[2,0] TRAITE DES PARTIES DES ANIMAUX - LIVRE II. [2,1] CHAPITRE PREMIER. (646b) (8) Nous avons exposé dans l'Histoire des Animaux plus clairement que nous ne pourrions le faire ici quelles sont les parties qui composent tout animal et quel est le nombre de ces parties ; notre but maintenant doit être de rechercher en vue de quelles fins chacune de ces parties ont été organisées comme elles le sont ; et nous isolerons ces détails spéciaux de tous les faits déjà consignés dans cette Histoire. 2 Les combinaisons des choses pouvant être de trois genres différents, on pourrait admettre que la première combinaison est celle des matières que certains philosophes ont appelées les éléments, c'est-à-dire, la terre, l'air, l'eau et le feu. Peut-être même serait-il préférable d'étudier les propriétés et les forces de chacun de ces éléments, non pas cependant toutes leurs propriétés, mais en bornant notre étude, comme nous l'avons fait ailleurs et antérieurement; en effet le liquide et le sec, le chaud et le froid, sont la matière de tous les corps composés. 3 Les autres différences que les corps présentent ne sont que les conséquences de celles-là : par exemple, la pesanteur et la légèreté, l'épaisseur et la minceur, le rude et le poli, et tous les autres phénomènes de même genre qu'on peut remarquer dans les corps. La seconde combinaison de ces premiers éléments est, dans les animaux, celle des parties similaires, telles que l'os, la chair et les parties semblables à celles-là. Enfin, la troisième et dernière combinaison, numériquement parlant, est celle des parties non-similaires, par exemple le visage ou la main, et les parties qui y ressemblent. 4 Il faut bien savoir que la production des choses et l'essence des choses sont contraires entre elles. Les choses qui sont postérieures sous le rapport de leur génération sont antérieures en nature; et le premier en nature est le dernier à se produire et à naître. La maison n'est pas faite pour les poutres et les pierres; mais ce sont au contraire les pierres et les poutres qui sont faites pour la maison; et cette même observation s'appliquerait également à toute autre espèce de choses. 5 Mais ce n'est pas l'induction seule qui nous démontre qu'il en est bien ainsi ; c'est en outre la raison qui nous l'atteste. En effet, tout ce qui naît et se produit provient de quelque chose et tend à quelque chose; il va d'un principe à un principe ; il part d'un premier principe qui le met en mouvement, et qui a déjà lui-même une certaine nature, pour arriver à une certaine forme, ou à telle autre fin de ce genre. L'homme produit l'homme, la plante produit la plante, selon la matière qui fait le fond de chaque chose. 6 Chronologiquement, c'est la matière et la production des choses qui (647a) nécessairement sont antérieures; mais en raison, c'est l'essence et la forme de chacune d'elles. Ceci devient évident si l'on prend la peine de définir ce que c'est que la production. Ainsi, la définition de la construction d'une maison suppose la définition de la maison; mais la définition de la maison ne suppose pas celle de la construction. Ceci s'appliquerait encore aussi bien à toute autre chose. 7 Il en résulte que la matière des éléments est faite nécessairement en vue des parties similaires, parce que les parties similaires ne se produisent que postérieurement aux éléments, de même que les parties non-similaires sont postérieures à elles. A leur tour, celles-ci sont la limite et la fin de tout le reste, n'atteignant leur composition définitive qu'en troisième lieu par ordre numérique, de la même façon que, dans bien des cas, s'achèvent aussi d'autres productions. 8 Les animaux se composent donc de ces deux espèces de parties; et si les parties similaires sont faites en vue des non-similaires, c'est que ce sont ces dernières qui accomplissent les fonctions et les actes : par exemple, les fonctions de l'œil, du nez, du visage entier, du doigt, de la main, du bras pris dans sa totalité, etc. Comme les actes et les mouvements des animaux sont excessivement variés, soit pour le corps entier, soit pour les parties dont on vient de parler, il est de toute nécessité que les éléments qui les constituent aient aussi des forces non moins dissemblables. 9 Pour certaines parties, c'est de la mollesse qu'il faut; pour d'autres, c'est de la dureté; les unes doivent pouvoir se tendre; d'autres, pouvoir se fléchir. Aussi, les parties similaires ont-elles été douées partiellement de puissances et de propriétés de ce genre. L'une est molle; l'autre est sèche; celle-ci est visqueuse ; celle-là est cassante. Les parties non-similaires ont aussi des fonctions et des forces très-diverses, combinées entre elles de cent façons. En effet, telle de ces forces permet à la main de serrer les choses; telle autre lui permet de les saisir. 10 Les parties qui forment les organes sont composées d'os, de nerfs, de chairs et d'autres matières analogues, tandis que ces dernières parties ne sont pas composées de parties organiques. C'est donc en vue d'une certaine fin qui doit être atteinte par cette cause que ces dernières parties sont faites, comme on vient de le dire. Que si l'on cherche à savoir encore comment il est nécessaire que les choses soient ce qu'elles sont, on voit évidemment qu'elles étaient nécessairement dès le début dans ces rapports réciproques. Il se peut que les parties non-similaires soient formées de parties similaires, soit de plusieurs de ces parties, soit même d'une seule, comme on le voit pour quelques viscères. 11 Mais bien que ce soit d'un seul corps similaire qu'elles soient composées, absolument parlant, elles diffèrent par la variété infinie de leurs formes. D'ailleurs, il est impossible que les parties similaires soient composées de celles-là ; car alors le similaire serait le résultat d'une foule de choses non-similaires. 