[0] LA TACTIQUE. [1] Parmi les noms les plus célèbres des auteurs, dont nous avons des traités de tactique, on trouve ceux du fils de Pyrrhus, de Cléarque, qu'il ne faut pas confondre avec ce Cléarque, qui commandait les dix mille grecs, dans la guerre de Cyrus contre Artaxerxès son frère, de Pausanias, de Polybe l'arcadien, ami de Scipion le jeune; enfin, ceux d'Eupolemus, d'Evangelus, d'Iphicrate autre que le général athénien, et de Posidonius le Rhodien. Tous les ouvrages de ces auteurs, écrits pour les gens du métier, sont obscurs et presque inintelligibles pour ceux qui, n'étant pas instruits, ignorent les termes et les noms propres aux différentes armures et ordonnances, J’entreprends de remédier à cet inconvénient par leur explication, qui contribuera à faciliter la théorie de la tactique. [2] Je distingue deux sortes d'appareils de guerre ; les uns pour la guerre de terre, les autres pour celle de mer. Les armées sont composées de deux ordres; l’un pour combattre: l'autre, simplement pour le service du premier comme sont chirurgiens, les vivandiers, les domestiques, les marchands, etc. On divise les combattants de l'Armée de terre en plusieurs classes, La cavalerie se sert de chevaux, ou d'éléphants, dont les Indiens et; les Éthiopiens ont appris l’usage aux Macédoniens, aux Carthaginois, et même aux Romains. On comprend sous le nom de cavalerie, non seulement les soldats, qui combattent à cheval; mais aussi ceux qu'on fait monter sur des chariots. Entre les premiers on distingue les amphippes, dont chaque homme a deux chevaux accouplés et sans harnais, pour pouvoir sauter de l'un à l'autre. Quelques éléphants portaient des tours; on armait leurs dents d'un fer aigu, pour en augmenter la force et le tranchant. Les chariots étaient plus composés. Il y en avait de simples, à la troyenne; d'autres, armés de faux à la Persane, à un ou plusieurs timons, tirés par des chevaux bardés ou sans bardes. [3] On compte trois différents ordres dans l'infanterie. Ceux aux armes pesantes, ceux aux armes moyennes, appelles peltastes, et ceux qui sont armés à la légère. Les pesamment armés, ou hoplites, ont une cuirasse, ou un corselet, un bouclier ovale, une pique à la grecque, ou une sarisse à la Macédonienne. L'infanterie légère n'a ni cuirasse, ni bouclier, ni bottes, ni casque, ne se servant que des armes de jet, comme le trait, la pierre et le javelot, et portant des arcs ou des frondes. Les peltastes différent des hoplites en ce qu'ils ont un bouclier plus petit et plus léger, et la pique moins longue que celle des pesamment armés, ou que la sarisse. Les pesamment armés, ou les hoplites, portaient aussi le casque ou le chapeau, soit Lacédémonien, soit Arcadien, deux bottes, comme les anciens grecs, ou simplement une botte comme les Romains pour couvrir la jambe qu’ils avaient en avant dans le combat Les cuirasses étaient faites pour la plupart d'un tissu de lames coupées en écailles, ou d'un fil de fer, dont les petits anneaux enlacés formaient une maille. [4] La cavalerie est, où toute bardée, cheval et hommes et s'appelle cataphractes ou gendarmes; l'autre partie n'a pas l'armure complète. Les cataphractes sont armés de toutes pièces, ainsi que leurs chevaux; l’homme porte le cuissard, et la cuirasse faite d'écailles de fer, de corne, ou de toile. Le cheval est armé d'un fronteau, et de la maille. L’autre cavalerie sans avoir toutes ces armes pesantes, porte de différentes lances, où n'a que des armes de jet. Les lanciers s'approchaient de l'ennemi avec leurs lances, et choquaient avec impétuosité, comme les Alanes et les Sauromates. Les acrobolistes, ou les gens à trait, ne font que darder, comme les Arméniens; ou ceux des Parthes, qui n'avaient pas de lances, Dans l'ordre des lanciers, on distingue les cavaliers qui portent la rondache; et dans celui des gens à trait, ou acrobolistes, les Tarentins, qui lancent le javelot de la main, et les archers à cheval, qui tirent de l’arc. Les vrais Tarentins font leurs attaques en voltigeant autour de l'ennemi, sur lequel ils tirent de loin; d'autres, après avoir jeté leurs traits, chargent l’ennemi avec le sabre, ou bien avec un javelot, qu’ils ont en réserve. Les cavaliers romains portent des lances, et choquent, de même que les Alanes et les Sauromates, ayant de longs