donc entendre ici une vertu divine qui représente à la mémoire de chacun toutes ses oeuvres bonnes ou mauvaises, ces oeuvres vues d'un coup d'oeil par une merveilleuse intuition de l'âme lui donneront la science qui accusera ou excusera la conscience; et c'est ainsi qu'en un moment, tous et chacun seront jugés. Or cette vertu divine est appelée « livre; » car c'est en elle que, pour ainsi dire, on lit tous les souvenirs qu'elle suggère. Et pour montrer quels morts doivent subir le jugement, grands et petits, l'Apôtre ajoute, comme en revenant sur ce qu'il a omis ou plutôt différé: « Et la mer présentera les morts qui étaient dans ses abîmes, et la mort et l'enfer rendirent les morts qu'ils avaient. » Ce qui arriva sans doute avant que les morts fussent jugés ; et cependant l'Apôtre commence par le jugement. Il résume donc, je le répète, et il reprend ce qu'il avait omis. Maintenant il suit l'ordre, et, pour le garder, il revient sur le jugement des morts et le range à sa place. Ainsi : La mer, dit-il, présenta les morts qui étaient dans ses abîmes ; et la mort et l'enfer rendirent les morts qu'ils avaient. » Puis il ajoute : « Et chacun fut jugé selon ses oeuvres,comme il l'avait dit précédemment : « Et les morts furent jugés selon leurs oeuvres. » [20,15] Mais quels sont les morts que la mer exhume de ses abîmes et qu'elle présente ? Serait-ce donc que ceux qui meurent dans la mer échappent à l'enfer, et que la mer garde leurs corps? ou, ce qui est encore plus absurde, la mer a-t-elle les morts vertueux, et l'enfer les méchants ? Qui pourrait le croire ? C'est donc fort convenablement que plusieurs expliquent ici la mer par le siècle. Ainsi, lorsque l'Apôtre fait entendre que ceux que Jésus-Christ trouvera vivant de la vie corporelle seront jugés avec ceux qui doivent ressusciter, il les appelle eux-mêmes morts, bons et méchants; les bons, à qui il est dit : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; » les méchants, de qui il est dit : « Laisse les morts ensevelir leurs morts. » Ils peuvent encore être appelés morts en tant que revêtus de corps mortels : «Le corps, dit l'Apôtre, est mort à cause du péché, mais l'esprit est vie à cause de la justice; » montrant ainsi que l'homme vivant et doué de ce corps réunit ces deux éléments : un corps qui est mort, un esprit qui est vie. Et il ne dit pas corps mortel, mais « mort, » quoique bientôt après il emploie l'expression plus usitée de corps mortel. Voilà donc les morts que la mer présenta; en d'autres termes, le siècle présenta les hommes qu'il contenait, parce que leur heure n'était pas encore venue. « Et la mort et l'enfer, dit-il, rendirent les morts qu'ils avaient. » La mer les présente, parce qu'ils comparaissent dans l'état où ils se trouvent; mais la mort et l'enfer les rendent, parce que la mort et l'enfer les rappellent à la vie, qu'ils ont déjà quittée. Et peut-être n'est-ce pas en vain que l'Apôtre, au lieu de choisir entre ces deux expressions, « la mort, l'enfer, »emploie l'une et l'autre : « la mort, à cause des justes qui ont souffert la mort mais non l'enfer : « l'enfer, » à cause des méchants, qui de plus y sont livrés aux supplices. Car, s'il ne paraît pas absurde de croire que les saints des temps antiques, qui ont cru à l'avénement futur du Christ, aient, après leur mort, loin sans doute de l'enfer des impies, habité néanmoins aux demeures profondes, jusqu'à l'heure où ils en furent tirés par le sang du Christ et sa descente aux limbes, il est certain que désormais les justes rachetés de ce précieux sang répandu sont quittes de l'enfer, et n'attendent plus que le jour où, réintégrés dans leurs corps, ils recevront la récompense qu'ils méritent. Puis, après cette parole : « Et ils furent jugés chacun selon ses oeuvres, » l'Apôtre ajoute en peu de mots quel fut ce jugement : « Et la mort et l'enfer, dit-il, furent précipités dans un étang de feu; » désignant par ces noms l'auteur de la mort et des peines infernales le diable et toute la société des démons. C'est ce qu'il avait déjà dit par anticipation plus nettement : « Et le diable leur séducteur fut précipité dans un étang de feu et de soufre; » et ce qu'il ajoutait en termes plus obscurs :« avec la bête et le faux prophète, il le répète ici en termes plus clairs :« Et ceux qui ne se trouvèrent pas écrits au livre de vie furent précipités dans l'étang de feu. » Ce livre ne vient pas en aide à la mémoire de Dieu, pour lui épargner l'erreur d'un oubli, mais il signifie la prédestination de ceux à qui la vie éternelle sera donnée, car ils ne sont pas inconnus à Dieu : il ne lit pas dans ce livre pour les connaître ; mais plutôt sa prescience de leur destinée, son infaillible prescience est ce livre où ils sont écrits, c'est-à-dire dès longtemps connus. [20,16] Or, après le jugement qui doit décider de l'avenir des méchants, l'Apôtre n'a plus qu'a parler du jugement des bons. Il a commencé par expliquer ce que Notre-Seigneur déclare en un mot : « Ceux-là iront au supplice éternel; » il lui reste à expliquer cette promesse : « les justes à la vie éternelle. » — « Et je vis, dit-il, un ciel nouveau et une terre nouvelle. Le premier ciel et la première terre se sont retirés, et la mer n'est plus. » Ce qui arrivera dans l'ordre qu'il a déjà signalé quand il a vu assis sur un trône celui devant qui le ciel et la terre s'enfuient. Car ceux dont les noms ne sont pas au livre de vie étant jugés et envoyés au feu éternel (et quel sera ce feu, en quelle partie de l'univers doit-il s'allumer; nul ne le sait, si l'Esprit divin ne le lui révèle) ; alors la figure de ce monde passera dans les feux du monde comme elle a déjà passé par l'invasion des eaux du monde. Cet incendie consumera donc les qualités des éléments corruptibles appropriés à nos corps corruptibles ; et une admirable métamorphose développera, dans la substance même, des qualités convenables aux corps immortels; le monde renouvelé sera mis en harmonie avec l'homme renouvelé jusque dans sa chair. Quant à cette parole : « Et la mer n'est plus, » exprime-t-elle le desséchement des eaux par ce grand embrasement ou leur rénovation? Question difficile à résoudre. Je lis bien qu'il doit y avoir un ciel nouveau et une terre nouvelle ; mais, autant qu'il m'en souvient, je n'ai jamais rien lu qui annonce une mer nouvelle. Je trouve, à la vérité, dans le même livre ces mots : Comme une mer de verre semblable au cristal; » mais l'Apôtre ne parle pas encore de la fin du monde; et il ne dit pas en termes exprès : « la mer, » mais : « comme une mer. » Cependant, comme le style des prophètes aime à répandre sur le sens qu'il renferme des voiles allégoriques, Jean a pu entendre par cette mer « qui n'est plus, » celle dont il vient de dire : « Et la mer présenta les morts qui étaient dans ses abîmes ; c'est-à-dire la mer de ce siècle ne sera plus; — la mer turbulente et orageuse de cette vie. [20,17] « Et je vis, dit-il, la grande Cité qui, venant de Dieu, descendait du ciel, parée comme la nouvelle épouse pour son époux. Et j'entendis cette grande voix qui sortait du trône : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes; et il habitera avec eux, et ils seront son peuple, et il sera Dieu avec eux. Et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. Et la mort ne sera plus. Et le deuil, les cris, la douleur ne seront plus, car l'ancien ordre aura cessé. Et celui qui était assis sur le trône ajouta : Et je fais toutes choses nouvelles. » Cette Cité descend du ciel, parce qu'elle est l'oeuvre de la grâce céleste. Et c'est pourquoi Dieu lui dit aussi par Isaïe :« Je suis le Seigneur qui t'ai créée. » Et elle est descendue du ciel dès son origine, depuis que, régénérés par les eaux salutaires de la grâce venue du ciel avec le Saint-Esprit, ses enfants croissent dans la traversée du siècle. Mais au dernier jugement, au jugement de Dieu par Jésus-Christ, son fils, elle recevra de la bonté divine une gloire si éclatante et si nouvelle que tous les vestiges de vieillesse s'évanouiront, et, des ruines de la corruption et de la mort, les corps renouvelés passeront à l'incorruptible immortalité. Car prétendre que cet état glorieux appartient à la période de mille ans où elle règne avec son roi, ne serait-ce pas là une allégation impudente, quand l'Apôtre a dit en termes si clairs : « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus; et le deuil, les cris, la douleur ne seront plus. » Eh ! quel homme assez absurde, assez possédé du délire de l'obstination, pour oser soutenir que, dans les angoisses de cette vie, non seulement le peuple saint, mais encore aucun saint en particulier soit à l'avenir, comme hier, comme aujourd'hui, exempté des larmes et de la douleur ; lorsque au contraire plus l'homme est saint et rempli du saint désir, plus ses larmes coulent abondantes dans la prière! Et n'est-ce pas là la voix d'un citoyen de la céleste Jérusalem, qui nous crie : « Mes larmes sont devenues le pain de mes jours et de mes nuits? » et : « Chaque nuit, je baignerai mon lit de mes pleurs; j'inonderai ma couche de mes larmes? » et : "Mes gémissements ne vous sont point cachés?" et : « Ma douleur s'est renouvelée? » et ne sont-ce pas les enfants de cette Jérusalem qui gémissent sous le faix de ce corps, par le désir, non pas d'en être dépouillés, mais de revêtir par-dessus l'immortalité afin que l'élément mortel soit absorbé par la vie? Ne sont-ce pas eux, qui possédant les prémices de l'esprit, gémissent intérieurement dans l'attente de l'adoption divine, c'est-à-dire la rédemption de leurs corps? Et l'apôtre Paul lui-même n'est-il point un citoyen d'en haut, surtout quand il se sent pénétré pour les Israélites, ses frères selon la chair, d'une tristesse profonde, d'une continuelle angoisse de coeur ? Et quand la mort sera-t-elle anéantie dans la Cité sainte, sinon à l'heure où cette voix retentira : « Mort, où sont tes combats ? Mort, où est ton aiguillon? Or, l'aiguillon de la mort, c'est le péché. « Et il ne sera plus, quand on demandera : « Où est-il ? » Mais aujourd'hui ce n'est pas un citoyen obscur de la glorieuse Cité, c'est Jean lui-même qui dans son Ëpître s'écrie : « Si nous nous disons sans péché, nous sommes nos propres séducteurs, et la vérité n'est point en nous. » Il est vrai toutefois que ce livre de l'Apocalypse présente beaucoup d'obscurités afin d'exercer l'esprit du lecteur, et peu de passages assez clairs pour aider à l'élucidation, même laborieuse, des autres. L'auteur, en effet, reproduit le même sens sous tant de formes différentes qu'il semble parler d'objets nouveaux, et cependant, sous des expressions si variées, c'est bien le même sens que l'on retrouve. Mais quand il dit : "Dieu essuiera toute larme de leurs yeux ; et la mort ne sera plus; et le deuil, les cris, la douleur, ne seront plus" : ces paroles répandent une telle lumière sur le siècle futur, sur l'immortalité et l'éternité des saints (car, alors seulement, et là