12 C'est par (647b) ces causes que certaines parties du corps dans les animaux sont simples et similaires, tandis que d'autres parties sont composées et non- similaires. Comme il y a des parties qui sont des organes et d'autres qui sont des sens dont les animaux ont besoin, toute partie formant un organe est non- similaire, comme je viens de l'indiquer. Mais dans tous les animaux, la sensation a lieu dans des parties similaires, parce qu'une sensation, quelle qu'elle soit, n'est jamais que d'un seul et unique genre, et que chaque organe des sens est fait pour recevoir les impressions des choses sensibles qui le concernent. 13 Ce qui n'est qu'en puissance subit et souffre l'influence de ce qui est réellement en acte, de telle sorte que c'est une même chose qui, sous le rapport du genre, est tout ensemble et l'objet sensible et la sensation. Voilà comment, pas un seul physiologue n'a osé dire que la main, le visage ou telle autre partie de cet ordre soit de la terre, ou de l'eau, ou du feu, tandis qu'ils accouplent chacun de nos sens avec chacun des éléments, affirmant que tel sens est de l'air, et que tel autre est du feu. 14 Comme la sensation est dans les parties simples, il est tout à fait rationnel que le toucher se trouve surtout dans un sens similaire, mais non point seulement dans un sens simple et absolu. C'est le toucher en effet qui se montre le plus varié de tous les sens; et le sensible auquel il s'applique présente le plus grand nombre d'oppositions et de contrariétés, le chaud et le froid, le liquide et le sec, et cent autres oppositions de cette sorte. L'organe qui reçoit toutes ces sensations, la chair, et ce qui correspond à la chair, est le sens qui tient le plus de place dans le corps entier. 15 Comme il n'est pas possible qu'un animal existe sans la sensibilité, il en résulte que nécessairement les animaux doivent avoir certaines parties similaires, parce que la sensibilité réside dans ces parties; mais les actes auxquels les animaux se livrent ne leur sont possibles qu'à l'aide des parties non-similaires. La faculté de sentir, la faculté qui meut l'animal, et la faculté nutritive étant toutes trois dans la même portion du corps, ainsi que nous l'avons dit antérieurement dans d'autres ouvrages, il est indispensable que la partie qui contient primitivement de tels principes, en tant qu'elle peut recevoir l'impression de tous les objets sensibles, soit une partie simple; mais en tant que motrice et active, elle doit être une partie non- similaire. 16 Voilà comment, dans les animaux qui n'ont pas de sang, c'est la partie correspondante au cœur qui joue ce rôle, et comment c'est le cœur dans les animaux qui ont du sang. Le cœur en effet se divise en éléments similaires, comme se divisent aussi tous les autres viscères; mais par sa configuration et sa forme, il est une partie non-similaire. Tous les organes qu'on appelle des viscères sont dans le même cas que le cœur; et ils se composent de la même matière que lui. (648a) La nature de tous ces viscères est sanguine, parce qu'ils sont posés sur des vaisseaux veineux et sur leurs ramifications. 17 Semblables au limon d'une eau courante, tous les autres viscères sont comme les embranchements du courant du sang s'écoulant dans les veines ; mais le cœur, qui est le principe des veines et qui renferme en lui l'initiative et la faculté première d'élaborer le sang, doit, par une suite inévitable, être formé lui aussi de la même nourriture que celle qu'il reçoit. On voit donc pourquoi les viscères doivent, sous le rapport de leur forme, être sanguins, et pourquoi ils sont, tantôt similaires et tantôt non- similaires. [2,2] CHAPITRE II. 1 Entre les parties similaires qu'on observe dans les animaux, il y en a qui sont molles et liquides, tandis que d'autres sont dures et solides. Les parties liquides, ou le sont complètement, ou le sont dans la mesure que leur nature exige. Tels sont : le sang, la lymphe, la graisse, le suif, la moelle, la liqueur séminale, la bile, le lait dans les animaux qui en ont, la chair, et toutes les matières analogues à celles-là. 2 Les animaux n'ont pas tous sans exception été pourvus de toutes ces parties; et certains animaux n'ont que des parties correspondantes à quelques-unes d'entre elles. Les parties sèches et solides sont similaires, comme le sont l'os, l'arête, le nerf, la veine. Mais la division des parties similaires présente des différences. Ainsi, pour quelques cas, la partie porte le même nom que le tout, et par exemple, la partie d'une veine est une veine; mais la partie peut encore n'être pas homonyme, pas plus, par exemple, qu'une partie du visage n'est du tout un visage. 3. D'abord, il y a, en ce qui regarde les parties liquides et les parties solides, plusieurs nuances dans la cause pour laquelle elles sont ce qu'elles sont. Les unes en effet sont comme la matière des parties non- similaires; elles composent chacun des organes auxquels il faut des os, des nerfs, des chairs et tant d'autres éléments constitutifs, dont les uns contribuent à former la substance de l'animal, et les autres, à rendre ses fonctions possibles. D'autres parties qui servent à la nourriture des organes sont liquides ; car toujours, c'est du liquide que les êtres tirent leur développement. 4 C'est aussi des liquides et des solides que viennent les excréments, qui sont le résidu de la nourriture sèche, et le résidu de la nourriture liquide, dans les animaux qui ont une vessie. Les différences de tous ces éléments les uns relativement aux autres n'ont pas d'autre but qu'une meilleure disposition des choses; et sans parler d'autres parties, c'est là le rapport du sang relativement au sang. Tel sang en effet est plus léger; tel autre est plus épais; celui-ci est plus pur; celui-là est plus boueux. En outre, tel sang est plus froid; tel autre, plus chaud, non pas seulement pour les parties d'un même animal, où ces différences peuvent être remarquées dans les parties supérieures comparativement aux inférieures, mais aussi d'un animal à un autre. 