et larges sabres, qu'ils portent en bandoulière, des boucliers oblongs, des casques de fer, des cottes de maille, et de petites bottes. Quelques uns sont armés de javelines, propres à lancer et à charger. Le sabre est cependant l'arme dont ils se servent le plus dans la mêlée. D'autres portent des masses d'armes à manche long, dont la tête de fer est hérissée de pointes. [5] Toute répartition d'infanterie ou de cavalerie se fait par sections, auxquelles selon le nombre d'hommes dont elles sont composées, on impose des noms, ainsi qu'à ceux qui les commandent, pour l’intelligence et la prompte exécution des ordres. C’est ce que je vais déduire. L'objet le plus essentiel, dans le métier de la guerre, est d'ameuter et de mettre en ordre une foule d'hommes, qui se rassemblent; de les distribuer en différents corps ; rétablir une mutuelle correspondance entre eux d'en régler le nombre et la force proportionnellement à l’armée, pour en faciliter l'arrangement et le développement dans un jour d'action. Cet arrangement influe sur les campements, et sur les marches. On a vu de petites armées défaire, par cet avantage, celles qui étaient plus nombreuses, et même mieux pourvues d'armes, mais qui étaient en confusion. Lochos ou file, est un nombre de soldats rangés en ligne, l'un derrière l'autre, depuis le chef de file, jusqu'au serre-file, nommé ouragos. On forme la file de huit, de dix, douze ou seize hommes. On préfère avec raison le nombre de seize ; parce qu'il fait la meilleure proportion relative à l'étendue et à la profondeur de la phalange. Cette hauteur n'empêche pas les gens à trait, placés derrière, de lancer pardessus la tête des phalangites, et d’atteindre l'ennemi. Si l'on double la phalange, la hauteur de trente deux reste encore proportionnée ; de même que si l'on veut la réduire à huit, pour étendre le front. Si la file primitivement n'était que de huit, cette dernière évolution affaiblirait trop la phalange, qui n'aurait que quatre hommes de hauteur. On choisira le meilleur homme pour chef de file, nommé lochagos ou protostate. [6] Quelques Auteurs se servent du nom stichos, pour désigner une file. Ceux qui l’appellent décurie semblent la supposer de dix hommes. On ne convient pas de la valeur du terme enomotie; plusieurs disent qu'il signifie le quart d'une file, dont le chef s'appelait enomotarque, quoique d'autres prétendent, qu'il n'a rien de commun avec la file. Xénophon n'explique pas quelle section de la file il entend par l’enomotie ; mais lorsqu'il dit que l’on rangeait les files en enomoties, cela prouve que le mot signifie un nombre de soldats encore inférieur à la demi file. Le second homme de file s'appelle epistate; le troisième encore protostate ; le quatrième comme le second, ainsi jusqu'au dernier ; de façon que la file était composée de protostates et d’epistates, rangés alternativement entre le chef et le serre-file. On doit apporter autant d'attention au choix du serre-file qu'à celui du chef, son poste étant essentiel dans l'action. [7] La jonction de deux files se nomme syllochisme. Elle se fait en plaçant les protostates et les epistates de la seconde, auprès de ceux de la première file. Tout homme à côté d'un autre se nomme parastate, on entend aussi par syllochisme la jonction d'un plus grand nombre de files. [8] La jonction totale des files forme la phalange. Le rang de tous les chefs de files forme le front, ou la tête de la phalange; les rangs qui le suivent, jusqu’à celui des serre-files, font sa profondeur. Tous les parastates bien alignés forment le rang; ceux qui sont compris entre le chef et le serre-file forment la file. On divise la phalange en deux parties égales, dont l'une s'appelle la corne droite ou la tête, et l'autre la corne gauche ou la queue. Le point, qui les sépare, s'appelle le nombril, la bouche et la jointure de la phalange. [9] Les armés à la légère sont placés souvent derrière les soldats de la phalange, qui leur servent de rempart. La phalange reçoit de grands avantages des traits qu'ils tirent par dessus ses rangs. On les poste aussi sur les deux ailes, ou simplement sur une ; si l'autre est couverte d'un fossé, d'une rivière, ou de la mer. Ils mettent la phalange à l'abri d'être tournée à ses flancs. Le poste de la cavalerie n'est pas fixé. C’est