seulement, la douleur et la mort ne seront plus) ; et nous devons renoncer à chercher et à rencontrer quelques clartés dans les Lettres saintes, si ce passage nous semble obscur. [20,18] Et maintenant voyons ce que l'apôtre Pierre a écrit sur le jugement : Au dernier jour il viendra des railleurs inso- lents, qui, marchant à la suite de leurs passions, diront : Où est donc la promesse de sa présence ? Depuis que nos pères se sont endormis, toutes choses demeurent comme dès l'origine de la création ; car ils ignorent, et volontairement, qu'au commencement les cieux et la terre furent dégagés des eaux et formés au sein des eaux par la parole de Dieu, et que le monde d'alors fut englouti dans les eaux. Et les cieux et la terre d'aujourd'hui ont été rétablis par la même parole, et sont réservés au feu pour le jour du jugement et de la ruine des impies. Mais apprenez ceci, mes bien-aimés, c'est que devant Dieu un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Dieu ne diffère donc point l'accomplissement de sa promesse, ainsi que plusieurs l'en accusent; mais il vous attend avec patience : il ne veut la mort de personne ; il veut la conversion de tous. Or le jour du Seigneur viendra comme un voleur, et dans une violente secousse les cieux passeront; les éléments consumés se dissoudront, et la terre, avec toutes les oeuvres terrestres, brûlera. Dans l'attente de cette destruction, quelle doit être la sainteté de votre vie, et votre patience pour l'avénement de ce jour du Seigneur, où l'ardeur du feu va dissoudre les cieux et fondre les éléments? Car, selon sa promesse, nous attendons de nouveaux cieux et une terre nouvelle, où résidera la justice. » Il ne dit rien ici de la résurrection des morts ; mais ii insiste, on le voit, sur la destruction du monde, et, en rappelant l'antique catastrophe du déluge, il semble nous engager à croire comment à la lin des siècles le monde doit périr. Car il dit que l'ancien monde périt, et non seulement ce globe terrestre, mais encore les cieux, c'est-à-dire ces espaces de l'air dont les eaux en montant avaient envahi la place. Tout ou presque tout l'air (qu'il appelle le ciel ou plutôt les cieux, séjour des vents, et non cette région sublime où le soleil, la lune et les étoiles habitent) se transforma donc en élément liquide, et périt ainsi avec la terre, dont le déluge avait déjà détruit la face primitive. Mais, ajoute l'Apôtre, les cieux et la terre d'aujourd'hui ont été rétablis par la même parole, et sont réservés au feu pour le jour du jugement et de la ruine des impies. » Ainsi ce ciel, cette terre, c'est-à-dire ce monde sorti des mêmes eaux, et rétabli à la place de l'ancien monde englouti par le déluge, est réservé lui-même aux flammes dernières pour le jour du jugement et de la ruine des impies. Car il n'hésite pas à nommer « ruine » cette transformation des hommes, quoique leur nature doive subsister dans les supplices éternels. On demande peut-être : Si le monde brûle après le jugement, avant l'apparition d'un ciel nouveau et d'une terre nouvelle, au moment de cette conflagration universelle, où seront les saints? Car, s'ils ont des corps, il faut un lieu corporel qui les renferme. Or nous pouvons répondre qu'ils pourront s'élever à des hauteurs non moins inaccessibles à la flamme de l'incendie futur qu'aux flots de l'ancien déluge. Leurs corps auront alors telles propriétés, qu'ils seront où ils voudront être. Que dis-je? immortels et incorruptibles, ils ne craindront pas le feu suprême : les corps mortels et corruptibles des trois jeunes hommes n'ont-ils pas vécu sains et saufs dans la fournaise ardente? [20,19] Je vois qu'il me faut passer sous silence de nombreux témoignages de l'Évangile et des apôtres sur ce dernier jugement, de peur que ce livre ne prenne de trop longs développements; mais il est impossible d'omettre ces paroles de l'apôtre Paul aux habitants de Thessalonique : « Nous vous prions, dit-il, mes frères, par l'avénement de Notre-Seigneur Jésus-Christ et notre union en lui, ne vous laissez pas surprendre dans votre foi, ni épouvanter par aucune prophétie, aucune parole, aucune lettre que l'on supposerait venir de nous, comme si le jour du Seigneur était imminent : mettez-vous en garde contre toute séduction. Ce jour n'arrivera point que l'apostat ne vienne, et que l'homme de péché ne paraisse, ce fils de mort, cet adversaire qui s'élève au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu, de tout ce qu'on adore, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, s'offrant lui-même comme s'il était Dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous disais cela quand j'étais encore avec vous ? Et vous savez ce qui le retient, afin qu'il paraisse en son temps. Car déjà s'accomplit le mystère d'iniquité. Seulement que celui qui tient maintenant tienne toujours jusqu'à ce qu'il se retire. Et alors se découvrira l'impie que le Seigneur Jésus tuera d'un souffle de sa bouche et dissipera par le resplendissement de sa présence; l'impie qui doit paraître dans toute la puissance de Satan, multipliant les miracles, les signes et les illusions du mensonge, et les séductions de l'iniquité pour ceux qui périssent faute d'accueillir l'amour de la vérité qui les eût sauvés. Et c'est pourquoi Dieu suscitera contre eux une telle puissance d'erreur qu'ils croiront au mensonge; afin que ceux-là soient jugés qui n'ont pas cru à la vérité, mais prêté consentement à l'iniquité. » Nul doute qu'il ne parle ici de l'Antechrist ; et que le jour du jugement (qu'il appelle le jour du Seigneur) ne doive venir après l'avénement de l'apostat, déserteur du Seigneur notre Dieu. Car, si ce nom convient à tous les impies, combien plus encore à celui-ci ? Mais en quel temple de Dieu doit-il s'asseoir ? Est-ce dans les ruines du temple bâti par Salomon, ou dans l'Église ? Car l'Apôtre ne donnerait pas au temple d'une idole, au temple du démon, le nom de temple de Dieu. Aussi, selon plusieurs, ce n'est pas ici le prince même des impies, mais tous les membres de son corps, la multitude des hommes qui lui appartiennent, dont il est la tête, que l'Apôtre désigne par l'Antechrist : et ils pensent qu'il vaut mieux lire, suivant la leçon grecque, non pas : dans le temple de Dieu, » mais : en temple de Dieu. » C'est à-dire comme si l'Antechrist était le Dieu ou l'Église. Aussi nous lisons, entre autres locutions semblables : il s'asseoit en ami; pour : Il s'asseoit comme un ami. L'Apôtre ajoute : « Et vous savez ce qui le retient, — en d'autres termes, pourquoi il diffère ; — quelle est la cause de ces retards : — « Afin qu'il paraisse en son temps ; » vous le savez; — et comme ils le savent, il n'a pas voulu parler plus clairement. Mais ce qu'ils savaient, nous l'ignorons, et tous nos désirs, tous nos efforts ne peuvent atteindre jusqu'au sens de l'Apôtre, d'autant plus que le verset suivant augmente l'obscurité. Car que signifie : "Déjà le mystère d'iniquité s'accomplit. Seulement, qui tient tienne toujours, jusqu'à ce qu'il se retire ; et alors l'impie se découvrira." Ici, je l'avoue, le sens m'échappe entièrement. Toutefois je ne tairai point certaines conjectures que j'ai pu recueillir par lecture ou par entretien. Quelques-uns prétendent que ces paroles regardent l'empire romain, et que l'Apôtre n'a pas voulu s'exprimer plus clairement, de peur que la calomnie ne l'accusât de faire des voeux contre l'empire romain, à qui l'on promettait l'éternité. Ainsi, « ce mystère d'iniquité » devrait s'entendre de Néron, dont les oeuvres semblaient déceler l'Antechrist. Et de là, certaine croyance qu'il ressuscitera et qu'il est l'Antechrist futur. S'il faut en croire quelques-uns, il n'a pas été tué, mais enlevé, et le bruit de sa mort répandu : et maintenant il est gardé en secret, plein de vie et dans la vigueur de l'âge, comme à l'époque de sa mort présumée, jusqu'au temps où il doit reparaître et rentrer en possession de son empire. En vérité, je ne puis assez m'étonner de la témérité étrange de cette opinion. Cette parole néanmoins : "Que celui qui tient tienne toujours, jusqu'à ce qu'il se retire", ne pourrait-elle s'entendre de l'empire romain lui-même, comme s'il était dit : Que celui qui commande commande toujours, jusqu'à ce qu'il se retire, en d'autres termes, jusqu'a ce qu'il soit retranché. Et alors se découvrira l'impie, » ou l'Antechrist sans difficulté. "Et vous savez ce qui le retient; car déjà s'accomplit le mystère d'iniquité"; cette parole, d'autres la rapportent uniquement aux méchants et aux hypocrites qui sont dans l'Église, et deviendront enfin assez nombreux pour former un grand peuple à l'Antechrist : ce que l'Apôtre appelle « le mystère d'iniquité, » parce qu'il semble caché. Mais l'Apôtre, suivant eux, exhorte les fidèles à la ténacité dans la foi qu'ils tiennent, quand il dit : « Seulement que celui qui tient tienne toujours, jusqu'à ce qu'il se retire, » c'est-à-dire jusqu'à ce que le mystère d'iniquité se retire du sein de l'Église, et sorte des ténèbres. C'est à ce mystère qu'ils rapportent encore ces paroles de Jean l'Évangéliste dans son Épître : Mes enfants, voici la dernière heure. Comme vous l'avez appris, l'Antechrist doit venir; et maintenant déjà plusieurs Antechrists ont paru : et, par là nous connaissons que la dernière heure est venue. Ils sont sortis d'avec nous. S'ils eussent été d'avec nous, avec nous ils fussent demeurés. » Plusieurs hérétiques que l'apôtre saint Jean appelle des Antechrists, étant donc sortis du sein de l'Église, avant les derniers jours; à cette heure qu'il dit la dernière, la fin des temps en fera sortir tous ceux qui n'appartiendront pas au Christ, mais à ce dernier Antechrist, et c'est alors qu'il paraîtra. Et telles sont les différentes conjectures que l'on tire des paroles obscures de l'Apôtre. Mais nul doute qu'il n'ait déclaré que Jésus-Christ ne viendra pas juger les vivants et les morts, que l'Antechrist ne soit venu d'abord séduire les morts spirituellement; quoique leur séduction même appartienne au mystère des jugements de Dieu. « Car, a-t-il été dit, l'impie doit paraître dans toute la puissance de Satan, multipliant les miracles, les signes et les illusions du mensonge et les séductions de l'iniquité pour ceux qui périssent. » Alors Satan sera libre, et, par le ministère de l'Antechrist, il déploiera toute sa puissance en prodiges, mais en prodiges trompeurs. Ici l'on demande souvent si ces expressions de signes ou prodiges de mensonge veulent faire entendre l'inanité des prestiges dont il abusera les sens de l'homme, toutes ces oeuvres n'étant qu'apparentes; ou bien est-ce à dire que la vérité même de ces miracles entraînera au mensonge ceux qui croiront y voir la présence de la force divine, faute de connaître celle du démon, telle surtout qu'elle doit être quand il aura reçu un pouvoir jusqu'alors inconnu. En effet, ce feu qui tombe du ciel et dévore les nombreux serviteurs du saint homme Job et ses