[3,0] TRAITÉ DES PARTIES DES ANIMAUX D'ARISTOTE - LIVRE III. [3,1] CHAPITRE PREMIER. (661b) Aux organes dont il vient d'être question, tient de très près chez les animaux l'organisation des dents et celle de la bouche, que les dents environnent et qu'elles constituent. Pour les animaux autres que l'homme, les dents ont une destination commune, et elles servent à élaborer les aliments ; (662a) mais dans certaines espèces particulières, les dents servent aussi à la défense, qui se partage elle-même en deux objets consistant à faire et à ne pas souffrir. En effet, certains animaux ont des dents pour ces deux fins, de ne pas souffrir et de faire, par exemple les animaux sauvages qui sont carnassiers par nature ; d'autres, au contraire n'ont des dents que pour leur propre conservation, comme sont bon nombre d'animaux sauvages et d'animaux domestiques. 2 Mais l'homme a reçu de la nature des dents qui sont admirablement propres à l'usage commun, les dents de devant étant aiguës pour pouvoir déchirer, et les molaires étant larges et plates pour pouvoir broyer. Les canines se rapprochent des unes et des autres, et elles tiennent, par leur nature, le milieu entre les deux. Le milieu participe toujours des deux extrêmes à la fois ; et les canines sont tout ensemble aiguës et larges. Du reste, il en est de même dans ceux des animaux dont les dents ne sont pas toutes aiguës. 3 Mais les dents, dans la forme et dans le nombre où l'homme les possède, servent surtout à la parole ; car les dents de devant sont de la plus grande utilité pour prononcer les lettres. 4 Il y a des animaux qui, comme on vient de le dire, n'ont de dents que pour se nourrir. Mais ceux qui en ont à la fois pour leur défense et aussi pour l'attaque, ont tantôt des crocs comme le sanglier ; tantôt ils ont des dents aiguës et chevauchant les unes dans les autres, d'où vient qu'on dit de ces animaux qu'ils ont les dents en scie. En effet, comme toute la force de ces animaux réside dans leurs dents, qui ne peuvent être puissantes qu'à la condition d'être aiguës, celles qui doivent servir à la lutte s'emboîtent et entrent les unes entre les autres, afin qu'elles ne puissent pas s'émousser en se frottant entre elles. 5 Du reste, pas un seul animal n'est tout à la fois armé de dents en scie et de crocs, parce que la nature ne fait jamais rien en vain, ni rien d'inutile. Parmi les animaux, les uns se défendent en frappant; les autres, en mordant ; et c'est là ce qui fait que les femelles des sangliers doivent mordre, parce qu'elles n'ont pas de crocs. 6 Il nous faut ici faire une remarque qui nous servira pour le sujet que nous traitons, et pour bien des choses que nous aurons à dire plus tard. En ce qui concerne les organes qui peuvent être utiles pour l'attaque et pour la défense, la nature les répartit aux animaux qui peuvent seuls les employer, ou qui les emploient davantage ; elle les donne surtout à ceux qui en font le plus d'usage, aiguillon, ergot, cornes, crocs, et tel autre organe de cette sorte ; et comme le mâle est plus fort et plus courageux, c'est tantôt lui seul qui a des organes de ce genre, et tantôt c'est lui qui les a plus que la femelle. 7 Quand ce sont des organes indispensables même aux femelles, par exemple les organes relatifs à l'alimentation, elles en ont de plus faibles, mais elles les ont. Quant aux organes qui ne servent pas à des fonctions absolument nécessaires, les femelles ne les ont plus; (662b) et voila comment, dans l'espèce des cerfs, les mâles ont des cornes, et comment les femelles n'en ont pas. Les cornes des bœufs-femelles diffèrent également des cornes des taureaux ; et la même différence se retrouve chez les moutons. Dans les espèces qui sont armées d'ergots, le plus souvent les femelles n'en sont pas pourvues. 8 Les mêmes variétés se retrouvent pour d'autres organes de même ordre. Tous les poissons ont les dents alternées en scie, excepté le poisson qu'on appelle le scare. Beaucoup de poissons ont même des dents sur la langue et au voile du palais. La cause de cette organisation, c'est qu'étant nécessairement plongés dans le liquide, ils l'avalent en même temps que leur nourriture, et qu'ils doivent rejeter bientôt le liquide absorbé. Ils ne peuvent donc pas être longtemps à broyer leurs aliments, parce que le liquide pénétrerait jusque dans leurs cavités intérieures. Aussi, toutes leurs dents sont-elles aiguës pour déchirer la nourriture qu'ils prennent. Aussi encore, ces dents sont-elles nombreuses et répandues en plusieurs endroits, afin qu'au lieu de broyer, elles divisent, grâce à leur nombre, en une foule de morceaux les aliments que prend l'animal. Elles sont en outre recourbées, parce que c'est dans ces conditions que consiste toute leur force. 9 La bouche que la nature a donnée aux animaux leur sert pour ces diverses fonctions et leur sert aussi pour la respiration, dans toutes les espèces qui respirent et qui tirent leur refroidissement du dehors. Ainsi que nous venons de le dire, la nature, dans les combinaisons qui lui sont propres, emploie les organes communs de toutes ces fonctions à certaines fonctions particulières. Par exemple, la fonction générale de la bouche dans tous les animaux, c'est de servir à leur alimentation ; mais chez quelques-uns, la bouche sert très spécialement au combat et à la lutte ; chez d'autres, elle sert au langage ; mais elle n'est pas chez tous les animaux employée à la respiration. 10 La nature a réuni toutes ces fonctions en un seul organe, faisant que la variation de cette seule et unique partie puisse servir à des usages variés. Ainsi, tels animaux ont la bouche plus étroite; tels autres ont une grande bouche. Tous ceux où la bouche sert tout ensemble à l'alimentation, à la respiration et au langage ont une bouche plus petite. Mais quand la bouche doit servir à la défense, les animaux à dents alternées ont tous des bouches très ouvertes. La lutte, pour eux consistant dans des morsures, il fallait que l'ouverture de la bouche fut très grande pour leur être utile à cette condition. Ils peuvent mordre alors avec plus de dents et sur plus d'étendue, en proportion même de l'ouverture de leur gueule. 11 Les poissons qui mordent et qui sont carnassiers ont une bouche de ce genre ; mais ceux qui ne sont pas carnivores ont la bouche en pointe et tronquée, parce que de cette façon elle leur est utile, et que de l'autre façon elle ne le leur serait pas. 12 Les oiseaux ont pour bouche ce qu'on appelle leur bec; le bec leur tient lieu en effet de lèvres et de dents. Le bec diffère selon les usages auxquels il sert, et selon le secours dont l'être a besoin. (663a) Les oiseaux à serres recourbées, comme on les appelle, ont tous le bec recourbé aussi, parce qu'ils mangent de la chair et qu'ils ne se nourrissent jamais de fruits. Ainsi fait, le bec leur sert à vaincre l'ennemi; et sous cette forme, il est plus solide pour leur assurer la victoire. La force nécessaire à ces oiseaux pour le combat est dans leur bec et dans leurs serres, qui, dans cette vue, sont plus recourbées. 13 Chez les autres espèces, le bec sert à chacune pour leur genre de vie. Ainsi, dans les oiseaux qui frappent les arbres, le bec est fort et dur, comme il l'est chez les corbeaux et dans les espèces analogues au corbeau. Dans les petits oiseaux, le bec est mince, pour qu'ils puissent recueillir les fruits et attraper les animaux tout petits. 14 Ceux qui mangent des herbes et qui vivent près des marais, comme les nageurs et les palmipèdes, ont tantôt un bec qui leur est utile d'une autre façon, tantôt ils ont un bec très large. Avec un bec de ce genre, ils peuvent aisément creuser la terre, comme le fait, dans les quadrupèdes, le groin du cochon, qui vit de racines. Les oiseaux qui se nourrissent également de racines, et quelques-uns de ceux qui vivent comme eux, ont les extrémités du bec dentelées ; car pour manger de l'herbe, un bec ainsi fait rend leur alimentation facile. 15 Ainsi, nous venons de parler de presque toutes les parties qui sont dans la tête. Chez l'homme, la partie qui est comprise entre la tète et le cou s'appelle le visage, et l'on peut croire qu'on l'a nommé ainsi à cause de la fonction qu'il remplit. Comme l'homme est le seul animal qui se tienne droit, il regarde en avant de lui ; et c'est également en avant qu'il émet sa voix. [3,2] CHAPITRE II. 1 C'est aussi le lieu de parler des cornes, parce qu'elles sont placées sur la tête dans les animaux qui en ont. Il n'y a que les vivipares qui en aient. Il est bien quelques autres espèces dont on dit par assimilation et par métaphore qu'elles ont des cornes; mais, dans aucune des ces espèces, il n'y a de cornes véritables, remplissant leur office. Les vivipares ont des cornes pour la défense et pour l'attaque, ce qui ne se voit dans aucune de ces espèces auxquelles on attribue de prétendues cornes ; car il n'en est pas une qui se serve de ses cornes pour se défendre, ni pour vaincre ses ennemis ; ce qui est proprement l'œuvre de la force. 2 Il n'y a pas d'animal ayant des pieds à plusieurs divisions qui soit pourvu de cornes. La cause en est que la corne n'est qu'un moyen de défense, et que les animaux ayant des pieds à plusieurs divisions ont dès moyens de défense différents de celui-là. Aux uns, la nature a donné des ongles ; aux autres, elle a donné des dents meurtrières; à d'autres encore, tels autres moyens très suffisants de se défendre. Mais la plupart des animaux à double pince ont des cornes propres à la lutte et au combat ; ainsi que quelques solipèdes, d'autres en ont aussi pour se défendre. (663b) Ceux auxquels la nature n'a pas donné de cornes ont, pour leur conservation, une autre ressource ; ils ont reçu d'elle la rapidité de la course, comme le cheval, ou la grandeur du corps, comme les chameaux ; car une supériorité de grandeur suffît pour empêcher qu'un animal ne soit détruit par les autres animaux; ce qui est le cas des chameaux, et bien plus encore des éléphants. D'autres animaux qui ont des crocs ou boutoirs, comme les sangliers, ont deux pinces. 3 Toutes les fois que le développement des cornes aurait été inutile, la nature assure à l'animal un autre genre de défense; ainsi, elle donne aux cerfs la vélocité ; car la grandeur et la division du bois leur nuit plutôt qu'elle ne leur sert. La nature a donné cette même vélocité aux buffles et aux gazelles, qui se défendent d'abord avec leurs cornes contre certaines attaques, et qui peuvent échapper par la rapidité de leur fuite aux bêtes fauves et aux animaux belliqueux. Même aux bonases qui ont des cornes recourbées l'une vers l'autre, la nature va jusqu'à donner la faculté de lancer leurs excréments; ce qui les aide à se défendre, quand ils ont peur. Il y a d'autres animaux encore qui se sauvent par une projection semblable de leurs excréments. 