l'assiette du terrain, ainsi que la disposition de l'ennemi, qui doivent le déterminer. Le général n'étant pas toujours le maître de se choisir des troupes faites et exercées à toutes les évolutions nécessaires, c'est à lui d'y suppléer par de fréquents exercices. Je conseillerais à tout général de ne mener au combat que les soldats qui sont en état d'exécuter, au moins les évolutions les plus essentielles. Nous voyons que nos maîtres ont adopté des nombres propres à être divisés en deux jusqu’à l'unité, comme celui de 16384, qui est le nombre des pesamment armés, dont la phalange est composée. La moitié de ce nombre suffit pour les troupes légères, et la moitié du dernier pour la cavalerie. Cette égalité de nombre donne la facilité de faire toutes les évolutions avec exactitude ; et de diminuer, ou d'augmenter d'abord, avec justesse, le front d'une Armée. Les files étant de seize hommes: mille vingt quatre formeront le nombre de 16384, ci-dessus. Les différents nombres de files réunies ont autant de dénominations particulières. [10] Deux files jointes font une dilochie, qui consiste en trente deux hommes, dont le chef prend le nom de dilochite. Quatre files composent une tétrarchie, de soixante quatre hommes, dont le chef est nommé tétrarque. Deux tétrarchies font une taxiarchie de huit files et de cent vingt huit hommes ; celui qui en est à la tête se nomme taxiarque ou centurion. La taxiarchie doublée formé le syntagme, ou la xenagie, de deux cent cinquante six hommes, qui font seize files. Le chef se dit syntagmatarque ou xenague. On destine, à la xenagie, cinq hommes surnuméraires; un porte-enseigne, un officier, qui marche derrière, un trompette, un adjudant et le crieur, qui annonce les ordres. Le corps, rangé en bataille, forme, par la proportion de ses rangs et files, un carré parfait. Deux syntagmes composent la pentacosiarchie, de cinq cent douze hommes, rangés en trente deux files, dont le chef a le nom de pentacosiarque. Deux pentacosiarchies font la chiliarchie, de mille vingt quatre hommes. La chiliarchie doublée fait la merarchie, ou la telarchie, de deux mille quarante huit hommes en cent vingt huit files; Deux merarchies forment la phalange, de quatre mille quatre vingt seize hommes, en deux cent cinquante six files. C’est un général qui la commande; il se nomme phalangarque. Deux phalanges font la diphalangarchie, ou la phalange doublée, de huit mille cent quatre vingt douze hommes, et de cinq cent douze files. Ce corps forme une corne, ou la moitié de l'Armée. Deux diphalangarchies composent la tetraphalangarchie, ou la grande phalange, de mille vingt quatre files, et de seize mille trois cent quatre vingt quatre hommes, qui est le nombre désigné pour un corps de greffe infanterie. La grande phalange contient ainsi deux cornes, ou diphalangarchies, quatre phalanges, huit merarchies, seize chiliarchies, trente deux pentacosiarchies, soixante quatre syntagmes, cent vingt huit taxiarchies, deux cent cinquante six tétrarchies, cinq cent douze dilochies, et mille vingt quatre files. [11] On peut étendre le front de la phalange, en augmentant la distance des files; si le terrain et les circonstances l'exigent. Cependant ce sont ses files bien serrées, qui lui donnent sa principale force. C'est à cet ordre serré et uni, qu'Épaminondas fut redevable des victoires qu'il remporta sur les Lacédémoniens à Leuctre et à Mantinée. Il y serra ses troupes, et en forma pour ainsi dire un coin.Ce même ordre est excellent pour résister au choc des nations aussi fougueuses, que les Scythes et les Sauromates. On serre la phalange en rapprochant les rangs et les files, ce qui en diminue le front et la hauteur. Pour former le synaspisme, on fait serrer le soldat en tout sens, au point qu'il ne puisse se tourner. Le synaspisme des grecs a servi de modèle à la tortue des Romains, qu'ils ont formée différemment en carré, en rond, ou en ovale, Les hommes de l'extérieur du corps portent le bouclier devant eux. Ceux qui les suivent, le tiennent levé sur la tête de ceux qui les précédent, et ainsi des autres rangs. L'union de ces boucliers est si juste et si solide, que des Archers peuvent même courir dessus comme sur un toit, et que les pierres les plus pesantes, jetées avec violence, ne peuvent en rompre les jointures, mais