immenses troupeaux, cette trombe furieuse qui ensevelit ses enfants sous les ruines de leur maison, ne sont pas de vains prestiges; et toutefois c'est l'oeuvre de Satan, à qui Dieu avait donné ce pouvoir. Or, pourquoi l'Apôtre dit-il : "Signes et prodiges de mensonge," on le saura plus tard. Mais pourquoi ces signes et ces prodiges de mensonge en séduiront justement plusieurs, il le déclare : « C'est pour n'avoir pas accueilli l'amour de la vérité qui les eût sauvés. » Et l'Apôtre ne craint pas d'ajouter : « Et Dieu suscitera contre eux une telle puissance d'erreur, qu'ils croiront au mensonge. » Dieu la suscitera, car Dieu donnera au diable permission d'agir; et quelle que soit l'équité du juge qui permet, elle ne diminue en rien l'injustice et la perversité du démon qui agit. « Afin, dit encore l'Apôtre, que ceux-là soient jugés qui n'ont pas cru à la vérité, mais prêté consentement à l'iniquité. » Jugés pour être séduits, ils seront séduits pour être jugés : jugés pour être séduits par le jugement de Dieu, mystérieusement juste, et justement mystérieux ; jugement que, depuis l'origine du péché, il ne cesse d'exercer sur la créature raisonnable; séduits pour être jugés au jour éclatant et suprême du jugement par Jésus-Christ, qui jugera très justement ayant été très injustement jugé. [20,20] Ici l'Apôtre garde le silence sur la résurrection des morts. Mais dans sa première Epître aux habitants de Thessalonique : « Nous ne voulons pas, mes frères, dit-il, vous laisser dans l'ignorance sur ceux qui dorment le sommeil de la mort, afin que vous ne soyez pas contristés comme les autres hommes qui n'ont pas d'espérance. Car si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, nous devons croire que Dieu amènera avec Jésus-Christ ceux qui se seront endormis en Jésus-Christ. Car nous vous le déclarons au nom du Seigneur, nous qui vivons et sommes réservés pour son avénement, nous ne préviendrons pas ceux qui nous ont précédés dans le sommeil. Car, au signal donné, à la voix de l'Ange, au son de la trompette de Dieu, le Seigneur descendra lui-même, et les morts en Jésus-Christ descendront les premiers; puis nous vivants et demeurés jusqu'alors, nous serons avec eux ravis dans les nues et au milieu de l'air, au devant du Seigneur; et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur. » Ces paroles de l'Apôtre marquent très clairement la résurrection des morts à l'heure où Notre-Seigneur Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts. Mais, demande-t-on souvent, ceux que le Christ doit trouver vivants, ceux que l'Apôtre personnifie en lui-même et dans les hommes de son temps, sont-ils destinés à ne pas mourir, ou bien, au même instant qui doit les porter au milieu de l'air avec les ressuscités au-devant du Christ, passeront-ils avec une célérité merveilleuse par la mort à l'immortalité? Car il ne faut pas tenir pour impossible que, dans l'intervalle de leur migration sur les nues, ils meurent et revivent. Cette parole, en effet : « Et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur, » ne doit pas s'entendre d'un éternel séjour dans les régions de l'air avec Notre-Seigneur, car lui-même, à son avénement, ne fera qu'y passer. Nous irons au-devant de lui, là où il doit venir et non demeurer. Mais « nous serons ainsi avec le Seigneur, » c'est-à- dire, partout où nous serons avec lui, nous serons ainsi revêtus de corps immortels. Or l'épreuve de la mort, et au même instant le don de l'immortalité pour ceux que le Seigneur trouvera vivants, l'Apôtre lui-même semble nous pousser à cette croyance quand il dit : « Tous revivront en Jésus-Christ, et ne dit-il pas ailleurs en parlant de la résurrection corporelle : « Ce que tu sèmes ne revit pas s'il ne meurt? » Comment donc ceux que le Christ trouvera vivants revivront-ils en lui par l'immortalité s'ils ne meurent? quand nous lisons en témoignage de cette vérité : « Ce que tu sèmes ne revit pas s'il ne meurt.» Ou, s'il est vrai qu'il ne soit pas exact de dire que le corps de l'homme est semé, à moins qu'il ne retourne en terre, suivant la sentence dont la justice divine a frappé le premier prévaricateur, le Père du genre humain : « Tu es terre et tu retourneras en terre : » il faut l'avouer, ceux que Notre-Seigneur trouvera à son avénement, en possession de leurs corps, ne sont atteints ni par les paroles de l'Apôtre, ni par la sentence de la Genèse. Ravis dans les nues, ils ne vont pas en terre comme la semence, et ils n'en sortent pas, soit qu'ils échappent à la mort, soit qu'elle ne les surprenne que pour un instant au milieu de l'air. Mais ici, nouvelle objection. L'Apôtre dit aux Corinthiens : « Nous ressusciterons tous, » ou, suivant une autre version : "Nous dormirons tous." Si donc la résurrection ne peut être, que la mort n'ait précédé, et nous ne pouvons entendre ce sommeil que de la mort, comment tous dormiront-ils ou ressusciteront-ils, si tant d'hommes que Jésus-Christ trouvera en possession de leur corps échappent à ce sommeil et à cette résurrection ? Si donc nous croyons que les saints trouvés vivants par Jésus-Christ, à l'instant même de leur ravissement en sa présence, sortiront de leurs corps mortels pour les reprendre aussitôt immortels, aucune des paroles de l'Apôtre ne nous inquiète, qu'il dise : « Ce que tu sèmes ne revit s'il ne meurt, » ou qu'il dise : « Tous nous ressusciterons, » ou : « Tous nous dormirons car ces fidèles eux-mêmes ne revivront par l'immortalité qu'ils ne meurent, ne fût-ce que pour un instant; et par conséquent ils ne seront pas étrangers à la résurrection précédée d'un sommeil si court qu'il soit. Et pourquoi donc paraîtrait-il incroyable que cette multitude de corps fût comme semée dans la région de l'air pour y revivre soudain immortels et incorruptibles, puisque nous croyons, sur le témoignage éclatant de l'Apôtre, qu'un coup d'oeil verra s'accomplir la résurrection, et avec une facilité, une vitesse inouïes, retourner en corps destinés à vivre sans fin l'antique poussière des premiers morts. Et gardons-nous de penser que cette sentence portée contre l'homme : « Tu es terre et tu retourneras en terre, » ne saurait atteindre les saints du dernier jour dont les corps ne retomberont pas en terre, mais qui doivent mourir et ressusciter dans leur ravissement au milieu de l'air. « Tu iras en terre, » c'est-à-dire, au sortir de la vie, tu retourneras à ce que tu étais avant de la recevoir : inanimé, tu redeviendras ce que tu étais avant d'être animé. C'est, en effet, sur un peu de terre que Dieu souffle l'esprit de vie; et ce souffle à la face de l'homme le fait âme vivante. N'est-ce pas encore comme s'il était dit : Tu es une terre animée, ce que tu n'étais pas; tu seras une terre inanimée, comme tu étais. Ce que sont avant de tomber en pourriture tous les corps des trépassés, ceux-là le seront aussi, s'ils meurent, où qu'ils meurent, lorsque la vie en sortira pour y rentrer aussitôt. Ils iront donc en terre, parce que de vivants ils deviendront terre ; ainsi va en cendre tout ce qui devient cendre, va en ruine tout ce qui se fait ruine, etc. Mais les efforts de notre faible raison ne peuvent s'élever au-dessus de quelques conjectures; ce n'est qu'à l'heure de l'accomplissement, que nous pourrons connaître. Toutefois, que la résurrection des morts soit une résurrection corporelle, quand Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts, c'est ce qu'il nous faut croire, si nous voulons être chrétiens. Et de ce que nous ne saurions parfaitement comprendre le « comment, » s'ensuit-il que notre foi soit vaine? Maintenant il nous reste à produire les antiques témoignages des prophètes sur ce dernier jugement de Dieu. Il ne sera pas besoin, je pense, d'entrer ici en de longs développements, si le lecteur veut bien s'appuyer sur ce qui précède. [20,21] « Les morts, dit le prophète Isaïe, ressusciteront, et ceux qui étaient dans les sépulcres. Et tous ceux qui sont sur la terre se réjouiront; car la rosée qui émane de vous est leur santé. Mais la terre des impies tombera. » La première partie de ce verset regarde la résurrection des bienheureux; et « la terre des impies tombera » doit s'entendre de cet abîme de damnation où tomberont les corps des impies. Quant à la résurrection des justes, un examen sérieux de ce passage nous convaincra qu'il faut rapporter à la première ces paroles : « les morts ressusciteront, » et à la seconde les suivantes "ressusciteront aussi, ceux qui étaient dans les sépulcres." Et les justes que le Seigneur à son retour trouvera vivants sont ici clairement désignés : « Et tous ceux qui sont sur la terre se réjouiront; car la rosée qui émane de vous est leur santé. » Cette santé se prend très légitimement pour l'immortalité. C'est bien, en effet, la santé parfaite qui se passe du remède quotidien des aliments. Enfin, sur le jour du jugement, encourageant les bons par l'espérance, frappant les méchants par la terreur, le prophète s'exprime ainsi : « Voici la parole du Seigneur : Et je me détourne sur eux comme un fleuve de paix, et comme un torrent débordé je répands la gloire des nations. Leurs fils seront portés sur les épaules et caressés sur les genoux. Comme une mère console son enfant, ainsi je vous consolerai; et c'est dans Jérusalem que vous serez consolés. Vous verrez, et votre coeur se réjouira, et vos os germeront comme l'herbe. Et le Seigneur fera connaître sa main à ses fidèles serviteurs : et ses menaces tomberont sur les rebelles. Voilà le Seigneur qui vient comme le feu, et ses chars, comme la tempête. Sa fureur vient exercer les vengeances et les désolations par la flamme; car toute la terre sera jugée par le feu du Seigneur et toute chair par son glaive. Plusieurs seront blessés par le Seigneur. Ce fleuve de paix promis au juste, c'est l'abondance de la paix, la plus grande paix qui puisse être. C'est la source où nous serons plongés à la fin, et dont nous avons tant parlé au livre précédent. Ce fleuve se détourne, dit le prophète, sur ceux à qui la souveraine béatitude est promise, c'est-à-dire qu'en cette région de la félicite, au ciel, tout sera baigné des eaux de ce fleuve. Et comme la paix de l'incorruptibilité et de l'immortalité en découle dans le corps, voilà pourquoi "le fleuve se détourne pour s'élancer des hauteurs dans les abîmes et rendre les hommes égaux aux anges". Et cette Jérusalem n'est pas la Jérusalem esclave ici-bas avec ses enfants, mais la Jérusalem libre, dit l'Apôtre, notre mère éternelle dans les cieux. C'est elle qui, au sortir des chaînes douloureuses de notre mortalité, nous remettra dans son sein ; comme les petits enfants, elle nous portera sur ses épaules. Béatitude inconnue, qui environne des soins les plus caressants notre enfance novice. Là, nous verrons, et notre coeur se réjouira. Que verrons-nous? Le prophète ne le dit pas. Mais que pouvons-nous voir, si ce n'est Dieu? afin que cette promesse de l'Évangile s'accomplisse en nous : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu; » tout ce qui ne nous est visible aujourd'hui que par la foi, et dont l'idée conçue dans les étroites limites de notre intelligence est incomparablement au-dessous de la réalité même. Et vous verrez, dit-il, et votre coeur se réjouira. "Ici vous croyez, là vous verrez". Mais, pour prévenir toute erreur sur cette parole : « Et votre coeur se réjouira, » et nous détourner de croire que ces biens de la Jérusalem céleste n'intéressent que l'esprit, le prophète ajoute : "Et vos os germeront comme l'herbe :" mots qui comprennent la résurrection des corps comme pour réparer une omission. Car la résurrection n'arrivera pas quand nous aurons vu, mais, quand elle sera arrivée, nous verrons. En effet, le prophète avait déjà parlé d'un ciel nouveau et d'une terre nouvelle dans ses fréquentes prédictions de la félicité promise aux saints à la fin des temps : « Il y aura, dit-il, un ciel nouveau et une terre nouvelle; et tout le passé s'effacera de leur mémoire, et aucun souvenir n'en remontera dans leur coeur. Mais ils trouveront la joie et l'allégresse dans Jérusalem. Et voilà que je fais de Jérusalem une fête, et de mon peuple, la joie même ; et je ferai mes délices de Jérusalem, et mon peuple sera ma joie; et l'on n'entendra plus désormais la voix des pleurs, » et toutes les autres prédictions que certains esprits veulent rattacher à ce règne charnel de mille ans. Car ici, suivant l'usage des prophètes, le style figuré se mêle au style propre, afin que la volonté droite, après d'utiles et salutaires efforts, s'élève au sens spirituel; mais la paresse charnelle, mais la lenteur de l'esprit sans culture et sans exercice ne soupçonne rien à découvrir sous l'écorce littérale. Or c'en est assez sur les paroles du prophète qui précèdent le passage en question. Revenant au texte dont nous nous sommes un instant éloigné : « Vos os, dit l'Apôtre, germeront comme l'herbe; » et pour montrer que c'est de la résurrection corporelle, celle des justes toutefois, qu'il veut parler, il ajoute : » Et Dieu fera connaître sa main à ses fidèles serviteurs. » Qu'est-ce à dire, si ce n'est la main de celui qui distingue ses serviteurs de ses ennemis? « Et ses menaces tomberont sur les rebelles, » ou, suivant une autre version, « sur les incrédules. » Ce ne sera plus alors le temps des menaces, mais les menaces, proférées aujourd'hui, s'accompliront alors en réalité. « Car voilà le Seigneur qui vient comme le feu, et ses chars, comme la tempête; sa fureur vient exercer les vengeances et les désolations par la flamme. Car toute la terre sera jugée par le feu du Seigneur, et toute chair par son glaive. Plusieurs seront blessés par le Seigneur. » Feu, tempête, glaive, toutes figures des peines du jugement. Et s le Seigneur qui vient comme le feu, » n'est-ce pas contre ceux à qui son avénement doit être un supplice? Les « chars » peuvent sans inconvénient s'entendre du ministère des anges. Et dans ce jugement de toute la terre et de toute la chair par le feu et le glaive du Seigneur, il ne faut pas comprendre les saints et les spirituels, mais seulement ces hommes charnels et terrestres dont il est dit : « Ils n'ont de goût que pour les choses de la terre : » et « n'avoir de goût que selon la chair, c'est la mort : ceux enfin que le Seigneur appelle chair, quand il dit : « Mon esprit ne demeurera plus avec ces hommes, car ils ne sont que chair. » — « Plusieurs seront blessés par le Seigneur, » ajoute le prophète; cette blessure sera la seconde mort. Le feu, le glaive et la blessure, peuvent toutefois se prendre en bonne part. Le Seigneur ne dit-il pas qu'il est venu apporter le feu dans le monde? Et les disciples ne virent-ils pas comme des langues de feu se diviser quand sur eux descendit l'Esprit-Saint? « Je ne suis pas venu, dit encore le Seigneur, apporter la paix sur la terre, mais le glaive. » Et l'Écriture appelle la parole de Dieu un glaive doublement acéré ; ce double tranchant, c'est l'un et l'autre Testament. Et, dans le Cantique des cantiques, la sainte Église s'écrie qu'elle est blessée d'une flèche d'amour. Mais, comme il est évident ici que le Seigneur doit venir pour exercer ses vengeances, nulle équivoque sur le sens de ces paroles. Puis, énumérant en un mot ceux que consumera ce jugement, c'est-à-dire les pécheurs et les impies désignés par les aliments défendus sous l'ancienne loi, dont ils n'ont pas observé la défense, il revient à la grâce du Nouveau Testament depuis le premier avénement du Sauveur jusqu'au jugement dernier, où il amène et conclut sa prophétie. Dans son récit, le Seigneur déclare qu'il vient pour rassembler les nations, et que les nations vont venir pour être témoins de sa gloire. « Car, dit l'Apôtre, tous ont péché, et tous ont besoin de la gloire de Dieu. « Le prophète dit encore qu'il fera éclater sur eux de si grands miracles qu'ils croiront en lui; qu'il enverra plusieurs élus d'entre eux aux nations étrangères, aux îles lointaines qui n'ont jamais entendu prononcer son nom, ni vu sa gloire; que ces élus seront les hérauts de sa gloire parmi les gentils, et qu'ils amèneront les frères de ceux auxquels il parle, les frères des Israélites choisis, à la même foi en Dieu le père ; que de toutes les contrées ils amèneront encore au Seigneur un présent sur des chevaux et des chars (c'est-à-dire par le ministère des anges ou des hommes de Dieu), et l'introduiront dans la sainte cité de Jérùsalem, répandue maintenant sur toute la terre dans les fidèles. Car, où ils se sentent divinement aidés, là ils croient ; où ils croient, là ils viennent, et le Seigneur les compare aux enfants d'Israël qui dans son temple lui offrent des victimes et des cantiques, comme déjà l'Église en tous lieux, et il promet aux Israélites qu'il se choisira parmi eux des prêtres et des lévites, ce que nous voyons encore aujourd'hui s'accomplir. Or ce n'est plus selon la filiation de la chair et du sang, comme pour le sacerdoce primitif selon l'ordre d'Aaron, mais comme il convient sous la nouvelle alliance où Jésus-Christ est le pontife souverain selon l'ordre de Melchisédech, c'est en considération des mérites que la grâce se plaît à répandre, que nous voyons choisir les prêtres et les lévites ; ministres dont il faut juger, non par la dignité où s'élèvent souvent des indignes, mais par la sainteté qui ne saurait être commune aux bons et aux méchants. Après avoir ainsi parlé de la miséricorde de Dieu, si évidente et si sensible aujourd'hui, sur son Église, il promet à chacun le but final où il doit arriver quand le dernier jugement aura séparé les justes et les impies. Voici ce que le Seigneur dit par le prophète, ou le prophète de la part du Seigneur : « Comme le ciel nouveau et la terre nouvelle demeureront en ma présence, dit le Seigneur, ainsi votre race et votre nom demeureront devant moi : et ainsi de mois en mois, de sabbat en sabbat, toute chair viendra sous mes yeux adorer en Jérusalem, dit le Seigneur, et ils sortiront et ils verront les membres des hommes prévaricateurs; leur vie ne mourra point, et leur feu ne s'éteindra point; et ils serviront de spectacle à toute chair. » Voilà où le prophète finit son livre, où finira le siècle. Au lieu des membres, » quelques interprètes lisent: «cadavres des hommes, » c'est-à-dire évidemment les peines corporelles; bien que d'ordinaire cadavre ne se dise que d'une chair inanimée, tandis que ces corps auront une âme; autrement ils seraient insensibles aux supplices. Mais peut-être, comme il s'agit des corps d'hommes morts, c'est-à-dire tombés dans la seconde mort, est-il possible d'employer sans absurdité l'expression de cadavres? Et de là cette parole du prophète que j'ai déjà citée : « La terre des impies tombera. » Et qui ne sait que du mot tomber, CADERE, vient celui de CADAVRE? Et n'est-il pas encore évident que par « les hommes, » il n'entend pas l'homme positivement; le nom du sexe supérieur désigne les deux sexes. Nul assurément ne prétendra exempter du dernier supplice les femmes pécheresses. Mais ce qui importe surtout à la question, c'est que le prophète dit en parlant des justes : « Toute chair viendra, » parce que le peuple élu se formera de toute nation : non que tous les hommes soient réunis à ce peuple, car le plus grand nombre sera dans les tourments; mais, je le répète, comme les bons sont désignés par l'expression de « chair, » et les méchants par celle de « membres » ou « cadavres, » il est évident que c'est après la résurrection de la chair, si clairement établie par ces mots, que le jugement viendra qui doit opérer entre les justes et les impies la séparation finale. [20,22] Mais comment les bons « sortiront-ils » pour voir les supplices des méchants? Est-ce d'un mouvement corporel qu'ils abandonneront les demeures heureuses pour se rendre au séjour des peines et assister corporellement aux souffrances des méchants? A Dieu ne plaise. Ils sortiront intellectuellement. Et cette expression fait entendre que les damnés seront « dehors. » Ainsi Notre-Seigneur appelle ces lieux les ténèbres « extérieures, » par opposition à « l'entrée » qu'il indique au serviteur fidèle : « Entre dans la joie de ton Seigneur; » et c'est de peur qu'on y laisse entrer les méchants pour y être connus, que l'on en fait sortir les bons intellectuellement pour les connaître, car ils ont à connaître au dehors. Ceux qui seront dans les tourments ignoreront ce qui se passera au dedans, en la joie du Seigneur ; mais ceux qui seront dans la joie sauront ce qui se passera dans ces ténèbres extérieures ; et c'est en ce sens qu'ils sortiront, car ceux du dehors n'échapperont pas à leur connaissance. En effet, si les prophètes ont pu connaître ces choses avant leur accomplissement parce que Dieu était, si peu que ce fût, dans leur intelligence mortelle, comment les saints immortels pourront-ils les ignorer, alors qu'elles seront accomplies, et que «Dieu sera tout en tous? » La stabilité dans cette béatitude appartient donc à la semence et au nom des saints. La semence, dont saint Jean a dit : « Et sa semence demeure en lui; » le nom, dont il est dit par la bouche d'Isaïe : « Je leur donnerai un nom éternel, et il sera ainsi de mois en mois et de sabbat en sabbat, comme de lune en lune, et de repos en repos . » Et les saints eux-mêmes seront l'un et l'autre, quand de ces ombres anciennes et temporelles ils passeront aux lumières nouvelles et éternelles. Quant aux supplices des damnés, ce feu inextinguible, ce ver qui ne saurait mourir, ont été pris en sens divers. Les uns rapportent tous deux au corps, et les autres à l'âme. Suivant une troisième opinion, qui semble plus probable, c'est un feu réel qui doit s'attacher au corps, c'est un ver figuré qui doit ronger l'âme. Mais ce n'est pas le moment de discuter cette différence. L'objet de ce livre est le jugement dernier, la séparation finale des bons et des méchants. Quant aux récompenses et aux châtiments, nous