[0] HERMENEIA. [1] CHAPITRE PREMIER. § 1. <16a> Il faut établir d'abord ce que c'est que nom, et que c'est que verbe, puis ensuite, ce que c'est que négation et affirmation, énonciation et jugement. § 2. Les mots dans la parole ne sont que l'image des modifications de l'âme; et l'écriture n'est que l'image des mots que la parole exprime. § 3. De même que l'écriture n'est pas identique pour tous les hommes, de même les langues ne sont pas non plus semblables. Mais les modifications de l'âme, dont les mots sont les signes immédiats, sont identiques pour tous les hommes, comme les choses, dont ces modifications sont la représentation fidèle, sont aussi les mêmes pour tous. § 4. On a déjà parlé de cela dans le Traité de l'Âme : et en effet ce sujet appartient à un autre traité que celui-ci. § 5. De même qu'il y a dans l'âme, tantôt des pensées qui peuvent n'être ni vraies ni fausses, et tantôt des pensées qui nécessairement doivent être l'un ou l'autre, de même aussi dans la parole; car l'erreur et la vérité ne consistent que dans la combinaison et la division des mots. § 6. Les noms eux-mêmes et les verbes ressemblent donc à la pensée sans combinaison ni division, par exemple : homme, blanc, sans rien ajouter à ces mots. Ici en effet rien n'est encore ni vrai ni faux: et en voici bien la preuve: un cerf-bouc, par exemple, signifie certainement quelque chose; mais ce n'est encore ni vrai ni faux, si l'on n'ajoute pas que cet animal existe ou qu'il n'existe pas, soit d'une manière absolue, soit dans un temps déterminé. [2] CHAPITRE II. § 1. Le nom est un mot qui par convention signifie quelque chose sans spécifier de temps, et dont aucune partie séparée n'a de signification à elle. § 2. Ainsi, dans le nom de Callippos, hippos ne signifie rien par lui seul, comme il signifierait dans cette phrase: Kalos hippos. C'est qu'il n'en est pas dans les noms composés comme dans les simples: dans les premiers, une partie prise seule n'a aucune signification; dans les autres, la partie semble vouloir signifier quelque chose, mais ne signifie cependant rien, quand elle est isolée; ainsi dans épactrokélès, kélès ne signifie rien par lui-même. § 3. On a dit plus haut : Par convention, attendu que les mots n'existent point dans la nature et qu'ils ne sont quelque chose qu'en devenant signes: cela est si vrai que les sons inarticulés signifient aussi quelque chose; par exemple, les cris des bêtes fauves, qui cependant ne sont pas des mots. § 4. Non-homme n'est pas un nom; car il n'y a pas de limite de nom qu'on puisse lui appliquer; ce n'est ni une énonciation ni une négation; c'est ce que j'appellerai un nom indéterminé, parce qu'il convient également à tout, à l'être et au non-être. § 5. Philônos, Philôni, et autres mots de ce genre, <16b> ne sont pas précisément des noms, ce sont des cas du nom. Du reste la définition de ces mots est pour tout le reste la même que celle du nom : mais la différence c'est que, joints aux verbes Est, a été, ou sera, ces mots n'expriment encore rien de faux, rien de vrai, tandis que le nom exprime toujours quelque chose : par exemple, si on dit : Est ou n'est pas à Philon; car ni l'un ni l'autre n'est encore ni vrai ni faux. [3] CHAPITRE III. § 1. Le verbe est le mot qui, outre sa signification propre, embrase l'idée de temps, et dont aucune partie isolée n'a de sens par elle-même; et il est toujours le signe des choses attribuées à d'autres choses. § 2. Je dis qu'il embrasse l'idée de temps outre sa signification propre, par exemple : La santé, n'est qu'un nom; Il se porte bien, est un verbe; car il exprime en outre quels chose est dans le moment actuel. § 3. De plus, il est toujours le signe de choses attribuées à d'autres choses, par exemple: de choses dites d'un sujet ou qui sont dans un sujet. § 4. S'il ne se porte pas bien, il n'est pas malade, ne sont pas selon moi des verbes; pourtant, outre leur signification propre, ils indiquent le temps et se rapportent nécessairement à quelque chose. Mais cette différence n'a pas reçu de nom spécial ; je l'appellerai, si l'on veut, le verbe indéterminé, parce qu'il s'applique aussi à tout, à l'être comme au non-être. § 5. Et de même, Il est bien porté, Il se portera bien, ne sont pas véritablement des verbes, mais ce sont des cas du verbe; ils diffèrent du verbe en ce que le verbe indique le temps présent, tandis que les autres indiquent des temps accessoires. § 6. Les verbes pris isolément et en eux-mêmes sont des noms et signifient un objet spécial; en les prononçant, on fixe la pensée de son auditeur qui aussitôt y arrête son esprit. Mais rien n'exprime encore que la chose est ou n'est pas. Être ou n'être pas n'est pas plus le signe de la chose elle-même, que si l'on exprime l'être en soi et dans tout son isolement. Par lui seul le verbe n'est rien, il indique seulement, outre son sens propre, une certaine combinaison qu'on ne peut nullement comprendre indépendamment des choses qui la forment. [4] CHAPITRE IV. § 1. Une phrase est un énoncé qui a un sens de convention, et dont chaque partie séparée signifie par elle seule quelque chose, § 2, comme simple énonciation, mais non pas comme négation ou affirmation. Par exemple, je dis que Homme signifie quelque chose, mais il ne signifie pas que cette chose est ou n'est pas. II n'y aura négation ou affirmation que si l'on ajoute quelque autre chose. § 3. Dans Homme, du reste, une syllabe isolée n'a aucun sens, de même que dans Souris, ris ne signifie rien à lui seul, c'est un simple son. Mais dans les mots doubles, la partie signifie quelque chose, mais non pas quand elle est seule, ainsi qu'on l'a déjà dit. § 4. Toute phrase <17a> exprime quelque chose, non pas par sa valeur naturelle, mais, ainsi que je l'ai déjà dit, par convention. § 5. Toute phrase n'est pas énonciative; mais celle-là seulement est énonciative dans laquelle il y a vérité ou erreur. Or la vérité et l'erreur ne sont pas dans tous les discours: ainsi, Une prière, est une phrase, bien qu'elle ne soit ni vraie ni fausse. § 6. Nous omettons les autres genres de phrases: c'est un objet plus spécial à la Rhétorique ou à la Poétique. La phrase énonciative est la seule dont nous devions nous occuper ici. [5] CHAPITRE V. § 1. La première des phrases énonciatives qui soit une, c'est l'affirmation; vient ensuite la négation. La autres ne forment un tout qu'au moyen du lien qui les unit. § 2. Toute phrase énonciative renferme nécessairement un verbe ou un cas de verbe. Par exemple, cette phrase : L'homme, n'est pas énonciative si l'on n'ajoute pas que l'homme est, qu'il a été ou qu'il sera, ou telle autre circonstance analogue. § 3. Mais pourquoi cette énonciation : Animal terrestre bipède, n'en fait-elle qu'une seule et n'en forme-t-elle pas plusieurs? Ce n'est certes pas uniquement parce que les mots sont prononcés à la suite les uns des autres; mais ceci appartient encore