roulent sans effet. [12] Il faut choisir, avec grande attention, les officiers ou les chefs de file, qui doivent être de bonne taille et gens expérimentés, puisque le premier rang qu'ils forment, contient toute la phalange, étant à la mêlée, ce qu'est le tranchant au fer, qui agit seul sur les corps ; le reste de la masse ne fait qu'appuyer, par sa pesanteur, comme font les derniers rangs de la phalange. Les épistates, ou ceux du second rang, doivent être aussi des gens d'élite, parce qu'en joignant leurs piques à celles des chefs de file dans la charge, ils soutiennent leurs efforts. Ils peuvent même encore atteindre l'ennemi de l’épée, en la passant par les intervalles du premier rang. Cette attention est d'autant plus nécessaire qu'ils doivent remplacer ceux du premier rang, qui sont mis hors de combat, afin d'empêcher la phalange de se rompre. On choisit les soldats du troisième et du quatrième rang, à proportion de la distance où ils sont du premier. La phalange macédonienne a été aussi formidable à voir, qu'elle l’était en effet, lorsqu'elle se serrait pour combattre, chaque homme n'occupait que trois pieds de terrain en rangs et files. Les piques ou les sarisses ont vingt quatre pieds de longueur, dont six sont contenus dans l'espace entre les mains et le bout de la pique en arrière, et dix huit devancent l'homme. Le second rang étant à trois pieds en arrière, avance les sarisses de quinze pieds hors du premier rang ; le troisième par conséquent de douze ; le quatrième de neuf; le cinquième de six; et le sixième rang de trois pieds. Tout chef de file présente donc, à l'ennemi, les pointes de six sarisses en différents degrés, et réunit, de cette manière, la force de six piques, pour se faire jour partout où il donne. Les soldats des rangs suivants, bien qu'ils ne puissent pas se servir de leurs sarisses, ne laissent pas que de pousser ceux qui les précèdent, par le poids et d’augmenter la violence du choc que nul ennemi ne saurait soutenir. Ils empêchent encore ceux des premiers rangs de s'écarter et de fuir. On a moins égard, dans le choix des serre-files, à la force qu'à la prudence. Car c'est à eux de retenir les files en ordre, et de contraindre les lâches à tenir ferme. Leur poste est surtout important, lorsque la phalange se met en synaspisme. Alors ils veillent au resserrement des files, d'où dépend toute la force de cette ordonnance. [13] On range les armés à la légère en différentes manières, conformément à la disposition de l'ennemi et au champ de bataille. On les met souvent en avant de la grosse infanterie; on les place aux ailes, et derrière la ligne. Il y a même des exemples où on les a mêlés avec les soldats de la phalange. [14] J'en déduirai l'ordonnance, en rapportant les noms des différentes sections et de leurs chefs. Leur nombre doit être de la moitié de la phalange, pour qu'on puisse en tirer de bons services. Leurs files n'étant que de huit hommes, ils forment, sur notre proportion, mille vingt quatre files, qui sont huit mille cent quatre vingt douze hommes. Quatre files réunies se nomment un systasis de trente deux hommes. Deux systasis une pentecontarchie ; deux pentecontarchies, une hecatontarchie, ou centurie de deux cent vingt huit hommes. On destine à chaque centurie, quatre surnuméraires, qui sont un porte-enseigne, un trompette, un Adjudant et le héraut du camp. Deux centuries forment la psilagie, deux psilagies, une xenagie; deux xenagies, le systremme, deux systremmes, l’epixenagie; deux epixenagiés, le stiphos; deux stiphos forment l’epitagme, de mille vingt quatre files et de huit mille cent quatre vingt douze hommes. Un tel corps est commandé par huit officiers de marque, quatre epixenagues et quatre systremmatargues. [15] Les gens qui lancent les javelots avec la main, les arbalétriers, les archers, les frondeurs, et tous ceux, qui se servent d'armes de jet, sont d'une grande utilité dans les armées, ils blessent et tuent de loin ; les frondeurs cassent encore, avec leurs pierres, les armes de l'ennemi ; on se sert de ces troupes pour inquiéter ses postes et pour le provoquer, par une grêle de traits, à en sortir et à en venir aux mains. Elles sont propres à harceler même la phalange, et à la mettre dans la nécessité de rompre son ordonnance, de même qu'à arrêter le