en traiterons ailleurs plus particulièrement. [20,23] Voici la prophétie de Daniel sur le dernier jugement, qu'il fait précéder de l'avénement de l'Antechrist et qu'il conduit jusqu'au royaume éternel des saints. Après avoir vu dans une vision prophétique quatre bêtes, figures de quatre royaumes, et le quatrième royaume conquis par un certain roi en qui l'on reconnaît l'Antechrist, puis enfin l'éternel royaume du Fils de l'homme ou de Jésus-Christ : « L'horreur, dit-il, pénétra mon esprit ; moi, Daniel, je frémis dans mon être, et ces visions de mes yeux me troublèrent, et je m'approchai de l'un des assistants et lui demandai la vérité de tout cela; et il me dit la vérité. » Alors le prophète raconte ce qu'il entend de la bouche de celui qu'il vient d'interroger, et il parle comme sous sa dictée. « Ces quatre bêtes immenses, dit-il, sont quatre royaumes qui s'élèveront sur la terre, puis seront retranchés ; et l'empire passera aux saints du Très-Haut, et ils le conserveront jusque dans le siècle des siècles. Et j'interrogeai, dit-il, avec plus d'instances sur la quatrième bête, infiniment différente et infiniment plus terrible; ses dents étaient de fer, ses ongles d'airain, je la voyais tout dévorer, tout broyer ou fouler aux pieds; j'interrogeai aussi sur les dix cornes de sa tête, et sur une autre qui en sortit et fit tomber trois des premières. Et cette corne avait des yeux, et une bouche d'où sortaient des paroles épouvantables; et elle apparaissait plus grande que les autres. Je contemplai, et cette corne combattait contre les saints et prévalait sur eux, jusqu'au moment où vint l'Ancien des jours, et il donna le royaume aux saints du Très-Haut ; et le temps arriva, et les saints possédèrent l'empire. » Voilà comment Daniel expose ses propres questions, et voici ce qu'il entendit ; voici la réponse de celui qu'il interroge : « Et il dit : La qùatrième bête, c'est un quatrième royaume sur la terre, qui prévaudra sur tous les royaumes. Et il dévorera la terre, et il la foulera, et il la brisera, et ses dix cornes sont dix rois qui s'élèveront, puis un autre se dressera plus terrible que les précédents ; et il humiliera trois rois, et il blasphémera contre le Très-Haut; et il écrasera les saints du Très-Haut, et il prétendra de changer les temps et la loi, et il sera remis en ses mains un temps, plus d'un temps et la moitié d'un temps. Puis le jugement se tiendra, et son empire sera exterminé et détruit à jamais: et voilà que le royaume, la puissance, la souveraine domination des rois sous toute l'étendue des cieux, est donnée aux saints du Très-Haut, et son royaume est un royaume éternel et toutes les puissances le servent et lui obéissent. « Voici la fin de ses paroles : » Et moi, Daniel, mes pensées me troublaient; et ma face fut changée, et je conservai les paroles dans mon coeur. » Quelques-uns voient dans ces quatre royaumes ceux des Assyriens, des Perses, des Macédoniens et des Romains. Et si l'on veut en apprécier la raison, il faut lire les commentaires du prêtre Jérôme sur Daniel, rédigés avec tant d'exactitude et d'érudition. Quant à la sanglante tyrannie de l'Antechrist, pour si peu de temps que l'Église ait à la subir, est-il permis au lecteur, même le moins éveillé, de douter qu'elle précède le dernier jugement de Dieu et le règne éternel des saints? Car ces expressions : un temps, plus d'un temps et la moitié d'un temps, signifient un an et deux ans et la moitié d'un an; et par conséquent trois ans et six mois ; or le nombre des jours exprimé plus bas éclaircit l'obscurité de ces termes, et, dans un autre passage des Écritures, le nombre des mois la dissipe complétement. « Un temps » ou des temps », en latin, semblent indiquer un temps indéfini. Mais l'original marque le duel, inusité chez les Latins, et que les Hébreux emploient, dit-on, ainsi que les Grecs. « Temps, » ici, est donc pris pour deux temps. Sur les dix rois désignés comme dix hommes que l'Antechrist doit trouver à sa venue, je crains de me tromper. Savons-nous si, à son avénement imprévu, l'on comptera autant de rois dans le monde romain? Savons-nous si ce nombre, comme ceux de mille, de cent, de sept, etc., n'exprime pas ici l'universalité des rois qui doivent précéder son règne? Daniel dit ailleurs : « Et le temps viendra d'une persécution telle que depuis l'origine des hommes sur la terre jusqu'à cette époque, il n'en a jamais été vu de semblable. Et en ce temps sera sauvé tout ton peuple ? tous ceux dont les noms seront trouvés écrits dans le livre. Et plusieurs des hommes endormis sous un amas de terre se relèveront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour une éternité d'opprobre et de confusion. Et les sages auront l'éclat du firmament, et plusieurs des justes brilleront à jamais comme les étoiles. » Passage entièrement conforme aux témoignages de l'Évangile sur la résurrection corporelle. Car ceux que l'Évangile représente « dans les sépulcres, » le prophète les dit « endormis sous un amas de terre, ou suivant d'autres versions « dans la poussière de la terre. » « Ils sortiront, » dit l'Évangile ; et le prophète, « ils se relèveront; » l'Évangile : « ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter a la vie, et ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter au jugement; « et le prophète les uns pour la vie éternelle, les autres pour une éternité d'opprobre et de confusion. » Et que l'on ne s'imagine pas surprendre une opposition en cette expression de l'Évangéliste : « Tous les hommes qui sont dans les sépulcres; » et celle du prophète : « Plusieurs des hommes endormis sous un amas de terre. » Car l'Écriture emploie quelquefois "plusieurs" pour « tous. » Ainsi il est dit à Abraham : « Je t'ai établi père de plusieurs nations, et cependant Dieu lui dit ailleurs : En ta semence toutes les nations seront bénies. » Et sur cette même résurrection, il est dit bientôt après au prophète Daniel : « Et toi, viens, repose-toi, car il reste encore des jours jusqu'à la consommation du siècle, et tu te reposeras, et tu ressusciteras en ton héritage, à la fin des jours. » [20,24] Les Psaumes renferment de nombreux témoignages sur le dernier jugement, mais courts et rapides pour la plupart. Toutefois ces paroles, prédiction si claire de la fin du siècle, je ne puis les passer sous silence : «Seigneur, dans le principe que vous avez fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de vos mains. Ils périront, et vous demeurerez. Ils vieilliront comme un vêtement, et vous les changerez comme un manteau, et ils seront changés. Mais vous, vous êtes le même, et vos années ne manqueront point. » Et pourquoi donc Porphyre, qui loue la piété des Hébreux d'adorer le grand et vrai Dieu, terrible à ses divinités mêmes, vient-il, sur les oracles de ces dieux, accuser les chrétiens de démence, pour prétendre que ce monde doit finir? Et cependant voici que les saintes Lettres des Hébreux disent au Dieu devant qui, de l'aveu de ce grand philosophe, toutes ces divinités tremblent : « Les cieux sont l'ouvrage de vos mains, et ils périront. » Quoi donc! quand les cieux périront, qui sont la partie du monde la plus haute et la plus sûre, est-ce que le monde ne périra pas ? Si ce sentiment déplaît à Jupiter, qui, suivant le témoignage de ce philosophe, emprunte l'autorité grave d'un oracle pour blâmer la crédulité des chrétiens, que ne traite-t-il également de folie la sagesse des Hébreux dont les livres sacrés renferment cette croyance? Que si cette sagesse, qui plaît tant à Porphyre qu'il la fait vanter par les oracles de ses dieux, si cette sagesse elle-même nous atteste la ruine future des cieux, quel est donc cet excès d'erreur et d'imposture qui, dans la foi des chrétiens, avec ou par-dessus tout le reste, déteste le dogme de la fin du monde, dont la ruine peut seule entraîner celle des cieux? Et, dans ces Écritures qui nous appartiennent en propre et ne sont plus communes aux Hébreux et à nous, dans les Évangiles et les Épîtres des Apôtres, ne lit-on pas : « La figure de ce monde passe; » — « le monde passe; » « le ciel et la terre passeront, » expressions plus douces, il est vrai, que celle-ci : « périront. » Et dans l'Épître de Pierre, où il est dit que le monde ancien périt sous les eaux du déluge, ne voit-on pas clairement quelle est la partie du monde désignée par le tout, et comment elle périt, et quels sont les cieux, renouvelés alors, et réservés aujourd'hui pour les flammes dernières, au jour du jugement et de la ruine des impies? Et quand il dit bientôt après : « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur, et dans une violente secousse les cieux passeront, les éléments consumés se dissoudront, et la terre avec toutes les oeuvres terrestres brûlera ; » puis ajoute : « Dans l'attente de cette destruction, quelle doit être la sainteté de notre vie? » ne peut-on entendre, par les cieux qui périront, les mêmes cieux qu'il vient de dire renouvelés alors et maintenant destinés au feu, et par les éléments qui seront consumés, ceux qui résident dans ces basses régions du monde, séjour des révolutions et des tempêtes, tandis que rien ne troublera la paix et l'immuable intégrité des cieux supérieurs qui soutiennent les astres dans leur firmament? Car, pour ces paroles de l'Écriture : « Les étoiles tomberont du ciel, » outre qu'elles sont susceptibles d'une interprétation différente et plus probable, elles prouveraient plutôt encore la permanence des cieux, si toutefois les étoiles en doivent tomber. En effet, ou cette expression, suivant toutes les vraisemblances, est métaphorique, ou elle fait allusion à quelque phénomène, inconnu maintenant, et dont le ciel inférieur sera le théâtre : telle cette étoile de Virgile, qui « court en traçant un long sillon de lumière et va se perdre dans la forêt d'Ida. » Or le passage précité du psaume semble n'excepter aucun des cieux de la ruine qu'il annonce. « Les cieux, dit-il, sont l'ouvrage de vos mains, et ils périront ; » il n'en est point qui ne sorte de ses mains, il n'en est point qui échappe à la ruine générale. Car, à coup sûr, on ne daignera pas invoquer les odieux témoignages de l'apôtre Pierre pour défendre la piété des Hébreux, honorée de l'approbation des oracles ; on ne voudra pas voir la partie prise pour le tout dans ces mots : « ils périront, » quoique les cieux inférieurs soient seuls destinés à périr, comme elle est prise pour le tout dans cette épître où l'Apôtre atteste que le monde périt parle déluge, quoique la partie inférieure du monde, avec son ciel, ait seule péri. Mais, encore une fois, on ne daignera pas concilier ces témoignages, de peur d'approuver le sentiment de l'apôtre Pierre, et d'attribuer au dernier embrasement autant de puissance que nous en accordons au déluge, lorsque, d'autre part, on soutient qu'il est impossible que tout le genre humain périsse par les flammes ou par les eaux. Et toutefois il ne reste rien à répondre, sinon