à un autre traité. § 4. Mais la phrase énonciative est une, ou parce qu'elle énonce une seule chose, ou parce qu'elle est unie par la liaison des mots. la phrase est complexe, quand elle énonce plusieurs choses et non pas une seule, ou bien quand les phrases sont séparées entre elles. § 5. Le nom et le verbe ne sont donc qu'une simple voix, puisqu'il n'est pas possible de dire si celui qui, en articulant ainsi quelques sons, fait une énonciation, répond ou non à une question antérieure, ou s'il ne fait que parler de son propre mouvement. On distingue parmi les énonciations : l'énonciation simple, quand on attribue une chose à une autre, ou quand on nie une chose d'une autre chose, et l'énonciation complexe, composée des premières et qui forme déjà un discours composé. § 6. L'énonciation simple est l'énonciation qui affirme que telle chose est ou n'est pas, selon les diverses divisions du temps. [6] CHAPITRE VI. § 1. L'affirmation est l'énonciation qui attribue une chose à une autre. § 2. La négation est l'énonciation qui sépare une chose d'une autre chose. § 3. Car il est possible d'énoncer ce qui est comme n'étant pas, ce qui n'est pas comme étant, et ce qui est comme étant et ce qui n'est pas comme n'étant pas: comme cela en plus peut également s'appliquer aux temps en dehors du présent, il s'ensuit qu'on peut affirmer tout ce qu'on a nié d'abord et nier ce qu'on a d'abord affirmé d'abord : évidemment, à toute affirmation il y a une négation opposée, et à toute négation, une affirmation opposée. § 4. Appelons contradiction l'affirmation et la négation opposées. § 5. Je dis qu'il n'y a opposition que dans la proposition du même au même, non point celle qui est par simple homonymie, ni par telle autre équivoque du même genre, que nous signalons dans les Ruses des sophistes. [7] CHAPITRE VII. § 1. Parmi les choses, les unes sont universelles, les autres sont individuelles. J'entends par universel ce qui, par sa nature, peut être attribué à plusieurs; et par individuel, ce qui ne le peut pas. Homme, par exemple, <17b> est une chose universelle; Caillas est une chose individuelle. Il s'ensuit que, nécessairement, l'énonciation doit dire qu'une chose est ou n'est pas à une autre tantôt universellement, tantôt individuellement. § 2. Si donc d'une chose universelle, on énonce d'une manière universelle, qu'elle est ou qu'elle n'est pas, les énonciations seront contraires. Ce que j'entends par énoncer une chose universelle d'une manière universelle, c'est dire, par exemple: Tout homme est blanc, aucun homme n'est blanc. § 3. Mais quand on énonce une chose universelle d'une manière qui n'est pas universelle, les énonciations ne sont plus contraires; ce qui n'empêche pas que des choses ainsi désignées ne puissent quelquefois être contraires. J'entends par énoncer une chose universelle d'une manière qui n'est pas universelle, cette énonciation par exemple: L'homme est blanc, l'homme n'est pas blanc. L'homme est bien une chose universelle, mais on se sert pour l'exprimer, d'une énonciation qui n'est pas universelle. En effet, Tout indique, non pas que la chose est universelle, mais seulement qu'on l'exprime manière universelle. § 4. Du reste, la proposition peut être vraie, quand on attribue l'universel à un attribut universel : car il n'y a jamais d'affirmation vraie, quand ou donne à un attribut universel une attribution universelle, et qu'on dit, par exemple: Tout homme est tout animal. § 5. Je dis que l'affirmation est contradictoirement opposée à la négation, quand la première indique que la chose est universelle, et que la seconde exprime que cette même chose ne l'est pas. Par exemple : Tout homme est blanc, quelque homme n'est pas blanc. - Aucun homme n'est blanc, tel homme est blanc. Les énonciations sont contraires, quand l'affirmation est universelle, et que la négation l'est également. Ainsi : Tout homme est blanc, aucun homme n'est blanc. - Tout homme est juste, aucun homme n'est juste. § 6. Aussi, n'est-il pas possible que ces dernières soient toutes deux vraies en même temps. § 7. Mais les énonciations opposées à celles-là peuvent quelquefois être vraies en même temps d'une même chose. Ainsi : Quelque homme n'est pas blanc, tel homme est blanc. § 8. Donc, pour toutes les contradictions universelles de choses universelles, il faut nécessairement que l'une des deux soit vraie ou fausse. § 9. Et de même pour les contradictoires individuelles: Socrate est blanc, Socrate n'est pas blanc. § 10. Quant aux contradictoires de choses universelles qui ne sont pas exprimées d'une manière universelle, l'une n'est pas toujours vraie, et l'autre fausse. Ainsi, on peut dire à la fois avec vérité: L'homme est blanc, et l'homme n'est pas blanc ; L'homme est beau, et l'homme n'est pas beau. S'il est vilain, en effet, il n'est pas beau non plus; et s'il devient quelque chose, il n'est pas non plus cette chose. On pourrait croire au premier coup d'œil que ceci n'est pas exact, attendu que cette assertion : L'homme n'est pas blanc, semble signifier la même chose que celle-ci : Aucun homme n'est blanc, et coexister. Mais pourtant ces deux propositions n'ont pas la même signification, et ne coexistent pas nécessairement. § 11. Il est clair, d'autre part, qu'il n'y a qu'une seule négation d'une seule affirmation, parce qu'il faut toujours que la négation nie la même chose que l'affirmation a affirmée, et la nie du même objet, soit une chose particulière, <18a> soit une chose universelle, qui d'ailleurs est prise où n'est pas prise universellement. Par exemple: Socrate est blanc, Socrate n'est pas blanc. Mais si l'on énonce une chose différente de la même chose, ou bien la même chose d'une chose différente, ce n'est plus une énonciation opposée, c'est une énonciation autre que la première. Ainsi, à cette proposition : Tout homme est blanc, la proposition opposée est : Quelque homme n'est pas blanc; et à celle-ci : Quelque homme est blanc, l'opposée est : Aucun homme n'est blanc; et à celle-ci enfin : L'homme est blanc, l'opposée est : L'homme n'est pas blanc. § 12. On a donc établi qu'il n'y a d'opposée contradictoire à une seule affirmation qu'une seule négation et l'on a dit ce que sont alors les propositions. Nous avons ajouté que les propositions contraires sont différentes, et indiqué ce qu'elles sont; nous avons dit de plus que toute contradiction n'est pas fausse ou vraie enfin l'on a vu à quels titres et dans quels cas elle est vraie ou fausse. [8] CHAPITRE VIII. § 1. L'affirmation simple et la négation simple sont celles qui énoncent une seule chose d'une seule chose, que d'ailleurs elle soit ou ne soit pas exprimée universellement. Par exemple: Tout homme est blanc, tout homme n'est pas blanc. - L'homme est blanc, l'homme n'est pas blanc. - Aucun homme n'est blanc, quelque homme est blanc, en supposant toujours que blanc exprime une chose unique. § 