[17,0] LIVRE DIX-SEPTIÈME. [17,1] Comment s'accomplissent les promesses de Dieu à Abraham, promesses qui assignent un héritage à sa postérité, le peuple d'Israël, selon la chair, et toutes les nations selon la foi, c'est ce que le progrès de la Cité de Dieu dans l'ordre des temps va nous découvrir. Or, le livre précédent s'arrêtant au règne de David, parcourons, dans la mesure convenable au dessein de cet ouvrage, les événements postérieurs à ce règne. L'intervalle du temps qui s'écoule depuis le commencement de la prophétie de Samuel jusqu'à la captivité de Babylone et au rétablissement de la maison de Dieu, soixante-dix années plus tard, selon la prédiction de Jérémie; voilà le temps des prophètes. Car, bien que le patriarche Noé lui-même, témoin de la catastrophe universelle du déluge, quelques-uns de ses devanciers, ou de ses descendants jusqu'à l'époque des rois, ayant figuré ou prédit plusieurs des événements futurs qui concernent la Cité sainte et le royaume des cieux, méritent peut-être le titre de prophètes (et quelques-uns d'entre eux, comme Abraham et Moïse, ne sont-ils pas expressément appelés de ce nom?) : cependant l'époque des prophètes ne date réellement que des premières prophéties de Samuel, qui, sur l'ordre de Dieu, donne l'onction sainte d'abord à Saül, puis, après la réprobation de Saül, à David, devenu désormais la tige de la descendance royale, tant que cet ordre de succession doit durer. Si donc je voulais rappeler tout ce que les prophètes ont prédit de Jésus-Christ, pendant que l'incessante alternative de la mort et de la naissance entretient le cours de la Cité de Dieu à travers les temps, je m'engagerais dans une carrière sans fin. D'abord, l'Écriture elle-même, qui, racontant les actions des rois et les événements de leur règne, semble borner son attention à l'exactitude du récit historique, considérée avec l'assistance de l'Esprit de Dieu, se trouve encore moins jalouse de dire le passé que de prédire l'avenir. Or combien d'efforts et de temps et de volumes exigerait une telle recherche, n'est-ce pas évident pour peu que l'on y songe? En second lieu, tous les passages indubitablement prophétiques abondent tellement sur Jésus-Christ et le royaume du ciel ou la Cité de Dieu, que, pour les expliquer, il faudrait engager de longues discussions et franchir les bornes de cet ouvrage. Je veux donc, en l'achevant selon la volonté de Dieu, tenir autant que possible ma pensée en bride, afin de ne rien dire de superflu et de n'omettre rien de nécessaire. [17,2] Au livre précédent nous avons dit que Dieu fit d'abord deux promesses à Abraham : l'une, que la terre de Chanaan serait l'héritage de sa postérité, comme l'Écriture l'exprime : « Va en la terre que je te montrerai, et je te ferai père d'un grand peuple : » l'autre beaucoup plus excellente, et relative à cette postérité spirituelle qui le rend père, non de la seule nation d'Israël, mais de toutes les nations attachées aux traces de sa foi, promesse énoncée en ces termes : « Et dans toi toutes les tribus de la terre seront bénies. » Beaucoup d'autres témoignages ratifièrent encore cette double promesse, nous l'avons montré. La race d'Abraham selon la chair, le peuple d'Israël était donc établi déjà dans la terre promise, et maître des villes ennemies, déjà il y régnait sous le sceptre de ses rois. Ainsi les promesses de Dieu relatives à ce peuple commencèrent,à être accomplies en partie ; et non seulement les promesses reçues par Abraham, Isaac et Jacob, ou publiées ailleurs de leur vivant, mais encore celles qui furent confiées à Moïse, ce saint révélateur du passé, quand, au sortir de la servitude d'Égypte, il conduisait le peuple dans le désert. Or ce ne fut ni sous le célèbre chef Jésus Nave, qui introduit le peuple dans la terre de promesse, et, vainqueur des races ennemies, la divise, selon l'ordre de Dieu, entre les douze tribus; ni après lui, sous les juges, que s'accomplit cette promesse qui étendait du fleuve de l'Égypte au grand fleuve de l'Euphrate la possession de la terre de Chanaan. Et toutefois cette promesse n'était plus dans un avenir lointain, on en attendait l'accomplissement. Elle ne s'accomplit que sous David et Salomon son fils; leur empire reçut toute l'extension promise. Ils soumirent, en effet, tous ces peuples, et les rendirent tributaires. C'est donc sous ces rois que la postérité d'Abraham s'établit réellement dans la terre de la promesse charnelle, la terre de Chanaan ; et dès lors il ne manquait plus rien à l'entier accomplissement de cette promesse divine, sinon que la race d'Héber se transmit de génération en génération, dans un ordre de succession immuable, jusqu'à la fin du siècle qui passe, cet heureux héritage; mais cette félicité temporelle dépendait de l'obéissance de ce peuple aux lois du Seigneur son Dieu. Et comme Dieu savait qu'il n'en serait pas ainsi, les fléaux temporels dont il châtia les générations coupables lui servirent encore à exercer les rares fidèles qu'il distinguait dans leur sein, afin qu'ils instruisissent à l'avenir les fidèles des autres nations, en qui devait s'accomplir la seconde promesse, par l'Incarnation de Jésus-Christ et la publication du Testament nouveau. [17,3] Comme ces divins oracles confiés à Abraham, Isaac et Jacob, et tous les signes ou paroles prophétiques précédemment attestées par les saintes lettres, ainsi les prophéties du temps des rois regardent en partie la race charnelle d'Abraham, et en partie cette postérité du patriarche en laquelle sont tous les peuples cohéritiers de Jésus-Christ, en vertu du Nouveau Testament, pour posséder la vie éternelle et le royaume des cieux. Elles se rapportent donc en partie à l'esclave qui enfante pour la servitude, à la Jérusalem terrestre, esclave avec ses enfants : en partie à la Cité libre de Dieu, à la véritable Jérusalem, éternelle dans les cieux, dont les enfants, ces hommes qui, vivant selon Dieu, passent en voyageurs sur cette terre; mais il est dans ces prophéties certains traits qu'il faut rapporter à l'une et à l'autre : proprement à l'esclave, figurativement à la femme libre. Il y a donc trois ordres de prophéties : l'un relatif à la Jérusalem céleste; l'autre, à la Jérusalem terrestre ; un troisième, à toutes deux. Des exemples prouveront ce que j'avance. Le prophète Nathan est envoyé pour reprocher son crime au roi David et lui prédire le châtiment. Cette prophétie, et d'autres semblables, dictées soit dans un intérêt public, pour l'utilité ou le salut du peuple, soit dans un intérêt privé quand un homme méritait qu'un rayon de la parole divine lui révélât quelque chose de son avenir temporel, qui ne les rattache à la Cité terrestre? Mais quand on lit : « Voici venir les jours, dit le Seigneur; et je ferai avec la maison d'Israël et avec la maison de Juda une nouvelle alliance, non plus dans l'esprit de l'alliance que je fis avec leurs pères, le jour où je les pris par la main pour les tirer de la terre d'Égypte, car ils ne l'ont pas gardée et je les ai abandonnés, dit le Seigneur. Et voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël : après ce temps dit le Seigneur, je déposerai mes lois dans leur esprit ; je les écrirai dans leur coeur, et mes yeux les regarderont; et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple : » prophétie évidente de la Jérusalem d'en haut, dont Dieu lui-même est la récompense. Cette Jérusalem de qui le souverain bien et le tout bien est de posséder Dieu et d'être à lui. Mais, quand l'Écriture appelle Jérusalem la Cité de Dieu, et annonce que la maison de Dieu s'élèvera dans son enceinte, prophétie qui semble s'accomplir lorsque Salomon bâtit le temple, il s'agit certainement de l'une et de l'autre cité. Car ces événements se sont passés, selon la vérité de l'histoire, dans la Jérusalem terrestre, et ils ont été la figure de la Jérusalem céleste. Ce genre mixte de prophétie est très fréquent dans les vieux livres canoniques qui racontent le passé; il a exercé et il exerce encore beaucoup les intelligences qui sondent les saintes Écritures, et qui, au delà du fait historiquement prédit et accompli dans la postérité charnelle d'Abraham, cherchent le sens allégorique et la figure de ce qui doit s'accomplir dans sa postérité spirituelle. Et plusieurs vont jusqu'à croire qu'il n'est aucun fait prédit et accompli selon l'Écriture, ou accompli sans prédiction, qui ne soit une allusion à la Cité de Dieu et à ses enfants, voyageurs sur cette terre. Mais, s'il est ainsi, les paroles des prophètes, ou plutôt toutes les Écritures comprises sous la dénomination d'Ancien Testament, n'ont que deux sens au lieu de trois. En effet, il n'y aura plus rien qui se rapporte uniquement à la Jérusalem terrestre, s'il n'est aucune prédiction, aucun récit qui l'intéresse, où il ne faille chercher une figure allégorique de la Jérusalem céleste. Tout se réduit donc à deux ordres de prophéties : l'un relatif à la Jérusalem libre; l'autre, aux deux Jérusalem. Quant à moi, autant je suis convaincu de l'erreur de ceux qui excluent toute allégorie des récits de l'Écriture, autant je trouve de témérité à vouloir tout envelopper de voiles mystiques; et c'est pourquoi je distingue trois ordres de prophéties. Telle est mon opinion, et néanmoins je consens que l'on exprime de chaque fait attesté par les saintes Écritures un sens spirituel, sans déroger toutefois à la vérité de l'histoire. Quant aux circonstances qui ne peuvent se rattacher à l'action de l'homme ou de Dieu ni dans le passé ni dans l'avenir, quel fidèle pourrait douter que l'Écriture n'ait une intention? qui ne les ramènerait, ou du moins qui n'avouerait qu'elles doivent être ramenées à un sens spirituel? [17,4] Le cours des temps amène la Cité de Dieu à l'avénement des rois. Alors Saül est réprouvé et David règne, laissant le sceptre à ses descendants longtemps encore après lui dans la Jérusalem terrestre : changement qui figure et annonce celui qu'il ne faut point taire, le changement futur des deux Testaments, l'Ancien et le Nouveau, où le sacerdoce et la royauté sont changés par le prêtre et le roi nouveau et éternel, qui est Jésus-Christ. Car Samuel substitué dans le divin ministère au grand-prêtre Héli, que Dieu réprouve, Samuel qui réunit les fonctions de prêtre et de juge, et David porté sur le trône à la place de Saül rejeté, sont tous deux la figure de l'accomplissement à venir. Et la mère de Samuel, elle-même, Anne, d'abord stérile, puis si joyeuse de sa fécondité nouvelle, n'est-elle pas prophète aussi, lorsque répandant devant le Seigneur son allégresse et ses actions de grâces, elle consacre à Dieu l'enfant que sa pieuse reconnaissance lui a voué? «Mon coeur, dit-elle, a été affermi dans le Seigneur, et mon Dieu a relevé ma force : ma bouche a été ouverte contre mes ennemis; et je me sens réjouie en votre salut ; car il n'est pas de saint comme le Seigneur; il n'est pas de juste comme notre Dieu. Il n'est pas d'autre saint que vous. Ne vous glorifiez pas ; qu'il ne sorte de votre bouche aucune parole de gloire et de superbe: c'est Dieu qui est le maître des sciences, Dieu qui prépare ses desseins. Il a détendu l'arc des puissants, et les faibles ont été revêtus de force. Ceux qui regorgent de pain sont affaiblis, et les indigents ont franchi la terre ; parce que la femme stérile a engendré sept enfants, et que la mère, heureuse de sa fécondité, est demeurée sans vigueur. C'est Dieu qui donne la mort et qui rend la vie : c'est lui qui mène aux enfers et il en ramène. Le Seigneur appauvrit et enrichit, et il humilie, il exalte; il relève de terre le pauvre, et tire l'indigent de son fumier pour le faire asseoir avec les puissants de son peuple, lui donnant en héritage un trône de gloire. Il donne à qui fait un voeu l'objet de ce voeu, et il bénit les années du juste; car l'homme n'est pas fort de sa propre force. Le Seigneur désarmera son adversaire, le Seigneur très saint. Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse; le puissant de sa puissance, le riche de ses richesses; mais que celui qui se glorifie se glorifie de comprendre et de connaître le Seigneur, de faire droit et justice au milieu de la terre. Le Seigneur est monté aux cieux et il a tonné; il jugera les extrémités de la terre, parce qu'il est juste. Il donne la force à nos rois, et il exaltera la puissance de son Christ. Sont-ce là les paroles d'une simple femme, heureuse d'un fils qui lui est né? L'esprit de l'homme serait-il donc assez détourné de la lumière de la vérité pour ne pas voir que le langage de cette femme est bien au-dessus d'elle? Mais celui qui accorde l'intérêt qu'il doit à ce qui s'est accompli déjà de ces paroles dans ce terrestre pélerinage, ne remarque-t-il pas, ne découvre-t-il pas et ne reconnaît-il pas dans cette femme, dont le nom « Anne » signifie « grâce, » et dans ces accents que l'Esprit prophétique inspire, la religion chrétienne, la Cité de Dieu, dont Jésus-Christ est le roi et le fondateur, enfin la grâce même de Dieu, dont les superbes s'éloignent afin qu'ils tombent, dont les humbles sont remplis afin qu'ils se relèvent; vérité qui retentit surtout dans ce cantique : à moins que l'on ne prétende qu'ici, loin de prophétiser, cette femme, dans l'élan de sa joie, se contente de rendre grâces à Dieu de ce fils accordé à ses prières? Mais que signifie donc : "Il a détendu l'arc des puissants, et les faibles ont été revêtus de force, et les indigents ont franchi la terre, parce que la femme stérile a engendré sept enfants, la mère, heureuse de sa fécondité, est demeurée sans vigueur"? Avait-elle donc engendré sept enfants, quoique stérile? Elle n'en avait qu'un, lorsqu'elle parlait ainsi, et, dans la suite, elle n'en mit pas au monde sept (ou six, Samuel venant le septième), mais trois fils et deux filles. Et puis, nul ne régnant encore sur ce peuple, comment peut-elle dire cette dernière parole : « Il donne la force à nos rois, et il a exalté la puissance de son Christ; » oui ; comment parle-t-elle ainsi, si elle n'est prophète? Que l'Église de Jésus-Christ, la cité du grand roi, pleine de grâce, mère féconde, redise donc ces paroles où elle reconnaît une prophétie qui dès longtemps l'annonce par la bouche de cette pieuse mère ! « Mon coeur a été affermi dans le Seigneur, et mon Dieu a relevé ma force ; » son coeur s'est affermi en vérité, et sa force s'est relevée en vérité, c'est-à-dire, non en elle-même, mais dans le Seigneur son Dieu. « Ma bouche a été ouverte contre mes ennemis; » car la parole de Dieu échappe aux fureurs des persécutions, on ne l'enchaîne pas avec ceux qui l'annoncent. « Je me suis réjouie en votre salut : » Jésus-Christ lui-même, que le vieillard Siméon, au témoignage de l'Évangile, embrasse tout petit, et dont il reconnaît la grandeur quand il s'écrie : « Maintenant, Seigneur, vous laisserez aller en paix votre serviteur, parce que mes yeux ont vu votre salut.» Que l'Église donc redise : « Je me suis réjouie en votre salut; car il n'est pas de saint comme le Seigneur, il n'est pas de juste comme notre Dieu; » saint et source de sainteté; juste et source de justice. « Il n'est pas d'autre saint que vous, » parce que nul ne le devient sans vous. Ne vous glorifiez pas : qu'il ne sorte de votre bouche aucune parole de gloire et de superbe, c'est Dieu qui est le maître des sciences. » Il vous connaît, il sait, et vous ignorez; car celui qui se croit quelque chose, tandis qu'il n'est rien, est son propre séducteur. Ces paroles s'adressent aux ennemis de la Cité de Dieu, aux citoyens de Babylone, qui présument de leurs forces, qui se glorifient en eux-mêmes, et non dans le Seigneur; et de ce nombre sont aussi les Israélites charnels, citoyens de la terrestre Jérusalem, qui, selon la parole de l'Apôtre, « ignorant la justice de Dieu, » c'est-à-dire celle qui vient de Dieu, seul juste et principe unique de justice ; « et voulant établir leur justice, » non comme un don de sa grâce, mais comme leur oeuvre propre, refusent de se soumettre à la justice de Dieu, » parce qu'ils sont superbes et se flattent de plaire à Dieu par eux-mêmes et non par ce qu'ils doivent à Dieu, qui est le Dieu des sciences, et, à ce titre, l'arbitre des consciences, où il voit les pensées des hommes et leur vanité, si elles ne viennent que des hommes et non de lui, « Dieu qui prépare ses desseins, » quels desseins, sinon ceux qui tendent à la chute des superbes et à l'exaltation des humbles? Et voici comment ils s'accomplissent : « Il a détendu l'arc des puissants, et les faibles ont été revêtus de force. » L'arc détendu, c'est la volonté de ceux qui se croient assez forts, comme hommes, pour se passer, dans l'exécution des commandements divins, de toute assistance divine. Et ceux-là sont revêtus de force qui crient au fond de leur coeur : «Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible. Ceux qui regorgent de pains sont affaiblis, et les indigents ont franchi la terre. » Que faut-il entendre par « ceux qui regorgent de pains, » sinon ceux-mêmes qui se croient puissants, les Israélites, dépositaires des divins oracles? Mais, au milieu de ce peuple, les enfants de l'esclave sont devenus les plus faibles, "minorati", locution peu latine, qui toutefois exprime bien leur déchéance de la primogéniture : car, dans ces pains, ces paroles divines confiées alors aux seuls Israélites entre tous les peuples, ils ne goûtent que l'aliment terrestre; tandis qu'à peine conviés par le Nouveau Testament à ce banquet spirituel, les gentils, à qui cette loi n'a pas été donnée, affamés, franchissent la terre; c'est-à-dire, n'ont plus de goût que pour l'aliment céleste. Et comme si l'on demandait pourquoi il en est ainsi : « C'est, dit-elle, que la femme stérile a engendré sept enfants, et que la mère, heureuse de sa fécondité, est demeurée sans vigueur. » Ici toute la prophétie se déclare pour qui sait reconnaître le nombre sept, figure ordinaire de la perfection de l'Église universelle. Voilà pourquoi l'apôtre Jean écrit à sept Églises; c'est-à-dire à l'ensemble de l'unique Église. Et dans les Proverbes de Salomon, « la sagesse, » figurant déjà ce mystère, « se bâtit une maison et appuie sur sept colonnes. » Car la Cité de Dieu était stérile chez toutes les nations, avant la naissance de ces enfants, que nous voyons autour d'elle; et d'autre part, la terrestre Jérusalem, mère d'une nombreuse famille, nous la voyons aujourd'hui sans vigueur, parce que les enfants de la femme libre, qui étaient dans son sein, faisaient sa force; toute cette vertu s'est retirée avec l'esprit qu'elle a perdu en ne retenant que la lettre. « C'est Dieu qui donne la mort et rend la vie : » il donne la mort à la femme féconde; il donne la vie à cette femme stérile qui met au jour sept enfants. Cependant ne serait-il pas plus exact d'entendre qu'il rappelle à la vie ceux qu'il a frappés de mort? N'est-ce pas en ce sens qu'Anne ajoute : « C'est lui qui mène aux enfers et en ramène. » Ceux auxquels l'Apôtre dit : « Si vous êtes morts avec Jésus-Christ, cherchez les choses d'en haut, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu; » ceux-là sont tués par le Seigneur pour leur salut ; et c'est pour eux que l'Apôtre ajoute : "Goûtez les choses du ciel, et non celles de la terre," afin qu'ils deviennent « ces affamés qui franchissent la terre. Car vous êtes morts, » dit l'Apôtre; et voilà comment Dieu donne la mort qui sauve. Nous lisons encore : « Et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. » Voici comment Dieu leur donne la vie. Mais sont-ce les mêmes qu'il mène aux enfers et qu'il ramène? L'un et l'autre nous semble incontestablement accompli en notre chef, avec qui, selon l'Apôtre, notre vie est cachée en Dieu. Car « celui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour le salut de tous, » l'a certainement fait mourir de cette mort; et en le ressuscitant, il lui a rendu la vie. Et comme dans la prophétie on le reconnaît à ce cri : « Vous n'abandonnerez pas mon âme dans les enfers; c'est bien lui que Dieu mène aux enfers et qu'il en ramène. Cette pauvreté du Seigneur a fait notre richesse; car « le Seigneur appauvrit et enrichit. » La suite nous explique cette parole : « Il humilie et il exalte. Il humilie les superbes et exalte les humbles. Cette même vérité, énoncée ailleurs en ces termes : « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles, » est tout le sens des paroles de cette femme dont le nom signifie GRACE. « Il relève de terre le pauvre, » ne saurait mieux s'entendre que de « celui qui, étant riche, s'est fait pauvre pour nous, pour nous enrichir par sa pauvreté. » Dieu l'a relevé de terre si promptement, que sa chair n'a pas ressenti les atteintes de la corruption. Et je ne détournerai pas de lui les paroles suivantes : « Il tire l'indigent de son fumier; l'indigent, le pauvre; c'est toujours lui. Le fumier d'où il est relevé s'entend fort bien des Juifs ses persécuteurs, dont l'Apôtre s'accuse d'avoir partagé les fureurs contre l'Église : « Ce qui était, pour moi, comme un gain, dit-il, je l'ai regardé comme une perte, à cause de Jésus-Christ, et non seulement comme une perte, mais comme du fumier, pour gagner Jésus-Christ. » Ce pauvre est donc relevé de terre au-dessus de tous les riches; cet indigent, tiré de son fumier au-dessus de tous les opulents, « pour venir s'asseoir au milieu des puissants du peuple, leur disant : "Vous siégerez sur douze trônes", et leur donnant en héritage un trône de gloire; » car ces puissants avaient dit : « Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre. » Quelle puissance dans ce voeu ! Mais d'où leur venait cette puissance, sinon de celui dont il est dit ici même : « donnant à qui fait un voeu de quoi le faire? » Autrement ils seraient de ces puissants « dont l'arc est détendu. « Donnant a qui fait un voeu de quoi le faire; » car personne ne peut offrir au Seigneur un voeu légitime, s'il ne reçoit de lui ce qu'il lui voue. Et il a béni les années du juste; afin sans doute qu'il vive éternellement avec celui à qui il est dit : « Vos années ne finiront pas. » Là, en effet, les années demeurent; ici, au contraire, elles passent, elles périssent; car, avant d'arriver, elles ne sont pas arrivées; elles ne sont plus à venir, parce qu'elles amènent leur terme avec elles. Or, de ces deux paroles : « donnant à celui qui fait un voeu de quoi le faire, » et « il a béni les années du juste, l'une exprime ce que nous faisons, l'autre, ce que nous recevons. Mais nous n'obtenons rien de la libéralité de Dieu si nous n'avons d'abord rien demandé à son assistance. « Car l'homme n'est pas fort par sa propre force, le Seigneur désarmera son adversaire. » C'est-à-dire l'homme qui, par sa jalousie, combat contre un autre pour empêcher l'accomplissement d'un voeu. L'ambiguïté du mot grec peut encore laisser entendre « l'adversaire de Dieu. » Et, en effet, du moment où le Seigneur commence à prendre possession de nous, notre ennemi devient le sien, et nous le surmontons, mais non par nos propres forces, puisqu'il n'est pas d'homme fort de sa propre force. Le Seigneur désarmera donc son adversaire, le Seigneur très saint, afin qu'il soit vaincu par les saints que le Seigneur, saint des saints, sanctifie. Ainsi donc, « que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, ni le puissant de sa puissance, ni le riche de ses richesses ; mais que celui qui se glorifie se glorifie de comprendre et de connaître le Seigneur et de faire droit et justice au milieu de la terre. » Ce n'est pas médiocrement connaître le Seigneur, que de connaître qu'on lui doit de le connaître. « Qu'as-tu donc, en effet, dit l'Apôtre, que tu n'aies reçu? Et si tu l'as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu? » C'est-à-dire, comme si tu tenais de toi-même ce dont tu te glorifies? Or celui qui vit bien fait droit et justice; et celui-là vit bien, qui obéit aux commandements de Dieu; « et la fin de ces commandements, » c'est-à-dire le but auquel ils se rapportent, « est la charité qui naît d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère. » Or, cette « charité, » au témoignage de l'Apôtre Jean, "vient de Dieu." Faire droit et justice vient donc de Dieu. Mais que signifie « au milieu de la terre? » Est-ce que les habitants des extrémités de la terre ne doivent pas aussi faire droit et justice? Qui oserait le nier? Pourquoi donc est-il ajouté « au milieu de la terre? » Autrement, et s'il n'y avait que cette parole : « faire droit et justice, » ce précepte s'adresserait également à tous les hommes, habitants de l'intérieur des continents et des rivages de la mer. Mais, afin que nul ne s'imagine qu'après les bornes de cette vie corporelle, il reste encore du temps pour éviter le jugement de Dieu en réparant les omissions de cette vie, « au milieu de la terre » exprime, suivant moi, le temps de la vie corporelle. Car en cette vie, chacun porte avec soi la terre, que la terre commune reçoit, à la mort de l'homme, pour la lui rendre au jour de la résurrection. Ainsi, « au milieu de la terre, » c'est-à-dire tant que notre âme est renfermée en ce corps terrestre, il faut faire droit et justice, afin que cela nous serve pour l'avenir, « quand chacun recevra la récompense du bien ou du mal qu'il aura fait par le corps. »—« Par le corps, dit l'Apôtre; c'est-à-dire, tant qu'il a vécu dans le corps. En effet, l'homme qui dans le secret de ses malignes pensées blasphème, sera-t-il donc innocent, parce que nul mouvement extérieur n'aura rendu son corps complice, au temps même de leur inséparable union? C'est en ce sens qu'on peut, au contraire, bien entendre cette parole du psaume : « Dieu, notre roi avant les siècles, a accompli le salut au milieu de la terre; le Seigneur Jésus est notre Dieu; il est avant les siècles, puisqu'il est l'auteur des siècles. Il a accompli notre salut au milieu de la terre, lorsque le Verbe s'est fait chair et a habité dans un corps terrestre. Ces paroles prophétiques d'Anne montrent donc comment doit se glorifier celui qui se glorifie, non en lui-même, mais dans le Seigneur, en vue de la justice qui sera rendue au jour du jugement : « Le Seigneur est monté aux cieux, dit-elle, et il a tonné; il jugera lui-même les extrémités de la terre parce qu'il est juste; » elle observe exactement l'ordre de la confession de foi des fidèles ; car Notre-Seigneur Jésus-Christ est véritablement monté au ciel, et il viendra de là pour juger les vivants et les morts. Et, en effet, dit encore l'Apôtre, « Qui est monté, si ce n'est celui qui est descendu aussi dans les plus basses parties de la terre? Celui qui est descendu est aussi le même qui est monté par delà les cieux, pour remplir tout de sa présence. » Il a donc tonné