choc de la cavalerie. S'il y a quelque hauteur à occuper, ce sont des gens à trait, qu'on y détache ; la légèreté de leurs armes les rend plus agiles et plus propres à grimper les montagnes; aussi s'y maintiennent-ils plus aisément, et l'ennemi ne saurait en approcher qu'à travers une nuée de traits. Ce n'est qu'avec un pareil corps de gens à trait, que l'on en pourra former l'attaque avec avantage. Ces troupes sont encore nécessaires, dans l'Armée, pour aller reconnaître l'ennemi et pour former des embuscades. On s'en sert aussi bien avant qu'après et pendant l'action, surtout si l'armée est battue, parce qu'alors on ne saurait s'en passer pour couvrir et assurer la retraite. [16] Il y a différentes manières de ranger la cavalerie en bataille. On en forme un carré, parfait ou long, un rhombe, ou bien un coin. Toutes ces ordonnances sont bonnes, suivant les circonstances. On serait mal de n'adopter qu'une seule méthode. Elle pourrait être inférieure aux autres en bien des occasions. Les Thessaliens formaient leur cavalerie en rhombe. On dit que c'est Iason thessalien, qui en est l'auteur; mais je crois que cette manœuvre était connue avant lui et qu'il n'a fait que la mettre en réputation. Le Rhombe est très propre à toute évolution et met, plus que tout autre ordre, le dos et les flancs à couvert de l'ennemi. Les angles seront occupés, chacun par un officier ; le chef se placera à celui qui regarde l'ennemi ; ceux des côtés auront des officiers, que l’on nomme garde-flancs. L'officier qui est placé à celui de derrière, s'appelle ouragos. L'extérieur des flancs sera composé des meilleurs cavaliers, comme étant le poste le plus essentiel. Le coin était mis en usage par les Scythes. Les Thraces les ont imités; Philippe enseigna, à sa cavalerie macédonienne, à former le coin. Cet ordre a l'avantage de présenter à l'ennemi, le front garni d'une quantité de chefs de file, qui, par la forme angulaire, percent aisément la ligne de l'ennemi. Ses évolutions sont plus promptes que celles du carré, surtout les caracols à droite ou à gauche, que le coin exécute avec beaucoup de facilité; il faut seulement avoir l'attention, d'avertir les files de la pointe qui se tourne, de ne pas se jeter sur leur pivot, et de s'ouvrir plutôt que de se serrer. Le carré était préféré par les Perses, les barbares de Sicile, et la plupart des grecs, surtout ceux qui avaient la plus nombreuse et la meilleure cavalerie. Son ordonnance est sans doute la plus simple et la plus facile par l'égalité des rangs et des files. La charge et la retraite se font avec moins d'embarras. Dans le carré, tous les chefs de file étant au même rang, choquent ensemble. La bonne proportion du carré est celle qui contient la moitié plus de monde en largeur qu'en profondeur, qui à cet effet, sera de quatre chevaux sur huit de front ou sur dix de front, et cinq de profondeur. La figure décrit, sur le terrain, un carré parfait, malgré l'inégalité du nombre; la longueur du cheval évaluant la distance que le nombre n'occupe pas. Pour mieux encore décrire la figure d'un carré parfait, on n'a qu'à ranger de front trois fois autant de chevaux, qu'il y a dans la profondeur, en comptant que la longueur du cheval est égale à la largeur de trois. Car on doit remarquer, que les files de la cavalerie ne tirent point, de leur hauteur, l'avantage qui en résulte à l'infanterie ; puisque les chevaux ne peuvent pas s'appuyer ni se pousser comme font les hommes. L'escadron ne peut acquérir, en se serrant, le poids qui fait l'avantage de la phalange. Il n'en résulterait que de la confusion dans les chevaux et de l'embarras pour le cavalier. [17] La manière de former le rhombe est telle. Le chef ou l’Ilarque est à l'angle de la tête. Les deux hommes, qui suivent à ses côtés, doivent avoir la tête de leurs chevaux à la hauteur de la croupe de celui de l'ilarque. Les rangs suivants se multiplient ainsi jusqu'à la moitié du rhombe, d'où ils diminuent progressivement pour achever la figure de cette ordonnance. Le coin étant formé par la moitié du rhombe, l'ordonnance en est la même. Le carré long se forme en deux manières; ou en étendant le front aux dépens de la hauteur, comme on se range ordinairement en bataille ; ou bien en diminuant le front sur plus de profondeur, dont on fait quelquefois