que ces divinités n'ont loué la sagesse des Hébreux que faute d'avoir lu ce psaume. Et c'est encore du dernier jugement de Dieu qu'il faut entendre ce passage du psaume quarante-neuvième : « Dieu viendra visible, notre Dieu, et il ne se taira pas. Un feu dévorant marchera devant lui, et autour de lui une épouvantable tempête. Il appellera le ciel en haut et la terre, afin de distinguer son peuple. Rassemblez-lui ses justes, qui élèvent son testament au-dessus des sacrifices. Toutes prophéties que nous rapportons à Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, selon notre espérance, viendra du ciel juger les vivants et les morts. Il viendra visible, juger justement, lui qui d'abord est venu caché se laisser injustement juger par les injustes. Lui, dis-je, « viendra visible, et il ne se taira pas. » Il apparaîtra manifeste avec la parole de juge, lui qui, venu caché, se tut devant son juge, semblable à la brebis que l'on mène égorger, ou tel que l'agneau devant celui qui le tond ; ce que nous lisons prophétisé dans Isaïe, et voyons accompli dans l'Évangile. Quant « au feu » et à la « tempête, » nous venons de dire, sur quelques expressions semblables d'Isaïe, ce que par là il fallait entendre. Mais : «II appellera le ciel en haut ; les saints et les justes étant légitimement appelés le ciel, n'est-ce pas dire comme l'Apôtre : « Nous serons avec eux ravis dans les nues, au-devant de Jésus-Christ au plus haut de l'air ; car, à s'en tenir à la surface de la lettre, le ciel serait-il donc appelé en haut comme s'il pouvait être ailleurs ? «Et la terre afin de distinguer son peuple;» si l'on ne sous-entend que ce mot : « II appellera, » c'est-à-dire il appellera la terre, sans sous-entendre « en haut, » la rectitude de la foi admet que le ciel s'entende de ceux qui doivent juger avec lui, et « la terre, » de ceux qui doivent être jugés : et par conséquent : «Il appellera le ciel en haut, » ne veut plus dire qu'il ravira les saints dans les airs, mais qu'il les élèvera sur les trônes de justice. On peut encore donner à ces paroles un autre sens, c'est-à-dire qu'il appellera les anges des régions les plus hautes pour descendre avec eux au jour du jugement, et il appellera la terre ou les hommes qui doivent être jugés sur la terre. Mais si l'on sous-entend l'un et l'autre : « il appellera » et « en haut, c'est-à-dire qu'il appellera le ciel en haut et la terre en haut, on ne saurait mieux l'entendre que des hommes ravis par les airs au-devant de Jésus-Christ ; le ciel c'est leur âme, la terre leur corps. Or, « distinguer son peuple, » qu'est-ce à dires si ce n'est séparer les bons des méchants, comme les brebis des boucs? Et puis cette parole s'adresse aux anges : « Rassemblez-lui ses justes ; » sans aucun doute, c'est par le ministère des anges qu'un si grand événement doit s'accomplir. Mais quels justes ? Ceux, dit-il, qui élèvent le Testament au-dessus des sacrifices. Car voilà toute la vie des justes : élever le testament de Dieu au-dessus des sacrifices. En effet, ou les oeuvres de miséricorde sont au-dessus des sacrifices, c'est-à-dire préférables aux sacrifices, suivant le précepte et la parole de Dieu : « Je préfère la miséricorde au sacrifice, » ou bien si cette expression « au-dessus des sacrifices, sur les sacrifices, » désigne les oeuvres comprises dans les sacrifices (ainsi l'on dit qu'une action terrestre se passe sur la terre), nul doute que les oeuvres de miséricorde ne soient les sacrifices mêmes agréables a Dieu; ce que j'ai développé, il m'en souvient, au dixième livre de cet ouvrage. Et ces oeuvres expriment l'obéissance des justes au Testament divin, oeuvres accomplies en vue des promesses du Nouveau Testament, et c'est pourquoi lorsqu'au dernier jugement les justes seront rassemblés et rangés à la droite de Jésus-Christ, le Seigneur leur dira : "Venez, les bénis de mon Père; entrez en possession du royaume préparé pour vous, dès la création du monde ; car j'ai eu faim, et vous m'avez nourri." Et ce qui suit, sur les oeuvres énumérées parmi les bonnes oeuvres des justes, et sur les récompenses éternelles que leur décernera la suprême sentence du juge. [20,25] Le prophète Malachie ou Malachi, que l'Écriture désigne aussi sous le nom d'Ange, qui, suivant quelques-uns, est le même que le pontife Esdras, dont plusieurs autres écrits sont reçus dans le canon des livres saints (et tel est le sentiment des Hébreux, au rapport de Jérôme); Malachie prédit aussi le jugement dernier : « Il vient, le voici, dit le Seigneur tout-puissant ; et qui pourra soutenir le jour de son avénement? Qui tiendra sous son regard ? Car il paraît comme le feu qui épure, ou comme l'herbe du foulon. Et il va s'asseoir comme le fondeur qui purifie l'or et l'argent, pour purifier les enfants de Lévi, et il les fondra comme l'or et l'argent; et ils offriront au Seigneur des victimes en justice. Et le sacrifice de Juda et de Jérusalem plaira au Seigneur, comme aux jours anciens, comme aux premières années. Et je m'approcherai de vous comme juge, et je serai un rapide témoin contre les artisans de maléfices et d'adultères, contre ceux qui se parjurent en mon nom, qui retiennent le salaire promis au mercenaire, qui oppriment les veuves, outragent les orphelins, dénient la justice à l'étranger, et sans me craindre, dit le Seigneur tout-puissant, car je suis le Seigneur votre Dieu, et je ne change point. » De ces paroles ne ressort-il pas clairement qu'il y aura pour plusieurs certaines peines purifiantes? Quand le prophète dit, en effet : « Qui pourra soutenir le jour de son avénement? Qui tiendra sous son regard? Car il paraît comme le feu qui épure, ou comme l'herbe du foulon; et il va s'asseoir comme le fondeur qui purifie l'or et l'argent, pour purifier les enfants de Lévi, et il les fondra comme l'or et l'argent. » De quel autre sens ces paroles sont-elles susceptibles? Et ne lit-on pas dans Isaïe une prédiction à peu près semblable : « Le Seigneur lavera l'impureté des fils et des filles de Sion, et il effacera le sang du milieu d'eux par un esprit de justice et par un esprit de feu. » A moins de prétendre que cette épuration, et, pour ainsi dire, cet affinement spirituel, ne soit le retranchement même des impies en vertu de la dernière sen- tence : cette séparation des damnés étant la purification des élus, assurés de vivre à l'avenir sans être confondus avec l'impur troupeau. Mais le prophète ajoute : « Et il purifiera les enfants de Lévi, et il les fondra comme l'or et l'argent, et ils offriront au Seigneur des victimes en justice, et le sacrifice de Juda et de Jérusalem plaira au Seigneur. » Il est donc évident que ceux qu'il purifiera plairont désormais au Seigneur par des sacrifices de justice, libres de l'injustice par où ils déplaisent au Seigneur. Or, purifiés ainsi, eux-mêmes seront des victimes d'une pleine et parfaite justice. Purs, que peuvent-ils offrir de plus agréable à Dieu qu'eux-mêmes? Mais il faut différer cette question des peines purifiantes, pour la traiter avec plus de soin. Quant à ces enfants de Lévi, de Juda et de Jérusalem, ils représentent l'Église de Dieu formée, non des seuls Hébreux, mais encore des autres nations; non plus telle qu'elle est aujourd'hui, en cet état où « nous ne pouvons nous dire exempts de péchés sans nous tromper, sans nous convaincre nous-mêmes que la vérité n'est pas en nous, » mais telle qu'elle doit être alors, purifiée par le jugement suprême, comme l'aire par le vanneur, lorsque le feu aura purifié ceux à qui cette dernière épreuve était nécessaire, et que nul n'aura plus de sacrifice à offrir pour ses péchés. Car offrir de tels sacrifices, c'est confesser les liens du péché dont on sollicite la délivrance; et l'offrande acceptée de Dieu, c'est la recouvrance de la liberté. [20,26] Dieu voulant donc montrer que la Cité sainte ne sera plus alors dans les engagements du péché, il dit que les enfants de Lévi offriront des victimes en justice, non plus en péché, et par conséquent non plus pour le péché. D'où l'on peut conclure que les paroles suivantes "Et le sacrifice de Juda et de Jérusalem plaira au Seigneur comme dans les anciens jours et les premières années," n'autorisent point les Juifs à se promettre le retour des sacrifices abolis de l'Ancien Testament. Car alors ce n'était pas en justice, mais en péché que l'on immolait des victimes, puisqu'elles étaient principalement et primitivement offertes pour les péchés, jusque-là même que le grand-prêtre plus juste assurément que les autres, avait coutume, selon le commandement de Dieu, d'offrir d'abord pour ses péchés, puis pour ceux du peuple. Expliquons donc ce qu'il faut entendre par « ces jours anciens et ces premières années. » Peut-être est-ce le temps où les premiers hommes furent dans le paradis ? Vierges alors de toute souillure, de toute flétrissure du péché, ils s'offraient eux-mêmes à Dieu comme les plus pures victimes. Mais depuis que leur prévarication entraîna leur exil, et, dans leur personne, la condamnation de la nature humaine, le seul Médiateur excepté, et quelques enfants après le bain régénérateur, « Nul n'est pur de souillure, pas même l'enfant dont la vie sur la terre est d'un jour. » Dira-t-on que ceux-là offrent véritablement des victimes en justice, qui les offrent en foi, car « le juste vit de la foi, quoiqu'il soit son propre séducteur, s'il se dit sans péché, et il ne le dit pas, parce qu'il vit de la foi; mais le temps de la foi est-il donc a comparer au dernier jour, où les justes, purifiés par le feu du jugement final, pourront offrir des victimes en justice? Et comme il est impossible de croire que les justes, après une telle épreuve, conservent aucune trace du péché, ce temps de pureté ne saurait se comparer qu'à celui où les premiers hommes, avant leur infidélité, vivaient au paradis dans toute la félicité de leur innocence. On peut donc légitimement rapporter à cette époque ces paroles de l'Écriture sur « les jours anciens et les premières années. » Et quand par la bouche d'Isaïe, Dieu promet un ciel nouveau et une terre nouvelle, entre autres révélations sur le bonheur des saints proposées sous voile d'allégories et d'énigmes, que la crainte des longueurs me défend d'expliquer, n'est-il pas dit : « Les jours de mon peuple seront comme les jours de l'arbre de vie. » Or qui ne sait, après un seul coup d'oeil jeté sur les saintes Lettres, où Dieu avait placé l'arbre de vie, dont les premiers hommes furent sevrés quand leur crime les chassa du paradis, et quelle sentinelle flamboyante et terrible dut veiller autour de cet arbre? Si par ces jours de l'arbre de vie dont parle le prophète Isaïe, l'on veut entendre les jours de l'Église de Jésus-Christ qui s'écoulent maintenant, et par cet arbre de vie la figure prophétique de Jésus-Christ lui-même, en tant qu'il est la sagesse de Dieu, dont Salomon a dit : « C'est un arbre de vie pour tous ceux qui l'embrassent; si l'on prétend que les