5 Dans l'ensemble des animaux, (648b) les uns ont du sang; les autres ont, à la place du sang, une sorte de liquide qui y ressemble. Un sang plus épais et plus chaud donne plus de vigueur; un sang plus léger et plus froid donne à la fois plus de sensibilité et d'intelligence. On peut observer les mêmes différences dans les liquides qui correspondent au sang. C'est ainsi que les abeilles et les animaux de cette espèce sont de nature beaucoup plus intelligente que bien des animaux qui ont du sang; et parmi les animaux qui ont du sang, ceux dont le sang est froid et léger sont plus intelligents que ceux dont le sang est tout le contraire. Les plus distingués de tous sont ceux dont le sang est chaud, léger et pur; car les natures de ce genre sont les mieux douées en fait de courage et de pensée. 6 C'est là aussi d'où vient la différence qu'on peut trouver entre les parties hautes et les parties inférieures du corps, et encore entre le mâle et la femelle, et entre les parties de droite et les parties de gauche. Par suite, on peut admettre que cette même différence existe aussi pour toutes les autres parties de cette espèce, et pour les parties non-similaires également. De ces différences, les unes se rapportent directement aux fonctions et à la substance des animaux; les autres ne se rapportent qu'au mieux ou au pis. C'est ainsi qu'entre deux espèces qui ont des yeux, les unes les ont durs; les autres les ont liquides; ceux-ci n'ont pas de paupières, tandis que ceux-là en ont, pour que la vision soit plus puissante. 7 Afin de bien démontrer que nécessairement les animaux doivent avoir du sang, ou tout autre liquide de même nature que lui, et pour expliquer la nature propre du sang, nous commencerons par traiter du chaud et du froid ; et nous examinerons ensuite les causes qui font que le sang est ce qu'il est. La nature de bon nombre d'animaux se rattache à ces principes; et parmi les philosophes, on dispute beaucoup pour savoir quels animaux sont chauds ou froids, et quelles parties sont chaudes ou froides. Les uns prétendent que les animaux aquatiques sont plus chauds que les animaux terrestres, attendu, disent-ils, que la chaleur de leur nature doit contrebalancer la froideur du lieu où ils vivent. 8 On ajoute encore que les animaux qui n'ont pas de sang sont plus chauds que ceux qui en ont, et que les femelles ont plus de chaleur que les mâles. C'est ainsi que Parménide et quelques autres ont avancé que les femmes ont plus de chaleur que les hommes, attendu que les évacuations féminines ne tiennent qu'à la chaleur et à l'abondance du sang. Empédocle soutient absolument le contraire. De plus, d'autres naturalistes, sans faire aucune distinction, disent que toute espèce de sang ou de bile est plus chaude ; d'autres soutiennent que ces liquides sont froids. 9 Si le chaud et le froid donnent lieu à de telles controverses, que doit-ce être pour les autres qualités des éléments, puisque celles-là sont les plus claires de toutes, à cause de la perception que nos sens nous en donnent ? Ce qui peut provoquer ces discussions, c'est que le mot de Plus chaud peut se prendre dans des acceptions nombreuses. (649a) Chacun semble avoir de son côté quelque raison, quoique en disant tout le contraire. 10 Aussi doit-on bien se rendre compte, quand on parle des composés naturels, de ce qu'on entend par Chauds et par Froids, par Secs et par Liquides, puisque évidemment ce sont ces qualités qui sont presque les seules causes de la mort et de la vie des êtres. Ce sont aussi les causes du sommeil et de la veille, de la vigueur, de la virilité, de l'affaiblissement, de la vieillesse, de la maladie et de la santé. Mais ce ne sont pas ces qualités qui font que les choses sont rudes ou polies, qu'elles sont lourdes ou légères, ni qu'elles ont aucune autre des qualités de cet ordre, pour ainsi dire. 11 Ceci est tout à fait conforme à la raison ; car, ainsi que nous l'avons déjà dit dans d'autres ouvrages, les principes, des éléments naturels sont précisément le chaud et le froid, le sec et le liquide. Est-ce que, quand on dit Chaud, on entend quelque chose d'absolu ? Ou bien le mot de Chaud n'a-t-il pas des acceptions diverses? Pour répondre à cette question, il faut voir d'abord le résultat que produit une chaleur plus grande, et combien il y a de ces résultats, s'il y en a plusieurs. 12 On dit donc en un sens qu'une chose est plus chaude quand elle peut échauffer davantage ce qui la touche. En un autre sens, une chaleur plus grande est celle qui donne une sensation plus vive, quand on la perçoit par le toucher, surtout si cette impression est accompagnée de douleur. Parfois, cette impression peut n'être qu'une erreur ; car parfois c'est la disposition où l'on est qui fait que la sensation nous est douloureuse. Une chaleur plus grande est encore celle qui dessèche davantage ce qui peut être desséché, et celle qui brûle davantage ce qui peut être brûlé. D'autres fois, on entend aussi par Plus chaud que la même chose, pouvant être tantôt plus grande tantôt plus petite, plus grande, elle est plus chaude que quand elle est plus petite. 13 En outre, de deux choses que l'on compare, celle qui ne se refroidit pas promptement, mais peu à peu, passe pour plus chaude que celle qui se refroidit très-vite, de même qu'on dit encore qu'une chose qui s'échauffe plus rapidement est d'une nature plus chaude que celle qui ne s'échauffe que lentement, comme si nous pensions que l'un est contraire parce qu'il est éloigné, et que l'autre nous parût semblable parce qu'il est proche. Si ce ne sont pas là des acceptions absolument différentes, ce sont tout au moins des nuances qu'il faut distinguer, quand on dit qu'une chose est plus chaude qu'une autre. 14 Seulement, il est impossible que toutes ces nuances se réunissent à la fois dans le même objet. Ainsi, l'eau bouillante échauffe plus que la flamme, quoique la flamme puisse brûler et dessécher ce qui est combustible et desséchable, et quoique l'eau ne fasse rien de pareil. On peut dire encore que l'eau bouillante est plus chaude qu'un petit feu; mais l'eau chaude se refroidit plus vite et plus complètement qu'un feu faible, puisque le feu ne devient jamais froid, et que l'eau devient entièrement froide. Au toucher, l'eau bouillante est plus chaude que l'huile; mais elle refroidit et gèle plus vite qu'elle. Quand on touche le sang, on le trouve plus chaud que l'eau et que l'huile ; mais il gèle plus vite. Les pierres, le fer et tant d'objets analogues, s'échauffent moins vite que l'eau; mais une fois échauffés, ils brûlent bien davantage. 