usage pour se jeter dans une ouverture de la ligne de l'ennemi, ou pour cacher ses forces afin de l'amorcer. On ne met guère la cavalerie sur un seul rang, si ce n'est pour ravager le pays. D'ailleurs cette ordonnance est de peu d'usage. [18] Selon la proportion établie entre l'infanterie, les troupes légères et la cavalerie, elle doit être de quatre mille quatre vingt seize hommes. Chaque compagnie, ou ile, est formée de soixante quatre maîtres ; le chef se nomme ilarque. Deux compagnies forment l’escadron, ou l’epilarchie, de cent vingt huit maîtres. L'epilarchie doublée est la tarentinarchie. Elle consiste en deux cent cinquante six cavaliers. Deux tarentinarchies composent l’hipparchie, de cinq cent douze maîtres, qui est le corps que les Romains appelaient "ala". Deux hipparchies constituent l’ephipparchie, de mille vingt quatre cavaliers. Deux ephipparchies font le telos, de deux mille quarante huit, et les deux telos l’epitagme, de quatre mille quatre vingt seize maîtres. [19] Il serait inutile d'expliquer les vieux mots et les ordonnances des chariots et des éléphants, dont l'usage est presque partout aboli. Les Indiens et les habitants de la haute Éthiopie, sont les seuls peuples, qui aient encore aujourd'hui des éléphants. Les Romains n'ont jamais combattu avec des chariots. Nous ne trouvons que des barbares, qui s'en soient servis à la guerre; comme les habitants des îles britanniques sur l'Océan. Le pays fournit de petits chevaux vigoureux et médians, qu'ils attelaient à des chariots légers et propres à tourner aisément sur toute sorte de terrain. Parmi les nations de l'Asie, les Perses en avaient, qui étaient armés de faux et tirés par des chevaux bardés. Cyrus en avait introduit l'usage. Les grecs, sous Agamemnon, et les troyens, sous Priam, s'en sont servis de même, à l'exception des chevaux bardés. Les Cyrenéens excellaient dans l'art de combattre sur les chariots. [20] Je vais donner l'explication et les noms des différentes évolutions qui s'exécutent par les troupes. Le clisis est le mouvement d'un homme à droite vers la lance, ou à gauche vers le bouclier. Le double clisis est le demi-tour, moyennant lequel on fait volte-face et qu'on nomme métabole. L'epistrophe se fait par un quart de conversion de toute la section qui tourne, à rangs et files serrés, comme serait un seul homme à droite ou à gauche. Le chef de file de l'une des deux ailes sert de pivot au tour que doit faire tout le corps. L’anastrophe remet la section dans se première position, par un quart de conversion opposé. Le perispasme est une demi-conversion, par laquelle le corps décrit un demi-cercle, par deux quarts de conversion, et fait face à l’opposé de son premier front. L'ecperispasme est composé de trois quarts de conversion de suite, moyennant quoi le corps, qui le fait à droite, prendra le front à gauche de son premier, et celui qui le fait à gauche sera à droite. [21] ---. [22] Dresser les files, ou stoichein, s'appelle quand chaque soldat, en sa file, se tient en droite ligne, depuis le chef de file jusqu'au serre-file, en gardant les distances égales entre eux. Dresser les rangs, ou zygein, s'appelle lorsque chaque soldat, en sa file, s'aligne en ligne droite et en distance égale à ceux qui lui sont de côté. Ainsi le rang des chefs de file sont en ligne droite de même que le second rang des épistates jusqu'à celui des serre-files. Le soldat se remet, lorsqu'ayant fait à droite ou à gauche, ou un demi-tour, il fait des mouvements opposés pour reprendre son premier poste. [23] Les évolutions se font, ou par rangs, ou par files. Celles qui se font par files sont de trois espèces. On a la révolution macédonienne, la Laconique, et la Crétoise, autrement dite Persane, ou Chorienne. L'évolution macédonienne change le front de la phalange, en portant sa profondeur en avant, de manière que le premier rang ne bouge pas de sa place. Le chef de file fait demi-tour, ceux qui le suivent marchent sur sa droite en le côtoyant, et s'arrangent progressivement derrière lui. L'évolution laconique pour changer aussi de front, forme la phalange en arrière, et c'est le dernier rang qui reste sur sa place. Le chef de file fait demi-tour à droite, et marche à la distance qu'exige la hauteur de la phalange. toute la file le suit successivement, et