4 D'ailleurs, la nature n'a pas accumulé, pour les mêmes animaux, plusieurs moyens, quand un seul suffisait à les défendre. La plupart des animaux pourvus de cornes ont le pied fourchu ; on cite même comme ayant des cornes le solipède qu'on nomme l'âne indien. 5 Dans la plupart des animaux, de même que les organes du corps au moyen desquels ils se meuvent se partagent en droite et en gauche, de même, et par une raison toute pareille, la nature leur a fait deux cornes. Il y en a cependant quelques-uns qui n'ont qu'une seule corne, comme l'Oryx et l'âne indien, dont on vient de parler. L'Oryx a le pied fourchu ; mais l'âne de l'Inde est solipède. Les animaux à une corne unique l'ont au milieu de la tête ; car cette position est la plus propre à donner, en quelque sorte, une corne à chaque côté, puisque le milieu est commun aux deux extrêmes. 6 Il semblerait plus rationnel que le solipède eût une corne unique plutôt que l'animal à pied fourchu. La sole et la pince sont de même nature que la corne, de telle manière que les soles et les cornes se divisent tout ensemble et de la même manière chez les mêmes animaux. De plus, la division et la double pince ne sont qu'un défaut de la nature ; et il est conforme à la raison qu'ayant donné aux solipèdes un avantage dans leurs soles, la nature leur ôte quelque chose par en haut et ne leur accorde qu'une seule et unique corne. 7 C'est encore avec grande sagesse que la nature a placé les cornes sur la tête ; et elle n'a pas fait les choses comme le voulait le Momus d'Ésope, qui reprochait au taureau de n'avoir pas les cornes sur les épaules, ce qui l'aurait aidé, disait-il, à frapper (664a) les coups les plus terribles, et de les avoir sur la partie la plus faible de la tête. C'est faute d'avoir porté ses regards assez loin que Momus risquait cette critique ; car de même que, si la nature avait mis les cornes sur toute autre partie du corps, elles n'auraient eu qu'un poids excessif qui les aurait rendues absolument inutiles et qu'elles eussent été gênantes dans une foule de cas et de mouvements, de même les cornes placées sur les épaules auraient été également embarrassantes. 8 C'est qu'il ne faut pas regarder seulement au point du corps d'où les coups seraient les plus vigoureux ; il faut aussi regarder au point d'où ils peuvent porter le plus loin possible. Par conséquent, comme les animaux n'ont pas de mains et qu'il était bien impossible de placer leurs cornes sur leurs pieds, puisque, placées sur les genoux, elles eussent empêché toute flexion, il fallait nécessairement les leur mettre sur la tête, comme ils les ont maintenant ; et c'est grâce à cette disposition que les cornes empêchent aussi le moins possible tous les autres mouvements du corps. 9 Il n'y a que les cerfs qui aient des cornes pleines d'un bout à l'autre ; et le cerf est le seul animal qui les perde. Cette chute de leurs bois leur est bonne en ce qu'elle les allège, et elle est nécessaire, parce que ces bois sont très pesants. Dans tous les autres animaux, les cornes sont creuses jusqu'à une certaine limite ; mais la pointe est toujours solide, parce que cette solidité est utile pour porter les coups. Et pour que le creux ne fût pas trop faible, la nature n'a pas pris les cornes sur la peau ; mais elle a mis la partie solide de la corne en accord avec les os. 10 Les cornes disposées comme elles le sont naturellement, sont tout ensemble le plus utiles possible pour la lutte, et le moins gênantes pour toutes les autres fonctions de la vie. 11 Nous venons d'expliquer quel est le but de la disposition que la nature a donnée aux cornes, et nous avons dit pourquoi tels animaux ont des cornes ainsi faites, et tels autres n'en ont pas. Voyons maintenant comment, la nature des cornes étant nécessairement ce qu'elle est dans les animaux qui en sont pourvus, la nature, qui est toujours raisonnable, a dû nécessairement aussi les employer à des usages de diverses sortes. D'abord, comme la partie matérielle et terreuse est plus grande dans les animaux plus grands, nous ne connaissons pas de très petit animal qui ait des cornes ; le plus petit de tous ceux qu'on connaît est la gazelle. 12 Mais pour bien savoir ce qu'est la nature, il faut regarder à la majorité des cas ; car l'ordre vrai de la nature se montre, ou dans l'ensemble de tous les cas, ou du moins dans leur pluralité. Or, la partie osseuse dans le corps des animaux est terreuse; aussi la plus grande quantité de matière osseuse se rencontre-t-elle dans les plus grands animaux, si l'on regarde à la généralité. Comme il y a un excès de cette sécrétion spéciale dans les plus grands animaux, la nature la détourne pour en faire une ressource et une utilité ; et comme cette matière se dirige et afflue nécessairement en haut, la nature la répartit chez certains animaux en dents et en crocs ; et chez d'autres, elle la répartit en cornes. 13 De là vient que pas un animal à cornes n'a la double rangée de dents ; (664b) car les dents de devant leur manquent à la mâchoire supérieure. En les leur enlevant, la nature en a fait profiter les cornes ; et la nourriture qu'elle eut donnée à ces dents-là, est employée à faire croître les cornes. 14 Si les femelles des cerfs n'ont pas de cornes, tandis qu'elles ont des dents toutes pareilles à celles des mâles, c'est que les femelles et les mâles ont la même nature, et que tous deux sont des bêtes à cornes. Si les cornes sont refusées aux femelles, c'est qu'elles ne sont pas même utiles aux maies, qui en souffrent moins à cause de leur force. 15 Quant aux autres animaux chez lesquels cette partie du corps ne produit pas cette sécrétion, tantôt la nature leur fait croître à tous des dents énormes ; tantôt elle leur donne des crocs, qui sont comme des cornes sortant des mâchoires. [3,3] CHAPITRE III. 1 Après avoir parlé, comme nous venons de le faire, des diverses parties dans la tête, nous trouvons, au-dessous de la tête, le cou, dans les animaux auxquels la nature en a donné un. Tous les animaux, en effet, n'en ont pas ; et les seuls qui en aient sont ceux qui ont les organes pour lesquels le cou est naturellement fait. Ce sont le pharynx, et ce qu'on appelle l'œsophage. Le pharynx est destiné par sa nature à la respiration ; c'est par ce conduit que les animaux font entrer l'air dans leur intérieur, et le rejettent, en aspirant et en expirant. Aussi, les animaux qui n'ont pas de poumon n'ont-ils pas non plus de cou ; et tel est le genre des poissons. L'œsophage est le canal par où les aliments passent dans l'estomac, de telle sorte que les animaux qui n'ont pas de cou n'ont pas non plus d'œsophage, par une conséquence évidente. 2 Il n'est pas de nécessité absolue pour l'alimentation qu'il y ait un œsophage ; car il ne sert point à la préparer en quoi que ce soit. De plus, la position de la bouche étant donnée, l'estomac peut venir immédiatement après elle, tandis que ce n'est pas possible pour le poumon. En effet, il faut qu'il y ait comme un tuyau commun par où l'air puisse se répandre par les artères dans les bronches, puisque ce conduit est double ; et c'est à cette condition qu'il remplit le plus complètement son office d'aspirer et d'expirer. 3 Mais, l'organe indispensable à la respiration ayant nécessairement une certaine longueur, il faut non moins absolument que l'œsophage soit entre la bouche et l'estomac. L'œsophage est charnu ; il a la tension d'un nerf; il est nerveux pour pouvoir se distendre quand la nourriture arrive et y passe; il est charnu pour pouvoir rester mou, se distendre, et n'être pas endommagé, en étant trop dur, par les aliments qui y descendent. 4 Ce qu'on nomme le pharynx et l'artère sont formés d'un corps cartilagineux ; (665a) car le pharynx ne doit pas servir seulement à la respiration ; il sert en outre à la voix; et pour résonner, il doit être lisse et avoir de la solidité. L'artère est placée en avant de l'œsophage, bien qu'elle puisse l'empêcher de recevoir la nourriture ; car si quelque chose de sec ou de liquide vient à entrer dans l'artère, ce corps étranger y cause des suffocations, des douleurs et des toux très pénibles. 5 Aussi, c'est ce dont pourrait s'étonner quelqu'un de ceux qui soutiennent que c'est par l'artère que l'animal reçoit et avale sa boisson. Tout le monde peut savoir bien clairement ce qu'il en est, quand un peu de nourriture vient à s'égarer dans l'artère. Mais on aurait cent raisons de trouver vraiment plaisant de soutenir que c'est là le canal de la boisson ; car il n'y a pas de canal qui aille du poumon à l'estomac, ainsi que nous voyons l'œsophage partir de la bouche. 6 En outre, dans les vomissements, soit à terre, soit sur mer, on ne peut pas avoir le moindre doute sur l'organe par où passe le liquide qu'on rejette. Il n'est pas moins clair, non plus, que ce n'est pas dans la vessie immédiatement que le liquide se réunit, mais que c'est d'abord dans l'estomac. Ce que l'estomac rejette alors de ses excrétions a une couleur de lie de vin rouge. C'est d'ailleurs ce qu'on a pu voir bien souvent dans les blessures du ventre. Mais ne montrons pas nous-mêmes trop de naïveté, en nous arrêtant trop longtemps à des arguments si naïfs. 7 L'artère, placée en avant comme elle l'est, ainsi que nous venons de l'expliquer, est gênée par la nourriture ; mais c'est dans cette vue que la nature a imaginé l'épiglotte. Tous les vivipares n'ont pas cet organe ; mais ceux-là seuls en sont pourvus qui ont un poumon, qui ont la peau velue, et qui n'ont ni écailles ni plumes. 8 Chez ces derniers animaux, l'épiglotte est suppléée par le pharynx, qui se contracte et qui s'ouvre de la même manière où chez les autres l'épiglotte s'abaisse et se relève par l'entrée et la sortie de la respiration, en se refermant pour que, quand la nourriture y arrive, rien ne puisse pénétrer dans l'artère. S'il y a quelque chose qui, par négligence, vient à gêner le mouvement et si l'on vient à respirer quand les aliments y sont apportés, on a des accès de toux et des suffocations, ainsi que nous venons de le dire. 9 Ce mouvement du larynx et de la langue est si admirablement combiné, que la nourriture ayant été triturée dans la bouche, et traversant le long de l'artère, il en reste très peu sous les dents, et qu'il ne s'en détourne que bien rarement une parcelle dans l'artère. 