15 Il faut ajouter que, parmi les choses qu'on appelle chaudes, (649b) la chaleur des unes leur est étrangère, tandis que la chaleur des autres leur est propre. Pour la chaleur, il y a une extrême différence à ce qu'elle soit de l'une ou de l'autre de ces deux façons. Car l'un des deux est bien près alors de n'avoir qu'une chaleur purement accidentelle et de n'être pas essentiellement chaud. C'est comme si, d'une personne qui a la fièvre et qui est en outre musicienne, on allait dire que le musicien a plus de chaleur que celui qui n'a que la chaleur de la santé. 16 Comme on peut distinguer ce qui est chaud par soi-même et ce qui n'est chaud qu'accidentellement, ce qui en soi est chaud se refroidit plus lentement; mais ce qui l'est par accident a souvent davantage de chaleur, d'après la sensation qu'il nous cause. Réciproquement, ce qui est chaud en soi brûle davantage, comme la flamme qui brûle plus que l'eau bouillante, tandis que l'eau bouillante, qui n'est chaude qu'accidentellement, a plus de chaleur quand on la touche. 17 Tout ceci suffit à faire voir que, juger entre deux choses laquelle est la plus chaude des deux, ce n'est pas si simple ni si absolu qu'on pourrait le croire. Telle chose sera plus chaude à un certain point de vue ; et, à un point de vue différent, ce sera une autre chose qui le sera. Il y a même de ces objets dont on ne saurait dire d'une manière absolue, ni qu'ils sont chauds, ni qu'ils ne le sont pas. Tel objet, quand il est seul, et qu'il est ce qu'il est, n'est pas chaud; réuni à un second, il devient chaud. C'est ainsi qu'on peut appliquer le nom de chaud soit à l'eau, soit au fer; et c'est de cette façon que le sang est chaud. 18 On peut voir encore, par tous ces exemples, que le froid est bien une nature d'une certaine espèce, et non pas une simple privation, toutes les fois que l'on considère un objet qui ne devient chaud que par une modification qu'il subit. La nature du feu, pour prendre cet exemple, montre bien sur-le-champ ce qu'elle est. Supposons que l'objet à considérer soit de la fumée ou un charbon. L'un des deux est toujours chaud, puisque la fumée est une évaporation du feu ; mais l'autre, le charbon, une fois éteint, devient froid. L'huile et la poix aussi le deviennent également. 19 Presque toutes les matières brûlées par le feu ont de la chaleur, par exemple, la poussière et la cendre, ainsi que les déjections des animaux, et, dans les excrétions, la bile, parce que ces matières ont été brûlées par le feu, et qu'il leur en est resté quelque chose. Sous un autre rapport, la poix et les graisses sont chaudes, parce qu'elles se changent bien vite en un véritable feu. Il semble aussi que la chaleur coagule et dessèche. Les matières qui sont simplement aqueuses se coagulent par le froid, et c'est le feu qui coagule les matières uniquement terreuses. Entre les objets chauds, ceux qui sont plus terreux se coagulent vite par le froid; et alors ces matières ne sont plus solubles ; mais celles qui sont purement aqueuses peuvent redevenir solubles. 20 Du reste, nous avons expliqué tout cela plus clairement dans d'autres ouvrages, et nous avons indiqué les matières qui se coagulent, et par quelles causes elles peuvent se coaguler. Mais comme, en parlant d'une chose qui est chaude et d'une autre chose qui a une chaleur plus forte, on peut exprimer ces nuances de bien des manières, ce ne sera pas de la même manière qu'elles se présenteront dans tous les objets ; et il faudra toujours bien spécifier que telle chose est chaude en soi, et qu'une autre ne l'est souvent que d'une façon tout accidentelle. 21 Ce qu'il faut bien distinguer encore, c'est la chaleur en puissance, ou la chaleur effective ; et que tel objet est de telle façon, parce qu'il échauffe davantage notre organe du toucher, tandis que tel autre est d'une façon différente, parce qu'il fait de la flamme et brûle comme le feu. 22 Il va sans dire que, le chaud étant pris sous ces acceptions diverses, le froid sera pris sous autant d'acceptions, et par la même raison. 23 Voilà ce que nous avions à exposer concernant le chaud et le froid, et l'excès de l'un ou de l'autre. [2,3] CHAPITRE III. 1 Comme suite à ce que nous venons de dire, nous étudierons aussi le sec et l'humide. Ces termes se prennent en plusieurs sens, selon qu'on les considère en puissance et en acte. La glace et tout liquide qui est gelé, est sec en réalité et par accident, bien qu'en puissance et essentiellement ces corps soient liquides. La terre et la cendre mêlées à un liquide sont en acte et accidentellement liquides aussi, quoique en soi et en puissance ce soient des corps secs. 2 Quand les matières se sont séparées, les parties aqueuses, qui font remplissage, sont en acte et en puissance des liquides ; et toutes les parties dites terreuses sont sèches. 3 C'est en ce sens principalement qu'on dit d'une chose qu'elle est sèche d'une manière spéciale et absolue. De même pour les liquides, on les appelle proprement et absolument des liquides par la même raison, comme on l'a fait plus haut pour les corps chauds et les corps froids. 4 Ces points une fois fixés, il est clair que le sang n'est chaud que dans le sens où l'est aussi ce qui le fait être du sang. En effet, il en est de même pour le sang que quand nous exprimons d'un seul et unique mot ce qu'est l'eau bouillante ; l'objet quel qu'il soit qui devient du sang, n'est pas davantage chaud par lui-même; et si, d'une part, il est chaud réellement, d'autre part, il ne l'est pas. La chaleur ne sera comprise dans la définition du sang que dans la mesure où la blancheur est comprise dans la définition de l'homme blanc. En tant que le sang peut être affecté d'une certaine façon, il est chaud ; mais il n'est pas chaud en soi et essentiellement. 