2. Si un seul mot sert à exprimer deux choses, qui ne forment pas une seule idée, ce n'est alors ni une affirmation simple, ni une négation simple. Par exemple, si l'on voulait prendre le mot vêtement pour exprimer les idées d'homme et de cheval, et qu'on dit : Ce vêtement est blanc, on ferait alors plus d'une affirmation, plus d'une négation. En effet, cela revient à dire que l'homme et le cheval sont blancs; ce qui veut dire encore en d'autres termes : L'homme est blanc, le cheval est blanc. Si donc ces dernières énonciations expriment plusieurs choses, et si elles sont multiples, il est évident, pour la première, ou qu'elle exprime plusieurs choses, ou qu'elle n'a aucun sens; car il n'y a pas d'homme qui soit cheval. § 3. Il en résulte que, dans ces sortes d'énonciations, il n'y a pas non plus de nécessité que l'une des contradictions soit vraie et l'autre fausse. [9] CHAPITRE IX. § 1. Dans les choses qui sont ou qui ont été, il faut nécessairement que l'affirmation ou la négation soit vraie ou fausse. Dans les choses universelles exprimées universellement, l'une est toujours vraie, l'autre est toujours fausse; il en est de même pour les choses particulières, ainsi qu'on l'a dit. Mais pour les choses universelles qui ne sont pas exprimées universellement, ceci n'est pas nécessaire. C'est encore ce qu'on a dit plus haut. Mais il en est tout autrement pour les choses individuelles, et qui sont à venir. § 2. En effet, si toute affirmation ou négation est fausse ou vraie, il s'ensuit que c'est de toute nécessité que tout est ou n'est pas. Si, par exemple, d'une chose on affirme qu'elle sera, et qu'une autre personne affirme de la même chose qu'elle ne sera pas, il faut évidemment de toute nécessité que l'un des deux dise vrai, s'il est exact de soutenir que toute affirmation ou négation est fausse ou vraie. Dans les cas de ce genre, les deux assertions ne pourront être vraies simultanément. En effet, s'il est vrai de dire, par exemple, d'une chose, qu'elle est blanche ou qu'elle n'est pas blanche, il y a nécessite que réellement elle soit blanche ou qu'elle ne <18b> le soit pas : et si elle est blanche ou ne l'est pas, il est vrai de l'affirmer ou de le nier. Si elle n'est pas telle qu'on le dit, on commet une erreur; et si on commet une erreur, c'est qu'elle n'est pas telle qu'on le dit. § 3. Voilà comment la négation ou l'affirmation est nécessairement fausse ou vraie. Il s'ensuit que rien n'est, que rien n'arrive par hasard, ni arbitrairement, que rien ne sera ou ne sera pas arbitrairement; mais que tout est de toute nécessité, sans qu'il y ait place ici pour l'alternative. En effet, ou c'est celui qui affirme, ou c'est celui qui nie, qui a raison; autrement, la chose arriverait tout aussi bien qu'elle n'arriverait pas; car ce qui est indifférent est, ou sera, de telle façon tout aussi bien que de telle autre. § 4. De plus, si, à ce moment, la chose est blanche, il était vrai de dire auparavant qu'elle serait blanche, de sorte que, d'une des choses quelconques qui se produisent, il était toujours vrai de dire qu'elle était ou qu'elle serait. Mais s'il était toujours vrai de dire qu'elle était ou qu'elle serait, il n'est pas possible que cette chose ne soit pas, ou qu'elle ne doive point être un jour; or, ce qui ne peut pas ne pas arriver, ne saurait s'empêcher d'être, et ce qui ne saurait s'empêcher d'être, doit nécessairement arriver. Donc, encore une fois, toutes les choses à venir doivent arriver nécessairement. Donc il n'y aurait rien d'arbitraire ni de produit par le hasard; car, si la chose était produite par le hasard, elle ne serait plus nécessaire. § 5. D'autre part, il n'est pas davantage possible de dire que ni l'un ni l'autre n'est vrai; de dire, par exemple, qu'il soit également faux ou que la chose sera ou qu'elle ne sera pas. Car d'abord, par là, l'affirmation étant fausse, la négation ne sera pas vraie; et la négation à son tour étant fausse, il arrivera que l'affirmation ne sera pas vraie non plus. § 6. En outre, s'il est vrai de dire qu'une chose est à la fois blanche et grande, il faut que ces deux choses soient. Si elles doivent être demain, il faudra qu'elles soient demain ; et s'il est vrai qu'elles ne seront pas demain, et qu'elles ne peuvent pas ne pas être demain, il n'y aurait plus ici d'arbitraire: par exemple, un combat naval; car il faudrait tout à la fois que ce combat ne fût pas demain, et qu'il ne pût pas ne pas être. § 7. Voilà les absurdités et bien d'autres du même genre où l'on est amené, s'il est vrai que de toute affirmation et de toute négation opposées, sur des chose universelles prises universellement , ou sur des choses individuelles, il faut nécessairement que l'une soit fausse et l'autre vraie; s'il est vrai qu'il n'y ait rien d'arbitraire dans ce qui se passe, mais que tout arrive et existe nécessairement. Par ce raisonnement, il n'y aurait plus pour l'homme ni à délibérer ni à agir, comme il fait, quand il est persuadé que s'il fait telle chose, il en résultera telle autre chose, et que, s'il ne fait pas telle chose, telle autre ne sera pas. § 8. Rien n'empêche, en effet, que l'un ne renvoie son affirmation, l'autre sa négation, à dix mille ans; de façon qu'il arrivera nécessairement l'une ou l'autre de ces choses dont on pouvait dire alors avec vérité qu'elle serait. § 9. Il importe peu, du reste, que la contradiction ait été formellement exprimée ou qu'elle ne l'ait pas été; il est clair que les choses restent ce qu'elles sont, quand même l'un ne l'affirmerait pas, ou que l'autre ne le nierait pas. Ce n'est point parce qu'on les affirme, ou qu'on les nie, qu'elles seront ou ne seront point, pas plus dans dix mille ans que dans un temps quelconque. Si donc de tout temps, il en était ainsi que l'une des deux fût vraie, il était alors nécessaire qu'elle arrivât, et toutes les choses qui arrivent ont toujours été, de telle sorte qu'elles devaient arriver nécessairement; car si l'on a dit avec vérité qu'une chose serait, il n'était pas possible qu'elle ne fût pas; et d'une chose qui est arrivée, il a toujours été vrai de dire quelle serait. § 10. Mais tout ceci est impossible; car l'expérience nous prouve que souvent la cause des choses à venir tient à notre volonté et à nos actions; et qu'en général dans les choses dont la réalité n'est pas perpétuelle, il y a possibilité égale qu'elles soient ou ne soient pas. Dans ces choses-là, l'être et le non-être sont également possibles; et par suite, elles peuvent arriver ou ne pas arriver. Évidemment, bien des choses sont pour nous dans ce cas. Par exemple: ce vêtement peut être coupé, et il ne le sera pas; car, avant de l'être, il s'usera. Mais il est également possible qu'il ne soit pas coupé; car il ne pourrait plus alors être usé auparavant, s'il n'était pas possible qu'il ne fût pas coupé. Ceci s'applique à tous les autres faits qui se produisent