10 Les animaux dont on vient de parler n'ont pas d'épiglotte, (665b) parce que leur chair est sèche et que leur peau est dure, de telle sorte que cet organe, formé chez eux de cette chair et de cette peau, n'aurait pas eu assez de mobilité ; mais la contraction des extrémités de l'artère aurait eu lieu plus vite que celle de l'épiglotte, formée de la chair spéciale qu'ont les animaux couverts de poils. 11 Telles sont les raisons qu'on peut donner pour expliquer comment tels animaux ont une épiglotte, et pourquoi tels autres n'en ont pas, et comment la nature a porté remède à la position défectueuse de l'artère, en imaginant l'épiglotte. 12 Quant au pharynx, il y a nécessité qu'il soit en avant de l'œsophage. En effet, le cœur est sur le devant et dans le milieu ; et c'est dans le cœur que nous plaçons la source de la vie, de tout mouvement, de toute sensation. La sensation et le mouvement sont placés dans ce qu'on appelle le devant, et c'est d'après cette même notion qu'on distingue le devant et le derrière dans l'animal. Le poumon est placé là où est le cœur, qu'il entoure; et la respiration se fait par le poumon, et par le principe qui réside dans le cœur. Or la respiration des animaux a lieu par l'artère, de telle sorte que, le cœur étant nécessairement placé le premier sur le devant, il est nécessaire, par suite, que l'artère et le pharynx soient placés devant l'œsophage. Le pharynx et l'artère se rendent au poumon, tandis que l'œsophage se rend à l'estomac. On peut dire qu'en général le meilleur et le plus important se trouvent, quand rien de plus grand n'y fait obstacle, pour le haut et le bas, dans ce qui est plus en haut ; pour le devant et le derrière, dans ce qui est sur le devant ; et pour la droite et la gauche, dans ce qui est à droite. [3,4] CHAPITRE IV. 1 Après avoir parlé du cou, de l'œsophage et de l'artère, la suite naturelle est de parler des viscères. II n'y a de viscères que dans les animaux qui ont du sang. Les uns ont tous les viscères ; les autres ne les ont pas tous sans exception. Pas un seul des animaux exsangues n'a de viscères. A cet égard, Démocrite semble n'avoir pas bien compris les choses quand il croyait que, dans les animaux qui n'ont pas de sang, les viscères ne sont pas visibles à cause de leur petitesse. 2 Dans les animaux qui ont du sang, le cœur et le foie sont reconnaissables immédiatement après la constitution de ces animaux, et tout petits qu'ils sont encore. Parfois, dans des œufs qui ne sont que de trois jours, on distingue ces viscères, qui n'ont que la dimension d'un point, (666a) et on les retrouve excessivement petits dans les fœtus venus avant terme. On peut ajouter que, de même que pour les parties extérieures, chez les animaux, elles ne sont pas employées dans tous aux mêmes usages, mais que chacune a une destination spéciale appropriée aux genres de vie et aux mouvements de l'animal, de même les parties internes varient d'une espèce à l'autre. 3 Les viscères sont particuliers aux animaux qui ont du sang ; et voilà comment chacun d'eux se compose de matière sanguine. On le voit sans peine sur les nouveau-nés ; ils sont plus pleins de sang et proportionnellement plus grands, parce qu'alors la forme de la matière et la quantité se voient de la façon la plus manifeste dans cette première constitution. Le cœur se trouve dans tous les animaux qui ont du sang, et nous avons dit antérieurement pourquoi il en est ainsi. 4. Il est évident d'abord que, dans les animaux qui ont du sang, le sang est nécessaire. Le sang étant liquide, il fallait qu'il y eut un vaisseau pour le contenir; aussi est-ce là la fonction à laquelle la nature a destiné les veines. Il faut nécessairement encore qu'il n'y ait qu'une seule origine pour les veines ; car là où c'est possible, une seule origine vaut mieux que plusieurs. C'est le cœur qui est le principe et l'origine des veines ; car les veines partent évidemment du cœur et ne le traversent pas ; la nature du cœur est veineuse, parce que le cœur est de même genre que les veines. 5 La position même du cœur est bien la place qui convient à un principe ; il est vers le centre du corps, plutôt en haut qu'en bas, et plutôt en avant qu'en arrière. C'est que, dans les choses qui sont plus importantes, la nature attribue le siège le plus important à ce qui n'a rien de plus grand que lui qui lui fasse obstacle. 6 On peut vérifier le fait de la manière la plus certaine chez l'homme mais même dans les autres animaux, la nature veut pareillement que le cœur soit placé dans le centre de la partie du corps qui est indispensable; et l'extrémité de cette partie du corps est celle par où sortent les excréments. Les membres peuvent naturellement différer d'une espèce à une autre, parce que les membres ne sont pas absolument nécessaires à la vie, puisque les animaux peuvent vivre avec des membres de moins ; et il est tout aussi évident que des membres surajoutés ne les empêchent pas de vivre non plus. 7 Mais quand on suppose que le principe des veines est dans la tête, on méconnaît la vérité. D'abord, c'est créer à plaisir plusieurs principes et des principes dissémines ; ensuite, c'est les mettre dans un lieu froid; car ce lieu est évidemment d'une froideur extrême, tandis que la région du cœur est tout le contraire. Ainsi qu'on l'a dit, les veines passent à travers les autres viscères; mais il n'y a pas de veine qui traverse le cœur ; et c'est là ce qui démontre bien que le cœur est une partie des veines et qu'il est leur principe. Cela se conçoit aisément. Le centre du cœur est un corps naturellement épais et creux, plein de sang, puisque c'est de lui que partent les veines qui en sont remplies; il est creux pour pouvoir être le réceptacle du sang, et épais, afin de pouvoir conserver le principe de la chaleur. 8 (666b) Parmi les viscères et dans le corps entier, le cœur est le seul à avoir du sang, sans avoir de veines, tandis que tous les autres organes du corps ont du sang contenu dans des veines. Cette disposition se comprend tout à fait, puisque le sang part du cœur pour se précipiter dans les veines, tandis que le sang ne vient d'aucune autre partie dans le cœur. C'est lui qui est le principe et la source du sang, ou, si l'on veut, son premier réceptacle. 9 Tout cela est démontré bien plus clairement encore par l'Anatomie; et on le voit sans peine en observant les naissances des animaux. De toutes les parties qui les composent, c'est le cœur qui est la première à avoir immédiatement du sang. Evidemment, c'est du cœur aussi que partent toutes les émotions causées par les choses agréables ou pénibles ; en un mot, le cœur est le point de départ de toutes les sensations, de même aussi que c'est au cœur qu'elles aboutissent. De cette façon, les choses sont merveilleusement arrangées ; car il faut qu'il n'y ait qu'un seul principe, là où la chose est possible; et le centre est le lieu qui est le mieux disposé pour l'être. Le centre, ou milieu, est un et unique; tout peut s'y rendre également, ou tout au moins s'en rapprocher. 10 D'un autre côté, comme aucune partie dépourvue de sang n'est sensible et que le sang lui-même ne l'est pas non plus, il est clair que la partie qui, primitivement, contient le sang comme le ferait un vase, doit nécessairement en être le principe. Mais ce n'est pas la raison seulement qui approuve cette disposition des choses, c'est en outre l'observation sensible qui l'atteste. Ainsi, dans les fœtus qui viennent de naître, la première partie que l'on voit se mouvoir, c'est le cœur, comme s'il était déjà un animal, parce qu'il est le principe de la nature qu'ont les animaux pourvus de sang. 11 Ce qui prouve bien encore que nous sommes dans le vrai à cet égard, c'est que tous les animaux qui ont du sang ont un cœur, parce qu'il faut de toute nécessité qu'ils possèdent le principe de leur propre sang. 12. Il n'est pas moins certain que le foie, comme le cœur, se retrouve dans tous les animaux qui ont du sang ; mais personne ne pourrait supposer que c'est le foie qui est le principe du reste du corps, non plus que le principe du sang. Sa position n'a rien qui représente celle d'un principe ; et dans les animaux les plus complets, la rate est en quelque sorte le pendant du foie. De plus, le foie n'a pas en lui le réceptacle du sang, comme l'a le cœur ; mais, ainsi que pour toutes les autres parties du corps, le sang qu'il a est dans une veine. On peut ajouter que la veine traverse le foie, tandis que pas une veine ne part de lui, puisque toutes les veines partent uniformément du cœur. 13 Puis donc qu'il faut que l'un de ces deux organes soit le principe du sang, et que ce n'est pas le foie, le cœur est nécessairement le principe du sang. Ce qui constitue et détermine l'animal, c'est la sensibilité ; le premier sensible est le sensible qui est le premier à avoir du sang ; (667a) c'est là précisément ce qu'est le cœur, qui est le principe du sang, et le premier à en avoir. Son extrémité est pointue et plus dure que le reste ; il est placé dans la poitrine ; et généralement dans la partie antérieure du corps, pour n'être point exposé à se refroidir. 14 Dans tous les animaux, la poitrine est la partie la moins charnue ; les parties postérieures le sont au contraire davantage ; aussi de cette façon, la chaleur a-t-elle, grâce au dos, une forte couverture. Tous les animaux autres que l'homme ont le cœur au centre de la région thoracique; mais chez l'homme, il incline un peu à gauche, afin de contrebalancer le refroidissement de la partie gauche, parce que c'est l'homme qui de tous les animaux a la partie gauche la plus froide. 15 Nous avons dit antérieurement que, dans les poissons, le cœur est placé de même, et nous avons expliqué pourquoi il semble qu'il n'est pas dans la même position. Il a sa pointe vers la tête ; et la tête est le devant, puisque c'est dans ce sens que le mouvement a lieu. 16 Le cœur a encore une multitude de nerfs ; et cela est très sage, puisque c'est du cœur que partent les mouvements, et ils s'exécutent par l'adduction et la détente. Le cœur doit rendre ce service et avoir cette force. Le cœur est donc par sa nature, ainsi que nous l'avons dit antérieurement, une sorte d'animal à part dans les animaux qui ont un cœur. Il est sans os dans tous ceux que nous avons nous-mêmes observés, sauf les chevaux et certaine espèce de bœufs. Pour ces animaux, c'est à cause de leur grandeur, que l'os qu'ils ont dans le cœur est une sorte de soutien, comme ils en ont dans tout le reste de leur corps. 