par les nuées, qu'en montant il a remplies du Saint-Esprit. Et par la bouche du prophète Isaïe, il menace la Jérusalem esclave, sa vigne ingrate, de tarir pour elle la pluie de ces nuées. « Il jugera les extrémités de la terre ; » c'est-à-dire même les extrémités. En effet, il ne s'abstiendra de juger aucune partie de la terre, lui qui à coup sûr jugera tous les hommes. Mais par « les extrémités de la terre, » il vaut mieux entendre l'extrémité de la vie de l'homme; car le jugement ne tiendra pas compte des vicissitudes en bien ou en mal survenues au milieu de la vie, mais seulement des dispositions suprêmes de l'homme. C'est pourquoi il est dit : « Celui-là sera sauvé, qui persévérera jusqu'à la lin. » Celui donc qui jusqu'à la fin fait avec persévérance droit et justice au milieu de la terre ne sera pas condamné, quand Dieu jugera les extrémités de la terre. « C'est lui qui donne la force à nos rois, » pour ne pas les condamner au jugement. Il leur donne la force de gouverner leur chair en rois, et de triompher du monde, vainqueurs en celui qui a répandu son sang pour eux. « Et il relèvera la puissance de son Christ : » comment le Christ relèvera-t-il la puissance de son Christ? Car celui dont il est dit plus haut : « Le Seigneur est monté aux cieux, » n'est-ce pas aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ? Et c'est lui-même qui relèvera la puissance de son Christ? Quel est donc le Christ de son Christ? Est-ce la puissance de chacun de ses fidèles, comme la sainte prophétesse dit d'elle-même au commencement de ce cantique : "Mon Dieu a relevé ma force". Et ne pouvons-nous donc appeler christs tous ceux qui ont été oints du saint chrême? et tout ce corps, avec son chef, ne fait cependant qu'un seul Christ. Voilà la prophétie d'Anne, mère du saint et vénérable Samuel. En lui était alors figuré le changement de l'ancien sacerdoce, changement accompli aujourd'hui; car aujourd'hui la mère d'une nombreuse famille est devenue sans vigueur, afin que la femme stérile, qui vient d'engendrer sept enfants, ait un nouveau sacerdoce en Jésus-Christ. [17,5] Or, cet homme de Dieu envoyé au grand prêtre Héli, cet homme dont l'Ecriture tait le nom, mais que son ministère fait indubitablement reconnaître pour un prophète, cet homme parle en termes plus clairs. Voici le texte sacré : « Un homme de Dieu vint auprès d'Héli, et il lui dit : Voici ce que dit le Seigneur : Je me suis dévoilé à la maison de ton père, lorsqu'elle était en la terre d'Égypte, esclave de Pharaon; parmi toutes les tribus d'Israël, j'ai choisi la maison de ton père, pour remplir mon sacerdoce, monter à mon autel, brûler l'encens et porter l'éphod; et j'ai donné à la maison de ton père, pour nourriture, tout ce que les enfants d'Israël m'offriraient en holocauste. Pourquoi donc as-tu jeté un regard impudent sur mon encens et sur mes sacrifices? Pourquoi as-tu fait plus d'honneur à tes enfants qu'à moi, leur permettant de bénir, en ma présence, les prémices de tout sacrifice offert en Israël? C'est pourquoi, voilà ce que dit le Seigneur d'Israël : « J'avais dit : ta maison et la maison de ton père passeront éternellement en ma présence; et maintenant le Seigneur dit : Non ! mais je glorifierai qui me glorifie, et qui me méprise deviendra méprisable. Voici venir le temps où j'exterminerai ta postérité et la postérité de la maison de ton père, et elle n'aura plus à jamais un seul prêtre dans mon temple, et je retrancherai de mon autel jusqu'au dernier homme de ta race, afin qu'à cette vue ses yeux se troublent et que son âme l'abandonne. Et quiconque survivra de ta maison périra par le glaive. En témoignage de quoi, tes deux fils, Ophni et Phinées, mourront tous deux le même jour. Et je me choisirai un prêtre fidèle qui fera tout selon mon coeur et selon mon âme, et je lui bâtirai une maison durable, et elle passera éternellement en la présence de mon Christ. Et celui qui survivra dans ta maison viendra l'adorer avec une obole d'argent, en disant "Admettez-moi à une part de votre sacerdoce, afin que je mangee du pain". On ne peut dire que cette prophétie, qui prédit le changement de l'ancien sacerdoce en termes si clairs, se soit accomplie dans la personne de Samuel. En effet, bien que Samuel ne fût pas étranger à la tribu que Dieu avait destinée au service de l'autel, toutefois il n'était pas de la famille d'Aaron dont la postérité était désignée pour perpétuer le sacerdoce. Ainsi cet antique événement figurait le changement à venir qui devait s'opérer par Jésus-Christ; cette prophétie se rapportait proprement à l'Ancien Testament, figurativement au Nouveau, quant au fait, sinon quant à la lettre. Le fait seul renfermait le sens des paroles adressées par le prophète au grand-prêtre Héli. Car depuis il y eut encore des prêtres de la famille d'Aaron, tels que Sadoch, Abiathar, sous le règne de David, et d'autres ensuite, avant l'époque où le changement dès longtemps prédit devait s'accomplir en Jésus-Christ. Et maintenant tout est accompli : qui ne le voit, s'il regarde de l'oeil de la foi? Car il ne reste aux Juifs ni tabernacle, ni temple, ni autel, ni sacrifice, ni sacerdoce enfin qui, d'après la loi de Dieu, devait se perpétuer dans la famille d'Aaron; circonstance que le prophète rappelle ici : « Voilà ce que dit le Seigneur Dieu d'Israël J'ai dit : ta maison et la maison de ton père passeront éternellement en ma présence; et maintenant le Seigneur dit : Non! mais je glorifierai qui me glorifie, et qui me méprise deviendra méprisable. » Or ce qu'il appelle la maison de son père ne s'applique pas à son père immédiat, mais au premier qui fut institué prêtre, Aaron, dont tous les autres devaient descendre; témoin les paroles citées : « Je me suis dévoilé à la maison de ton père, lorsqu'elle était en la terre d'Égypte, esclave de Pharaon; et parmi toutes les tribus d'Israël, j'ai choisi la maison de ton père, pour remplir mon sacerdoce. Quel était donc entre les pères d'Héli, au temps de la servitude d'Égypte, celui qui, après la délivrance, fut choisi pour le sacerdoce, sinon Aaron? C'est donc de la postérité d'Aaron que Dieu déclare ici qu'à l'avenir il ne doit plus sortir de prêtres : prédiction évidemment accomplie. Que la foi s'éveille! les faits sont là; on les voit, on les touche, ils forcent les yeux mêmes qui se refusent à voir. « Voici venir le temps, dit le Seigneur, où j'exterminerai ta postérité et la postérité de la maison de ton père, et elle ne donnera plus jamais un seul prêtre à mon temple; et je retrancherai de mon autel jusqu'au dernier homme de ta race, afin que les yeux de cet homme soient troublés et que son âme l'abandonne. » Or, les jours marqués sont arrivés; il n'est plus un seul prêtre selon l'ordre d'Aaron; et tout homme qui reste encore de sa race, voyant le sacrifice des chrétiens répandu par toute la terre, ne peut se sentir déchu d'un si grand honneur sans que ses yeux se troublent et que son âme l'abandonne, consumée de douleur. Ce qui suit regarde proprement la maison de cet Héli à qui ces choses sont dites : « Et quiconque survivra de ta maison périra par le glaive; en témoignage de quoi, tes deux fils, Ophni et Phinées, mourront tous deux le même jour. » Le même signe qui marquait le sacerdoce enlevé à sa maison marquait donc aussi le sacerdoce aboli dans la maison d'Aaron; car la mort des fils d'Héli figurait, non une mort d'hommes, mais celle du sacerdoce même en la postérité d'Aaron. Ce qui suit, au contraire, se rapporte au grand prêtre dont Samuel succédant à Héli est la figure; ainsi, les paroles suivantes s'appliquent à Jésus-Christ, véritable prêtre du Nouveau Testament : « Et je me choisirai un prêtre fidèle qui fera tout selon mon coeur et selon mon âme; et je lui bâtirai une maison durable : » c'est-à-dire, la céleste et éternelle Jérusalem. « Et elle passera éternellement en présence de mon Christ. » Elle passera, c'est-à-dire elle paraîtra devant lui ; comme il est dit plus haut de la maison d'Aaron : « J'ai dit ta maison et la maison de ton père passeront éternellement en ma présence. » Ainsi, « passera en présence de mon Christ, » doit s'entendre de la maison elle-même, non de ce prêtre qui est Jésus-Christ, Médiateur et Sauveur; sa maison passera donc en sa présence. « Passera » peut encore s'entendre du passage de la mort à la vie, pendant ces jours qui précipitent vers la fin du siècle le cours de notre mortalité. Quant à cette parole de Dieu « Qui fera tout selon mon coeur et selon mon âme, » gardons-nous de croire que Dieu ait une âme, lui qui est le créateur de l'âme. C'est en figure et non au propre qu'on parle de l'âme de Dieu, comme on lui attribue des mains, des pieds, et les autres membres corporels : et de peur qu'on ne prenne en un sens charnel la création de l'homme à l'image de Dieu, l'Écriture lui prête encore des ailes dont l'homme est évidemment dépourvu « Abritez-moi à l'ombre de vos ailes, afin que les hommes reconnaissent qu'on ne parle ainsi que par métaphore, de cette nature ineffable. Et celui qui survivra dans ta maison viendra l'adorer, ne doit pas s'entendre proprement de la maison d'Héli, mais de celle de l'ancien Aaron qui s'est perpétuée jusqu'à l'avènement de Jésus-Christ, et dont il se trouve encore aujourd'hui quelques débris; car il est dit plus haut, de la famille d'Héli : » Et quiconque survivra de ta maison périra par le glaive. » Comment donc l'Écriture peut-elle dire ici avec vérité : « Et celui qui survivra dans ta maison viendra l'adorer, » s'il est vrai que la vengeance du glaive ne doive laisser personne survivre dans cette maison, à moins que l'Écriture ne comprenne dans sa famille celui qui appartient à la famille sacerdotale d'Aaron? Celui-là, s'il est de ces restes prédestinés dont un autre prophète a dit : « Les restes seront sauvés, » et l'Apôtre : « Ainsi, en ce temps même, les restes ont été sauvés par l'élection de la grâce, » et c'est bien de semblables restes que ces paroles doivent s'entendre : « celui qui survivra dans ta maison ; » celui-là, dis-je, croit certainement en Jésus-Christ, comme au temps des apôtres plusieurs de cette nation crurent en lui, et encore aujourd'hui, quelques-uns que l'on voit, à de rares intervalles, embrasser la foi, et en qui s'accomplit la prédiction suivante de l'homme de Dieu : « viendra, avec une obole d'argent, l'adorer. — « Adorer » qui? sinon ce souverain Pontife qui est Dieu aussi? Car, dans le sacerdoce selon l'ordre d'Aaron, on ne se présentait pas au temple ou à l'autel de Dieu pour adorer le grand prêtre mais que signifie : « l'obole d'argent, » sinon cette parole abrégée de la foi, dont l'Apôtre dit après le Prophète : « Le Seigneur établira sur la terre une parole courte et sommaire. » Or, que l'argent se prenne pour la parole de Dieu, le Psalmiste l'atteste quand il s'écrie : « Les paroles du Seigneur sont des paroles pures ; c'est de l'argent éprouvé par le feu. » Que dit donc celui qui vient adorer le prêtre de Dieu et le prêtre-Dieu : « Admettez-moi à une part de votre sacerdoce, afin que je puisse manger du pain ? » Il dit : Je ne veux pas être réintégré dans les honneurs de mes pères; car ils sont abolis; admettez-moi à une part de votre sacerdoce, car « je choisis d'être méprisable dans la maison du Seigneur, » je choisis d'être un membre, quel qu'il soit, si petit qu'il soit, de votre sacerdoce. Sacerdoce exprime ici le peuple même, duquel est pontife suprême le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme. C'est à ce peuple que l'apôtre Pierre dit : « Vous êtes le peuple saint, le sacerdoce royal. » Quelques-uns, il est vrai, au lieu de « votre sacerdoce, » traduisent : « de votre sacrifice; » mais cela se rapporte toujours au même peuple chrétien. Et de là cette parole de l'apôtre Paul : « Nous sommes tous un seul pain, un seul corps. Ainsi, en ajoutant : « manger du pain, » l'homme de Dieu exprime heureusement le genre même du sacrifice, dont le prêtre lui-même dit : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c'est ma chair. » C'est là le sacrifice, non plus selon d'ordre d'Aaron, mais selon l'ordre de Melchisédech; entende qui lit cela. C'est donc une confession courte et d'une humilité salutaire : « Admettez-moi à une part de votre sacerdoce, afin que je puisse manger du pain. » C'est aussi l'obole d'argent ; car la parole du Seigneur, qui habite dans le coeur du croyant, est courte. Comme Dieu avait dit autrefois qu'il donnait pour nourriture à la maison d'Aaron les victimes de l'Ancien Testament : « J'ai donné à la maison de ton père, pour nourriture, tout ce que les enfants d'Israël m'offriraient en holocauste : » tels étaient en effet, les sacrifices des Juifs ; et il dit ici : » Manger du pain, » qui, dans le Nouveau Testament, est le sacrifice des chrétiens. [17,6] Mais bien que l'accomplissement de ces faits soit aussi clair que la prédiction en était obscure, cependant ne pourrait-on concevoir quelques doutes, et opposer cette objection : quelle assurance avons-nous que toutes les prophéties des livres saints s'accomplissent, si cet oracle divin même : « ta maison et la maison de ton père passeront éternellement en ma présence » est demeuré sans effet? Car nous voyons que ce sacerdoce a été changé; et il n'est pas à espérer que la promesse faite à cette maison doive jamais s'accomplir en sa faveur; c'est plutôt