selon une possibilité du même genre. § 11. Ainsi donc, il est évident que tout n'existe pas nécessairement, ou n'arrive pas nécessairement; mais que certaines choses sont arbitraires, de sorte que la négation et l'affirmation ne sont pas plus vraies l'une que l'autre, et que certaines autres sont d'une façon plutôt et plus souvent que de l'autre, bien qu'il se puisse cependant toujours que l'une soit et que l'autre ne soit pas. § 12. Oui sans doute, ce qui est est nécessairement quand il est; ce qui n'est pas n'est pas nécessairement quand il n'est pas. Mais tout ce qui existe ne doit pas nécessairement exister, tout ce qui n'existe pas ne doit pas nécessairement ne pas exister; car ce n'est pas la même chose de dire que tout ce qui est, quand il est, est nécessairement, et de dire simplement qu'il est nécessairement, et de même pour ce qui n'est pas. § 13. Le même raisonnement s'applique à la contradiction. Il est nécessaire que toute chose soit ou ne soit pas, nécessaire qu'elle doive ou qu'elle ne doive pas arriver; mais cependant il n'est pas possible de dire positivement lequel des deux est nécessaire. Je m'explique : par exemple, il y a nécessité qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas demain de combat naval; pourtant il n'y a pas plus nécessité que demain il y ait de combat naval, qu'il n'y a nécessité qu'il n'y en ait pas. Cependant il faut bien nécessairement qu'il y en ait ou qu'il n'y en ait pas. § 14. Comme les énonciations sont vraies précisément comme les choses le sont, il est évident que dans les choses qui sont de telle sorte que, de quelque façon qu'elles soient, il faut aussi que les contraires soient possibles, il y a nécessite que la contradiction soit dans le même cas. C'est ce qui arrive pour les choses qui ne sont pas éternellement, ou qui ne restent pas éternellement dans le non-être. Dans ces choses, il faut qu'une ou l'autre partie de la contradiction soit vraie on fausse, non pas cependant ceci ou cela précisément, mais indifféremment. L'une a plus de chance d'être vraie que l'autre, mais elle n'est encore ni vraie ni fausse. Il est donc clair <19b> qu'il n'est pas nécessaire que, dans toute affirmation et dans toute négation opposées, l'une soit vraie, l'autre soit fausse; car il n'en est pas de ce qui n'est pas, mais peut être ou ne pas être, comme il en est des choses qui sont réellement. Ces choses-là sont comme nous venons de le dire. [10] CHAPITRE X. § 1. 1. L'affirmation exprime qu'une chose est à une autre; la chose, d'ailleurs, étant déterminée ou étant indéterminée. Et ce qui forme l'affirmation doit être un objet unique et s'appliquer à un objet unique. Nous avons dit précédemment ce que c'est qu'une chose déterminée et indéterminée. Non-homme, par exemple, n'est pas précisément ce que j'appelle un nom, c'est un nom indéterminé; car l'indéterminé exprime encore en quelque sorte un objet unique. Et de même : Il ne se porte pas bien, n'est pas un verbe, c'est un verbe indéterminé. Toute affirmation et toute négation seront donc composées ou d'un nom et d'un verbe déterminés, ou d'un nom et d'un verbe indéterminés. § 2. Sans verbe, il n'y a ni affirmation ni négation possible. Est, sera, a été, devient, ou toute autre expression analogue, ce sont là des verbes, comme on l'a établi plus haut; ils embrassent, outre leur signification propre; l'idée de temps. § 3. Ainsi la première affirmation et la première négation seront : L'homme est, l'homme n'est pas. Vient ensuite : Le non-homme est, le non-homme n'est pas. Et après : Tout homme est, tout homme n'est pas. - Tout non-homme est, tout non-homme n'est pas. Le raisonnement serait le même pour les temps en dehors du présent. § 4. Lorsque le verbe Est est attribué en troisième terme, ces oppositions peuvent déjà être doubles. § 5. Je dis, par exemple, que dans cette affirmation : L'homme est juste, le mot Est, qu'on l'appelle nom ou verbe, est en troisième terme; de sorte que, par cela même, il y a ci quatre énonciations, dont deux se rapporteront par ordre à la négation et à l'affirmation, comme privations de l'une et de l'autre ; et dont les deux dernières ne s'y rapportent pas ainsi. Je veux dire que Est sera joint à juste ou à non juste, de même qu'on y pourra joindre aussi la négation. Il y aura donc quatre cas. Du reste, le tableau suivant nous fera comprendre ceci : Soit la proposition : L'homme est juste, La négation est: L'homme n'est pas juste. L'homme est non juste, La négation est : L'homme n'est pas non juste. Dans ces divers cas, comme on voit, Est et n'est pas sont joints à juste et non juste. Tel est l'ordre de ces énonciations, ainsi qu'il a été dit dans les Analytiques. § 6. Ceci ne varie pas lors même que l'affirmation du nom est universelle. Ainsi : Tout homme est juste, La négation est : Tout homme n'est pas juste. Tout homme est non juste, tout homme n'est pas non juste : Remarquons toutefois qu'ici les propositions diamétralement opposées, ne peuvent pas être à la fois vraies, de la même façon que plus haut, bien qu'elles puissent l'être quelquefois. § 7. Ces énonciations sont opposées deux à deux. § 8. Les autres le sont aussi deux à deux, relativement à non-homme pris comme sujet. Le non-homme est juste : le non-homme <20a> n'est pas juste. - Le non-homme est non juste; le non-homme n'est pas non juste. § 9. Tel est le nombre exact de toutes les oppositions possibles. § 10. Mais ces dernières existent du reste sans les autres et par elles-mêmes, en employant non-homme comme un vrai nom. § 11. Dans les cas où le verbe Est ne peut être employé, par exemple, quand on prend les verbes : se bien porter, marcher, le nouveau verbe placé de même remplit la fonction que remplirait le verbe Est, s'il était combiné dans la phrase. Ainsi : Tout homme se porte bien, tout homme ne se porte pas bien. - Tout non-homme se porte bien, tout non-homme ne se porte pas bien. § 12. Ici, comme on voit, il ne faut pas dire non-tout homme ; mais il faut appliquer la négation Non à Homme; car le mot Tout ne signifie pas l'universel, il indique seulement qu'on s'exprime d'une manière universelle. Voici ce qui le prouve évidemment : L'homme se porte bien, l'homme ne se porte pas bien. - Le non-homme se porte bien, le non-homme ne se porte pas bien. Ces secondes formes différent des premières parce qu'elles ne sont pas exprimées universellement. Ainsi Tout et Aucun ne signifient rien autre chose, si ce n'est que l'affirmation ou la négation du nom est prise universellement. Mais, quant à tout le reste, il faut faire des adjonctions pareilles de part et d'autre. § 13. A cette affirmation : Tout être est juste, la négation contraire est celle-ci : Aucun être n'est juste. Il est évident que l'une et l'autre ne pourront jamais être vraies à la fois, ni relatives au même objet : mais les propositions opposées à celles-ci pourront l'être quelquefois: Quelque être n'est pas juste; certain être est juste. Voici comment ces propositions se suivent aussi: d'une part, à Tout homme est non-juste, se rapporte la proposition : Aucun homme n'est juste; et de l'autre, à cette proposition : Quelque homme est non-juste, se rapporte la proposition opposée : Certain homme est juste. En effet, il faut nécessairement que quelque homme soit juste. § 14. Il est évident que, même dans le cas de propositions individuelles, si l'on peut nier avec vérité en répondant à une question, on pourra aussi affirmer avec vérité. Soit, par exemple, l'interrogation : Socrate est-il sage? Non; donc Socrate est non sage. Dans les propositions universelles, au contraire, la proposition de forme semblable n'est pas vraie, mais c'est la négation qui est vraie. Soit l'interrogation : Tout homme est-il sage? Non, donc tout homme est non sage; or ceci est faux. Mais la proposition vraie est celle-ci. Donc tout homme n'est pas sage. La dernière de ce propositions est l'opposée, l'autre est la contraire. § 15. Les propositions opposées avec des noms et de verbes indéterminés, comme non-homme, non-juste, sembleraient être des négations exprimées sans noms ni verbes. Pourtant il n'en est rien; car il faut toujours que la négation soit fausse ou vraie. Or, quand on dit Non-homme, on n'exprime pas plus de vérité ou d'erreur que quand on dit Homme, et même on en exprime moins, si l'on s'abstient d'y ajouter autre chose. § 16. Mais cette proposition: Tout non-homme est juste, n'est équivalente à aucune des énonciations précédentes; non plus que la proposition opposée à celle-ci : Quelque non-homme n'est pas juste. Mais cette proposition : Tout non-homme est non juste, est équivalente à celle-ci : Aucun non-homme n'est juste. § 17. <20b> Le déplacement des noms et des verbes ne change pas le sens de la proposition. Par exemple, Est blanc l'homme, l'homme est blanc. En effet, s'il n'en était pas ainsi, il y aurait plusieurs négations pour une seule et même proposition; mais on a démontré qu'il n'y eu a qu'une seule pour une seule affirmation. A cette affirmation : Est blanc l'homme, la négation sera : N'est pas blanc l'homme. Mais à celle-ci : Est l'homme blanc, si elle n'était pas identique à la première, Est blanc l'homme, il y aura d'opposé ces négations: Le non-homme n'est pas blanc, ou bien : N'est pas l'homme blanc. Mais l'une est la négation de : Est le non-homme blanc; l'autre de : Est blanc l'homme. Et ainsi il v aurait deux négations pour une seule affirmation. Donc, il est évident que le déplacement du nom et du verbe n'empêche pas l'affirmation et la négation de rester les mêmes. [11] CHAPITRE XI. § 1. Quand on nie, et quand on affirme, d'une seule chose plusieurs choses, ou plusieurs choses d'une seule, à moins que le sens exprimé par tous ces termes ne soit un, l'affirmation non plus que la négation n'est pas simple. Quand je dis un, je ne veux pas dire qu'il y ait un nom unique imposé à ces diverses choses, mais qu'il en résulte un tout formé de ces choses. Par exemple, homme représente tout à la fois : animal, bipède et doux; et de tout cela, il résulte une seule et même idée. Au contraire, de blanc, d'homme et de marcher, il ne résulte pas une seule et même chose. Si donc l'on affirme une chose unique de tous ces objets, il n'y a pas pour cela une affirmation unique; il n'y a qu'un mot, si l'on veut, mais il y a plusieurs affirmations. Et de même, il n'y en a pas davantage une seule dans le cas où l'on applique toutes ces choses à un seul et même objet; il y a toujours plusieurs affirmations. § 2. Si donc l'interrogation dialectique est la demande d'une réponse, ou à la proposition même ou à l'une des deux parties de la contradiction, et la proposition est toujours une partie de la contradiction simple, il est évident qu'il n'y a pas dans ce cas une réponse simple; car la question n'a pas été simple non plus, en supposant même qu'elle soit vraie. Ceci, du reste, a été traité dans les Topiques. § 3. Il est clair en même temps que cette interrogation: Qu'est-ce? n'est pas dialectique; car il faut que l'interrogation dialectique laisse à choisir telle partie de la contradiction qu'on voudra prendre. Mais celui qui fait la question doit déterminer en outre ce qu'est l'homme, par exemple, ou ce qu'il n'est pas. § 4. Mais comme certaines choses attribuées séparément peuvent encore l'être en masse, de manière à ce que la totalité des attributs, qui étaient séparés, forme un attribut unique en se réunissant, et que d'autres au contraire ne peuvent se réunir, quelle est cette différence? Ainsi, on peut avec vérité, en parlant d'un homme, dire séparément qu'il est animal, qu'il est bipède; ou bien aussi réunir ces deux choses en une seule. On peut encore dire séparément qu'il est homme, qu'il est blanc; ou réunir aussi ces deux attributions. Mais il ne s'ensuit pas que, s'il est tanneur et bon, il soit par cela même bon tanneur. § 5. Si, en effet, parce que l'une et l'autre énonciation prises à part seraient vraies, il fallait aussi que, réunies, elles le fussent également, il s'ensuivrait bien des absurdités. Ainsi, relativement à l'homme, homme est vrai, blanc est vrai aussi, le tout réuni le serait donc aussi; et en outre, si blanc est vrai, le tout réuni l'est aussi, et l'on aurait l'homme est l'homme blanc, blanc; et ainsi de suite à l'infini. Par exemple encore, la réunion des trois mots: <21a> musicien, blanc, marcher; et l'on pourrait ainsi sans fin les combiner entre eux. Puis encore : si Socrate est Socrate et est homme, il s'ensuivrait que Socrate est Socrate homme, et s'il est homme et bipède, il serait homme bipède. On ne saurait donc dire d'une manière générale que ces combinaisons sont possibles, sans arriver certainement à toutes ces absurdités. § 6. Voyons maintenant quel principe il convient d'établir ici. Les attributs, et les choses auxquelles on les applique ne peuvent jamais être réunis, quand on les attribue comme accidents, soit à un même sujet, soit quand l'un est ainsi attribué à l'autre. Par exemple, dans cette proposition : L'homme est blanc et musicien, blanc et musicien ne peuvent pas se réunir; car ce sont deux accidents d'un seul et même sujet. Quand bien même il serait vrai de dire que le blanc est musicien, il n'en serait pas plus vrai de réunir en un seul tout, Blanc musicien ; car blanc n'est musicien que par accident, de sorte que Blanc musicien ne forme pas un tout. Voilà aussi pourquoi on ne peut pas dire bon tanneur d'une manière absolue, mais l'on peut dire d'une manière absolue, animal bipède; car ce n'est pas là un accident attribué à l'homme. § 7. En second lieu, on ne peut unir non plus les attributs qui sont essentiellement dans un sujet : ainsi Blanc ne saurait être répété comme plus haut, et l'homme n'est pas non plus l'homme animal, l'homme bipède; car la qualité d'animal, la