17 Les cœurs des grands animaux ont trois cavités. Dans de plus petits animaux, le cœur a deux cavités ; et tous les cœurs en ont une. Nous avons déjà expliqué la cause de cette organisation. C'est qu'il doit y avoir un lieu spécial pour le cœur, et un réceptacle pour le premier sang. Nous avons démontré déjà plus d'une fois que le sang se produit tout d'abord dans le cœur, et qu'il y a deux veines principales, l'une qu'on appelle la grande veine, et l'autre l'aorte. L'une et l'autre étant le principe des veines et présentant des différences, sur lesquelles nous aurons à revenir plus tard, il valait mieux que les principes de toutes les deux fussent séparés ; et ce résultat est obtenu à l'aide d'un sang qui est de deux natures et qui se sépare. 18 Aussi, dans tous les cas où cette séparation est possible, y a-t-il deux réceptacles du sang ; or, elle est possible dans les grands animaux ; car leurs cœurs sont également de grande dimension. Il était mieux aussi qu'il y eût trois cavités, afin qu'il n'y eut qu'un seul principe commun. Le milieu et l'impair est le principe. Il faut donc toujours à ces cœurs des dimensions plus grandes; et aussi il n'y a que les cœurs les plus gros qui aient trois cavités. Ce sont les cavités de droite qui ont le plus de sang, et le sang le plus chaud ; (667b) et c'est ce qui fait que les parties droites sont plus chaudes que les autres parties. Les cavités gauches en ont le moins, et celui qu'elles ont est le plus froid. Celles du milieu ont le sang qui tient le milieu en quantité et en chaleur. 19 C'est aussi le sang le plus pur; car il faut que le principe soit dans le calme le plus complet possible ; et en effet, le calme est le plus complet quand le sang est pur et qu'il est entre deux comme quantité et comme chaleur. Les cœurs ont aussi une division d'un certain genre qui ressemble assez à des sutures ; ces sutures ne se confondent pas comme il arrive dans un composé formé de plusieurs parties; mais ainsi que nous venons de le dire, c'est plutôt une division. 20 Les cœurs des animaux très sensibles sont plus divisés et compliqués; ceux des animaux qui sont moins sensibles, sont moins compliqués aussi ; par exemple, ceux des cochons. Les différences du cœur relativement à sa grosseur et à sa petitesse, à sa dureté et à sa mollesse, ne laissent pas que d'avoir une certaine influence sur le caractère de l'animal. Les animaux insensibles ont le cœur dur et compact ; ceux qui sont sensibles l'ont plus mou. Ceux qui ont de gros cœurs sont lâches; ceux qui ont le cœur plus petit et de grosseur moyenne sont plus braves. L'impression que cause la peur est préalablement déjà dans ces gros organes des animaux, parce que la chaleur n'est pas chez eux en proportion avec leur coeur, et qu'étant très faible dans les grands animaux, elle s'éteint chez eux ; car le sang alors devient plus froid. 21 Le lièvre, le cerf, le rat, l'hyène, l'âne, le léopard, le chat ont de très gros cœurs, comme en ont aussi presque tous les autres animaux qui sont manifestement lâches, ou qui ne sont malfaisants que par peur. Il en est à peu près des cavités du cœur comme il en est des veines ; les grosses veines et les grandes cavités sont également froides. Car de même que, dans une petite ou dans une grande chambre, un feu égal donne moins de chaleur dans une pièce plus grande, de même la chaleur agit pareillement dans ces animaux. La veine et la cavité sont des vaisseaux. 22 De plus, les mouvements de choses étrangères refroidissent toujours ce qui est chaud ; mais il y a plus d'air dans des mouvements plus étendus, et l'air y a plus de force. Aussi, aucun des animaux qui ont de grandes cavités, non plus qu'aucun de ceux qui ont de grandes veines, ne sont jamais chargés de graisse ni de chair ; tous les animaux qui sont gras, ou du moins le plus grand nombre, n'ont que des veines imperceptibles, ou de très petites cavités. 23 De tous les viscères, et généralement de toutes les parties du corps, le cœur est la seule qui ne puisse supporter jamais la moindre lésion sérieuse; et cela se conçoit bien, puisque, le principe une fois détruit, il n'y a plus de salut possible pour toutes les autres parties qui s'y rattachent. Ce qui prouve que le cœur ne peut supporter de lésion d'aucun genre, c'est que, dans les victimes qu'on sacrifie, (668a) on n'a jamais vu le cœur être malade comme le sont les autres viscères. Ainsi, les reins sont souvent remplis de pierres, de végétations, de boutons, ainsi que le foie, et aussi le poumon, et surtout la rate. Bien d'autres maladies semblent atteindre ces organes ; mais elles atteignent bien moins le poumon près de l'artère, et le foie près de sa jonction avec la grande veine. Ceci, d'ailleurs, est dans l'ordre, parce que c'est par là que ces organes communiquent surtout avec le cœur. Les animaux qui meurent de maladie, ou de ces affections, ne présentent jamais, quand on les dissèque, les désordres morbides que dans les environs du cœur. [3,5] CHAPITRE V. 1 Nous venons de parler du cœur, de sa nature, de sa destination et des fonctions qu'il doit remplir, dans les animaux qui en ont un ; la suite de ce qui précède, c'est de traiter des veines, c'est-à-dire de la grande veine et l'aorte. Ce sont elles qui reçoivent les premières le sang du cœur ; et les autres veines ne sont que des ramifications de celles-là. 2 Nous avons déjà dit que les veines sont faites en vue du sang. Tout liquide a besoin d'un vaisseau pour le contenir; toutes les veines ne sont qu'un vaisseau ; et le sang est renfermé dans les veines. Expliquons maintenant comment il n'y en a que deux, qui, partant d'une origine unique, se répandent dans le corps entier. Si les veines aboutissent toutes à un seul point de départ, d'où elles sortent également toutes, c'est que tous les êtres n'ont en acte et en fait qu'une seule et unique âme sensitive; il en résulte qu'il n'y a dans le corps qu'un seul organe qui puisse avoir primitivement cette âme, chez les animaux qui ont du sang, en puissance et en acte, et dans quelques animaux privés de sang, uniquement en acte. 3 Il y a donc nécessité absolue que le principe de la chaleur réside aussi dans le même point; et c'est là précisément d'où vient que le sang est tout ensemble liquide et chaud. C'est parce que le principe de la sensibilité, ainsi que celui de la chaleur, est dans un seul organe, que la chaleur du sang vient aussi d'un seul principe ; et cette unité du sang fait que celle des veines vient également d'un principe unique. 4 S'il y a deux veines, c'est que le corps est formé de deux parties dans les animaux qui ont du sang et qui se meuvent. On distingue dans tous ces animaux le devant et le derrière, la droite et la gauche, le haut et le bas. Autant le devant est plus important et plus fait pour diriger que le derrière, autant la grande veine est plus importante que l'aorte. Celle-là est dans la région du devant, celle-ci est dans la région postérieure ; tous les animaux qui ont du sang ont l'une tout à fait visible, tandis qu'ils n'ont l'autre que très imparfaitement, ou même qu'elle disparaît tout à fait chez eux. 5 (668b) Ce qui fait que les veines sont répandues dans le corps entier, c'est que la matière de tout le corps c'est le sang, ou ce qui correspond au sang dans les animaux exsangues ; le sang et la matière correspondante vont dans la veine et dans ce qui correspond à la veine. 6 Il est plus convenable de réserver pour les recherches sur la Génération, ce qu'on doit observer et ce qu'on peut dire de la manière dont les animaux se nourrissent, de quels matériaux et de quelle façon ils s'alimentent par les fonctions de l'estomac. Mais comme toutes les parties du corps ne vivent que par le sang, ainsi que nous l'avons déjà dit, la raison veut que, selon les lois de la nature, les veines courent dans le corps tout entier, puisqu'il faut que le sang aussi aille partout et pénètre tout, chacune des parties du corps n'étant formée que par le sang. 7 C'est ainsi que, dans les jardins, des conduites d'eau partent d'une seule origine et d'une seule source, pour se diviser en une foule de canaux de plus en plus nombreux, et pour se ramifier en tous sens. De même encore que, dans la construction de nos maisons, on pose d'abord des pierres qui dessinent les fondations, de manière que, d'une part, les plantes potagères puissent recevoir l'eau qui les nourrit, et que, d'autre part, les fondations soient toutes en pierres solides, de même la nature a canalisé le sang dans tout le corps, parce qu'elle en a fait la matière du corps tout entier. 8 C'est ce qu'on peut observer très clairement dans les animaux d'une excessive maigreur ; on n'y voit plus que des veines, à peu près comme on en remarque sur les feuilles desséchées de vigne ou de figuier, et sur toutes les autres plantes pareilles, où la dessiccation n'a laissé absolument que des nervures. Cela vient de ce que le sang, ou son analogue, est en puissance le corps et la chair, ou ce qui correspond à la chair ou au corps. De même encore que, dans les irrigations, ce sont les fossés les plus grands qui subsistent et que les plus petits disparaissent les premiers et le plus vite, comblés par la vase, mais reparaissant quand on l'ôte ; de même les plus grandes veines subsistent toujours, tandis que les plus petites deviennent effectivement des chairs, bien qu'en puissance elles ne cessent pas d'être de véritables veines. 9 Aussi, dans toutes les chairs qui sont parfaitement saines, le sang coule aussitôt dans quelque partie qu'on les coupe ; or il n'y a pas de sang sans veine ; et cependant on n'aperçoit pas de veines dans ces chairs, de même que, dans les irrigations, on ne distingue plus les fossés avant que la vase n'en soit enlevée. Les veines vont toujours en se rapetissant, de plus grosses en plus petites, jusqu'à ce que les vaisseaux deviennent trop étroits pour l'épaisseur du sang. (669a) Ceux où le sang ne peut plus circuler laissent encore circuler la sécrétion de l'humeur liquide que l'on appelle la sueur, et qui provient de la chaleur du corps et de l'ouverture de petites veines. 10 On a vu, dans certaines maladies, des gens suer une excrétion sanguine par suite de leur mauvaise constitution, le corps s'écoulant en quelque sorte et devenant de plus en plus vide, et le sang se convertissant en eau, faute de coction, parce que la chaleur des petites veines était trop faible pour pouvoir le mûrir. On sait que tout corps qui est un composé de terre et d'eau s'épaissit en cuisant ; et la nourriture et le sang ne sont qu'un mélange des deux. 11 Ce n'est pas seulement parce que la chaleur est trop faible qu'à elle seule elle ne peut pas accomplir la coction ; mais c'est aussi à cause de la quantité excessive de nourriture qui a été ingérée ; la chaleur alors n'est plus de force à agir contre cette surabondance. Cet excès peut être de deux espèces, en quantité et en qualité. Tout n'est pas également susceptible de coction. Le sang coule surtout aisément dans les canaux les plus larges ; c'est là ce qui fait qu'il y a des flux de sang dans la moindre maladie par le nez, par d'anciennes cicatrices, par le fondement, quelquefois même par la bouche, sans qu'il y ait besoin de la violence qu'exige la sortie du sang par l'artère. 