5 Nous en pouvons dire autant du sec et de l'humide. Aussi en ce qui concerne la nature des corps liquides ou secs, les uns sont chauds et liquides, bien que, lorsqu'ils sont isolés ils se congèlent et paraissent froids, comme le sang ; d'autres sont chauds et deviennent épais, comme la bile. Mais quand on les isole de la nature des corps qui les contiennent, ils se présentent sous l'aspect contraire, c'est-à-dire qu'ils se refroidissent et se liquéfient. Le sang alors devient plus sec, tandis que la bile jaune devient plus liquide. Ainsi, participer aux opposés en plus et en moins doit être regardé comme une propriété de ces deux corps. 6 C'est donc là (650b) à peu près tout ce qu'on peut dire pour expliquer comment le sang est chaud et liquide, et comment sa nature peut participer des qualités contraires. 7 Nécessairement tout être qui se développe et s'accroît doit prendre de la nourriture, et toute nourriture ne peut venir que d'une matière liquide et d'une matière sèche. La digestion et le changement des deux ne peuvent avoir lieu que par la puissance de la chaleur. Tous les animaux, toutes les plantes doivent nécessairement pour cette cause, si ce n'est pour d'autres causes encore, avoir un principe de chaleur naturelle, qui se trouve dans plusieurs parties de leur organisation, de même que les élaborations successives de la nourriture s'accomplissent également dans plusieurs parties du corps. 8 La première opération nutritive qui se manifeste clairement chez les animaux, c'est celle qui s'accomplit par la bouche, et par les différentes parties de la bouche, dont la nourriture a besoin pour être divisée. La bouche elle-même n'est pour rien dans la digestion proprement dite; mais elle prépare plutôt une bonne digestion. La réduction de la nourriture en petites parcelles rend l'élaboration plus facile à la chaleur ; mais l'action de la cavité supérieure et de la cavité inférieure achève la digestion, avec l'aide de la chaleur naturelle. 9 De même que la bouche est le conduit de la nourriture non encore élaborée, et que cette partie attenante à la bouche qu'on appelle l'œsophage va jusqu'à l'estomac dans les animaux qui ont cet organe, de même il faut encore que d'autres principes agissent pour que le corps entier puisse prendre la nourriture, comme dans une crèche, en la recevant de l'estomac et des autres viscères, selon leur nature. Les végétaux, par leurs racines, puisent leur nourriture tout élaborée dans la terre, d'où ils la tirent; et c'est là ce qui fait que les végétaux n'ont pas d'excrétions, parce que la terre et la chaleur qui est en elle leur tiennent lieu d'estomac. 10 Mais tous les animaux presque sans exception, et bien manifestement ceux qui marchent, ont en eux- mêmes la cavité de l'estomac, qui est pour eux une sorte de terre ; c'est de l'estomac que, comme les végétaux par leurs racines, ces animaux doivent, au moyen de quelque organe, tirer leur nourriture, jusqu'à ce que la digestion qui en est la suite soit achevée et complète. Le travail de la bouche transmet les aliments à l'estomac, et c'est de l'estomac qu'un autre organe doit nécessairement les prendre encore. 11 Du reste, c'est bien ainsi que les choses se passent ; et les veines se dirigent partout à travers le mésentère, commençant d'en bas pour aller jusqu'au ventre. On peut voir cette disposition des veines d'après les dessins Anatomiques et d'après l'Histoire naturelle. Mais comme il faut un organe qui reçoive toute la nourriture et les excréments qui en résultent, et que les veines sont en quelque sorte le vase du sang, il est clair que le sang est la nourriture définitive des animaux qui ont du sang, et que c'est la partie qui tient lieu du sang pour ceux qui n'en ont pas. 12 De là vient que le sang diminue dans les animaux qui ne prennent pas de nourriture, (651a) et qu'il augmente au contraire chez ceux qui en prennent. Si la nourriture est saine, le sang l'est aussi; si elle est mauvaise, le sang ne vaut pas mieux. De ces considérations et de celles qu'on pourrait y joindre, on doit conclure que le sang, dans les animaux qui en ont, n'a pour objet que de les nourrir. 13 C'est là ce qui fait que, même en étant touché dans les organes, il n'y cause pas de sensation, non plus qu'aucune des autres excrétions. En ceci, la nourriture n'est pas comme la chair, puisque celle-ci, quand on la touche, ne manque pas de causer une sensation ; mais le sang n'est pas en contact avec la chair ; il n'y est pas mêlé ; et il est comme renfermé en un vase, que forment pour lui le cœur et les veines. Comment les diverses parties du corps tirent-elles du sang leur développement et leur croissance? Qu'est-ce que c'est en général que la nutrition ? Ce sont là des questions qui seront étudiées plus convenablement dans le traité de la Génération des Animaux, et ailleurs. Pour le moment, ce qui précède doit suffire, puisque c'est tout ce qui peut nous servir ici, et nous savons maintenant que le sang a pour but de nourrir l'animal dans sa totalité et de nourrir ses parties diverses. [2,4] CHAPITRE IV. 1 Tel sang contient ce qu'on appelle des fibres ; tel autre sang en est privé, comme l'est celui des cerfs et des chevreuils. Cette absence de fibres empêche ce dernier sang de se coaguler ; car la partie aqueuse du sang est plutôt froide, et c'est ce qui fait qu'il ne se coagule pas. Mais la partie terreuse se coagule, par suite de l'évaporation de la partie liquide, et les fibres sont terreuses essentiellement. 2 Il y a des animaux qui ont une intelligence plus brillante que d'autres, non pas à cause de la froideur du sang, mais bien plutôt parce qu'il est léger et pur. Le terreux n'a ni l'une ni l'autre de ces qualités. Les animaux qui ont des humeurs plus légères et plus pures ont aussi la sensibilité plus vive et plus mobile. 