qualité de bipède, sont renfermées essentiellement dans l'homme. § 8. Mais on peut avec vérité, et d'une manière absolue, désunir les attributs pour un sujet particulier. Par exemple, d'un certain homme on peut dire qu'il est homme, et d'un homme blanc qu'il est homme blanc; ceci pourtant n'est pas toujours possible. § 9. Si dans l'attribut que l'on ajoute, il y a quelque idée opposée au sujet et qui emporte contradiction, la division n'est plus vraie, elle devient fausse. Par exemple, d'un homme mort, il est faux de dire qu'il est homme. Si l'attribut n'entraîne pas de contradiction, la division est vraie. § 10. On peut se demander, lorsqu'il y a contradiction: La division est-elle toujours fausse? et lorsqu'il n'y a pas contradiction, n'est-elle pas toujours vraie? Ainsi, Homère est telle chose, poète, par exemple; Homère est-il ou n'est-il pas? Est n'est attribué que par accident à Homère; car il n'est attribué à Homère que parce qu'il est poète, mais il ne lui est pas attribué en soi-même. § 11. Ainsi donc, dans toutes les attributions où il n'y a pas de contradiction, alors même que les définitions sont substituées aux noms, et où les attributs sont au sujet par eux-mêmes et non par accident, on peut toujours, sans se tromper, appliquer absolument à la chose les attributs isolés. Toutefois, le non-être, par cela même qu'il est rationnel, ne peut avec vérité être exprimé comme étant; car la pensée qu'on s'en forme n'est pas qu'il est, mais au contraire qu'il n'est pas. [12] CHAPITRE XII. § 1. Ceci posé, il faut voir les rapports des affirmations et des négations entre elles, quand elles expriment le possible et le non possible, le contingent ou le non contingent, et enfin l'impossible et le nécessaire. Ce sujet offre plus d'une difficulté. § 2. Dans les propositions connexes, les contradictions opposées entre elles sont celles qui se forment par le verbe être et ne pas être. Par exemple, <21b> à cette proposition : L'homme est, la négation est : L'homme n'est pas, et non point: Le non-homme est. Et la négation de celle-ci : L'homme est blanc, est : L'homme n'est pas blanc, et non point: L'homme est non blanc. En effet puisque l'affirmation ou la négation doivent être vraies de toute chose, il s'ensuivrait qu'on pourrait dire, par; exemple Le bois est l'homme non blanc. Ceci s'applique également aux cas dans lesquels ce n'est pas le verbe Être qui est ajouté. Le mot mis à la place fera le même office: par exemple, à cette proposition : L'homme marche, la négation ne sera pas : Le non-homme marche, mais bien : L'homme ne marche pas. Il n'y a, en effet, aucune différence à dire que l'homme marche, ou que l'homme est marchant. Si donc cette règle s'applique à tous les cas, la négation de Pouvoir être sera Pouvoir ne pas être et non point Ne pas pouvoir être. § 3. Mais il semble qu'une même chose peut être et ne pas être; car tout ce qui peut être coupé, tout ce qui peut marcher, peut aussi ne pas être coupé, ne pas marcher. Et la raison, c'est que tout ce qui est possible ainsi, n'est pas toujours en acte, de sorte qu'il porte aussi en soi la négation. En effet, ce qui est capable de marcher, peut fort bien aussi ne pas marcher, ce qui est visible, ne pas être vu. Toutefois il est impossible que les affirmations et les négations contradictoires soient vraies par rapport à un seul et même objet : donc la négation de Pouvoir être n'est pas Pouvoir ne pas être. § 4. Car de là il résulte, ou que l'on affirme, et que l'on nie, une même chose en même temps d'un même objet, ou bien que les énonciations ajoutées d'Etre ou de Ne pas être ne forment ni affirmation ni négation. Mais si cela ne peut être, il faut choisir l'autre parti, et dire : Donc la négation de Pouvoir être est Ne pas pouvoir être, et non pas du tout Pouvoir ne pas être. Le même raisonnements s'applique à Être contingent et sa négation N'être pas contingent. Et de même pour les autres formes, Possible et Impossible. § 5. De même que dans les autres phrases, les modifications portent sur Être et ne pas être, et que blanc et homme restent les sujets de la phrase et parce que dans celle-là Être et Ne pas être deviennent des sujets Pouvoir et Être contingent deviennent des modifications, qui déterminent pour les phrases Être possible N'être pas possible, la vérité ou l'erreur, comme Etre et ne pas être la déterminaient pour les autres. § 6. En effet, la négation de cette proposition : Possible ne pas être, n'est point : Pas possible d'être, n'est point. Pas possible de ne pas être. Et de cette autre Possible d'être, la négation n'est point : Possible de ne pas être mais bien : Pas possible d'être. Ainsi les propositions Possible d'être, possible de ne pas être, sembleraient se suivre mutuellement. La même chose, en disant être et ne pas être; car ce ne sont pas des contradictoires que Possible d'être et Possible de ne pas être. Pas Possible d'être et Pas possible d'être, ne peuvent jamais être deux propositions vraies à la fois pour un seul et même objet; car elles sont contradictoires. De même aussi, Possible de ne pas être et Pas possible de ne pas être, ne sont jamais deux propositions vraies à la fois d'un seul et même objet. § 7. Pareillement la négation de Nécessaire d'être, n'est pas, Nécessaire de ne pas être, mais bien, Pas nécessaire d'être. § 8. Même raisonnement pour Impossible d'être, la négation n'est pas : Impossible de ne pas être, mais bien : Pas impossible d'être. Et de celle-ci Impossible de ne pas être, la négation est : Pas impossible de ne pas être. § 9. En général, je le répète, il faut regarder Être et ne pas être comme sujets, et coordonner avec Etre et ne pas être, les mots qui font la négation ou l'affirmation: et il faut regarder comme affirmations et négations opposées les suivantes: Possible, - pas possible; Contingent, - pas contingent; Impossible, - pas possible; Nécessaire, - pas nécessaire; Vrai, - pas vrai. [13] CHAPITRE XIII. § 1. Ces énonciations, du reste, se suivent par ordre en les disposant de cette façon : après : Est possible, vient Contingent, et l'un est réciproque à l'autre à Pas impossible répond Pas nécessaire : à Possible de ne pas être et Contingent de ne pas être répondent: Pas nécessaire de ne pas être et Pas impossible de ne pas être : à Pas possible et à Pas contingent répondent: Nécessaire de ne pas être et Impossible d'être : à Pas possible de ne pas être, et Pas contingent de ne pas être, répondent : Nécessaire d'être et Impossible de ne pas être. Le tableau ci-dessous fera voir ce que nous voulons dire : Il est possible que ce soit - Il n'est pas possible que ce soit. Il est contingent que ce soit - Il n'est pas contingent que ce soit. Il n'est pas impossible que ce soit - II est impossible que ce soit. Il est nécessaire que ce soit - Il est nécessaire que ce ne soit pas. Il est possible que ce ne soit pas - Il n'est pas possible