12 La grande veine et l'aorte, divisées en haut, se rejoignent en bas pour faire un corps continu. En avançant, elles se partagent comme se partagent les deux membres eux-mêmes ; l'une va de devant en arrière ; et l'autre, au contraire, va de derrière en avant; et là, elles se réunissent en une seule. De même que la continuité devient plus grande dans les choses qui sont fortement reliées entre elles, de même, par l'enchevêtrement des veines, les parties antérieures des corps sont étroitement rattachées aux parties postérieures. 13 Il en est absolument de même pour les régions supérieures du corps à partir du cœur. Pour voir maintenant le rapport que les veines ont les unes avec les autres, il faut recourir aux Anatomies et à l'Histoire des Animaux. La méthode que nous venons de suivre pour les veines et le cœur va être appliquée à tous les autres viscères. [3,6] CHAPITRE VI. 1 Le poumon est indispensable à certains animaux pour qu'ils puissent vivre sur terre. Il faut nécessairement qu'il y ait un refroidissement à leur chaleur; et les animaux qui ont du sang ne peuvent emprunter ce refroidissement que du dehors, parce qu'ils sont eux-mêmes trop chauds. (669b) Les animaux qui n'ont pas de sang peuvent se refroidir rien que par le souffle qui leur est inné. 2 Nécessairement, le refroidissement extérieur ne peut venir que de l'eau ou de l'air. Aussi, aucune espèce de poissons n'a de poumon ; et en place de poumon, ils ont des branchies, comme on l'a dit dans le Traité de la Respiration. Les poissons se rafraîchissent par l'eau ; les animaux qui respirent se rafraîchissent par l'air ; et de là vient que tous les animaux qui respirent ont un poumon. Les animaux qui vivent sur la terre respirent tous sans exception ; quelques animaux aquatiques respirent également: la baleine, par exemple, le dauphin et tous les cétacés qui soufflent. 3 Bon nombre d'animaux réunissent ces deux organisations à la fois dans leur nature; et il y en a beaucoup qui, vivant à terre et aspirant l'air, peuvent, par la constitution et l'équilibre de leur corps, passer dans l'eau la meilleure partie du temps ; de même que, parmi les animaux aquatiques, il y en a qui participent si bien de la nature des animaux vivant à terre, que la condition de leur existence, c'est de respirer dans l'air. Or c'est le poumon qui est l'organe de la respiration, recevant du cœur le principe du mouvement, et faisant une large place à la circulation du souffle, parce qu'il est spongieux et très grand. Quand le poumon s'élève, le souffle y entre; quand il se contracte, l'air en sort. 4 On a eu tort de croire que le poumon est destiné à faire battre le cœur. L'homme est, on peut dire, le seul animal chez qui le cœur batte, parce qu'il est aussi le seul qui puisse ressentir l'espérance ou la crainte de l'avenir. Mais dans la plupart des animaux, le cœur est à une grande distance du poumon ; et il est placé plus haut que lui, de telle sorte que le poumon ne peut alors contribuer on rien au battement du cœur. 5 D'ailleurs, le poumon offre de grandes différences dans les animaux. Les uns l'ont plein de sang et très développé ; chez les autres, il est plus petit et spongieux. Les vivipares, dont la nature est très chaude, l'ont plus grand et rempli de sang; les ovipares l'ont au contraire sec et petit. Il peut beaucoup se distendre en se gonflant par le souffle, comme on le voit sur les quadrupèdes terrestres ovipares, tels que les lézards, les tortues et autres animaux de ce même ordre, et aussi tels que les animaux qui volent et qu'on appelle des oiseaux. 6 Dans tous ces animaux, le poumon est spongieux et semblable à de l'écume. En effet, l'écume, en se condensant, se réduit considérablement ; et le poumon de toutes ces bêtes est petit et membraneux. C'est ce qui explique qu'en général ces animaux n'ont pas soif et boivent très peu, et qu'ils peuvent rester très longtemps dans l'eau. Comme ils ont peu de chaleur, ils se rafraîchissent suffisamment pendant un temps assez long, rien que par le mouvement du poumon, qui est aéré et vide. 7 (670a) On peut observer aussi que les dimensions de tous ces animaux sont moins grandes, on peut dire ; car la chaleur amplifie les choses ; et l'abondance du sang est un indice de chaleur; elle fait que les corps sont plus droits. Voilà comment l'homme est de tous les animaux celui qui se tient le plus droit, et comment les vivipares sont les plus droits entre les quadrupèdes ; car aucun vivipare, dépourvu de pieds ou pourvu de pieds, ne se tapit sous terre comme d'autres animaux. 8 Ainsi, le poumon, à le considérer en général, est fait en vue de la respiration ; il n'a pas de sang, et il est constitué comme il l'est pour certaines classes d'animaux; mais ces animaux n'ont pas reçu à ce titre d'appellation commune, et il n'y a pas ici de nom spécial, comme on applique celui d'oiseau à un certain genre d'êtres. Tout ce qu'on peut dire, c'est que de même qu'être oiseau vient d'une certaine organisation, de même dans ces animaux une de leurs conditions essentielles, c'est d'avoir un poumon. [3,7] CHAPITRE VII. 1 II y a des viscères qui paraissent d'une seule nature, comme le cœur et le poumon ; d'autres semblent composés de deux portions, comme les reins ; pour d'autres encore, il serait difficile de dire quelle est leur composition. Le foie et la rate semblent bien participer de ces deux organisations. L'un et l'autre paraissent simples ; et tout ensemble, ils présentent deux parties au lieu d'une seule ; et ces deux parties ont une nature fort voisine. 2 Tous les viscères sont doubles. La cause en est la disposition même du corps, qui est double, bien qu'elle se rattache à un principe unique. On y distingue en effet le haut et le bas, le devant et le derrière, la droite et la gauche. C'est encore ainsi que le cerveau tend à être composé de deux parties dans tous les animaux, ainsi que le sont les organes des sens ; c'est là aussi la raison des cavités du cœur. 3 Dans les ovipares, le poumon est si profondément séparé qu'on pourrait croire que ces animaux ont deux poumons. Quant aux reins, tout le monde les connaît. Mais le foie et la rate donnent lieu à des doutes assez justifiés. Ce qui peut faire naître ces doutes à leur égard, c'est que, dans les animaux qui ont nécessairement une rate, elle paraît être une sorte de foie manqué; et que dans ceux où elle n'est pas indispensable, et où elle est excessivement petite et à l'état de simple indice, le foie est évidemment formé de deux parties, dont l'une tend à être à droite, et dont l'autre, plus petite, tend à se placer à gauche. 4 Cependant cette disposition n'est pas moins évidente chez les ovipares que dans ces animaux-là ; et chez quelques-uns d'entre eux, aussi bien que chez les vivipares, ta foie est évidemment partagé en deux, comme, dans certaines contrées, les lièvres paraissent avoir deux foies, de même qu'en ont quelques poissons, et spécialement les sélaciens. 5 Comme le foie est placé plutôt à droite, la rate est devenue nécessaire en quelque mesure, (670b) sans être néanmoins absolument nécessaire dans tous les animaux. Ce qui fait que la nature a fait des viscères doubles, c'est qu'ainsi que nous venons de le dire, il y a deux côtés dans l'animal, la droite et la gauche. Chacun de ces côtés exige et cherche son semblable ; ils tendent à avoir une nature qui se rapproche, sans cesser néanmoins d'être double; et de même que les animaux sont doubles, bien que ne formant qu'un seul et même tout, de même se forme aussi chacun des viscères. 6 Les viscères placés au-dessous du diaphragme sont tous faits généralement en vue des veines, afin que, libres et suspendues comme elles le sont, elles restent attachées par ce lien au reste du corps. On dirait qu'elles sont jetées comme des ancres dans le corps à travers les organes qu'elles découpent, partant de la grande veine pour se diriger vers le foie et la rate. La nature de ces viscères, c'est d'être en quelque sorte des clous qui riveraient la grande veine au corps. Sur les côtés, ce sont le foie et la rate qui circonscrivent la grande veine, puisque c'est uniquement d'elle que partent les veines qui aboutissent aux parties transversales, et que les reins jouent le même rôle, dans les parties postérieures. 7 Quant aux reins en particulier, une veine se dirige vers eux, non pas seulement de la grande veine, mais aussi de l'aorte, pour se rendre à chacun d'eux. C'est ainsi que les fonctions de ces viscères tiennent une place dans la constitution des animaux. Le foie et la rate aident puissamment à la coction et à la digestion des aliments; car étant pleins de sang, leur nature est très chaude. Les reins servent à la sécrétion qui se distille dans la vessie. 8 Le cœur et le foie sont donc indispensables à tous les animaux. D'une part, le cœur est nécessaire comme le principe de la chaleur; car il faut une sorte de foyer où soit déposée la flamme vitale de la nature, et ce foyer doit être bien gardé, comme si c'était la citadelle du corps ; d'autre part, le foie est destiné à aider la digestion. Tous les animaux qui ont du sang ont besoin de l'un et de l'autre de ces viscères. Aussi, ces animaux sont-ils les seuls qui possèdent ces deux viscères à la fois ; et ceux qui respirent en ont nécessairement un troisième, qui est le poumon. 9 Quant à la rate, ce n'est qu'indirectement qu'elle est nécessaire aux animaux qui en ont une, de même que les sécrétions, tant celle du ventre que celle de la vessie. Aussi, la rate est-elle de très petite dimension dans quelques animaux, par exemple dans quelques volatiles, qui ont le ventre très chaud, comme le pigeon, l'épervier, le milan. D'ailleurs, on remarque une disposition toute semblable dans les quadrupèdes ovipares, (671a) qui l'ont excessivement petite, et dans bon nombre d'animaux à écailles, qui n'ont pas non plus de vessie, parce que la sécrétion liquide, passant par des chairs peu serrées, se convertit ici en plumes, et là en écailles. 10 La rate tire de l'estomac les humeurs surabondantes; et comme elle est pleine de sang, elle peut leur donner une coction complète. Mais si cette sécrétion est trop considérable, ou si la rate n'est pas assez chaude, ces parties engorgées de nourriture deviennent malades; et par le refoulement des liquides qui y affluent, le ventre se durcit chez beaucoup d'animaux, qui ont alors mal à la rate, de même qu'il se durcit quand les urines sont trop abondantes, parce qu'alors les liquides sont violemment entraînés. 