3 De là vient que même certains animaux qui n'ont pas de sang ont cependant l'âme bien plus intelligente que d'autres qui en ont, ainsi que nous l'avons dit antérieurement; telles sont l'abeille, la fourmi, et telle autre espèce rapprochée de celles-là. Les animaux où le sang est trop aqueux sont plus timides, parce que la peur refroidit; et les animaux chez qui cette mixtion humide qui est dans le cœur est ainsi faite sont prédisposés à la crainte. Comme l'eau se coagule par le froid, les animaux privés de sang sont en général plus craintifs que les animaux qui en ont; dans leur terreur, ils restent sans mouvement; d'autres laissent partir leurs excréments, et il y en a qui changent de couleur. 4 Mais ceux qui ont beaucoup de fibres dans le sang, et des fibres épaisses, sont d'une nature plus terreuse ; leur caractère est plus courageux, et ils se laissent emporter davantage à leur colère. C'est que la colère produit de la chaleur, et que les solides une fois échauffés produisent plus de chaleur que les liquides ; or les fibres (651b) sont solides et terreuses. Elles sont en quelque sorte des étuves dans le sang, et elles causent dans les cœurs un véritable bouillonnement. 5 De là vient que les taureaux et les sangliers sont pleins de courage et d'emportements furieux. Leur sang est celui qui a le plus de fibres; et c'est le sang du taureau qui se coagule le plus rapidement de tous. Si l'on enlève les fibres du sang, il ne se coagule plus; et de même que, lorsqu'on-enlève d'une masse de boue la partie terreuse, l'eau ne se solidifie plus , de même le sang ne se coagule pas davantage, parce que les fibres sont de la terre. Mais si l'on n'enlève pas les fibres, le sang se coagule, comme la terre liquéfiée se solidifie par le froid. La chaleur étant expulsée par le froid, la partie liquide s'évapore en même temps, ainsi qu'on l'a déjà dit, et le liquide se coagule, desséché, non par la chaleur, mais bien par le froid. 6 Il n'y a d'humidité dans les corps des animaux que grâce à la chaleur qui est en eux. La nature particulière du sang cause de nombreuses modifications dans le caractère des animaux et dans leur sensibilité. Cela se conçoit sans peine puisque le sang est la matière du corps tout entier ; car la nourriture est la matière du corps, et le sang en est la nourriture définitive. Il est donc tout simple que le sang produise de notables différences, selon qu'il est chaud ou froid, léger ou épais, bourbeux ou pur. La lymphe est la partie aqueuse du sang, soit que cette partie ne soit pas encore bien digérée et bien cuite, soit qu'elle soit corrompue ; et par conséquent, dans le premier cas, c'est nécessairement de la lymphe; dans le second, elle appartient au sang. [2,5] CHAPITRE V. 1 La graisse et le suif diffèrent entre eux selon la différence même du sang. L'un et l'autre en effet ne sont que du sang cuit et mûri par l'abondance de nourriture, mais qui, dans l'animal, n'a pas été converti en cette portion qui fait sa chair, et qui n'en est pas moins bien mûr et bien nourricier. L'éclat dont ils brillent le prouve bien, puisque l'éclat brillant des liquides est un mélange d'air et de feu. 2 Ce qui fait que les animaux qui n'ont pas de sang n'ont jamais de graisse ni de suif, c'est précisément parce que le sang leur manque. Parmi les animaux qui ont du sang, ceux dont le sang a beaucoup de corps ont plus de suif; car le suif est terreux; il se coagule comme la matière fibreuse, et comme les agglomérations liquides qu'elle forme, et qui ont peu d'eau et beaucoup de terre. 3 Aussi, les animaux qui n'ont pas les deux rangées de dents et qui portent des cornes ont-ils du suif. Ce qui prouve bien que leur nature est pleine de cet élément, c'est qu'ils ont des cornes et des osselets, attendu que leur nature à tous est terreuse et sèche. Au contraire, les animaux qui ont les deux rangées de dents, qui n'ont pas de cornes et dont les pieds sont à plusieurs divisions, ont de la graisse au lieu de suif; leur graisse ne se coagule pas ; et elle ne s'égrène pas en séchant, parce que sa nature n'est pas terreuse. 4 Quand ces matières n'entrent qu'en quantité mesurée dans les organes des animaux, elles leur sont profitables. Elles n'empêchent (652a) en rien les sensations, et elles contribuent à donner de la santé et de la force. Mais si elles sont par trop abondantes, elles nuisent et elles sont funestes. Si tout le corps n'était que graisse et que suif, il périrait infailliblement. L'animal consiste surtout dans sa partie sensible; et c'est la chair, ou la matière correspondante, qui est douée de la sensibilité. Le sang, comme on l'a dit un peu plus haut, n'est pas sensible, non plus que la graisse et le suif, qui ne sont que du sang cuit et mûri. Par conséquent, si le corps entier devenait suif et graisse, il n'aurait plus la moindre sensibilité. 5 De là vient que les êtres trop gras vieillissent vite; ils ont peu de sang, parce que leur sang s'est dépensé en engraissement; et la diminution du sang est un acheminement vers la destruction, qui n'est elle-même qu'un sang appauvri, et qui amène la presque insensibilité à toute espèce de froid ou de chaleur. Par la même cause, les animaux gras sont aussi moins féconds ; car cette portion du sang qui devrait tourner en liqueur séminale et en sperme passe tout entière en graisse et en suif. Le sang mûri par la coction devient l'une et l'autre de ces matières, de telle sorte que, dans les animaux organisés ainsi, ou il n'y a aucune excrétion, ou bien il n'y en a que très-peu. 6 Voilà ce que nous pouvons dire sur le sang, la lymphe, la graisse et le suif, pour expliquer la nature de chacune de ces matières et les fonctions pour lesquelles elles sont faites. [2,6] CHAPITRE VI. 1 La moelle est une certaine nature de sang; et elle n'est pas du tout, comme on le suppose quelquefois, la force spermatique de la semence. On peut s'en convaincre en observant les très-jeunes animaux. Toutes leurs parties étant formées de sang et le sang étant la seule nourriture des embryons, la moelle que contiennent alors les os est aussi toute sanguine ; mais en grandissant et en mûrissant, les viscères changent de couleur, ainsi que toutes les autres parties; or, dans les jeunes sujets, les viscères sont tous excessivement sanguins. 