le sacerdoce substitué au sacerdoce réprouvé et aboli, qui est annoncé comme éternel. Qui parlerait ainsi ne comprendrait pas encore ou ne se souviendrait plus que le sacerdoce institué selon l'ordre d'Aaron était établi comme l'ombre du sacerdoce éternel à venir; aussi, quand l'éternité lui fut promise, cette promesse n'appartenait pas à l'ombre et à la figure, mais à la réalité de cette ombre et de cette figure. Et de peur qu'on ne s'imaginât que l'ombre elle-même dût demeurer, il fallait aussi que son changement fût prédit. Et la royauté de Saül, qui fut réprouvé et rejeté, était aussi l'ombre de la royauté future qui doit éternellement durer. En effet, l'onction solennelle, ce chrême qui lui valut le nom de christ, est le mystique symbole d'un grand sacrement. Et ce caractère sacré inspire à David une vénération si profonde, qu'il sent son coeur frémir d'épouvante, quand, retiré dans une caverne obscure, où Saül, cédant à un besoin naturel, entre à son tour, il lui coupe furtivement par derrière le bord de son manteau, pour lui offrir la preuve qu'ayant sa vie entre ses mains il l'avait épargné, et pour effacer de son esprit ces soupçons qui entraînent Saül à la poursuite de David qu'il croit son ennemi. Aussi dans la crainte que ce simple attouchement du vêtement royal ne le rende coupable de la violation du plus auguste mystère en la personne de Saül, « David, dit l'Écriture, se frappe la poitrine pour ce peu qu'il a dérobé du manteau de Saül; et, lorsque ses compagnons lui conseillent de tuer Saül qui venait se livrer entre ses mains : « Que le Seigneur me garde, dit-il, de faire selon votre parole à mon seigneur, le christ du Seigneur, et de porter la main sur lui! car cet homme est le christ du Seigneur. » Ce n'est donc pas à l'ombre même, mais à la réalité figurée par cette ombre qu'il témoigne cette profonde vénération. Ainsi, quand Samuël dit à Saül : « Parce que tu n'as pas observé mes commandements, les commandements que le Seigneur t'a dictés par ma bouche, le sceptre d'Israël, que le Seigneur t'avait confié à jamais, va maintenant passer de tes mains; et le Seigneur se cherchera un homme selon son coeur, et le Seigneur l'établira prince sur son peuple, parce que tu n'as pas gardé les commandements du Seigneur : » ces paroles ne doivent pas s'entendre comme si Dieu, ayant promis à Saül un royaume éternel, n'eût plus voulu tenir sa promesse à Saül pécheur; car Dieu n'ignorait pas qu'il dût pécher : mais il avait disposé son royaume pour être la figure du royaume éternel. C'est pourquoi le Prophète ajoute : « Et maintenant le royaume va passer de tes mains. « Le royaume que celui-ci figure a donc duré et durera toujours, mais non pour Saül ; car il ne devait pas lui-même régner éternellement; ni pour sa postérité, bien que cette promesse d'éternité eût paru s'accomplir dans la succession perpétuée de ses descendants. « Et le Seigneur, dit Samuel, se cherchera un homme » ces paroles désignent ou David, ou le médiateur même du Nouveau Testament, figuré par le chrême qui consacra David et sa postérité. Or Dieu ne se cherche pas un homme comme s'il ignorait où il est; mais par l'homme il nous parle le langage de l'homme, et en nous parlant ainsi il nous cherche. Car non seulement Dieu le père, mais encore son Fils unique, qui est venu chercher ce qui était perdu, nous connaissaient dejà si bien, que nous étions élus dans le Fils avant la création du monde. « Il se cherchera, » c'est-à-dire, il aura à lui. Aussi en latin le mot "quaerit" prend la préposition et devient "acquirit", dont le sens est évident : et même sans l'addition de la préposition, "quaerere" est synonyme de "acquirere"; d'où "quaestus", synonyme de "lucrum". [17,7] Saül pèche de nouveau par désobéissance, et Samuel lui dit de nouveau, parlant au nom du Seigneur : « Parce que tu as rejeté la parole du Seigneur, le Seigneur te rejette et tu ne seras plus roi sur Israël. » Et comme Saül, reconnaissant son péché, en demande de nouveau le pardon et prie Samuel de retourner avec lui, pour apaiser Dieu : « Je ne retournerai pas avec toi, dit-il, parce que tu as rejeté la parole du Seigneur, et le Seigneur te rejette, et tu ne seras plus roi sur Israël. Et Samuel détourna son visage pour sortir; et Saül retint le bord de son manteau, qu'il déchira ; et Samuel lui dit : « Le Seigneur a enlevé le sceptre à Israël en l'arrachant aujourd'hui de ta main ; et il le donnera à l'un de tes proches, bon au-dessus de toi, et Israël sera divisé en deux ; sans que le Seigneur change ni se repente, parce qu'il n'est pas, comme l'homme, sujet à repentir. L'homme menace et se dément. » Celui à qui s'adresse cette parole : « Le Seigneur te rejette ; et tu ne seras plus roi sur Israël ; et le Seigneur a enlevé le sceptre à Israël en l'arrachant aujourd'hui de ta main; » celui-là règne encore sur Israël pendant quarante années, aussi longtemps que David lui-même; car cette parole lui est dite au commencement de son règne, pour nous montrer l'exclusion prononcée contre ses descendants, et attirer nos regards vers la postérité de David, d'où est né, selon la chair, le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme. Or le texte sacré ne porte pas ce qu'on lit dans la plupart des exemplaires latins : « Le Seigneur arrache le sceptre d'Israël de ta main; » mais, comme nous l'avons dit d'après le grec : « Le Seigneur a enlevé le sceptre à Israël, en l'arrachant de ta main, » pour montrer que ces mots : « de ta main, et « à Israël, » ont un sens unique. Cet homme représentait donc figurativement le peuple d'Israël, qui devait être déchu de la royauté; Jésus-Christ, Notre-Seigneur, devant régner par le Nouveau Testament, selon l'esprit, et non selon la chair. Ce qui est dit de lui : « Et il le donnera a l'un de tes proches, » s'applique à la parenté charnelle ; car, selon la chair, Jésus-Christ est, comme Saül, issu d'Israël. Ce qui suit : « Bon au-dessus de toi, » peut se prendre pour « meilleur que toi, et quelques-uns l'ont traduit ainsi; mais je préfère l'entendre en ce sens : « Il est bon ; qu'il soit donc au-dessus de toi, » sens analogue à cette parole du Prophète : « Jusqu'à ce que je mette tous tes ennemis sous tes pieds. » Entre ces ennemis est Israël, à qui le Christ enlève la royauté comme à son persécuteur. Et toutefois là aussi était un autre Israël, en qui ne se trouvait aucune malice, pur froment caché sous la paille. Et c'est de là que sortirent les Apôtres, et tant de martyrs dont Étienne est le premier, et tant d'églises citées par l'apôtre Paul comme glorifiant Dieu de sa conversion. Ainsi je ne doute pas que par les paroles suivantes : « Et Israël sera divisé en deux, » il ne faille distinguer Israël ennemi de Jésus-Christ, et Israël uni à Jésus-Christ; Israël appartenant à l'esclave, et Israël appartenant à la femme libre. En effet, ces deux races étaient d'abord ensemble, comme Abraham restait fidèle à l'esclave jusqu'à ce que la femme stérile, rendue mère par la grâce de Dieu, s'écriât : « Chasse l'esclave et son fils ! » Nous savons, il est vrai, que le péché de Salomon entraîna le partage d'Israël, sous le règne de son fils Roboam, et que le royaume demeura dans cet État, chaque faction ayant ses rois, jusqu'à l'époque où toute la race fut arrachée de son sol et transplantée par les Chaldéens. Mais ici pourquoi chercher Saül? pourquoi la menace ne s'adresse-t-elle pas plutôt à David dont Salomon était fils? Aujourd'hui même la nation hébraïque n'est pas divisée entre elle, mais dispersée indifféremment par toute la terre, dans la société d'une même erreur. Or cette division dont Dieu menace ce peuple et ce royaume en la personne de Saül, qui figure ce peuple et ce royaume, devait être immuable et éternelle, comme l'atteste cette parole : « Et Dieu ne changera ni ne se repentira ; car il n'est pas comme l'homme, sujet à repentir; l'homme menace et se dément, » mais non Dieu, qui n'est pas comme l'homme sujet à repentir. Car, en disant qu'il se repent, l'Écriture marque seulement la révolution des choses, qui ne déroge en rien à l'immutabilité de la prescience divine. Quand elle dit qu'il ne se repent pas, c'est à dire qu'il ne change pas. Nous voyons donc que l'arrêt de cette division du peuple d'Israël est un arrêt irrévocable. Car tous ceux des Juifs qui ont passé, qui passent ou qui passeront à Jésus-Christ lui appartenaient, selon la prescience de Dieu, et non pas selon l'unité et l'identité de race. Aussi tout Israélite qui, s'attachant à Jésus-Christ, persévère en lui, ne sera jamais avec ces Israélites qui s'obstinent à le haïr jusqu'à la fin de cette vie, et la division prédite demeurera toujours. Que sert, en effet, le Vieux Testament, qui du haut du Sina n'engendre que pour la servitude, si ce n'est à rendre témoignage au Nouveau? Tant qu'on lit Moïse, on a un voile sur le coeur ; mais que l'on passe à Jésus-Christ, ce voile disparaît : car l'intention même de ceux qui passent à lui est renouvelée; ils n'aspirent plus à une félicité charnelle, mais spirituelle. C'est pourquoi dans cette journée où, avant le sacre de Saül, Samuel offre un holocauste avec ses prières au Seigneur qui l'exauce, quand les ennemis, accourus pour combattre le peuple de Dieu, tombent devant Israël, dispersés par le tonnerre du Seigneur, le grand prophète prend une pierre, la pose entre l'ancienne et la nouvelle Massephat, lui donne le nom d'Abennezer ou « Pierre de Secours, » et dit : « C'est jusqu'ici que le Seigneur nous a secourus. Or Massephat » signifie « Intention. » Cette pierre du secours est la médiation du Sauveur, par qui il faut passer de l'ancienne Massephat à la nouvelle; c'est-à-dire de l'intention première, qui s'attachait à l'espérance d'une fausse et charnelle béatitude dans un royaume charnel, à la seconde, qui, par le Nouveau Testament, se propose une véritable et spirituelle félicité dans le royaume des cieux. Et, comme il n'est rien de meilleur que cette félicité, c'est jusque-là que Dieu nous prête secours. [17,8] Voyons maintenant, autant qu'il importe à notre dessein, ce que Dieu promit à David, successeur de Saül, dont la réprobation est la figure de ce changement final auquel se rapporte tout ce qui est dit, tout ce qui écrit. Comblé de prospérités, le roi David songe à élever une maison à Dieu; ce temple célèbre, que bâtit plus tard le roi Salomon son fils. Il y pensait quand le Seigneur adressa au prophète Nathan une parole qu'il dut rapporter au roi. Dieu déclare au prophète que ce n'est point David qui bâtira la maison du Seigneur; que d'ailleurs, pendant tant d'années, il n'a chargé personne, dans son peuple, de lui élever une maison de cèdre : « Et maintenant, ajoute-t-il, tu diras à mon serviteur David : Voici ce que dit le Seigneur Tout Puissant : Je t'ai tiré de ta bergerie pour t'établir chef de mon. peuple en Israël; et j'étais avec toi dans toutes tes voies, et j'ai, dissipé loin de toi tous tes ennemis, et je t'ai fait un nom égal au, nom des plus grands de la terre. Et je veux assigner un lieu à Israël mon peuple, et je veux qu'il y prenne racine et qu'il y demeure à part, et que rien ne trouble son repos à l'avenir. Et le fils de l'iniquité ne viendra plus l'humilier, comme aux temps anciens, en ces jours où j'établis des juges sur Israël, mon peuple; et j'assurerai ton repos contre tous tes ennemis, et le Seigneur t'annoncera que tu dois lui bâtir une maison. Et lorsque tes jours seront accomplis, lorsque tu seras endormi avec tes pères, je susciterai après toi un rejeton de ta race, et je préparerai son règne. C'est lui qui élèvera une maison à la gloire de mon nom, et je maintiendrai éternellement son empire. Je lui serai comme un père, et il me sera comme un fils. Que s'il s'abandonne à l'iniquité, je le châtierai par la verge des hommes, je le livrerai aux atteintes des enfants des hommes. Cependant je ne retirerai pas de lui ma miséricorde, comme je l'ai retirée de ceux dont j'ai détourné ma face. Et sa maison sera fidèle, et son royaume demeurera éternellement devant moi, et son trône sera debout pour l'éternité. Quiconque s'imagine que cette magnifique promesse s'est accomplie en Salomon est dans une erreur profonde. C'est s'arrêter à cette parole : « C'est lui qui me bâtira une maison ; » Salomon, en effet, bâtit ce fameux temple; et ne faire aucune attention aux paroles suivantes : « Sa maison sera fidèle, et son royaume demeurera éternellement devant moi. » Regardez donc, et voyez le palais de Salomon rempli de femmes étrangères et idolâtres, et ce sage roi lui-même qu'elles séduisent, qu'elles entraînent enfin dans leur idolâtrie! Et loin de nous cette téméraire pensée que Dieu soit trouvé infidèle dans ses promesses, ou que sa prescience l'ait abusé sur les futurs égarements de ce prince et de sa maison! Et quand nous ne serions pas frappés de l'évidence de ces accomplissements en la personne du Christ Notre-Seigneur, né, selon la chair, de la race de David, nous n'en devrions pas douter néanmoins, et, à l'exemple des Juifs charnels, poursuivre la vaine et illusoire recherche d'un autre Christ. Car il est vrai que, par ce fils promis ici au roi David, ils n'entendent pas Salomon; que même, après la venue de celui qui s'est fait reconnaître par des marques si évidentes pour le Fils promis, ils s'obstinent, dans leur inconcevable aveuglement, à