11 Ceux des animaux qui ont cette sécrétion très faible, comme les oiseaux et les poissons, n'ont pas la rate développée, ou ne l'ont même qu'à l'état d'indice. Chez les quadrupèdes ovipares, la rate est petite, racornie, et semblable à des reins, parce que le poumon est spongieux, que l'animal boit très peu, et que la sécrétion superflue qui se produit tourne au profit du corps et en écailles, comme elle tourne en plumes chez les oiseaux. Au contraire, dans les animaux qui ont une vessie et le poumon plein de sang, la rate est humide, par le motif qu'on vient de rapporter, et aussi parce que les parties de gauche sont naturellement plus humides et plus froides. 12 Chacun des deux contraires, en effet, se divise en une série analogue et correspondante, de façon à ce que la droite soit contraire à la gauche, et que le chaud soit contraire au froid ; car ces oppositions sont corrélatives les unes aux autres, de la manière qu'on vient d'indiquer. 13 Mais les reins, chez les animaux qui ont ces organes, ne leur sont pas absolument nécessaires; ils n'ont pas d'autre but que de très bien constituer l'animal. Leur nature propre n'a pas d'autre objet que de préparer la sécrétion qui s'accumule dans la vessie, afin que la vessie accomplisse d'autant mieux sa fonction, dans les animaux où le résidu de ce genre est plus considérable que chez les autres. Mais comme c'est pour la même fonction en effet que les animaux ont été pourvus de l'organe des reins et de celui de la vessie, nous parlerons maintenant de la vessie, en laissant de côté tous les organes qui viendraient à la suite des reins ; car nous n'avons encore rien dit du diaphragme, qui fait bien aussi partie des viscères. [3,8] CHAPITRE VIII. 1 Tous les animaux n'ont pas une vessie ; et l'on dirait que la nature n'a voulu en donner une qu'aux animaux qui ont un poumon plein de sang. (671b) La vessie est du reste très bien placée chez ceux-là ; car la surabondance naturelle qu'ils ont dans cet organe fait qu'ils ont plus soif que tous les autres, et qu'ils ont besoin, outre la nourriture sèche qu'il leur faut, d'une nourriture liquide plus considérable. Par une suite nécessaire, cette sécrétion se produit en plus grande quantité, et elle ne se produit pas seulement en une quantité qui puisse être digérée par l'estomac, et être éliminée avec l'excrétion que le ventre contient. 2 Il fallait donc nécessairement qu'il y eût aussi un réceptacle de cette excrétion. De là vient que tous les animaux qui ont un poumon ainsi organisé ont une vessie. Mais ceux qui n'ont pas un poumon ainsi organisé, ou boivent très peu, parce que leur poumon est spongieux ; ou même le liquide qu'ils absorbent ne leur sert pas pour boire, mais pour se nourrir, comme les insectes et les poissons, et même encore comme les animaux qui ont des plumes, des écailles ou des carapaces, lesquels n'ont jamais de vessie, à cause de la faible quantité de liquide qu'ils prennent, et parce que le surplus de l'excrétion se convertit chez eux dans les matières qui les recouvrent. 3 Cependant, parmi les animaux à carapaces, la tortue fait exception ; et même dans cette espèce, la nature n'est encore qu'imparfaite, et la cause en est que les tortues de mer ont un poumon charnu et plein de sang, assez pareil à celui du bœuf, tandis que les tortues terrestres l'ont de dimension disproportionnée. De plus, comme leur enveloppe est une sorte de coquille et qu'elle est épaisse, l'humide ne pouvant pas suinter dans des chairs relâchées, comme il suinte dans les oiseaux, ou dans les serpents et dans les autres animaux à écailles, le dépôt qui se fait est assez fort pour que leur nature ait besoin de quelque organe qui serve de réceptacle, et qui ait une forme de vase. De là vient donc que les tortues seules, parmi ces animaux, ont une vessie, la tortue de mer l'ayant fort grande, et les tortues de terre l'ayant excessivement petite. [3,9] CHAPITRE IX. 1 Il en est de même aussi des reins ou rognons. Pas un animal a plumes, à écailles ou à carapaces, n'a de reins, excepté les tortues de mer et de terre ; on dirait que la chair destinée aux reins, n'ayant pas trouvé sa place spéciale et s'étant dispersée en plusieurs lambeaux, dans quelques oiseaux, il y a chez eux des espèces de reins aplatis et larges. 2 Mais la tortue d'eau douce, l'hémys, n'a ni vessie ni reins. Chez elle, le liquide suinte aisément à cause de la mollesse de la carapace; et c'est pour cela que l'hémys ne doit avoir ni l'un ni l'autre de ces deux organes. Mais les autres animaux qui ont le poumon plein de sang ont tous des rognons, comme on vient de le dire plus haut; (672a) car la nature s'en sert tout à la fois pour la fonction des veines et pour l'élaboration de l'excrément liquide ; et un canal partant de la grande veine aboutit aux reins. 3 (672b) Les rognons ont toujours une cavité plus ou moins grande, excepté ceux du phoque. Les reins de cet animal, assez pareils à ceux du bœuf, sont les plus compacts de tous. Dans l'homme, les reins sont pareils aussi aux rognons de bœuf; car ils sont en quelque sorte composés de plusieurs rognons très petits, et ils ne sont point uniformes, comme ceux des moutons et des autres quadrupèdes. Aussi, quand les reins sont malades chez l'homme, est-il très difficile de les guérir, et la guérison est d'autant moins sûre que c'est comme si l'on avait plusieurs reins malades, au lieu de n'en avoir qu'un seul d'attaqué. 4 Le canal qui part de la veine ne vient pas aboutir précisément a la cavité des rognons ; mais il se perd dans le corps des reins ; aussi ne trouve-t-on jamais de sang dans ces cavités, et le sang ne s'y arrête jamais après la mort. De la cavité des rognons, parlent deux canaux: assez faibles et privés de sang qui se rendent à la vessie, un de chacun des reins, tandis que d'autres qui partent de l'aorte sont forts et continus. 5 Ces parties sont ainsi disposées afin que l'excrétion du liquide, partant de la veine, se rende dans les reins ; et que, des reins, le dépôt que forment les liquides, en se filtrant dans le corps des reins, puisse se réunir au centre, où le plus souvent les reins ont leur cavité. Aussi, de tous les viscères, sont-ce les reins qui exhalent l'odeur la plus mauvaise. A partir du centre et par ces canaux, la sécrétion déjà plus formée se rend dans la vessie, qui est le port où converge ce qui vient des reins ; car, ainsi qu'on l'a dit, il y a de très forts canaux qui se rendent à la vessie. 6 Voilà donc quelle est la fonction des reins ; et ils ont les facultés que nous venons de rappeler. Dans tous les animaux qui ont des rognons, le droit est plus haut que le gauche ; car le mouvement partant de la droite, et la nature de la droite étant plus forte par ce motif, il s'ensuit que toutes les parties sont prédisposées à s'élever davantage par ce mouvement. C'est ainsi qu'on élève le sourcil droit plus haut que le sourcil gauche et qu'on l'a toujours plus froncé ; et comme le rognon droit est tiré davantage en haut, le foie dans tous les animaux touche au rein droit, parce que le foie est à droite. 7 De tous les viscères, ce sont les reins qui ont le plus de graisse, et c'est nécessaire, puisque l'excrétion doit être filtrée par les reins. Le sang qui y reste, étant très pur, est d'une facile coction ; et le résultat final d'une bonne coction du sang, c'est la graisse et le suif. De même que, dans les combustibles secs tels que la cendre, il reste toujours un peu de feu, de même dans les liquides digérés et bien cuits il reste toujours une certaine partie de la chaleur qui a été élaborée. C'est là ce qui fait que la graisse est légère, et qu'elle surnage à la surface des liquides. Ce n'est pas dans les reins eux-mêmes que la graisse se forme, parce que ce viscère est compact et serré ; mais elle se forme autour et extérieurement, dans les animaux qui ont de la graisse; et c'est le suif qui se forme dans ceux qui ont du suif. Nous avons, dans d'autres ouvrages, expliqué la différence du suif et de la graisse. 8 C'est donc là ce qui fait que les reins deviennent gras nécessairement, par suite des conditions nécessaires où se trouvent les animaux qui ont des reins; et c'est tout à la fois pour la santé de l'animal et pour garder la chaleur naturelle des reins eux-mêmes. Comme ils sont placés les derniers, ils ont besoin d'une plus grande chaleur. En effet, le dos est charnu pour être un rempart et une protection aux viscères qui environnent le cœur ; mais la hanche n'est pas charnue comme le dos, parce que, dans tous les animaux, les jointures sont dépourvues de chair. 9 C'est donc la graisse qui, au lieu de la chair, devient la couverture des reins. De plus, les rognons étant gras filtrent et cuisent mieux le liquide ; car ce qui est graisseux est chaud ; et c'est la chaleur qui fait la coction. Voilà les causes qui font que les reins ont de la graisse ; mais, dans tous les animaux, c'est le rein droit qui en a le moins. C'est que la nature des parties du corps qui sont à droite est sèche, et plus propre à donner le mouvement; or le mouvement est contraire a la graisse, et il amaigrit plutôt ce qui est gras. 10 Tous les animaux en général se trouvent bien d'avoir des rognons gras, et parfois ils en ont qui tout entiers sont remplis de graisse. Mais quand les moutons ont des reins ainsi développés, ils en meurent. Leurs reins ont beau être gras, il y a toujours quelque défaut, si ce n'est dans les deux, au moins dans le rein de droite. Ce qui fait que cette affection ne se produit que chez les moutons, ou du moins qu'elle se produit davantage chez eux, c'est que, dans les animaux qui ont de la graisse, la graisse est liquide, et par suite l'air n'y étant pas partout également bien renfermé y cause la maladie. 11 Voilà ce qui produit la crampe et la convulsion, et comment chez les hommes qui ont une maladie des reins, il survient des douleurs mortelles, quoiqu'il soit bon que les reins engraissent, sans pourtant engraisser par trop. (673a) Dans les autres animaux qui ont du suif, il y en a moins que chez les moutons, qui en ont une quantité extraordinaire. 12 Les moutons acquièrent de très forts rognons plus vite que tout autre animal. L'humidité s'y renfermant, ainsi que l'air, la crampe saisit les moutons, qui meurent en un instant. Par l'aorte et la veine, la maladie monte immédiatement jusqu'au cœur ; et il y a des canaux qui se continuent jusqu'aux reins à partir de ces veines. [3,10] CHAPITRE X. 1 Le cœur, le poumon, le foie, la rate et les reins, dont nous venons de parler, sont séparés les uns des autres par le diaphragme. Quelquefois aussi on appelle le diaphragme le centre phrénique, qui isole le poumon et le cœur des autres viscères. Dans les animaux qui ont du sang, le diaphragme proprement dit est ce qu'on appelle aussi le centre phrénique, du nom qu'on vient de citer. 