s'arrange derrière lui jusqu'au serre-file, qui ne fait qu'un demi-tour à droite. L'évolution crétoise change le front de la phalange sur son propre terrain, par une contremarche des files. Le chef de file faisant demi-tour à droite mène sa file après soi, et la fait suivre en repli, tant que le chef de file ait pris la place du serre-file, et le serre-file celle du chef de file. Les évolutions des rangs se faisaient par la même contremarche que celles des files. Leur usage est de transposer les sections, de changer les ailes, et de renforcer le centre. Comme il est dangereux de faire ces évolutions avec de grands corps, si l'ennemi est proche, il vaut mieux les faire par sections. elles sont alors plus courtes et apportent moins de renversement, que la manœuvre générale de tout le corps. [24] - - -. [25] Les doublements se font par rangs ou par files, et sont relatifs au nombre des hommes, ou à l'étendue du terrain. Pour avoir deux mille quarante huit files sur le même emplacement qui est occupé par mille vingt quatre, on fait avancer les épistates dans les intervalles des protostates: c'est à dire qu'on remplit les distances, entre les hommes du premier rang, par ceux du second, et ainsi alternativement des autres rangs; de manière que la phalange, qui en devient serrée du double, n'ait plus que huit rangs au lieu de seize. Pour doubler l'étendue du front de cinq jusqu'à dix stades, les files étant doublées et serrées, comme je viens de le dire; la moitié de la phalange fait à droite et l'autre à gauche; marchant ensuite, chacune de fon côté, elles s'ouvrent et en partagent la distance d'homme à homme, de l'extrémité de l’aile jusqu'au centre. Pour se remettre, on fait le contraire, en se serrant sur le centre. On évite de faire ces mouvements en présence de l'ennemi, parce qu'ils marquent du dérangement, quand même ils n'en causent point. D'ailleurs le moment d'une manœuvre affaiblit toujours l'ordre d'une armée. Il vaut mieux étendre le front par des troupes légères, ou par quelque cavalerie, que de rompre l'ordre de la masse. On s'étend pour déborder le front de l'ennemi, ou pour se garantir d'en être enveloppé. On double la profondeur de la phalange, lorsqu'on fait entrer la seconde file dans la première, et ainsi alternativement les unes dans les autres. Les chefs des files qui doublent, se placent dans les distances derrière les chefs des files qui ne bougent pas; le deuxième et le troisième de la seconde file se mettent de même derrière celle qui sont à leurs côtés dans la première, ainsi de suite, dans toutes les files, qui par là deviennent de trente deux de hauteur. On conçoit aisément de quelle manière on doit se remettre. [26] La phalange est en ordre de bataille, ou en colonne, ou en ligne oblique. L'ordre de bataille a plus de front que de profondeur; celui de la colonne est l'opposé, et se dit principalement de la phalange, lorsqu'elle marche par son flanc; celui de l'oblique présente à l'ennemi, une aile avancée, et l'autre biaisant se trouve reculée. Lorsqu'on détache des sections de la phalange en avant, et que les vides se remplissent par des corps de réserve, on appelle cette manœuvre parembole. Lorsqu'on renforce la phalange, par des corps détachés, qui se placent en même ligne, sur une de ses ailes, ou sur les deux, l'ordonnance s'appelle prostaxis. Entaxis est le nom qu'on donne à la manœuvre d'entrelacer les armés à la légère et les phalangites. L'hypotaxis se forme en rangeant les armés à la légère comme en crochet, derrière les deux ailes de la phalange. [27] On doit accoutumer le soldat à bien entendre, ainsi qu’à exécuter avec promptitude les ordres donnés, soit de vive voix, soit au son de la trompette, ou par des signaux. La voix est le plus sûr moyen pour commander aux troupes, parce qu'elle détermine les manœuvres que l’on ordonne, ce que ne peuvent pas faire aussi distinctivement les trompettes et les signaux. Mais comme, dans les batailles, le ton de la voix est absorbé par le cliquetis des armes, les cris des soldats, le gémissement des blessés, et le bruit de la cavalerie, il faut d'autres moyens pour annoncer les ordres. On a recours aux trompettes, lorsque les brouillards, la poussière, ou l'inégalité du terrain, rendent les signaux inutiles. [28] Les troupes