en attendre un autre. On voit, il est vrai, en Salomon une certaine image de l'avenir; car il bâtit le temple, il vécut en paix, ainsi que l'atteste son nom : « Salomon, » signifie « pacifique; » le début de son règne fut admirable. Ombre de l'avenir, il faisait pressentir Notre-Seigneur Jésus-Christ, et n'était pas lui. C'est pourquoi plusieurs circonstances racontées de Salomon semblent prédites de la réalité même. L'Écriture, dans ses récits prophétiques du passé, esquisse, pour ainsi dire, le dessin des événements futurs. Car, indépendamment des livres historiques qui racontent le règne de Salomon, le psaume soixante et onzième porte son nom en titre, et contient tant de passages qui ne sauraient convenir à ce prince, et s'appliquent avec la plus complète évidence à Jésus-Christ Notre-Seigneur, qu'il est parfaitement clair que l'un n'est qu'une sorte d'ébauche, tandis que l'autre est la réalité vivante. On sait, en effet, quelles limites bornaient le royaume de Salomon ; et cependant, pour ne citer que ce seul trait, on lit dans ce psaume : « Il étendra sa domination de l'une à l'autre mer, et depuis le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre, » prophétie que nous voyons accomplie en la personne de Jésus-Christ ; car sa domination est sortie du fleuve où, baptisé par Jean qui le désigne, il commence à être reconnu de ses disciples qui l'appellent non seulement Maître, mais Seigneur. Et pourquoi Salomon règne-t-il déjà du vivant de son père David, ce qui n'arriva à aucun autre des rois d'Israël; si ce n'est pour achever de nous convaincre que ce n'est pas lui que regarde cette prophétie, qui dit à son père : « Et, lorsque tes jours seront accomplis, lorsque tu seras endormi avec tes pères, je susciterai après toi un rejeton de ta race, et je préparerai son règne. » Comment donc le verset suivant : « C'est lui qui me bâtira une maison, » fixerait-il la pensée sur Salomon, et comment celui qui précède : « Lorsque tes jours seront accomplis, lorsque tu seras endormi avec tes pères, je susciterai après toi un rejeton de ta race," ne ferait-il pas songer plutôt à la promesse d'un autre roi pacifique, qui doit régner, non pas avant, comme Salomon, mais après la mort de David? Ainsi, quelque long temps que Jésus-Christ soit venu après le sommeil de ce prince, il est indubitablement venu, comme la promesse l'annonçait, pour bâtir au Seigneur une maison non de bois et de pierres, mais d'hommes, telle que nous nous réjouissons qu'il l'ait bâtie. Car c'est à cette maison, c'est-à-dire aux fidèles, que l'Apôtre dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple. [17,9] Et dans le psaume quatre-vingt-huitième, intitulé : « Instruction pour AEthan, Israélite, » sont rappelées encore les promesses de Dieu au roi David, et quelques traits y rappellent les passages précédents du livre des Rois. On lit, par exemple : « J'ai juré à David, mon serviteur : Je perpétuerai éternellement ta postérité. » Puis : « Alors vous avez parlé en vision à vos enfants, et vous avez dit : J'ai remis mon assistance en un homme puissant, et j'ai élevé celui que j'ai choisi dans mon peuple. J'ai trouvé David mon serviteur, je l'ai oint de mon huile sainte. Ma main sera son appui, et mon bras sa force. L'ennemi ne prévaudra pas sur lui ; et le fils de l'iniquité ne lui pourra nuire. J'abattrai devant lui ses ennemis, et je dissiperai ceux qui le haïront. Ma vérité et ma miséricorde seront avec lui, et sa puissance s'élèvera en mon nom. J'étendrai sa main sur la mer, et sa droite sur les fleuves. Il m'invoquera ainsi : Vous êtes mon père, mon Dieu et l'auteur de mon salut. Et je le ferai mon fils aîné, et je l'élèverai au-dessus des rois de la terre. Je lui garderai éternellement ma miséricorde, et mon alliance lui sera fidèle. J'établirai sa race dans les siècles des siècles, et son trône aura la durée des cieux. Toutes choses qui, sous le nom de David, doivent s'entendre de Notre-Seigneur Jésus, à cause de la forme d'esclave que, Médiateur il a prise de la race de David, dans le sein de la Vierge. Aussitôt après il est parlé des péchés de ses enfants, à peu près dans les mêmes termes qu'au livre des Rois, et le sens offre une pente facile vers Salomon; car en ce livre il est écrit : « et s'il s'abandonne à l'iniquité, je le châtierai par la verge des hommes; je le livrerai aux atteintes des enfants des hommes; cependant je ne retirerai pas de lui ma miséricorde. Ces « atteintes » sont les marques du châtiment. Et de là cette parole : Ne touchez pas mes christs; » qu'est-ce à dire, sinon : ne blessez pas ? Or, dans le psaume où il s'agit, en apparence, de David, le Seigneur tient presque le même langage : « Si ses enfants, dit-il, abandonnent ma loi et ne marchent pas selon ma justice, s'ils violent mes préceptes et ne gardent pas mes commandements, je châtierai leur iniquité par la verge et leurs crimes par le fouet; mais je ne retirerai pas de lui ma miséricorde. » Dieu ne dit pas « d'eux, » quoiqu'il parle des enfants de David et non de David, mais il dit "de lui", ce qui, bien entendu, a le même sens. Car en Jésus-Christ même qui est le chef de l'Église, il ne se peut trouver aucun péché qui appelle sur lui comme sur l'homme ces répressions divines que tempère la miséricorde; mais bien dans son corps et ses membres, c'est-à-dire, dans son peuple. Et c'est pourquoi, au livre des Rois, il est dit : « Son iniquité : » et, dans le psaume : « L'iniquité de ses enfants : » pour nous faire entendre que ce qui est dit de son corps est dit, en quelque sorte, de lui-même. C'est pourquoi lui-même s'écrie, du haut du ciel, quand Saül persécute son corps, ou ses fidèles : « Saül, Saül pourquoi me persécuter? » Et dans la suite du psaume : « Je n'attenterai pas à mon serment, dit le Seigneur, je n'enfreindrai pas mon alliance et je ne révoquerai pas les paroles qui sortent de mes lèvres. J'ai une fois juré par ma sainteté; mentirai-je à David? » c'est-à-dire, non, je ne mentirai pas à David; locution familière à l'Écriture. Il ne mentira pas ? qu'est-ce à dire? « Sa race, ajoute-t-il, demeurera éternellement; son trône s'élèvera toujours devant moi comme le soleil, comme la lune dans une éternelle apogée, et comme le témoin fidèle de mon alliance dans les cieux. » [17,10] Après des assurances si certaines de cette sublime promesse, de peur qu'on ne la suppose accomplie en Salomon, et que cette espérance ne conduise à une recherche inutile, le Prophète s'écrie : « Mais vous, Seigneur, vous les avez rejetés et réduits au néant. » Car c'est ce qui est arrivé à l'égard du royaume de Salomon, dans ses descendants, jusqu'à la destruction de la Jérusalem terrestre, siége de son empire, et jusqu'à la ruine du temple même, ouvrage de Salomon. Mais pour détourner de Dieu le soupçon d'infidélité, il ajoute aussitôt : "Vous avez différé votre Christ." Ce Christ du Seigneur n'est donc ni Salomon, ni David lui-même, s'il est différé. En effet, bien que l'on appelle christs du Seigneur tous ces princes consacrés par ce chrême mystique, non seulement depuis le roi David et ses successeurs, mais depuis Saül lui-même, premier roi qui reçut l'onction sainte; car David lui-même l'appelle christ du Seigneur; il n'y a pourtant qu'un seul Christ véritable, que l'onction prophétique figure dans tous les autres. Ce Christ, selon l'opinion des hommes qui le supposaient en David ou en Salomon, était longuement différé; mais, selon l'ordre de la Providence de Dieu, il devait venir en son temps. Cependant le psaume nous apprend ensuite ce qui arrive de l'empire de la terrestre Jérusalem, où l'on attendait son règne, et il dit : « Vous avez brisé l'alliance de votre serviteur, vous avez profané son temple saint sur la terre, vous avez abattu ses remparts, et ses citadelles n'ont été qu'une vaine menace. Tous les passants l'ont pillé, et il est devenu l'opprobre de ses voisins. Vous avez élevé le bras de ses rivaux, vous avez comblé de joie tous ses ennemis. Vous avez émoussé la pointe de son glaive, et dans le combat vous lui avez dénié votre secours. Vous l'avez dépouillé de sa gloire et vous avez brisé son trône contre terre. Vous avez abrégé les jours de son règne, et vous l'avez couvert de confusion. » Tous ces désastres sont venus fondre sur la Jérusalem esclave, où toutefois règnent aussi quelques enfants de la Jérusalem libre, gardant cette royauté comme un dépôt temporaire, mais aspirant dans la vérité de leur foi à un autre royaume au sein de la Jérusalem céleste, leur mère, royaume qu'ils attendent dans le véritable Christ. Que si l'on veut apprendre comment ces événements se sont accomplis en ce royaume terrestre, il faut en demander le récit à l'histoire. [17,11] Et le Prophète fait de la prophétie suivante une prière, et cette prière même est une nouvelle prophétie : « Jusques à quand, Seigneur, détournerez-vous jusqu'à la fin? » Sous-entendu : « votre face. » Aussi il dit ailleurs : « Jusques à quand détournerez-vous de moi votre face? » C'est pourquoi quelques textes portent non pas : « Détournerez-vous » mais : « Vous détournerez-vous : » quoiqu'on puisse entendre : « Jusques à quand détournerez-vous votre miséricorde, cette miséricorde que vous avez promise à David? » « à la fin, » c'est-à-dire jusqu'à la fin. Cette fin, c'est le dernier temps où cette nation elle-même croira en Jésus-Christ; fin qui doit être précédée des désastres que le Prophète déplore. C'est pourquoi il ajoute : « Votre colère s'allumera comme un feu; souvenez-vous quelle est ma substance. » Substance ne peut mieux s'entendre ici que de Jésus lui-même, substance de ce peuple d'où il tire sa nature charnelle. « Car ce n'est pas en vain, dit le Prophète, que vous avez créé tous les enfants des hommes. » En effet, s'il n'était pas seul la substance d'Israël, ce Fils de l'homme qui doit être le libérateur de plusieurs enfants des hommes, en vain eussent été créés tous les enfants des hommes. Maintenant, il est vrai, par le péché du premier homme, la nature humaine est tombée de la vérité dans la vanité; et de là cette autre parole du Psalmiste : « L'homme est devenu semblable à la vanité; ses jours s'évanouissent comme l'ombre; » mais toutefois ce n'est pas en vain que Dieu a créé tous les enfants des hommes; car il en délivre plusieurs de la vanité, par le médiateur Jésus; et ceux que sa prescience n'a pas compris dans le salut, il les a créés pour l'utilité de ceux qu'il doit sauver, jaloux encore de mettre en relief le contraste des deux cités. Et ce n'est pas en vain que sur cet ordre très beau et très juste toute la création raisonnable repose. Le Psalmiste poursuit : « Quel est l'homme qui vivra sans connaître la mort? qui retirera son âme de la puissance de l'enfer ? » Quel est cet homme, sinon cette substance d'Israël, issue du sang de David, Jésus-Christ, dont l'Apôtre parle ainsi : "Se relevant d'entre les morts, il ne meurt plus, la mort n'a plus désormais d'empire sur lui. " Il vit, en effet, et il ne connaîtra pas la mort, et cependant il n'a pas laissé de mourir, mais il a retiré son âme de la puissance de l'enfer; car il est descendu dans les abîmes pour affranchir plusieurs des liens de leurs péchés : et il en a retiré son âme en vertu de cette puissance dont il dit dans l'Évangile : « J'ai le pouvoir de quitter mon âme, et j'ai le pouvoir de la reprendre. » [17,12] Quant à la fin de ce psaume : « Où sont, Seigneur, vos anciennes miséricordes, ces miséricordes que votre vérité a promises par serment à David? Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre de vos serviteurs; rappelez-vous ces outrages de tant de nations que j'ai dévorés dans mon sein, quand vos ennemis, Seigneur, me reprochaient le changement de votre Christ; » ces paroles sont-elles dites au nom des anciens Israélites qui attendaient de Dieu l'accomplissement de sa promesse, ou plutôt au nom des chrétiens, ces Israélites spirituels? Ceci, en effet, a été dit ou écrit à l'époque d'AEthan, dont le nom même est le titre de ce psaume; époque qui fut aussi celle de David. Ainsi il ne serait pas dit : « Où sont, Seigneur, vos anciennes miséricordes, ces miséricordes que votre vérité a promises par serment à David? » si le prophète ne personnifiait en lui-même ceux qui devaient venir plus tard, et pour qui le temps de ces promesses faites au roi David serait un temps ancien. On peut donc entendre ici les outrages des nations qui, en persécutant les chrétiens, leur reprochaient la passion de Jésus-Christ, appelée par l'Ecriture « changement, » parce qu'en mourant il est devenu immortel. Peut-être encore ce changement du Christ est-il reproché aux Israélites? Car celui qu'ils attendent comme leur Christ devient le Christ de tous. Et tel est le reproche des nations qui croient en lui par le Nouveau Testament, tandis qu'eux-mêmes demeurent dans l'ancienne Loi. Ainsi cette parole : « Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre de vos serviteurs, » se prendrait en ce sens, que, loin de les oublier, le Seigneur, compatissant à leur misère, doit après l'opprobre les attirer à leur tour à la foi. Mais le premier sens me paraît préférable; car ce n'est pas aux ennemis de Jésus-Christ, eux à qui l'on montre avec reproche le Christ les abandonnant pour passer aux Gentils, que cette parole pourrait convenir : « Seigneur, souvenez-vous de l'opprobre de vos serviteurs. » Est-ce donc ainsi qu'on appellerait ces Juifs? « serviteurs de Dieu : » ce nom n'appartient qu'aux fidèles qui, pour l'amour de Jésus-Christ, souffrant de cruelles afflictions, ont pu se souvenir du royaume céleste promis à la race de David, et, dans leur désir de ce royaume, s'écrier, sans se désespérer, mais de l'accent de celui « qui demande, qui cherche, et qui frappe : » — Où sont, Seigneur, vos anciennes miséricordes, ces miséricordes que votre vérité a promises par serment à David? Souvenez-vous, Seigneur, de l'opprobre de vos serviteurs! Rappelez-vous ces outrages de tant de nations, que j'ai dévorés dans mon sein, quand vos ennemis, Seigneur, me reprochaient le changement de votre Christ! » changement qu'ils prennent pour un anéantissement. Et que signifie : « Souvenez-vous, Seigneur, sinon ayez pitié, et, pour prix de ma patience dans l'humiliation, accordez-moi la gloire que votre vérité a, par serment, promise à David. Que si nous attribuons ces paroles aux Juifs, n'ont-ils pu les dire aussi, ces serviteurs de Dieu qui, après la prise de la Jérusalem terrestre et avant la nativité humaine de Jésus-Christ, emmenés en captivité, comprenaient bien par « le changement du Christ, » que ce n'était pas une félicité temporelle et qui pût rappeler celle des premières années du règne de Salomon, mais une félicité céleste et spirituelle, que leur foi devait attendre de lui; et quand l'ignorante infidélité des Gentils triomphait avec insulte de la captivité du peuple de Dieu, que faisait-elle autre chose que reprocher, sans savoir, à qui savait, le changement du Christ? Et c'est pourquoi les paroles suivantes, qui terminent ce psaume : « que la bénédiction du Seigneur demeure éternellement; ainsi soit-il, ainsi soit-il ! » peuvent convenir à tout le peuple de Dieu, à tous les citoyens de la Jérusalem céleste, soit à l'égard des justes cachés dans l'ombre du Vieux Testament, soit à l'égard des fidèles que la révélation du Testament Nouveau nous montre appartenant à Jésus-Christ. Car la bénédiction du Seigneur sur la race de David ne se mesure pas, à un certain temps, à celui des jours heureux de Salomon, mais nous la devons croire éternelle, et c'est dans la certitude de cette espérance que le Psalmiste s'écrie : « Ainsi soit-il ! ainsi soit-il ! » La répétition de cette parole est la confirmation de cette espérance. David le sait bien; aussi dit-il au second livre des Rois, qui nous a conduits à cette digression du psaume « Vous avez parlé pour longtemps en faveur de la maison de votre serviteur; » et un peu après : « Commencez donc maintenant et bénissez à jamais la maison de votre serviteur; » car alors il allait être père d'un fils destiné à perpétuer sa race jusqu'à Jésus-Christ, par qui sa maison, la maison de Dieu devait être éternelle; maison de David, à cause de la race de David; maison de Dieu, à cause du temple de Dieu, composée d'hommes et non de pierres; où le peuple doit habiter éternellement avec son Dieu et en son Dieu, et Dieu avec son peuple et en son peuple; en sorte que Dieu remplisse son peuple, et que le peuple soit plein de son Dieu, lorsque Dieu sera tout en tous, Dieu notre force dans la guerre et notre récompense dans la paix. Aussi Nathan ayant dit : « Et le Seigneur t'annonce que tu lui bâtiras une maison, » David ajoute : « Seigneur Tout-Puissant, Dieu d'Israël, vous avez fait une révélation à votre serviteur, en lui disant : Je te bâtirai une maison. » Nous bâtissons cette maison en vivant bien, et Dieu la bâtit aussi en nous aidant à bien vivre; car, « si le Seigneur ne bâtit lui-même la maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent; » et quand sera venu le temps de la dernière dédicace de l'édifice, alors s'accomplira ce que Dieu annonce par Nathan : Et j'assignerai une demeure à Israël, mon peuple, et là il prendra racine, et il habitera à part, et rien ne troublera plus son repos. Et le fils de l'iniquité ne viendra plus l'opprimer, comme aux temps anciens, alors que j'établis des juges sur Israël mon peuple. » [17,13] Mais attendre un si grand bien dans le temps et sur la terre, est une folie. Ira-t-on s'imaginer que la paix du règne de Salomon l'ait réalisé? Et l'Écriture n'exalte cette paix que comme figure de l'avenir. N'a-t-elle pas déjà prévenu avec vigilance cette fausse conjecture, quand, après avoir dit : « Et le fils de l'iniquité ne viendra plus l'opprimer; » elle ajoute aussitôt : "comme aux temps anciens, alors que j'établis des juges sur Israël, mon peuple". En effet, avant les rois, des juges gouvernaient ce peuple, depuis le jour de son établissement dans la terre promise. Et assurément il essuyait de la part du fils de l'iniquité, c'est-à-dire de l'étranger ennemi, de fréquentes humiliations dans ces alternatives de paix et de guerre, qui présentent toutefois des périodes de paix plus longues que celle des quarante années du règne de Salomon. N'y eut-il pas, sous le juge Aod, quatre-vingts ans de paix? Gardons-nous donc de croire que cette prédiction regarde l'époque de Salomon, moins encore celle d'aucun autre roi; car nul n'a régné dans une si longue tranquillité, et, d'autre part, l'empire de cette nation n'a jamais été si puissant qu'elle fût sans crainte du joug ennemi. Et jamais l'instabilité des choses humaines laissa-t-elle à aucun peuple une sécurité assez profonde pour défier ces invasions fatales à l'humanité? Le lieu promis, cette demeure si paisible et si sûre, est donc un lieu éternel, et qui est dû à des habitants éternels, au sein de notre mère, la Jérusalem libre; là règnera, en vérité, le peuple d'Israël, le peuple « voyant Dieu. » Jaloux d'une telle récompense, vivons par la foi d'une vie sainte, en ce douloureux pélerinage. [17,14] La Cité de Dieu poursuit donc son cours dans le temps, David règne d'abord dans la Jérusalem terrestre, ombre de l'avenir. Or David était savant dans l'art du chant, amant de l'harmonie, non pour un vulgaire plaisir, mais dans une intention de foi. Il offrait à son Dieu, au Dieu véritable, l'hommage de ses mystérieux cantiques ; car l'accord juste et mesuré entre des sons divers représente par cette union dans la variété l'harmonie de l'état social. Sa prophétie est presque tout entière contenue dans ce recueil de cent cinquante psaumes que nous appelons le Psautier. De ces psaumes, suivant quelques-uns, ceux-là seuls seraient de David, qui portent son nom ; d'autres ne lui attribuent que les psaumes intitulés : « de David, » et prétendent que ce titre « à David » exprime une oeuvre étrangère, appropriée à sa personne. Sentiment réfuté par le Sauveur lui-même dans l'Évangile, quand il dit que David appelle en esprit le Christ, son Seigneur, au début du psaume cent neuvième : "Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie fait de vos ennemis votre marchepied". Or, comme la plupart des psaumes, celui-ci n'a pas pour titre : « de David, mais : « à David. C'est donc, à mes yeux, l'opinion la plus probable, qui, lui attribuant ces cent cinquante psaume, suppose un sens figuratif à ces noms étrangers dont plusieurs sont intitulés, et une autre raison dans l'absence de tout nom : disposition différente que le Seigneur lui a inspirée, pleine d'obscurité, mais pleine de mystères ; et il ne faut pas opposer à l'adoption de ce sentiment les noms de quelques prophètes postérieurs à David, qu'on lit en tête de plusieurs psaumes, où ces prophètes eux-mêmes semblent parler. L'esprit de prophétie n'a-t-il pu révéler au roi David les noms de ces prophètes à venir, et lui inspirer de prophétiques allusions à leurs personnes ? Ainsi le roi Josias, qui doit naître et régner trois cents ans plus tard, est annoncé à un antique prophète qui révèle, avec son nom, ses actions futures. [17,15] Maintenant, sans doute, on attend de moi que j'explique ici ce que David a prédit dans ses psaumes de Notre-Seigneur Jésus-Christ ou de son Église. Mais, si je n'accorde pas à l'attente générale cette explication qu'elle semble me demander, et que j'ai déjà donnée d'un psaume, c'est plutôt à l'abondance qu'à la pénurie de la matière qu'il faut s'en prendre : car la crainte de la prolixité m'interdit une exposition complète; d'autre part, un choix de certains passages pourrait me faire accuser par les connaisseurs d'omettre les plus nécessaires : et puis un témoignage que l'on produit doit s'appuyer sur le texte entier du psaume; en sorte que, si tout ne le confirme, rien du moins ne le désavoue. Autrement, notre oeuvre ressemblerait à un recueil de centons ou à des vers rétrogrades, d'où l'on exprime, par une application détournée, un sens tout à fait étranger à leur sens naturel. Mais, pour établir ce rapport des différentes parties du psaume avec le témoignage invoqué, il faut expliquer le psaume tout entier : travail immense! nos propres ouvrages sur ce sujet, et ceux des autres en font foi. Lise qui voudra ou qui pourra. On est certain d'y trouver tout ce que David le roi-prophète a prédit de sublime sur Jésus-Christ et son Église, c'est-à-dire sur le roi et la cité qu'il a fondée. [17,16] Car, quelle que soit, en toute chose, la propriété et la clarté des expressions prophétiques, il s'y mêle nécessairement certaines locutions figurées qui, lorsqu'il s'agit de les traduire aux esprits plus lents, fournissent aux savants un laborieux texte de discussions et de commentaires. Il en est cependant qui, à la première vue, désignent Jésus-Christ et l'Église, quoiqu'il y reste toujours quelque chose de moins intelligible, qui veut être expliqué à loisir. Tel est ce passage des psaumes : « Mon coeur a exhalé une parole heureuse, je dédie mes oeuvres à mon roi; ma langue est la plume d'un écrivain rapide. Vous êtes le plus beau entre les enfants des hommes; la grâce est répandue sur vos lèvres, c'est pourquoi Dieu vous a béni à jamais. O Tout-Puissant, que votre glaive soit votre ceinture et repose sur votre cuisse; doué de tant de grâce et de beauté, allez, décidez ; à vous le succès et l'empire. La vérité, la douceur et la justice sont avec vous, et votre puissance vous guidera à la trace de vos miracles. Que vos flèches sont aiguës et terribles! Elles perceront le coeur des ennemis du roi et les peuples tomberont à vos pieds. Votre trône, ô Dieu, est un trône éternel, le sceptre de votre empire est un sceptre de justice; vous avez aimé la justice et haï l'iniquité; c'est pourquoi votre Dieu, ô Dieu, vous a sacré, de préférence à tous vos compagnons, d'une huile d'allégresse; la myrrhe, l'aloès et le romarin s'exhalent de vos vêtements, de vos palais d'ivoire; et ces parfums, au jour de votre gloire, vous ont gagné le coeur des filles des rois. Quel esprit assez attardé pour ne pas reconnaître ici le Christ que nous annonçons, en qui nous croyons ? qui ne le reconnaît en « ce Dieu dont le trône est un trône éternel ; » ce Dieu qui reçoit de Dieu l'onction que Dieu donne, celle du chrême spirituel et intelligible ? Et quel homme assez étranger à cette religion, ou assez sourd au bruit de sa vaste et lointaine renommée, pour ignorer que le Christ doit son nom au chrême, à l'onction sainte? Or, le Christ étant reconnu roi, qu'entendre par ces expressions métaphoriques : « Il est beau entre tous les enfants des hommes, » d'une beauté d'autant plus digne d'amour et d'admiration qu'elle est moins corporelle? qu'entendre par son glaive et ses flèches? Étudie à loisir ces questions, tout sujet de ce prince qui règne selon la vérité, la douceur et la justice. Et maintenant portons nos regards sur son Église, cette épouse unie à ce sublime époux par les liens d'un mariage spirituel et d'un divin amour. C'est d'elle que sont dites les paroles suivantes : « La reine s'est tenue à votre droite, dans un vêtement tissu d'or et de broderie. Écoute, ma fille, vois et prête l'oreille : oublie ton peuple et la maison de ton père, car le roi est épris de ta beauté, et il est le Seigneur ton Dieu. Et les filles de Tyr t'adoreront avec des offrandes; et les riches du peuple s'inclineront devant ta face. Toute la gloire de cette fille du roi est intérieure, elle est vêtue d'une robe à franges d'or, et d'une riche broderie. On amènera au roi les vierges de sa suite; ses plus chères compagnes vous seront amenées dans la joie et l'allégresse : elles seront amenées dans le temple du roi. A la place de vos pères, il vous est né des fils; vous les établirez princes sur toute la terre. Ils se souviendront de votre nom, Seigneur, dans la suite des générations; c'est pourquoi les peuples vous glorifieront éternellement, et dans tous les siècles des siècles". Nul n'est assez insensé, je pense, pour croire que les traits de cette prédiction se rapportent à une simple femme, l'épouse de celui à qui l'on a dit : « Votre trône, ô Dieu, est un trône éternel; le sceptre de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice et haï l'iniquité; c'est pourquoi votre Dieu, ô Dieu, vous a sacré, de préférence à tous vos compagnons, d'une huile d'allégresse. » N'est-ce pas Jésus-Christ qui est sacré par excellence? Ceux-là sont les compagnons de sa gloire, qui, par leur concorde universelle, forment cette reine qu'un autre psaume appelle « la Cité du grand roi. C'est la Sion spirituelle, dont le nom signifie « Contemplation. » Elle contemple, en effet, le souverain bien du siècle futur; bien où tendent