2 Tous les animaux qui ont du sang ont également un diaphragme, de même qu'ils ont un cœur et un foie. La fonction du diaphragme a pour objet de séparer la région du ventre de la région du cœur, afin que le principe de l'âme sensible soit à l'abri de toute influence, et ne soit pas tout à coup surpris par l'évaporation qui viendrait des aliments, et par l'excès de la chaleur qu'ils introduisent. La nature a eu cette précaution de faire de la poitrine et de la cloison comme une sorte de vestibule; et par là, elle a isolé le plus précieux du moins précieux, chez tous les animaux où l'on peut distinguer le haut et le bas. Le haut est ce pourquoi tout le reste est fait, et le haut est le meilleur ; le bas est fait pour le haut, et il est nécessaire, puisque c'est lui qui reçoit la nourriture. 3 Le diaphragme est, vers les côtes, plus charnu et plus fort; au centre, il est plus membraneux ; organisé de cette manière, il est plus utile pour se raidir et pour se tendre. Que le diaphragme soit comme une défense naturelle contre la chaleur venue d'en bas, c'est ce que prouvent les faits bien observés. Lorsque, par suite du voisinage, ces parties attirent à elles de l'humidité chaude et excrémentielle, sur-le-champ on voit manifestement que la pensée et la sensibilité se troublent ; et c'est là aussi ce qui fait qu'on donne à cette partie le nom de phrénique, comme participant à la pensée. A vrai dire, cette partie dite phrénique n'a rien de la pensée ; mais comme elle est fort voisine des parties qui la possèdent, cette proximité rend évident le changement que la pensée éprouve. 4 Aussi, le diaphragme est-il mince à son milieu, non seulement parce qu'il y a une nécessité qu'étant charnu par lui-même, il le soit davantage encore vers les cotes, mais aussi parce qu'il faut qu'il reçoive le moins de fluide possible ; (673b) car en étant charnu, il aurait et il attirerait bien davantage de vapeur humide. 5 Ce qui prouve bien qu'en recevant de la chaleur, le diaphragme manifeste aussitôt la sensation qu'il éprouve, c'est ce qui se passe dans le rire. Pour peu qu'on soit chatouillé, on se met à rire, parce que le mouvement s'étend bien vite jusqu'à cette région. Même quand elle s'échauffe peu, le trouble n'est pas moins évident; et la pensée est mise en mouvement en dépit de la volonté la plus réfléchie. Ce qui fait que l'homme est le seul animal qui soit chatouilleux, c'est la finesse de sa peau, et aussi cette circonstance que l'homme est le seul animal qui rie, le chatouillement et le rire se produisant par le mouvement de cette partie qui avoisine l'aisselle. 6 On prétend qu'à la guerre des blessures reçues dans le voisinage du diaphragme provoquent le rire, à cause de la chaleur que la blessure développe. D'après des témoins dignes de foi, ce phénomène est bien plus croyable que ce qu'on dit d'une tête d'homme parlant encore après avoir été coupée. À l'appui de cette opinion, quelques personnes citent Homère lui-même, qui dit dans un de ses vers : " Sa tête parle encore en roulant dans la poudre » et l'on fait remarquer que le poète dit Sa tête et non pas Lui. 7 En Carie on a si bien cru à la possibilité de ce fait, qu'on est allé jusqu'à mettre en jugement un indigène. Un prêtre du Jupiter « à l'armure » ayant été tué sans qu'on sût par qui, quelques personnes prétendirent avoir entendu la tête coupée répéter à plusieurs reprises : « C'est Cercidas qui a tué homme pour homme. » On chercha dans le pays l'homme qui s'appelait Cercidas, et on le mit à mort. 8 Mais il est bien impossible de parler quand l'artère a été coupée et séparée, et quand le mouvement qui doit venir du poumon ne peut plus avoir lieu. Chez les barbares, qui coupent si lestement les têtes, on n'a jamais rien vu de pareil. Mais pourquoi ne le voit-on pas chez d'autres animaux que l'homme? On comprend d'ailleurs, sans peine, que les animaux ne rient pas quand le diaphragme est blessé, puisque l'homme est le seul animal qui ait la faculté de rire. Mais que le corps puisse faire encore quelques pas après que la tête est coupée, il n'y a là rien que la raison ne puisse admettre, puisque les animaux qui n'ont pas de sang vivent même encore longtemps après qu'on les a décapités. Nous en avons expliqué les raisons dans d'autres ouvrages. 9 On voit donc quelle est la destination de chacun des viscères, et l'on comprend qu'ils sont, de toute nécessité, placés aux extrémités intérieures des veines ; car il faut que la vapeur humide puisse sortir, et que cette vapeur soit sanguine, pour qu'en se réunissant et en se condensant, elle forme le corps des viscères. (674a) Voilà aussi pourquoi les viscères sont pleins de sang, et pourquoi ils ont entre eux la même nature de corps, et pourquoi d'autres ont une nature dissemblable. [3,11] CHAPITRE XI. 1 Tous les viscères sont renfermés dans une membrane, parce qu'il faut qu'ils soient garantis pour que rien ne puisse les atteindre; et il faut en outre que l'abri qui les garantit soit léger. C'est là précisément ce qu'est la membrane par sa nature même. D'une part, elle est assez épaisse pour pouvoir servir de tégument; et d'autre part, elle n'a pas de chair, de façon qu'elle n'attire ni ne produit aucune humeur; elle est mince pour rester légère et pour ne produire aucune pesanteur. 2 Les membranes les plus grandes et les plus fortes sont celles qui entourent le cœur et l'encéphale. C'est fort rationnel; car ce sont-là les parties qui ont le plus besoin d'être protégées. La bonne conservation est surtout nécessaire pour les parties maîtresses ; et ces deux parties-là sont avant tout les maîtresses de la vie. [3,12] CHAPITRE XII. 1 Certains animaux ont tous les viscères dont il vient d'être question ; mais il y en a aussi qui ne les ont pas tous sans exception. Plus haut, nous venons de voir ce que sont ces viscères, et quel est l'objet de leur organisation ; mais les viscères diffèrent même dans les animaux qui les ont. Ainsi, tous ceux qui ont un cœur ne l'ont pas semblable, non plus, on peut dire, qu'aucun des autres viscères. Le foie, par exemple, a chez les uns plusieurs divisions; chez d'autres, il forme plutôt une seule masse, ceci ne s'appliquant d'abord qu'aux animaux qui ont du sang et qui sont vivipares. 2 Les viscères des poissons et des quadrupèdes ovipares diffèrent encore plus de ceux des vivipares, et ils ne diffèrent pas moins entre eux. Les oiseaux, au contraire, ont un foie qui se rapproche beaucoup de celui des vivipares. La couleur de leur foie, comme celle du foie des vivipares, est pure et sanguine. Cela tient à ce que le corps des biseaux est organisé pour que la respiration soit facile, et ils n'ont pas une surabondance d'excrétion qui soit nuisible. 3 Par la même raison, il y a des vivipares qui n'ont pas de fiel ; or le foie contribue puissamment à l'équilibre du corps et à sa santé. La fonction de ces organes dépend surtout du sang; et après le cœur, le foie est le plus sanguin de tous les viscères. Chez la plupart des quadrupèdes ovipares, les viscères sont de couleur pâle ; chez quelques-uns, ils sont à peine apparents, parce que leurs corps ont une mauvaise constitution, comme celle du crapaud ou de la tortue, et d'animaux de cet ordre. 4 Les animaux à cornes, et à pieds fourchus, ont une rate arrondie, comme la chèvre, le mouton et les autres espèces analogues, excepté quelques-unes où, à cause de sa grosseur, elle a pris en largeur un accroissement beaucoup plus grand, ainsi qu'on le voit chez le bœuf. (674b) Tous les animaux à plusieurs doigts divisés ont une rate très longue, comme le cochon, l'homme et le chien. Dans les solipèdes, elle tient une sorte de milieu, mélange de l'un et de l'autre; c'est-à-dire qu'elle est large en un sens, et étroite dans l'autre, comme on le voit sur le cheval, le mulet, l'âne. [3,13] CHAPITRE XIII. 1 Les viscères présentent des différences avec la chair, non pas seulement pour leur masse matérielle, mais en outre par cette circonstance que la place de la chair est au dehors, tandis que les viscères sont à l'intérieur. Cela tient à ce que la nature des viscères participe de celle des veines ; et que, parmi les viscères, les uns sont faits pour les veines, et que les autres ne sauraient s'en passer. [3,14] CHAPITRE XIV. 1 Sous le diaphragme, est placé l'estomac, qui, dans les animaux à œsophage, est au point même où finit cette dernière partie, et qui, dans ceux qui sont dépourvus d'œsophage, vient immédiatement après la bouche. À la suite de l'estomac, se trouve ce qu'on appelle l'intestin. 2 Tout le monde peut comprendre pourquoi ces parties diverses sont ainsi disposées dans les animaux. C'est évidemment parce qu'il faut que les animaux reçoivent la nourriture ingérée, et qu'ils expulsent ensuite le résidu de la nourriture après l'avoir épuisée ; or il est bien impossible que ce soit dans un seul et même lieu du corps que se trouvent la nourriture non encore digérée et l'excrément qui doit être rejeté. 3 Il faut absolument un lieu où la transformation puisse s'opérer. Ainsi, telle partie recevra la nourriture qui entre, et telle autre partie recevra l'excrément qui ne peut plus être utilisé. Mais, de même que le temps où s'accomplit chacune de ces fonctions est différent, de même il faut aussi qu'elles soient séparées pour les lieux mêmes où elles se passent. Mais l'explication de tous ces phénomènes est mieux à sa place dans les ouvrages qui traitent de la Génération et de la Nourriture des animaux. 4 Pour le moment, bornons-nous à étudier les différences que peuvent présenter l'estomac et les parties qui le complètent. Les animaux n'ont pas tous les uns et les autres des estomacs pareils, ni pour la dimension, ni pour la forme. Les animaux pourvus de la double rangée de dents, quand ils ont du sang et qu'ils sont vivipares, ont un seul estomac comme l'homme, le chien, le lion et beaucoup d'animaux polydactyles; il n'y a aussi qu'un seul estomac chez les solipèdes, comme le cheval, le mulet, l'âne, et chez les animaux à pied fourchu, qui ont la double rangée de dents, comme le cochon. 