marchent, ou en épagogue ou en paragogue. On marche en épagogue, lorsque la colonne est formée d'égales sections, soit de tétrarchies, de xénagies, etc. suivant le front sur lequel le général veut marcher. Alors les chefs de file d'une section suivent les serre-files de celles qui précèdent. On est en paragogue, lorsque la phalange marche par sa droite ou par sa gauche. Elle s'appelle paragogue droite ou gauche, selon que les chefs de file sont à droite ou à gauche de la colonne. Que l'on marche en épagogue ou en paragogue, le général doit toujours renforcer le côté, qui est exposé à l'ennemi ; et, s'il craint d'être attaqué de deux, de trois, ou même de quatre côtés, les mettre conséquemment en état de se défendre. De la vient que l'on forme les colonnes de différentes manières. Souvent le front n'en est que d'une seule phalange qui marche par son flanc. Quelquefois ce sont deux phalanges, d'autres fois trois ou quatre, qui jointes ensemble, et marchant par leurs flancs, forment les colonnes. On conçoit aisément les différents mouvements de ce corps, par la description que j'ai donnée de la phalange. [29] La phalange à deux fronts est ainsi nommée lorsque la moitié de deux files fait face à l'opposite de l’autre. On appelle diphalangie à deux fronts, la marche de deux phalanges appuyées dos à dos et marchant par leur flanc, de manière que les chefs de file bordent les deux côtés, et que les serre-files sont unis au centre. Cette figure, rendue par une seule phalange, s'appelle heterostomos. On nomme diphalangie à front égal, deux phalanges réunies en marche, dont le centre unit les serre-files de la première aux chefs de file de la seconde phalange ; moyennant quoi les chefs de file relient tous sur la droite ou sur la gauche de chaque phalange, et gardent leur ordre de phalange comme à l’ordinaire. Lorsque la diphalangie à deux fronts joint les têtes de deux phalanges, en sorte que les queues s'éloignent des deux côtés en oblique, cette ordonnance se nomme embolon ou coin ; si au contraire les extrémités de la queue se joignent et que celles de la tête s'éloignent, le nom de cœlembolon ou coin renversé. Le plésion est un carré long, dont tous les côtés doivent être également bien fortifiés. Le plinthion est un carré parfait et d'une force égale sur tous ses flancs. Xénophon fils de Gryllus l'appelle autrement le plaesion équilatéral. On peut déborder l'ennemi à ses deux ailes, ou seulement à une. Cette différence s'exprime par les termes d'hyperphalangisis et d’hypercerasis. L'Armée inférieure en nombre peut bien déborder l'ennemi d'un côté, sans rompre son ordonnance, mais elle ne peut pas l'entreprendre de deux côtes, qu'aux dépens de sa profondeur. [30] Les bagages marchent avec l'Armée en cinq différentes manières, en avant, en arrière, à droite, à gauche et au centre de la colonne. La règle générale est de les faire aller toujours du côté opposé à l'ennemi, et, lorsqu'on le craint de tous côtés, de les placer au centre. Il y aura toujours un officier préposé à la garde des équipages. [31] Les commandements doivent être courts et distincts ; si pour des tours on commande d'abord tournez-vous, le soldat se presse et peut faire le contraire, avant qu'on ait fini le commandement; au lieu qu'en commençant à dire A droite tournez vous, il ne peut se tromper. Il faut donc, pour empêcher la méprise du soldat, déterminer d'abord sa manœuvre. cette règle sert pour tous les commandements de conversion et d'évolution. Le silence est absolument nécessaire. Homère l’a bien remarqué. Il dit des grecs, qu'on ignorait s'ils avaient l’usage de la voix, et il compare les barbares au vol bruyant des oies et d'autres oiseaux. c’est à la faveur du silence que le soldat entend les ordres. [32] Les principaux commandements sont : Prenez les armes. Valets, sortez de la phalange. Silence, prenez garde. Haut la pique. Bas la pique. Serre-file, dressez les files. Prenez vos distances. A droite, ou vers la lance, tourner vous. A gauche, ou vers le bouclier, tournez vous. Marche. Halte. Front. Doublez vos files. Remettez-vous. A la Laconique faites révolution. Remettez-vous. Vers la lance, ou à droite, faites le quart de conversion. Remettez vous. Cet abrégé suffira je crois pour donner une idée de l'ordonnance des Grecs et des Macédoniens.