premiers hommes ne demeurèrent pas plusieurs années dans le paradis dont ils furent sitôt chassés qu'ils n'engendrèrent que dans l'exil, d'où il suit que l'on ne saurait rapporter à cette époque ces paroles de l'Écriture : « Comme aux anciens jours, comme aux premières années, je passe cette question sous silence; car, pour établir chaque vérité particulière, il faudrait engager sur tous les points une discussion fastidieuse. Ici d'ailleurs j'aperçois un autre sens qui nous garde de réduire cette magnifique promesse ramenant les jours anciens et les premières années, au retour des sacrifices charnels. Car ces victimes de l'ancienne loi, qui devaient être, selon le commandement divin, choisies pures et sans défaut, figuraient encore les saints parmi les hommes, tel que s'est trouvé le seul Jésus-Christ, seul exempt de péché. Or, après le jugement, quand le feu aura purifié les hommes dignes de cette dernière épreuve, comme les saints en qui ne se trouvera plus aucun péché s'offriront eux-mêmes en justice, victimes spirituelles, pures et sans aucun défaut, ils seront alors comme aux anciens jours, comme aux premières années, lorsque l'offrande des victimes sans tache représentait, comme une ombre, le sacrifice futur. Car alors cette pureté sera dans la chair immortelle et dans l'âme des saints, qui était corporellenient figurée par les anciennes victimes. Quant à ceux qui seront jugés dignes, non de purification, mais de condamnation : « Je m'approcherai de vous comme juge, et je serai un rapide témoin contre les artisans de maléfices et d'adultères; » puis, après l'énumération de crimes damnables, l'Écriture ajoute : « Car je suis le Seigneur votre Dieu, et je ne change point : comme s'il disait : pendant que vos crimes vous changent en pis, et ma grâce, en mieux, moi je ne change point. Et il sera : « témoin, » parce que sa justice n'a pas besoin d'autres témoins. "Témoin rapide" ; soit à cause de la vitesse de sa venue, et de la soudaine promptitude du jugement qui semblait encore lointain, soit à cause de la célérité de l'arrêt qui sans long discours convaincra les consciences. « Car, dit l'Écriture, dans les pensées de l'impie sera son accusation; » et, selon l'expression de l'Apôtre : « Les pensées des hommes seront leur accusation ou leur excuse au jour où Dieu, selon l'Evangile que j'annonce, jugera par Jésus-Christ les secrets du coeur. » C'est encore en ce sens que le Seigneur sera un rapide témoin, parce qu'en un clin d'oeil il représentera à la mémoire de quoi convaincre et punir la conscience. [20,27] Ce que, dans le dix-huitième livre, traitant une autre question, j'ai cité du même prophète, regarde aussi le jugement dernier « Ils seront mon héritage, dit le Seigneur, au jour où je dois agir; et je les élirai avec la prédilection d'un père pour un fils obéissant. Et vous vous retournerez, et vous verrez quelle différence il y a entre le juste et l'impie; entre le serviteur de Dieu et l'homme rebelle à Dieu. Voici que le jour vient, ardent comme la fournaise, où ils seront consumés. Et tous les étrangers, tous les artisans d'iniquité seront comme la paille. Et ce jour qui vient les embrasera, dit le Seigneur tout-puissant, sans qu'il reste d'eux ni branche ni racine. Mais pour vous, qui craignez mon nom, le soleil de justice se lèvera, et vous trouverez votre salut à l'ombre de ses ailes ; et vous sortirez, et vous bondirez comme de jeunes taureaux libres du joug, et vous foulerez les méchants, et ils ne seront que cendre sous vos pieds, dit le Seigneur tout puissant. » Quand ce contraste des récompenses et des peines qui sépare les justes et les injustes, invisible sous ce soleil dans la vanité de cette vie, paraîtra sous le soleil de justice dans les clartés de la vie future, alors sera venue l'heure du jugement suprême. [20,28] Le prophète ajoute : « Souvenez-vous de la loi que j'ai donnée pour tout Israël, à Moïse, mon serviteur, sur la montagne de Choreb: » et c'est à propos qu'il rapproche la loi et le jurement, après avoir annoncé quelle différence doit être un jour entre les observateurs de la loi et ses contempteurs. C'est encore afin d'enseigner aux Juifs à la concevoir spirituellement et à y trouver Jésus-Christ, le juge souverain qui doit faire le discernement des bons et des méchants. Ce n'est pas en effet une vaine parole que le Seigneur adresse aux Juifs, quand il leur dit : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi ; car c'est de moi qu'il a écrit. Or l'intelligence charnelle de la loi et l'ignorance de ses promesses, en tant que symboliques, les ont précipités dans ces murmures : « Insensé qui sert le Seigneur ! Que nous revient-il d'avoir gardé ses commandements, et d'avoir marché en suppliants devant le Seigneur tout-puissant? Et maintenant le bonheur est aux étrangers, la prospérité est le partage de tous les artisans d'iniquité. » A ces plaintes le prophète est comme forcé d'opposer la prédiction du dernier jugement, où les méchants ne jouiront pas même d'une félicité trompeuse, mais paraîtront dans toute l'évidence de leur misère, et les bons, au contraire, libres de toute affliction temporelle, posséderont dans la gloire la bienheureuse éternité. Car le prophète venait encore de rapporter une autre plainte de ces hommes : « Quiconque fait le mal est bon aux yeux du Seigneur; et voilà ceux qui lui plaisent. » C'est, dis-je, parce qu'ils prennent la loi de Moïse en un sens charnel, qu'ils s'élèvent jusqu'aux murmures contre Dieu. Et de là ces plaintes du psaume soixante-douzième : « Mes pieds ont été presque ébranlés, ma démarche chancelante et voisine de la chute, parce que j'ai envié les pécheurs et leur paix et l'impie va jusqu'à dire : Dieu le sait-il ? Et la connaissance de tout cela est-elle dans le Très-Haut? » Et le Psalmiste s'écrie : "C'est donc en vain que j'ai purifié mon coeur et lavé mes mains dans l'innocence ?" Et quant à la solution de ce problème, le malheur des justes, et la prospérité des méchants : « C'est, dit-il, un vain labeur, jusqu'à ce que je pénètre dans le sanctuaire de Dieu et obtienne l'intelligence des derniers accomplissements. » Car, au jugement dernier, il n'en sera plus ainsi; et l'évidente misère des impies, l'évidente félicité des justes répandront sur toutes choses une lumière nouvelle. [20,29] Or, les ayant avertis de se souvenir de la loi de Moïse, parce qu'il prévoyait qu'ils seraient encore longtemps sans la concevoir; comme il faut, selon l'esprit le Seigneur ajoute aussitôt : « Et voilà que je vous envoie Élie de Thesba, avant que ce grand et terrible jour du Seigneur se lève; et il tournera le coeur du père vers le fils et le coeur de l'homme vers son prochain, de peur que, venant, je n'extermine toute la terre. » Qu'aux derniers jours avant le jugement, ce grand et admirable prophète Élie doive expliquer la loi aux Juifs et les amener à la foi au Christ véritable, à notre Christ, c'est une croyance célèbre dans la tradition et le coeur des fidèles. Or c'est avec raison que l'on attend sa venue avant le second avènement du Sauveur, car c'est avec raison qu'aujourd'hui même on le croit vivant. Un char de feu, suivant le témoignage certain de l'Écriture, ne l'a-t-il pas enlevé aux choses de la terre? Et lorsqu'il sera venu, expliquant selon l'esprit la loi que les Juifs ne conçoivent encore que selon la chair, « il tournera le coeur du père vers le fils, » c'est-à-dire le coeur des pères vers les fils; car les Septante ont ici substitué le singulier au pluriel. Et le sens, le voici : c'est que les fils ou les Juifs entendront la loi comme leurs pères ou les prophètes, et parmi les prophètes, Moïse lui-même, l'ont entendue. Ainsi le coeur des pères se tournera vers les fils, quand l'intelligence des pères passera à l'intelligence des fils : « Et le coeur des fils se tournera vers leurs pères, quand ils entreront dans les mêmes sentiments; ce que les Septante expriment ainsi : "Et le coeur de l'homme se tournera vers son prochain; car il n'est pas de proximité plus intime qu'entre les pères et les fils". Et toutefois à ces paroles des Septante, interprètes inspirés, on peut donner un autre sens, et même plus choisi. Élie viendrait tourner le coeur de Dieu le Père vers le Fils; non comme l'auteur de cet amour du Père pour le Fils, mais comme devant enseigner que le Père aime le Fils, afin que les Juifs aiment enfin l'objet de leur haine, notre Christ. Car maintenant, aux yeux des Juifs, Dieu a le coeur détourné de notre Christ, parce qu'ils le croient ainsi. Et, à leurs yeux, le coeur de Dieu sera retourné vers son Fils, quand le retour de leur propre coeur leur apprendra l'amour du Père pour le Fils. Quant aux paroles suivantes : « Et le coeur de l'homme vers son prochain, » en d'autres termes, Élie retournera aussi le coeur de l'homme vers son prochain, qu'est-ce à dire si ce n'est le coeur de l'homme vers Jésus-Christ homme ? Lui, en effet, qui sous la forme de Dieu, et notre Dieu, a daigné, sous la forme d'esclave, devenir notre prochain. Telle sera l'oeuvre d'Élie. « De peur que, venant, je n'extermine toute la terre : » car ceux-là sont terre qui n'ont de goût que pour la terre, comme les Juifs toujours charnels. Et de cette corruption s'élève contre Dieu ces murmures : « Les méchants lui plaisent; insensé qui sert le Seigneur ! » [20,30] Il est une infinité d'autres témoignages des Écritures sur le dernier jugement de Dieu, qu'il serait trop long de recueillir ici. Il nous suffit donc d'avoir prouvé que les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament l'ont prouvé. Mais l'Ancien ne déclare pas en termes aussi formels que le Nouveau que ce jugement doit être prononcé par Jésus-Christ, c'est-à-dire que Jésus-Christ doit descendre du ciel comme juge. En effet, quand, aux livres de l'Ancien, le Seigneur Dieu annonce qu'il viendra; quand il y est dit que le Seigneur Dieu doit venir, il ne s'ensuit pas que l'on entende Jésus-Christ. Car le Seigneur Dieu, c'est le Père, c'est le Fils, c'est le Saint-Esprit. Et cependant il ne faut pas laisser ce point sans preuves. Il s'agit donc de démontrer d'abord comment Jésus-Christ parle dans les prophètes en tant que Seigneur Dieu, et néanmoins comment Jésus-Christ y apparaît manifeste, afin que dans les textes moins évidents, où toutefois il est annoncé que le Seigneur Dieu doit venir, on puisse entendre Jésus-Christ. Un passage du prophète Isaïe montre clairement ce que je dis. Dieu parle ainsi par son prophète : « Écoute-moi, Jacob et Israël que j'appelle. Je suis le premier et je suis le dernier. Ma main a fondé la terre et ma droite a affermi le ciel. Je les appellerai et tous viendront, et ils s'assembleront tous et ils entendront. Qui leur a prédit cela? Parce que je vous aime, j'ai fait votre volonté sur Babylone en exterminant la race des Chaldéens. J'ai parlé, j'ai appelé. Je l'ai amené, et j'ai rendu ses voies prospères. Approchez de moi, écoutez-ceci. Dès le principe, je