5 La seule différence, c'est que quelques-uns, soit à cause de la grandeur de leur corps, soit par l'effet de leur nourriture, qui n est pas de digestion facile, parce qu'elle est faite d'épines et de bois, sont pourvus de plusieurs estomacs, comme le chameau, et même les bêtes à cornes. En effet, les bêtes à cornes n'ont pas la double rangée de dents. Comme le chameau n'a pas de cornes, il n'est pas compté parmi les animaux à double rangée de dents, et il lui est plus nécessaire d'avoir l'estomac organisé tel qu'il l'a, plutôt que d'avoir des dents de devant. 6 (675a) Par suite, ayant l'estomac semblable à celui des animaux qui n'ont pas la double rangée de dents, il a les dents disposées tout à fait comme les leurs, parce que les dents antérieures lui seraient inutiles. Mais comme sa nourriture consiste en matière aussi dure que des épines, il faut nécessairement que la langue soit charnue; et, par la dureté du palais, la nature supplée à la partie terreuse qui viendrait des dents. D'ailleurs, le chameau rumine ainsi que les bêtes à cornes, parce que ses estomacs sont absolument pareils aux leurs. 7 En effet, les bêtes à cornes ont plusieurs estomacs; et tels sont le mouton, le bœuf, la chèvre, le cerf, et autres animaux de ce genre. Comme dans ces animaux l'office de la bouche, qui manque de dents, est, en ce qui regarde l'alimentation, insuffisamment rempli, l'un des estomacs, recevant la nourriture après l'autre, le premier la reçoit non élaborée ; le second la reçoit élaborée un peu mieux ; l'autre, élaborée entièrement ; l'autre, enfin tout à fait coulante et à l'état de bouillie. 8 C'est pour l'accomplissement de toutes ces fonctions que les animaux de cet ordre ont plusieurs lieux et plusieurs parties, qui s'appellent successivement l'estomac, la résille, le hérisson, la caillette. Si l'on veut savoir leur position respective et leurs formes diverses, nous renvoyons à l'Histoire des Animaux et aux Dessins anatomiques, où il faut les étudier. 9 C'est pour une cause toute semblable que les oiseaux présentent aussi une différence dans l'organe destiné à recevoir les aliments. Comme les oiseaux non plus ne peuvent pas accomplir le service de la bouche, qui n'a pas de dents, et qu'ils n'ont pas d'organe, soit pour diviser la nourriture, soit pour la broyer suffisamment, ils ont avant l'estomac ce qu'on appelle le gésier, qui remplace le travail de la bouche. 10 Les uns ont un large œsophage, ou bien, en avant de l'estomac, une partie gonflée de cet œsophage, où ils amassent d'avance de la nourriture non élaborée ; ou bien encore, c'est une partie de l'estomac qui se renfle. D'autres oiseaux ont l'estomac lui-même fort et charnu, afin de pouvoir emmagasiner longtemps et cuire la nourriture qui n'est pas assez amollie. La nature répare ainsi l'insuffisance de la bouche par l'énergie et la chaleur de l'estomac. 11 Il y a des oiseaux qui n'ont rien de tout cela, mais qui n'ont qu'un vaste gésier; et tels sont les oiseaux qui ont de longues pattes et qui vivent dans les marais, pour contrebalancer la liquidité de leur nourriture. C'est qu'en effet la nourriture de tous ces oiseaux est facilement amollie; et c'est pour cela qu'ils ont toujours des estomacs qui sont humides par une coction insuffisante et par leur genre de nourriture. 12 (675b) Les poissons ont des dents, et l'on peut presque dire qu'ils ont tous des dents alternantes, qui s'enchevêtrent; car il n'y a que très peu d'espèces de poissons qui en soient dépourvues, comme le scare, qui, par cette raison même, très concevable du reste, est peut-être le seul poisson qui rumine. Les animaux qui n'ont pas la double rangée de dents et qui ont des cornes, ruminent. Tous les poissons ont des dents aiguës capables de diviser la nourriture ; mais elles ne la divisent que très imparfaitement, parce qu'il n'est pas possible aux poissons d'y mettre le temps qui serait indispensable pour la broyer. Aussi, n'ont-ils pas de dents larges ; et comme ils ne sont pas en état de triturer la nourriture, les dents leur seraient bien inutiles. 13 De plus, tels poissons n'ont pas du tout d'oesophage ; ou bien ils l'ont très court. Mais pour faciliter la coction, les uns ont des estomacs du genre de celui des oiseaux, et bien charnus, comme le muge; la plupart ont des excroissances compactes près de l'estomac, afin que, dans ces excroissances, comme dans une cave antérieure, ils amassent la nourriture pour la décomposer et pour lui donner la coction. 14 Du reste, ces excroissances sont dans les poissons le contraire de ce qu'elles sont dans les oiseaux. Les poissons les ont en haut près de l'estomac; et chez les oiseaux qui ont ces excroissances, elles sont en bas à l'extrémité de l'intestin. C'est pour la même raison que certains vivipares ont aussi de ces excroissances intestinales, qui sont placées en bas. 15 L'espèce entière des poissons pourvue si incomplètement des moyens d'élaborer la nourriture, et chez qui elle ne fait que passer sans digestion, est excessivement gloutonne, comme d'ailleurs tous les autres animaux qui ont les intestins tout droits. Le passage des aliments étant très rapide, et la dégustation n'étant, par cette même cause, que très courte, il fallait nécessairement aussi que le désir nouveau des aliments revint tout aussi rapidement. 16 On vient de dire plus haut que les animaux à double rangée de dents ont un estomac très petit ; et presque tous leurs estomacs ne présentent que deux différences. Les uns ont un estomac pareil à celui du chien ; les autres, pareil à celui du cochon. L'estomac du cochon est plus grand, et il a quelques petites circonvolutions, pour que la digestion y soit rendue plus lente ; mais l'estomac du chien est de petite dimension; il n'est pas beaucoup plus fort que l'intestin, et les parties intérieures en sont tout unies. 17 Dans tous les animaux, les intestins viennent à la suite de l'estomac. Cette partie de l'animal présente, comme l'estomac, des différences nombreuses. Chez les uns, l'intestin est simple ; et en le déployant, il est partout semblable; chez les autres, il est dissemblable. Chez les uns, la partie de l'intestin qui a voisine l'estomac est plus large; et à son autre extrémité, elle est plus étroite ; et c'est cette conformation qui fait que les chiens ont tant de peine à rendre leurs excréments. (676a) Pour la plupart des animaux au contraire, l'intestin est plus étroit par en haut, et plus large par en bas. 18 Les intestins des animaux à cornes sont plus grands, et ils ont de nombreux replis. L'amplitude de l'estomac est aussi plus forte chez ces animaux, ainsi que celle même des intestins, à cause de la grandeur de ces animaux ; car tous les animaux à cornes, pour ainsi dire, ont des intestins de grande dimension, afin de pouvoir élaborer la nourriture. Dans ceux qui n'ont pas les intestins droits, cette partie s'élargit un peu plus loin ; et ils ont ce qu'on appelle le côlon et une certaine partie de l'intestin aveugle et massive; puis, à partir de là, l'intestin redevient plus étroit et plus enroulé. 19 Après cette partie, l'intestin reste droit jusqu'à la sortie des excréments; dans les uns, cette partie appelée l'Archos est graisseuse ; dans les autres, elle n'a pas de graisse. La nature a fabriqué ingénieusement tous ces organes pour faciliter les élaborations successives de la nourriture, et la sortie des excréments qui en proviennent. En s'avançant et en descendant, l'excrément trouve un espace plus large et où il peut s'arrêter, pour se modifier chez les animaux qui absorbent plus de fourrage et qui ont besoin de plus de nourriture, par suite de l'amplitude du lieu et de sa chaleur. 20 A partir de là encore, de même qu'à partir de l'estomac supérieur, l'intestin devient plus étroit, de même, à partir du côlon et de l'amplitude qui se trouve dans l'estomac du bas, l'excrément passe en un lieu plus rétréci, et tout à fait desséché. Il se tourne en spirale pour que la nature le dispose peu à peu, et que la sortie de l'excrément n'ait pas lieu tout à la fois. Aussi, les animaux qui doivent être plus modérés dans l'élaboration de leur nourriture, n'ont-ils pas de grands espaces dans la cavité d'en bas ; mais ils ont plus de circonvolutions, sans avoir des intestins tout droits. L'amplitude de l'intestin provoque le désir d'une nourriture qui le remplisse ; et la conformation toute droite de l'intestin produit le renouvellement rapide de ce désir. 21 Aussi tous les animaux qui ont pour les aliments des réceptacles simples et très larges, sont voraces, tantôt pour la quantité de nourriture qu'ils absorbent, tantôt pour la rapidité avec laquelle ils la prennent. Comme nécessairement, dans la cavité d'en haut, la nourriture est toute fraîche lors de sa première ingestion, et qu'en avançant en bas elle devient de plus en plus stercorale et desséchée, il faut nécessairement aussi qu'il y ait un point intermédiaire, où elle change, et où elle ne soit plus dans son premier état de fraîcheur, et où elle ne soit pas encore de la fiente. 22 Aussi, tous ces animaux ont-ils l'intestin qu'on appelle le jéjunum, dans le petit intestin qui vient après l'estomac. Ce point des entrailles est situé, d'une part, entre l'estomac d'en haut où est l'aliment non encore digéré, et, d'autre part, entre l'estomac d'en bas, dans lequel se trouve déjà l'excrément qui ne peut plus être utilisé. Cette disposition est (676b) de toute évidence dans les animaux qui sont plus gros, quand ils sont à jeun et qu'ils n'ont pas mangé. Les deux lieux se trouvent à la fois dans une sorte d'état intermédiaire; mais quand l'animal a mangé, l'instant du changement est extrêmement court. Dans les femelles, le jéjunum se marque dans une partie quelconque de l'intestin supérieur; mais dans les mâles, c'est avant le caecum, et la cavité d'en bas. [3,15] CHAPITRE XV. 1 Tous les animaux qui ont plusieurs estomacs ont ce qu'on appelle la présure ; et parmi ceux qui ont un seul estomac, il n'y a que le lièvre qui l'ait. Les animaux pourvus de plusieurs estomacs n'ont la présure, ni dans le grand estomac, ni dans la résille, ni dans le dernier, qui est la caillette; mais ils l'ont placée entre le dernier et les deux premiers, dans celui qui se nomme le hérisson. 2 Tous ces animaux ont la présure, à cause de l'épaisseur de leur lait ; et si les animaux qui n'ont qu'un seul estomac n'ont pas de présure, c'est que le lait, quand il n'y a qu'un estomac unique, est léger. Aussi, le lait des bêtes à cornes se caille, tandis que celui des bêtes sans cornes ne se caille pas. Ce qui fait que le lièvre a de la présure, c'est qu'il se nourrit d'herbes succulentes; et le suc de ces plantes fait cailler le lait dans le ventre du lièvre pour ses petits. D'ailleurs, nous avons expliqué dans les Problèmes pourquoi la présure se produit dans le hérisson des animaux qui ont plusieurs estomacs.