2 La moelle ne change pas moins. Dans les animaux gras, elle est onctueuse, et elle ressemble tout à fait à la graisse. Ceux où elle n'est pas pareille à de la graisse, mais chez qui le sang paraît, en mûrissant, devenir du suif, ont aussi la moelle comme du suif. Dans les animaux à cornes, et qui n'ont pas les deux rangées de dents, elle est suiffeuse ; mais elle est plutôt graisseuse dans ceux qui ont les deux rangées de dents et les pieds à plusieurs divisions. 3 Ce n'est pas là du tout ce qu'est la moelle du rachis, puisqu'elle doit être continue et parcourir tout le rachis divisé en vertèbres. Si cette moelle était onctueuse ou suiffeuse, elle ne serait pas aussi tenace qu'elle doit l'être, et elle serait ou friable ou liquide. Il y a d'ailleurs très-peu d'animaux, s'il vaut la peine d'en parler, qui n'aient pas de moelle ; ce sont ceux dont les os sont très-forts et compacts comme (652b) ceux du lion. Ses os n'ayant aucune marque particulière de moelle semblent n'en avoir pas du tout. 4 Comme il est indispensable que les animaux aient des os ou la partie correspondante aux os, l'arête par exemple dans les animaux aquatiques, il n'est pas moins nécessaire que, dans quelques animaux, il se forme de la moelle par l'absorption simultanée de la nourriture qui produit aussi les os. On vient de dire que, dans tous les animaux, la nourriture est du sang; et l'on doit voir que, par suite, il est tout simple que la moelle devienne suiffeuse ou graisseuse. Le sang se cuit par la chaleur qui se développe en étant renfermée dans les os. La coction du sang est en soi du suif et de la graisse. 5 On conçoit donc bien que, dans ceux qui ont les os compacts et très-forts, tantôt il n'y ait pas du tout de moelle, et que tantôt il y ait très-peu de ces animaux qui en aient, parce que la nourriture est absorbée dans les os. Dans ceux qui au lieu d'os ont une arête, il n'y a que le rachis qui irait de la moelle. Comme ils ont naturellement peu de sang, l'arête seule du rachis est creuse, et c'est dans cette arête que la moelle se produit. Il n'y a que dans elle en effet qu'il y ait la place suffisante, et seule aussi elle a besoin d'un lien qui unisse ses divisions. 6 Voilà pourquoi, dans les arêtes, la moelle est tout autre, ainsi qu'on l'a déjà dit; et comme elle y joue le rôle de boucle, elle est visqueuse et nerveuse afin qu'elle puisse recevoir la tension nécessaire. 7 On voit donc comment les animaux ont de la moelle, quand ils en ont; et en résumant tout ceci pour savoir ce qu'est la moelle, on peut dire que, dans la nourriture sanguine qui se répartit aux os et aux arêtes, la moelle est l'excrétion qui y est renfermée et qui est cuite et digérée. [2,7] CHAPITRE VII. 1 Une suite assez naturelle de ce qui précède, c'est de parler du cerveau. Bien des naturalistes s'imaginent que le cerveau est de la moelle, ou du moins qu'il est le principe et l'origine de la moelle, parce qu'ils voient que la moelle de l'épine dorsale est le prolongement du cerveau. Mais on pourrait dire sans exagération que le cerveau est tout le contraire de la moelle. De toutes les parties du corps, le cerveau est certainement la plus froide, tandis que la moelle est naturellement chaude, comme le prouve son luisant et sa nature graisseuse. 2 Si la moelle du rachis est le prolongement du cerveau, c'est que toujours la nature dispose, contre l'excès d'un objet quelconque, le secours et le voisinage de l'objet contraire au premier, afin que l'un puisse compenser l'excès de l'autre. Une foule de faits démontre bien que la moelle est chaude, tandis que la froideur du cerveau est manifeste, rien qu'à y toucher. De plus, le cerveau est de toutes les parties liquides du corps celle qui contient le moins de sang, puisqu'il n'en a pas du tout par lui-même ; et il est (653a) la plus exsangue de toutes. 3 Le cerveau n'est pas une excrétion, et il n'est pas un de ces organes qui sont continus à d'autres ; mais il est d'une nature qui n'est qu'à lui, et on comprend bien qu'il en soit ainsi. Il suffit du plus simple coup d'œil pour voir qu'il n'a point la moindre connexité avec les parties qui servent à sentir ; et il n'est pas moins évident que, quand on le touche, il ne sent rien, non plus que ne sentent, ni le sang, ni les excrétions quelconques des animaux. Mais dans l'animal il est chargé de conserver tout ce que l'animal est par sa nature entière. 4 Il y a des philosophes qui prennent l'âme de l'animal pour du feu ou pour telle autre force du même genre ; c'est là une hypothèse grossière. Il est peut-être bien préférable de supposer que l'âme est placée dans un corps pareil au cerveau. Ce qui doit faire admettre cette opinion, c'est que la chaleur est, de tous les corps, celui qui est le plus utile aux actes de l'âme. Or, l'œuvre propre de l'âme, c'est de nourrir et de mouvoir l'animal, et ces fonctions sont remplies à peu près exclusivement par l'action de cette force. Donc supposer que l'âme est du feu, c'est tout comme si l'on prétendait que la scie et la tarière sont l'ouvrier lui-même ou l'art de l'ouvrier, sous prétexte que l'œuvre ne s'accomplit que par le contact étroit de l'un avec l'autre. 5 Que la chaleur soit absolument nécessaire aux animaux, ce qui le prouve, c'est que toutes les choses ont besoin d'un contrepoids contraire pour arriver à la juste mesure et au milieu, qui seuls donnent l'essence et le rapport vrai des choses, tandis qu'aucun des deux extrêmes pris à part ne les peut donner. De là vient que, vers la région du cœur et pour compenser la chaleur qui s'y trouve, la nature a organisé le cerveau ; c'est pour atteindre ce résultat que cette partie existe dans les animaux et qu'elle y présente la double et commune nature de l'eau et de la terre. 