n'ai point parlé en secret : quand ces choses arrivaient, j'étais là. Et maintenant le Seigneur Dieu m'a envoyé et son Esprit. » C'est lui qui vient de parler comme Seigneur Dieu; et cependant on ne soupçonnerait pas là Jésus-Christ, s'il n'ajoutait : « Et maintenant le Seigneur Dieu m'a envoyé et son Esprit. » Il parle ainsi suivant la forme d'esclave, se servant du passé pour le futur. Ne lisons-nous pas encore dans le même prophète : "On l'a conduit comme une brebis à égorger". Le prophète ne dit pas : Il sera conduit ; il exprime le futur par le passé. Et tel est le langage constant des prophètes. Autre preuve évidente, quand Zacharie dit que le Tout-Puissant a envoyé le Tout-Puissant. Qui envoie? si ce n'est Dieu le Père. Qui est envoyé ? si ce n'est Dieu le Fils. Voici le passage : « Le Seigneur tout-puissant parle ainsi : Après la gloire, il m'a envoyé aux nations qui vous ont dépouillés. Car vous toucher, c'est toucher la pupille de son oeil. Et voilà que j'étends ma main sur eux, et ils deviendront la dépouille de leurs esclaves. Et vous connaîtrez que le Seigneur tout-puissant m'a envoyé. » Voilà donc le Dieu tout-puissant qui se dit envoyé par le Dieu tout-puissant. Qui oserait entendre ces paroles d'un autre que de Jésus-Christ parlant aux brebis égarées de la maison d'Israël? Ne dit-il pas dans l'Évangile : « Je n'ai été envoyé que pour les brebis égarées de la maison d'Israël ; » et il les compare à la pupille de l'oeil de Dieu, à cause de l'ineffable tendresse de son amour. De ces brebis furent les apôtres eux-mêmes. Mais, après la gloire de la résurrection, car auparavant, selon la parole de l'Évangéliste, « Jésus n'était pas encore glorifié, » il fut pareillement envoyé aux nations en la personne de ses apôtres, et ainsi s'accomplit cette promesse du psaume : « Vous me délivrerez des rébellions de ce peuple, vous m'établirez chef des nations, afin que les spoliateurs et les tyrans d'Israèl deviennent à leur tour non seulement les esclaves, mais encore la dépouille d'Israël. » Et c'est ce qu'il promettait aux apôtres en ces mots : « Je vous ferai pêcheurs d'hommes. » Et à l'un d'eux: «Désormais ton emploi sera de prendre des hommes. » Heureuses dépouilles, vases enlevés au fort, mais au fort, lié par une main plus forte. Et le Seigneur parlant encore par le même prophète : "Et en ce jour-là, dit-il, j'aurai soin d'exterminer toutes les nations qui vont s'élever contre Jérusalem, et je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem l'esprit de grâce et de prière. Et ils tourneront leurs yeux vers moi, parce qu'ils m'auront insulté ; et ils se lamenteront comme sur un fils bien-aimé, et ils seront pénétrés de douleur comme s'ils pleuraient sur un fils unique." A qui donc appartient-il, si ce n'est à Dieu, d'exterminer toutes les races ennemies de la sainte cité de Jérusalem, qui « s'élèvent contre » elle, c'est-à-dire qui lui sont contraires, ou, suivant une autre version, qui « viennent sur » elle, pour la dominer ? A qui appartient-il de répandre sur la maison de David et les habitants de cette même cité l'esprit de grâce et de miséricorde? N'est-ce pas à Dieu, et n'est-ce pas Dieu qui parle ainsi par son prophète ? Et toutefois c'est Jésus-Christ qui se montre, ce Dieu, auteur de tant de merveilles divines, quand il ajoute : «Et ils tourneront leurs yeux vers moi, parce qu'ils m'auront insulté ; et ils se lamenteront comme sur un fils bien-aimé, et ils seront pénétrés de douleur comme s'ils pleuraient sur un fils unique. » Car en ce jour, les Juifs, ceux-là même qui doivent recevoir l'esprit de grâce et de miséricorde, se repentiront d'avoir outragé le Christà sa passion, quand ils le verront venir dans sa majesté et qu'ils reconnaîtront ce Jésus dont l'humilité leur a servi de jouet en la personne de leurs pères. Que dis-je? leurs pères eux-mêmes, auteurs de cet immense sacrilége, le verront à leur résurrection, non plus pour leur conversion, mais pour leur supplice. Ce n'est donc pas eux que cette parole regarde : « Et je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem l'esprit de grâce et de miséricorde; et ils tourneront leurs yeux vers moi, parce qu'ils m'ont insulté; » et cependant c'est de leur race que doivent descendre ceux qui, dans ce temps, seront amenés à la foi par Élie. Mais comme nous disons aux Juifs : Vous avez mis à mort Jésus-Christ, quoique cet attentat soit l'oeuvre de leurs pères; ainsi eux-mêmes s'affligeront d'être, pour ainsi dire, les auteurs du crime commis par ceux dont ils descendent. Bien que devenus fidèles par le don de l'esprit de grâce et de miséricorde, ils n'encourent pas la damnation de leurs sacriléges auteurs; toutefois ils pleureront ce crime de leurs pères comme leur propre crime. Et cette douleur naîtra, non du sentiment de la réité, mais de l'élan de la piété. Ainsi nous lisons dans les Septante : « Et ils tourneront leurs yeux vers moi, parce qu'ils m'ont insulté, » tandis que l'hébreu dit littéralement : « Et ils tourneront leurs regards vers moi qu'ils ont percé, » paroles qui nous représentent plus clairement Jésus-Christ. Mais "l'insulte," dont les Septante ont préféré se servir, ne manque à aucune scène de la passion. Quand il est pris, quand il est lié, promené d'un juge à l'autre, revêtu de l'opprobre d'un ignominieux manteau, couronné d'épine, frappé d'un roseau sur la tête, adoré par dérision le genou en terre, chargé de sa croix, suspendu au bois infâme, les bourreaux l'insultent. Si donc, joignant l'une et l'autre version, nous lisons « insulté » et « percé, » nous reconnaissons plus pleinement la vérité de la passion de Notre-Seigneur. Ainsi, quand' les prophéties déclarent, sans distinguer la personne, que Dieu doit venir pour prononcer le dernier jugement, il faut l'entendre uniquement de Jésus-Christ; car, bien que le Père doive juger, il ne jugera cependant que par l'avénement du Fils de l'homme. En effet, le Père « ne juge personne » en manifestant sa présence, « mais il a donné tout pouvoir de juger au Fils. » Le Fils viendra visiblement juger comme homme, lui qui, comme homme, a été jugé. Et de quel autre sous le nom de Jacob et d'Israël, ses auteurs selon la chair, faut-il entendre cette parole de Dieu par la bouche d'Isaïe : « Jacob est mon serviteur; je le protégerai; Israël est mon favori, et mon âme l'a choisi. Je lui ai donné mon esprit, il prononcera le jugement aux nations. Il ne criera point, il ne se taira point, et sa voix ne sera pas entendue au dehors. Il ne brisera point le roseau plié, il n'éteindra point la lampe qui fume encore; mais il prononcera le jugement dans la vérité. Il resplendira et ne sera point opprimé jusqu'à ce qu'il publie le jugement sur la terre; et les nations espéreront en son nom. On ne lit pas dans l'hébreu « Jacob » et «Israël» Mais les Septante voulant sans doute nous avertir comment il faut entendre le mot de "serviteur" que porte l'original, à cause de la forme d'esclave où s'est abaissé le Très-Haut dans une humilité si profonde, ils l'ont désigné par le nom de l'homme dont la postérité lui a transmis cette forme d'esclave. L'Esprit-Saint lui a été donné, et c'est la colombe que nous montre l'Évangile. Il a prononcé le jugement aux nations, parce qu'il leur a prédit l'avenir qui leur était inconnu. Sa douceur lui a interdit de crier, et pourtant il n'a pas cessé de prêcher la vérité. Mais sa voix n'a pas été entendue ; elle n'est pas entendue au dehors; car ceux qui sont retranchés de son corps, ne lui obéissent pas. Et les Juifs mêmes ses persécuteurs, roseau qui plie, car leur force les a délaissés, lampe fumante, car ils ont perdu la lumière, il n'a voulu ni les briser ni les éteindre; il les épargne, venu non pas encore pour les juger, mais pour en être jugé. Il a toutefois publié le jugement en vérité, leur annonçant le châtiment qui les attendait, s'ils persistaient dans leur malice. Sa face a resplendi sur la montagne, et son nom dans l'univers. Il n'est pas brisé, il n'est pas écrasé; invincible en lui-même et dans son Église, ses persécuteurs n'ont jamais pu le réduire à cesser d'être. Et toujours a été vaine, toujours sera vaine cette parole de ses ennemis : "Quand mourra-t-il, quand périra son nom?" Jusqu'à ce qu'il publie le jugement sur la terre. Le voilà révélé ce secret que nous cherchions. C'est le dernier jugement qu'il publiera sur la terre, quand il sera descendu des cieux. Et déjà nous voyons accomplie cette dernière parole du prophète : "Et les nations espéreront en son nom." Que ce fait qu'il est impossible de nier soit donc une raison de croire ce que l'on nie avec impudence. Et qui donc eût jamais espéré ce que les incrédules déjà voient avec nous, et dont l'incontestable évidence leur fait grincer les dents et les consume de rage? Oui, qui eût espéré que les nations espéreraient en Jésus-Christ, alors qu'il était captif, lié, flagellé, bafoué, crucifié, et que les disciples eux-mêmes abjuraient l'espérance qu'ils commençaient d'avoir en lui ? Ce qu'à peine un seul larron espéra sur la croix, toutes les nations répandues sur la terre l'espèrent aujourd'hui, et, pour éviter la mort éternelle, elles se signent de la croix où il est mort. Ainsi, que le dernier jugement, tel que les saintes Lettres l'annoncent, soit prononcé par Jésus, personne ne le nie, personne n'en doute, hormis peut-être quelques esprits qui, soit opiniâtreté, soit aveuglement incroyable, refusent de croire à ces sacrés témoignages qui ont déjà prouvé à toute la terre leur vérité. Voici donc les événements qui doivent s'accomplir en ce jugement, ou à l'heure de ce jugement : la venue d'Elie de Thesba, la conversion des Juifs, la persécution de l'Antechrist, le jugement de Jésus-Christ, la résurrection des morts, la séparation des bons et des méchants, l'embrasement du monde et son renouvellement. Tout cela doit arriver, il faut le croire; mais comment et dans quel ordre, c'est ce que l'expérience nous enseignera mieux alors que ne le pourraient aujourd'hui les stériles efforts de la raison humaine. Je crois cependant que tout arrivera dans l'ordre que j'indique. Deux livres nous restent encore pour achever cet ouvrage, et, avec l'assistance du Seigneur, nous acquitter de nos promesses. De ces deux livres, l'un aura pour objet le supplice des méchants, l'autre, la félicité des justes; et, autant que Dieu m'en donnera la force, j'y réfuterai surtout les vaines objections de ces malheureux qui se croient sages de déchirer les témoignages des promesses divines, et méprisent, comme de ridicules erreurs, ces aliments de la foi qui nous sauve. Pour les sages selon Dieu, de tout ce qui paraît maintenant incroyable, quoique attesté par les saintes Écritures tant de fois trouvées fidèles, la raison dernière est la toute-puissante véracité de Dieu ; car ils s'assurent que Dieu est aussi incapable du moindre mensonge qu'il est puissant pour faire ce qui est impossible aux yeux de l'infidèle.