que ce ne soit pas. Il est contingent que ce ne soit pas - Il n'est pas contingent que ce ne soit pas. Il n'est pas impossible que ce ne soit pas - Il est impossible que ce ne soit pas. Il n'est pas nécessaire que ce ne soit pas - II est nécessaire que ce soit. § 2. Ainsi, Impossible et Pas impossible suivent contradictoirement, mais à l'inverse, Contingent et Possible, Pas contingent et Pas possible. Car, après possible d'être, vient la négation de l'impossible : Il n'est pas possible que ce soit. De l'autre part, à la négation succède l'affirmation; car, à N'être pas possible, succède Être impossible; et l'on voit qu'Être impossible est une affirmation, tandis que N'être pas impossible est une négation. § 3. Quant à Nécessaire, examinons quel est l'ordre. D'abord on voit qu'ici il n'en est pas comme plus haut; mais que ce sont les énonciations contraires qui se suivent et les contradictions ne sont plus en regard. En effet, la négation de <22b> Nécessaire de ne pas être n'est point: Pas nécessaire d'être. C'est que l'une et l'autre des deux énonciations peuvent être vraies d'un seul et même objet, puisque ce qui est nécessaire de ne pas être n'est pas nécessaire d'être. § 4. Ce qui fait que Nécessaire ne suit pas dans le même ordre que les autres, c'est que l'Impossible est énoncé contrairement à nécessaire, pour qu'il ait la même valeur. En effet, si quelque chose est impossible, il est par cela même nécessaire, non pas il est vrai d'être, mais bien de ne pas être. Ce qui est impossible de ne pas être est nécessite d'être. Si donc, les premières énonciations suivent d'une façon toute pareille Possible et pas possible, ces dernières suivent contrairement, parce que Nécessaire et impossible ne signifient pas la même chose, à moins qu'on ne les prenne à l'inverse l'un de l'autre, ainsi je l'ai dit. § 5. Mais peut-on bien disposer de façon les contradictions du Nécessaire? Ainsi, Nécessaire est aussi possible : sinon, ce serait la négation qu'il faudrait prendre à la suite, puisqu'il faut de toute nécessité adopter l'une ou l'autre, de sorte que si la chose n'est pas possible; elle est impossible, et par conséquent, le nécessaire serait impossible, ce qui est absurde. Mais à : Il est possible que ce soit, succède : Il n'est pas impossible que ce soit; et à cette dernière énonciation, celle-ci : II n'est pas nécessaire que ce soit, de sorte qu'il en résulte, autre absurdité, que ce qui est nécessaire n'est pas nécessaire. § 6. Mais il est nécessaire, ne succède pas davantage à : Il est possible. Ce n'est pas non plus : Il est nécessaire que ce ne soit pas; car l'affirmation et la négation peuvent convenir toutes deux à Possible. Mais quelle que que soit celle des deux énonciations qui soit vraie, les autres pour cela ne le seront pas; car il est possible que ce soit et Il est possible que ce ne soit pas, sont vrais à la fois. Mais il est nécessaire que ce soit, et Il est nécessaire que ce ne soit pas, ne peuvent jamais être tous deux possibles. Reste donc enfin que, Il n'est pas nécessaire que ce ne soit pas, suive : II est possible que ce soit. § 7. Il n'est pas nécessaire que ce ne soit pas, est vrai également de : Il est nécessaire que ce soit. § 8. En effet, cette proposition même devient la contradiction de celle qui suit : Il n'est pas possible que ce soit; ça à cette énonciation, succède : Il est impossible que soit, et Il est nécessaire que ce ne soit pas, dont négation est : Il n'est pas nécessaire que ce ne soit pas. Ainsi donc les contradictions elles-mêmes se suivent de la manière indiquée, et il n'y a aucune difficulté si observe l'ordre tracé. § 9. On peut demander si Possible d'être suit bien Nécessaire d'être; car s'il ne le suit pas, c'est alors contradictoire : Pas possible d'être, qui doit suivre. Et si l'on prétend que ce n'est pas la vraie contradictoire il faut admettre alors nécessairement que c'est : Possible de ne pas être, énonciations qui sont toutes deux également fausses appliquées à nécessaire. Mais d'autre part, il semble que la même chose peut être coupé et n'être pas coupée; elle peut être et ne pas être; et il s'en suivra que Nécessaire d'être pourra aussi d'une manière contingente ne pas être, ce qui est faux. § 10. Mais il est évident que tout ce qui peut quelque chose, être ou marcher, ne peut pas par cela seul les contraires. Il y a certains cas où ceci cesse d'être vrai ; c'est d'abord pour les choses dont la force n'est pas rationnelle : par exemple, le feu qui est chaud, et qui a une force destituée de toute raison. Les forces douées <23a> de raison, tout en restant identiques, peuvent plus d'un acte et peuvent même les contraires. Mais les forces irraisonnables ne sont pas toutes dans ce cas; car, je le répète, il n'est pas possible au feu d'échauffer, ou de ne pas échauffer indifféremment. Cette alternative est interdite aussi à toutes les choses qui sont toujours en acte. Cependant certaines choses douées de force irrationnelle peuvent recevoir également les opposés. Mais l'on veut seulement constater ici que toute puissance n'est pas susceptible des contraires, pas même toutes celles qui sont bien de la même espèce. § 11. Quelques puissances sont homonymes. Et en effet Possible n'a pas un sens absolu. Tantôt on le dit d'un objet réel, parce que cet objet est en acte : par exemple, on dit d'un être qu'il est capable de marcher, parce qu'il marche; et en général, ou dit d'une chose qu'elle est possible, parce que déjà cette chose qui est dite possible est en fait. Tantôt on dit qu'une chose est possible, parce qu'elle pourrait être: par exemple, on dit qu'un être est capable de marcher, parce qu'en effet il pourrait marcher. De ces deux puissances, la dernière s'applique aux seuls objets muables; l'autre s'applique aussi aux objets immuables. L'on peut dire avec une égale vérité, qu'une chose est capable de marcher ou capable d'être, soit que déjà elle marche et qu'elle soit en acte, soit qu'elle puisse seulement marcher. Ce dernier genre de possible n'est pas vrai absolument du nécessaire; mais l'autre possible est vrai. § 12. De même que le particulier est suivi de l'universel, de même la nécessité d'existence est suivie de la possibilité d'existence; mais ceci pourtant n'est pas exact pour tous les possibles. § 13. Il se peut aussi que Nécessaire et non nécessaire d'être ou de ne pas être, soit le principe de toute ces affirmations et de toutes ces négations, et que le reste des séries ne dût être regardé que comme une conséquence de ces deux termes. § 14. D'après ce qui précède, il est évident que ce qui est de toute nécessité est aussi en fait. Si donc les choses éternelles sont les premières, l'acte aussi précède la puissance. Certaines choses sont des actes qui ne sont jamais en puissance, telles sont les premières substances. Certaines autres sont accompagnées de puissance; et celles-là