toutes ses pensées. C'est aussi la Jérusalem spirituelle, dont nous avons déjà tant parlé; son ennemie est la cité du Diable, Babylone, ou « Confusion. » C'est la génération qui, chez tous les peuples, délivre notre reine du joug de Babylone : elle passe alors du plus méchant au meilleur des rois, du diable à Jésus-Christ; aussi lui est-il dit : « Oublie ton peuple et la maison de ton père. » A cette cité impie appartiennent les Israélites de chair et non de foi, et ils sont les ennemis du grand roi et de sa reine; car le Christ, venu vers eux, et qu'ils mettent à mort, est plutôt le christ de ceux qu'il n'a pas vus dans sa chair. Et notre roi lui-même dit en prophétie dans un psaume : « Vous me délivrerez des révoltes de ce peuple, vous m'établirez chef des nations. Un peuple que je ne connaissais pas m'a servi; à peine entend-il parler de moi qu'il m'obéit. » Ce peuple des Gentils que le Christ n'a pas connu pendant sa vie temporelle, et qui néanmoins croit en lui sur les témoignages qui l'annoncent, justifiant cette parole : « A peine entend-il parler de moi, qu'il m'obéit; parce que la foi vient de l'ouïe : ce peuple, dis-je, réuni aux vrais Israélites selon la chair et selon la foi, forme la Cité de Dieu, qui engendra aussi le Christ selon la chair, quand elle n'était que dans ces premiers Israélites; cité qui donna naissance à la vierge Marie, dans le sein de laquelle le Christ a pris chair pour devenir homme ; cité dont un autre psaume dit : « Sion est notre mère, dira l'homme ; et l'homme fut fait en elle, et le Très-Haut lui-même l'a fondée. » Quel est ce Très-haut, sinon Dieu? et par conséquent le Christ, Dieu avant de devenir par Marie homme de cette cité; le Christ l'a fondée lui-même dans les patriarches et les prophètes ; et comme il a été prédit si longtemps auparavant à la cité reine, ce que nous voyons maintenant accompli : « à la place de vos pères il vous est né des fils, vous les établirez princes sur toute la terre : » c'est en effet parmi ses fils que sont choisis les princes sur toute la terre, car les peuples accourent à elle, la saluant par des hymnes de gloire au siècle des siècles; sans aucun doute, ce peu d'obscurité que présentent ici ces expressions figurées, quelque sens qu'on leur prête, doit s'accorder avec des faits si évidents. [17,17] Et dans cet autre psaume, où le sacerdoce de Jésus-Christ est déclaré hautement, comme ici sa royauté : « Le Seigneur dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie fait de vos ennemis votre marche-pied ; Jésus-Christ assis à la droite de son père, c'est la foi et non les yeux qui le voient ; et ses ennemis abattus sous ses pieds, c'est un spectacle que la fin nous révélera et qui n'est visible aujourd'hui que pour la foi. Mais ce qui suit : « Le Seigneur retirera de Sion le sceptre de votre puissance, dominez au milieu de vos ennemis, » est si clair qu'il y aurait non seulement incrédulité et malheur, mais encore impudence à le nier ; car, de l'aveu de nos ennemis mêmes, la loi de Jésus-Christ, que nous appelons l'Evangile, est sortie de Sion, et cette loi, nous la reconnaissons pour le sceptre de sa puissance. Et quant à sa domination au milieu de ses ennemis, ceux-là parmi lesquels il domine l'attestent par des grincements de dents, par le dépit qui les consume, par le désespoir de leur impuissance. Le Prophète continue : « Le Seigneur a juré, et ne se repentira pas; » paroles qui annoncent l'immutabilité de cette disposition future : « Vous êtes le prêtre éternel, selon l'ordre de Melchisédech, » depuis qu'il n'y a plus nulle part ni sacerdoce ni sacrifice selon l'ordre d'Aaron, et que l'on offre partout, sous le pontificat suprême de Jésus-Christ, l'offrande de Melchisédech bénissant Abraham : est-il permis de douter à qui tout ceci se rapporte ? Bien entendu, les passages obscurs du même psaume se rattachent à ceux dont l'évidence est manifeste : et tel est le mode d'interprétation que nous avons suivi dans nos sermons populaires. Ainsi le Christ prophétise les humiliations de sa passion, quand il dit dans un autre psaume : « Ils ont percé mes mains et mes pieds ; ils ont compté tous mes os ; ils m'ont considéré et regardé; » ces paroles montrent évidemment son corps étendu sur la croix, ses mains et ses pieds fixés et traversés par les clous, et le spectacle qu'il donne à la curiosité de ses ennemis; et il ajoute : « Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté ma robe au sort. Comment s'accomplit cette prophétie, l'histoire évangélique l'atteste. Ces traits si frappants répandent la lumière sur les passages plus obscurs, et leur convenance parfaite éclaire l'intelligence; quand surtout il s'agit non plus de croire des faits accomplis, mais de voir ceux qui s'accomplissent sous nos yeux; ainsi, tout ce que le même psaume a prédit tant de siècles à l'avance, et dont aujourd'hui le monde est témoin : « Toutes les parties de la terre, jusqu'à ses extrémités, se souviendront du Seigneur et se convertiront à lui. Et toutes les nations se prosterneront en sa présence, car l'empire appartient au Seigneur, et il dominera sur toutes les nations. » [17,18] Les oracles des psaumes ne se taisent pas non plus de la Résurrection. Et quel autre sens peut avoir ce passage du psaume trois, où il est dit de lui : « Je me suis endormi et j'ai sommeillé ; et je me suis relevé, parce que le Seigneur s'est emparé de moi. » Qui serait assez insensé pour croire que le Prophète veuille nous annoncer, comme une grande merveille, qu'il a dormi et qu'il s'est éveillé, si ce sommeil n'était la mort, et ce réveil la résurrection de Jésus-Christ, qui devait être aussi prophétisée ? Et le psaume quarantième en parle plus clairement encore, lorsqu'en la personne du Médiateur, le Prophète, selon sa coutume, raconte comme passés les événements à venir qu'il prédit, les événements futurs étant comme accomplis dans la prédestination et la prescience de Dieu, parce qu'ils sont certains. « Mes ennemis, dit leProphète, se sont répandus en imprécations contre moi : Quand mourra-t-il, et quand périra son nom? Et s'il entrait pour me voir, des paroles de mensonge sortaient de ses lèvres ; il débordait d'iniquité ; à peine était-il dehors qu'il conspirait avec les autres ; tous mes ennemis murmuraient contre moi; ils préméditaient ma perte; ils préparaient leurs perfides desseins. Celui qui dort ne se réveillera-t-il pas? » paroles qu'il faut entendre comme si le Prophète disait : « Celui qui est mort ne revivra-t-il pas? » En effet, ce qui précède prouve que ses ennemis avaient prémédité sa mort, et que cette trame était conduite par l'homme qui entrait pour voir et qui sortait pour trahir. Or à qui ne se présente ici le disciple traître, Judas ? Et comme ils devaient accomplir leur dessein, c'est-à-dire le mettre à mort, montrant que leur vaine cruauté serait déjouée par sa résurrection, il semble dire : Que faites-vous, insensés ! crime pour vous, ce n'est que sommeil pour moi : « celui qui dort ne se réveillera-t-il pas ? » Et cependant un tel forfait ne sera pas commis impunément; le passage suivant l'atteste : « L'homme de mon intimité, en qui j'avais mis ma confiance, qui partageait mon pain, celui-là a levé son talon sur moi ; » c'est-à-dire, m'a foulé aux pieds : « mais vous, Seigneur, ayez pitié de moi, ressuscitez-moi, et je me vengerai d'eux. » Niera-t-on la vérité de cette menace, quand, après la passion et la résurrection de Jésus-Christ, on voit les Juifs exterminés de leur pays par le fer et le feu ? Celui qu'ils ont mis à mort est ressuscité, et il les a frappés d'un châtiment temporel, sans préjudice des peines qu'il réserve à leur impénitence lorsqu'il jugera les vivants et les morts. Car Notre-Seigneur Jésus lui-même, désignant le traître à ses apôtres par le pain qu'il lui présente, rappelle ce verset du psaume, et dit qu'il s'accomplit en lui : « L'homme qui partageait mon pain a levé son talon sur moi. » Quant à cette parole : « en qui j'avais mis ma confiance, » elle s'applique non au chef, mais au corps ; car le Sauveur connaissait bien celui dont il avait déjà dit : « L'un de vous est le diable ; » mais il a coutume de personnifier en soi ses membres, et de s'approprier ce qui les regarde, parce que le chef et le corps ne sont qu'un seul Christ. Et de là ce mot de l'Evangile : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger, » ce qu'il explique ainsi : « Quand vous le faites au moindre des miens, c'est à moi que vous le faites. Il s'attribue donc à lui-même l'espérance que ses disciples avaient conçue de Judas quand il fut mis au nombre des apôtres. Or les Juifs assurent que le Christ qu'ils attendent ne doit pas mourir. Ils se flattent donc que celui qu'ont annoncé la Loi et les prophètes n'est pas pour nous, mais un Christ pour eux seuls qu'ils se figurent exempt de la mort. Aussi, par un prodige de folie et d'aveuglement, ils soutiennent que les paroles précédentes expriment, non pas la mort et la résurrection, mais le sommeil et le réveil. Quoi! n'entendent-ils pas ce cri du psaume quinzième : « Mon coeur a été comblé de joie, ma langue s'est répandue en hymnes d'allégresse, et ma chair reposera dans l'espérance; parce que vous ne délaisserez pas mon âme dans l'enfer, et que vous ne souffrirez point que votre Saint passe par la corruption. » Qui oserait dire que sa chair a reposé dans l'espérance ; que son âme, retirée de l'enfer, est venue soudain ranimer cette chair; et quel autre parlerait ainsi, que celui qui est ressuscité le troisième jour ? Et cela ne peut s'entendre du roi-prophète; car le psaume soixante-septième crie : « Notre Dieu est le Dieu qui sauve, et le Seigneur lui-même connaît les issues de la mort. » Quoi de plus clair ? car le Dieu qui sauve est Notre-Seigneur Jésus, c'est-à-dire « Sauveur » ou « salutaire. » Et telle est l'interprétation qui fut donnée avant qu'il sortît du sein de la Vierge : « Tu enfanteras un fils, et tu le nommeras Jésus, car il sauvera son peuple de l'esclavage du péché. » Et comme il a versé son sang pour la rémission des péchés, il n'a pu sortir de cette vie par une autre issue que la mort. Et c'est pourquoi, après cette parole : « Notre Dieu est le Dieu qui sauve, » vient aussitôt celle-ci : « Et le Seigneur lui-même connaît les issues de la mort, » c'est-à-dire qu'en mourant il devait sauver. "Et le Seigneur" est un cri de surprise, c'est-à-dire telle est la vie des mortels, que le Seigneur lui-même n'en peut sortir autrement que par la mort. [17,19] Mais, pour que les Juifs refusent de se rendre aux témoignages manifestes de cette prophétie, même après la sanction des faits, si claire et si certaine, c'est qu'en eux assurément s'accomplit la prédiction du psaume suivant. Car, après ces paroles prophétiques où le Christ retrace sa passion, le psaume signale cette circonstance réalisée dans l'Évangile : « A ma faim ils ont présenté du fiel : et, dans ma soif, ils m'ont abreuvé de vinaigre. » Et, après ce dérisoire festin, il ajoute bientôt : "Que leur table, en récompense, leur devienne un piége et une pierre d'achoppement ! Que leurs yeux s'obscurcissent, afin qu'ils ne voient pas; que leur dos se courbe à jamais". Paroles qui expriment, non pas un souhait, mais une prophétie sous forme de souhait. Quelle merveille donc qu'ils soient aveugles à l'évidence, quand leurs yeux sont obscurcis afin qu'ils ne voient pas? Quelle merveille qu'ils ne lèvent pas leurs regards vers le ciel, quand leur dos se courbe incessamment afin qu'ils se penchent vers la terre ? Figures empruntées au corps, qui marquent les vices de l'âme. Arrêtons-nous, c'en est assez sur la prophétie du roi David; que les lecteurs qui savent tout ceci me pardonnent, et, s'ils remarquent ou soupçonnent ici l'omission de circonstances plus importantes, qu'ils ne se plaignent pas de moi. [17,20] David régna donc dans la Jérusalem terrestre : fils de la Jérusalem céleste, à qui la parole de Dieu rend un glorieux témoignage; car sa piété sut tellement triompher de ses crimes par les salutaires humiliations de la pénitence, qu'il est certainement de ceux dont il dit lui-même : Heureux celui de qui les iniquités sont pardonnées, et les péchés couverts! Après lui, règne, sur ce même peuple encore uni, son fils Salomon, qui, je le répète, commença d'être roi du vivant de son père. La fin de ce règne démentit les espérances du commencement. Car la prospérité, accablant fardeau pour l'âme sage, devint plus funeste à ce roi que n'avait été profitable cette sagesse vantée de siècle en siècle, et dont la renommée dès lors se répandait sur toute la terre. Ce prince est aussi reconnu comme prophète dans ses trois livres, que l'Église investit de l'autorité canonique : Les Proverbes, l'Ecclésiaste et le Cantique des cantiques. Quant aux deux autres, la Sagesse et l'Ecclésiastique, l'usage, sur certaines ressemblances de style les a fait attribuer à Salomon; mais les savants demeurent d'accord qu'ils ne sont pas de lui. L'Église toutefois, surtout celle d'Occident, les a dès longtemps autorisés. Dans l'un d'eux, intitulé la Sagesse de Salomon, la passion du Christ est très clairement annoncée; les bourreaux, dans la rage de leur impiété, y parlent ainsi : « Opprimons le juste, car il nous est fâcheux; il est contraire à nos oeuvres; il nous reproche nos infractions à la loi, et il note d'infamie les crimes de notre vie. Il assure qu'il a la science de Dieu, et il se nomme son Fils. Il s'érige en interprète de nos pensées. Sa vie même nous est à charge; car sa vie est différente des autres, et ses voies sont étranges; il nous regarde comme des fous, et il s'éloigne de nos sentiers comme d'une impureté. Il exalte la mort des justes, et il se glorifie d'avoir Dieu pour Père. Voyons donc si ses paroles sont vraies : attendons ce qui doit lui arriver, et sachons quelle sera sa fin. Car, s'il est véritablement le Fils de Dieu, Dieu prendra sa défense et le délivrera des mains de ses ennemis. Soumettons-le à l'opprobre et aux supplices, afin de connaître sa modération et d'éprouver sa patience. Condamnons-le à la mort la plus honteuse; il sera jugé d'après ces paroles. Telles ont été leurs pensées, et ils se sont égarés, car leur malice les a aveuglés. » Et dans l'Ecclésiastique, la foi future des Gentils est prédite en ces termes : « Ayez pitié de nous, Seigneur, Souverain maître de tous les hommes, inspirez votre crainte à tous les peuples. Étendez votre main sur les nations étrangères; qu'elles reconnaissent votre puissance; et comme devant elles vous êtes sanctifié en nous, soyez en elles glorifié devant nous, et qu'elles reconnaissent, comme nous, qu'il n'est pas d'autre Dieu que vous, Seigneur. Ces prophéties, sous forme de souhait et de prière, nous les voyons accomplies par Jésus-Christ; mais, n'étant pas comprises dans le canon des Juifs, elles ont moins de force contre l'obstination des incrédules. Quant aux trois livres qui, sans contredit, sont de Salomon, et que les Juifs reconnaissent pour canoniques, rapporter à Jésus-Christ et à son Église tous les traits semblables que l'on y trouve ce serait s'engager dans une pénible discussion, qui maintenant nous entraînerait plus loin qu'il ne faut. Cependant ce discours des impies dans les Proverbes : « Enfouissons injustement le juste en terre; engloutissons-le comme l'enfer engloutit un vivant ; abolissons sa mémoire de dessus la terre; emparons-nous de son précieux héritage; » n'est pas tellement obscur qu'on ne puisse se passer d'un laborieux commentaire pour l'entendre de Jésus-Christ et de l'Église son héritage. Car Notre-Seigneur Jésus lui-même, dans une parabole évangélique, met quelques paroles semblables dans la bouche des mauvais vignerons : "Voici l'héritier : venez, tuons-le, et l'héritage est à nous". Et le passage du même livre que nous avons cité précédemment au sujet de la femme stérile, mère de sept enfants, n'a jamais été compris que de Jésus-Christ et de son Église, par quiconque sait que Jésus-Christ est la sagesse de Dieu : « La Sagesse s'est bâtie une maison, et l'a appuyée sur sept colonnes. Elle a immolé ses victimes, mêlé son vin dans la coupe, et préparé sa table. Elle a envoyé ses serviteurs conviant à haute voix au partage de sa coupe : Qui n'est pas sage, vienne à moi. Elle dit aux pauvres de raison: Venez manger de mon pain, et buvez le vin que j'ai mêlé pour vous. » Ici, nous reconnaissons avec certitude que la sagesse de Dieu, le Verbe coéternel au Père, s'est bâti dans le sein d'une Vierge une maison vivante, un corps humain; qu'il y a joint l'Église, comme les membres à la tête; qu'il a offert en sacrifice l'immolation des martyrs ; qu'il a préparé le banquet du pain et du vin, symboles où apparaît aussi le sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech; qu'il a convié les insensés et les pauvres de raison; car, dit l'Apôtre, Dieu a choisi la faiblesse selon le monde pour confondre la force. » Cependant, à ces faibles, la Sagesse dit ensuite : Renoncez à la folie, afin de vivre, et cherchez la sagesse, afin d'avoir la vie; » or, participer à sa table, c'est commencer d'avoir la vie. Et par cette parole de l'Ecclésiaste : Il n'y a de bien pour l'homme que ce qu'il boit et mange, » que faut-il entendre, sinon la participation à cette table où le souverain prêtre et médiateur du nouveau Testament, nous donne selon l'ordre de Melchisédech son corps et son sang? En effet, ce sacrifice succède à tous les sacrifices de l'ancienne Loi, ombres de celui qui devait s'offrir un jour. Aussi reconnaissons-nous, au psaume trente-neuvième, la voix du même Médiateur parlant en prophétie : « Vous n'avez pas voulu de victime ni d'offrande, mais vous m'avez donné un corps; » car, pour tout sacrifice et pour toute offrande, son corps est offert et servi à ceux qui y participent. Dans cette fréquente invitation à manger et à boire, ce ne sont pas des aliments charnels que l'Ecclésiaste offre aux plaisirs des sens, comme l'atteste assez clairement ce passage où il dit : « Mieux vaut aller à une maison de deuil qu'à une maison de festin ; » et un peu après : « Le coeur des sages est dans la maison de deuil, et le coeur des insensés dans la maison de débauche. » Mais je veux plutôt citer de ce livre ce qui regarde les deux cités et leurs rois, le diable et Jésus-Christ : "Malheur à toi, dit-il, terre, dont le roi est un jeune homme et dont les princes mangent dès le matin! Terre heureuse, dont le roi est fils des hommes libres, et dont les princes mangent en temps convenable, sans impatience et sans confusion!" Ce jeune homme, c'est le diable : il l'appelle jeune à cause de la folie, de l'orgueil, de la témérité, de l'insolence et des autres vices d'ordinaire si nombreux à cet âge ; mais Jésus-Christ est le fils des hommes libres, c'est-à-dire des saints patriarches, citoyens de la cité libre, dont il est issu selon la chair. Les princes de l'autre cité mangent dès le matin, avant l'heure convenable, parce qu'ils n'attendent pas la vraie félicité, la félicité du siècle futur, dans leur impatient désir des bruyantes joies du siècle présent; tandis que les princes de la cité du Christ attendent en patience le temps d'une félicité sincère. C'est ce qu'il exprime par ces paroles : "sans impatience et sans confusion". Car ce n'est pas une fausse espérance, celle dont l'Apôtre dit : "L'espérance ne confond pas". Tous ceux qui t'attendent, dit encore le psaume, ne seront pas confondus. Quant au Cantique des cantiques, c'est comme un transport de volupté spirituelle des saintes âmes, aux noces du roi et de la reine de cette cité, c'est-à-dire Jésus-Christ et son Église. Mais cette volupté est enveloppée d'allégories pour donner plus d'aiguillons au désir de la connaître et au plaisir de la dévoiler, et afin que paraissent l'époux et l'épouse : l'un, à qui il est dit au même Cantique : « L'équité te chérit : » l'autre à qui s'adressent ces paroles : « La charité fait tes délices. » Combien de traits semblables nous passons sous silence, pour arriver au terme de cet ouvrage ! [17,21] Les autres rois des Hébreux, successeurs de Salomon, soit en Juda, soit en Israël, offrent à peine, sous le voile de leurs paroles ou de leurs actions, quelques traits relatifs à Jésus-Christ et à son Église. On appela Israël et Juda les deux parties de ce peuple, depuis que la justice de Dieu l'eût divisé, à cause du péché de Salomon, sous le règne de son fils Roboam, qui succéda au trône paternel. Les dix tribus qui échurent en partage à Jéroboam, l'esclave de Salomon, proclamé roi dans Samarie, s'approprièrent le nom d'Israël, quoique ce fût le nom de tout le peuple. Les deux tribus, Juda et Benjamin, qui, en considération de David, dont Dieu ne voulait pas abolir entièrement la royauté, étaient demeurées dans la dépendance de Jérusalem, s'appelèrent Juda, car Juda était la tribu de David. L'autre tribu, celle de Benjamin, appartenant au même royaume, était la tribu du roi Saül, prédécesseur de David. Ces deux tribus, je le répète, s'appelaient ensemble Juda, et se distinguaient ainsi d'Israël, nom particulier des dix tribus qui avaient leur roi. La tribu sacerdotale de Lévi, vouée au service de Dieu, et non des rois, était comptée comme la treizième; car Joseph, l'un des douze fils d'Israël, fut l'auteur non d'une seule tribu, comme chacun de ses autres frères, mais de deux, celles d'Ephrem et de Manassé. Toutefois la tribu de Lévi appartenait plutôt au royaume de Jérusalem, à cause du temple de Dieu, où elle exerçait ses fonctions. Donc, après la division du peuple, Roboam, roi de Juda et fils de Salomon, règne le premier dans Jérusalem ; Jéroboam, roi d'Israël, esclave de Salomon, dans Samarie; et lorsque Roboam veut venger comme une usurpation tyrannique le schisme du royaume, Dieu prévient l'effusion du sang fraternel, déclarant par son Prophète que lui-même est l'auteur de ce partage. Ainsi ni le roi ni le peuple d'Israël n'en étaient coupables : seulement la volonté vengeresse de Dieu était accomplie. Cette révélation maintint la paix entre les deux parties : car ce n'était qu'une division de royaume, non de religion. [17,22] Mais le roi d'Israël, qui dans son délire ne veut plus croire à Dieu qu'il a pourtant trouvé fidèle, ayant reçu de lui la couronne promise, Jéroboam craint qu'en venant au temple dans Jérusalem, où, selon la loi divine, tout le peuple était obligé de se rendre pour sacrifier, ses sujets séduits par Roboam ne rentrent dans l'obéissance de la race de David, race des rois légitimes. Il établit donc l'idolâtrie en son royaume, détestable impiété! engageant avec lui le peuple de Dieu dans les liens du culte des idoles. Cependant, Dieu ne se lassa pas de reprendre par ses prophètes, et ce prince et ses successeurs, imitateurs de son impiété, et le peuple lui-même. Car c'est en Israël,que s'élevèrent ces grands prophètes, célèbres par tant de miracles, Élie, et Élisée, son disciple. C'est en Israël qu'Elie disant à Dieu : "Seigneur, ils ont mis à mort vos prophètes, ils ont renversé vos autels; je suis demeuré seul, et ils me cherchent pour prendre ma vie" : il lui fut répondu qu'il y avait encore sept mille hommes qui n'avaient pas fléchi le genou devant Baal. [17,23] Et Juda, dépendant de Jérusalem, ne manqua pas non plus de prophètes, selon qu'il plaisait à Dieu de les envoyer, soit pour annoncer ce qu'il fallait annoncer, soit pour reprendre les crimes et recommander la justice. Car, en Juda, bien plus rarement, il est vrai, qu'en Israël, il se trouve des rois dont les impiétés offensent Dieu et attirent sur eux et sur le peuple qui leur ressemble des châtiments modérés. Mais aussi ce ne sont pas de faibles mérites qui recommandent les princes pieux de Juda, tandis que les rois d'Israël, plus ou moins, ne sont tous que des réprouvés. C'était donc de part et d'autre, selon l'ordre ou la permission de la divine Providence, une continuelle alternative de bonne et de mauvaise fortune; c'était non seulement le fléau des guerres étrangères, mais encore celui des guerres civiles, et les causes évidentes de ces diverses fortunes publiaient tour à tour la miséricorde ou la justice de Dieu, jusqu'à ce qu'enfin sa fureur déborde, et la nation tout entière, vaincue par les Chaldéens et arrachée de ses foyers, est en partie emmenée captive en Assyrie : d'abord les dix tribus d'Israël; puis Juda lui-même, après la ruine de Jérusalem et de son temple si célèbre. Soixante-dix ans s'écoulèrent dans les langueurs de la servitude; après quoi, rendus à la liberté, les Juifs relevèrent les ruines du temple. Et quoique plusieurs habitassent les contrées étrangères, cependant ils ne furent plus désormais divisés en deux royaumes soumis à deux rois, ils n'eurent plus qu'un seul roi à Jérusalem; et tous, où qu'ils fussent, si loin qu'ils fussent, ils se rendaient au temple de Dieu, dans Jérusalem. Et toutefois, à cette époque même, ils ne manquèrent ni d'ennemis ni d'oppresseurs étrangers : le Christ à son avénement les trouve déjà tributaires de Rome. [17,24] Pendant tout le temps qui s'écoule depuis le retour de Babylone, après Malachie, Aggée, Zacharie et Esdras, qui prophétisèrent à cette époque, les Juifs n'ont plus de prophètes jusqu'à l'avènement du Sauveur, si ce n'est l'autre Zacharie, père de Jean, sa femme Élisabeth, aux approches de la nativité; et, après la naissance du Christ, le vieillard Siméon, Anne, veuve d'un grand âge, et Jean lui-même, le dernier. Jeune, contemporain du Christ jeune, il n'est pas le prophète de son avénement futur, mais le révélateur de son obscurité; c'est par une prophétique intuition qu'il le désigne. Aussi Notre-Seigneur dit-il : « La Loi et les prophètes ont duré jusqu'à Jean. » La prophétie de ces cinq derniers nous est connue par l'Évangile, et l'Évangile nous apprend que la Vierge elle-même, mère du Sauveur, a prophétisé avant saint Jean. Mais les Juifs réprouvés n'admettent par ces dernières prophéties, tandis qu'elles sont reçues de tous ceux de leurs frères qui ont en si grand nombre embrassé la foi de l'Évangile. Dès lors véritablement Israël fut divisé en deux, de cette division immuable prédite au roi Saül par le prophète Samuel. Malachie, Aggée, Zacharie et Esdras sont les derniers à qui les Juifs réprouvés accordent l'autorité canonique; on a conservé leurs écrits et ceux de plusieurs autres qui, en si petit nombre parmi tant de prophètes, sont investis de cette autorité. Je crois devoir dans cet ouvrage rapporter plusieurs traits de leurs prophéties relatives à Jésus-Christ et à son Église; mais, avec l'aide du Seigneur, je remettrai ces citations au livre suivant, pour ne pas surcharger de plus longs développements celui-ci, déjà si étendu.