peuvent être, d'une part antérieures par nature, et postérieures par le temps. D'autres enfin ne sont jamais des actes, mais sont seulement des puissances. [14] CHAPITRE XIV. § 1. L'affirmation est-elle contraire à la négation, ou bien l'affirmation à l'affirmation ? Et par exemple, cette proposition: Tout homme est juste, est-elle contraire à cette autre : Aucun homme n'est juste; ou bien cette proposition: Tout homme est juste, est-elle contraire à celle-ci : Tout homme est injuste? Par exemple encore: Callias est juste, Callias n'est pas juste, Callias est injuste; où est ici la contraire? § 2. Si les mots répondent à la pensée, et si la proposition contraire est dans la pensée celle du contraire, et qu'ainsi: Tout homme est juste, soit la proposition contraire à celle-ci: Tout homme est injuste, il en doit être de même pour les affirmations exprimées par la parole. Mais si la pensée contraire n'est pas ici celle du contraire, l'affirmation ne sera pas non plus contraire à l'affirmation; mais ce sera la négation qu'on a dite. § 3. Ainsi donc il faut examiner quelle pensée fausse est contraire à la pensée vraie, et savoir si c'est celle de la négation, ou bien celle qui établit affirmativement le contraire. § 4. Je m'explique: La pensée vraie d'une chose bonne est que cette chose est bonne; et cette autre, <23b> que la chose n'est pas bonne, est fausse. Que cette chose soit mauvaise, c'est encore une autre pensée. Quelle est des deux pensées celle qui est contraire à la pensée vraie? Et s'il n'y en a qu'une de contraire, dans laquelle des deux est la contraire? § 5. Ce serait se tromper beaucoup que de croire que les pensées contraires sont déterminées par cela seul qu'elles s'appliquent aux contraires. Ainsi, en parlant d'une bonne chose, dire qu'elle est bonne, et d'une mauvaise, qu'elle est mauvaise, c'est, on peut dire, la même proposition; et elle sera vraie, qu'elle soit multiple ou qu'elle soit unique. Ce sont là, sans doute, des expressions contraires; mais les propositions sont contraires, non parce qu'elles s'appliquent aux contraires, mais plutôt parce qu'elles sont exprimées contrairement. § 6. Si la pensée d'une chose bonne est qu'elle est bonne, et si c'est une autre pensée que cette chose n'est pas bonne; si en outre, il y a quelque autre chose qui n'est pas et ne peut pas être à celle-là, certainement aucune des autres pensées ne doit être regardée comme contraire, ni celles qui établissent que ce qui n'est pas est, ni celles qui établissent que ce qui est n'est pas; car les unes et les autres sont également infinies, affirmant l'existence de ce qui n'est pas, niant l'existence de ce qui est § 7. Mais les seules contraires sont celles qui renferment l'erreur, et celles-là précisément sont celles d'où viennent les générations des choses. Or les générations, et par conséquent les erreurs, viennent des opposés. § 8. Si donc le bon est à la fois bon et non mauvais, et qu'il soit bon par lui-même et non mauvais par accident; car c'est en lui un accident de n'être pas mauvais, la proposition qui s'applique à la chose en soi est, dans tous les cas, plus vraie, et plus fausse aussi, de même qu'elle est vraie. La proposition que ce qui est bon n'est pas bon est fausse relativement à ce qui est en soi, l'autre, que la chose est mauvaise, est relative à l'accident. Ainsi la pensée négative du bon est plus fausse que la pensée du contraire, et l'on commet la plus grande erreur possible pour un objet quelconque quand on a la pensée contraire; puisque les contraires sont ce qui dans un même genre diffère le plus. Si donc l'une des deux pensées est contraire, et que celle de la négation soit la plus contraire, il est évident que c'est celle-là qui est la vraie contraire. Mais cette pensée que le bon est mauvais est complexe; car il faut nécessairement supposer dans la même pensée que la chose n'est pas bonne. § 9. Si ceci doit s'appliquer également aux autres choses, on aura donc eu raison d'avancer ce qu'on a dit ci-dessus. Cette propriété de la contradiction est réelle partout, ou elle ne l'est nulle part, Mais dans les choses qui n'ont pas de contraire, la pensée fausse est celle qui est opposée à la vraie : par exemple, on se trompe, si l'on croit que l'homme n'est pas homme. Si donc ces négations ont contraires, les autres pensées de la négation ne le sont pas moins. § 10. En outre, ce sont des pensées de forme pareille qu'une chose bonne est bonne, et qu'une chose qui n'est pas bonne n'est pas bonne; et d'autre part, qu'une chose bonne n'est pas bonne, et qu'une chose qui n'est pas bonne est bonne. Ainsi donc à cette pensée vraie qui croit d'une chose qui n'est pas bonne, qu'elle n'est pas bonne, quelle sera la pensée contraire? Ce n'est certes pas celle qui prétend qu'elle est mauvaise; car cette pensée peut être vraie en même temps que l'autre, et jamais une pensée vraie n'est contraire à une pensée vraie. En effet, ce qui n'est pas bon est mauvais; et ainsi, les deux pensées peuvent être vraies à la fois. Ce n'est pas non plus celle qui établit que la chose n'est pas mauvaise; car celle-là aussi est vraie puisque ces deux pensées pourraient exister à la fois. Reste donc à cette pensée que ce qui n'est pas bon <24a> n'est pas bon, celle-ci pour contraire, que ce qui n'est pas bon est bon; car cette proposition est fausse, de sorte que cette pensée, que ce qui est bon n'est pas bon, serait contraire à celle-ci, que ce qui est bon est bon. § 11. II est évident qu'il importe fort peu que l'appellation soit universelle; car alors la négation universelle sera la contraire. Par exemple, à cette pensée, que tout ce qui est bon est bon, celle-ci sera contraire, que rien de ce qui est bon n'est bon. Car cette pensée, que le bon est bon, si le bon est pris universellement, est identique à celle-ci, que ce qui est bon est bon. Mais cette pensée ne diffère en rien de celle-ci, que tout ce qui est bon est bon. Et de même pour ce qui n'est pas <24b> bon. § 12. Si donc il en est ainsi dans la pensée, et que les affirmations et les négations exprimées dans la parole soient le symbole de ce qui est dans l'esprit, il est évident qu'à l'affirmation est contraire la négation sur le même objet pris universellement. Par exemple, à cette proposition, que tout ce qui est bon est bon, ou que tout homme est bon, celle-ci est contraire, que rien n'est bon, ou qu'aucun homme n'est bon. Mais la proposition contradictoire, c'est de dire que quelque bien n'est pas bon, que quelque homme n'est pas bon. § 13. Il est encore évident que ni une pensée, ni une de négation vraie ne peuvent être contraires à une pensée ou à une négation vraie. Les propositions contraires sont celles qui expriment les opposés. Les propositions particulières peuvent être vraies à la fois. Mais il n'est jamais possible que les contraires appartiennent à la fois à un seul et même objet.