6 C'est là aussi ce qui fait que tous les animaux qui ont du sang ont un cerveau, tandis qu'aucun autre animal, pour ainsi dire, n'en a un, à moins que ce ne soit une simple analogie, comme dans le polype. Tous ces animaux ont peu de chaleur précisément à cause qu'ils n'ont pas de sang. Le cerveau tempère et domine la chaleur et le bouillonnement qui sont dans le cœur. 7 Pour que cet organe n'eût aussi qu'une chaleur moyenne, les veines secondaires parties de chacune des deux veines, c'est-à-dire la grande veine et celle qu'on appelle l'aorte, se terminent à la méninge qui enveloppe le cerveau ; et de peur que la chaleur ne vînt à nuire, au lieu de grosses veines en petit nombre, ce sont des veines nombreuses et très-fines qui l'entourent ; au lieu d'un sang abondant et épais, c'est un sang léger et pur. 8 Aussi, les fluxions qui ont lieu dans les corps partent-elles originairement de la tête, toutes les fois que les parties qui environnent le cerveau sont plus froides que ne l'exigerait la température convenable. La nourriture venant à s'évaporer en haut (653b) par les veines, l'excrétion, refroidie par la force particulière à cette région du corps, produit les flux du phlegme et de la lymphe. On peut supposer, en comparant, il est vrai, une petite chose à une grande, qu'il en est de ceci comme de la production de la pluie : la vapeur qui sort et qui s'élève de la terre est portée par sa chaleur dans les parties supérieures, et quand elle arrive dans l'air froid qui est au-dessus de la terre, elle se condense et se change en eau, sous l'action du refroidissement, pour retomber de nouveau sur la terre. 9 Mais c'est dans l'étude des phénomènes d'où viennent les maladies qu'il sera convenable de traiter ce sujet, du moins dans cette mesure où la philosophie naturelle peut avoir à s'en occuper. 10 Dans les animaux qui ont un cerveau, c'est cet organe aussi qui produit le sommeil ; et dans ceux qui n'en ont pas, c'est l'organe correspondant. En refroidissant l'afflux du sang venu de la nourriture, ou peut-être encore par d'autres causes semblables, le cerveau alourdit cette région du corps ; et c'est là ce qui explique comment, lorsqu'on a sommeil, on a la tête lourde et pesante. De plus, il chasse la chaleur en bas avec le sang. La chaleur s'accumulant dans les parties basses amène le sommeil ; et en même temps disparaît la faculté de se tenir debout, pour tous les animaux auxquels la station droite est naturelle ; et pour les autres, cesse la position droite de la tête. 11 Du reste, nous avons spécialement traité cette question et dans nos ouvrages sur la Sensation, et dans le livre sur le Sommeil. 12 Que le cerveau soit un composé d'eau et de terre, voici quelques faits qui le prouvent. Si l'on fait cuire le cerveau, il devient sec et dur ; il ne reste plus que la partie terreuse, l'eau ayant été vaporisée par la chaleur, comme il arrive quand on brûle des légumes et d'autres fruits, où la plus forte partie n'est que de la terre, une fois qu'en est sorti le liquide qui y était mêlé. Ces résidus de combustion deviennent durs et tout à fait terreux. 13 C'est l'homme qui, de tous les animaux, a le cerveau le plus fort comparativement à sa grandeur; et, dans l'espèce humaine, les hommes ont un cerveau plus gros que les femmes, parce que, dans l'homme, la région qui comprend le cœur et le poumon est plus chaude et plus sanguine que dans tout autre animal ; voilà pourquoi aussi l'homme est le seul des animaux qui se tienne tout droit. La nature de la chaleur qui le fortifie fait, en suivant sa propre direction, que le développement part du centre et du milieu. 14 C'est donc à un excès de chaleur que s'opposent des excès d'humidité et de froideur plus énergiques ; et, grâce à leur abondance, l'os du cerveau, que parfois on nomme la Fontanelle, se solidifie le dernier de tous, parce que la chaleur s'en empare encore longtemps, tandis qu'on ne remarque rien de pareil chez aucun des autres animaux qui ont du sang. 15 L'homme est aussi l'animal qui a le plus de sutures à la tête; (654a) et, par la même raison, les mâles en ont plus que les femelles, afin que ce lieu puisse bien respirer et que le plus gros cerveau soit aéré davantage. Trop humide ou trop sec, il n'accomplirait plus sa fonction propre ; mais il ne se refroidira pas, ou ne se resserrera pas, au point de causer des maladies, des dérangements d'esprit et la mort ; car la chaleur et le principe qui sont dans le cœur sont très-sympathiques ; ils ressentent, avec une rapidité extrême, les changements et les modifications du sang qui est près de l'encéphale. 16 Nous avons parlé à peu près de tous les liquides qui se trouvent dans les animaux dès leur naissance ; quant aux liquides qui ne viennent que plus tard, les uns sont les excrétions de la nourriture, le dépôt qui se forme dans la vessie et celui du ventre, et, outre ces deux matières, la semence et le lait dans les animaux naturellement faits pour avoir des liquides de ce genre. Les excrétions et résidus de la nourriture sont étudiés d'une façon toute spéciale dans l'examen et la théorie des Aliments, où l'on explique quels sont les animaux qui en ont et à quelles fins ces résidus leur ont été donnés. Quant au sperme et au lait, il en a été question dans le Traité de la Génération; car l'un de ces liquides est le principe même de la génération, et l'autre est fait pour elle. [2,8] CHAPITRE VIII. 1 Il faut étudier maintenant les autres parties similaires, et d'abord la chair, dans les animaux qui ont des chairs, ou la partie correspondante dans ceux qui n'en ont pas. La chair est essentiellement le principe et le corps des animaux. C'est ce qu'on peut voir, ne serait-ce que d'après la plus simple définition. En effet, nous définissons l'animal en disant qu'il est un être doué de sensibilité. 2 Le sens qu'a premièrement l'animal, c'est le premier des sens, c'est-à-dire, le toucher. L'organe du toucher est dans le corps une partie de même ordre, c'est-à-dire, la première, comme la pupille est la première partie de la vision, et la partie par où passe tout ce que la vision contient, comme si l'on pouvait rapporter tout le diaphane à la seule pupille. Pour les autres sens, il était impossible et peut-être n'était-il pas indispensable à la nature de les faire; mais le sens du toucher était absolument nécessaire. Seul de tous les sens, ou du moins plus que tous les autres organes des sens, celui-là est corporel. 3 Il est d'une évidence sensible que toutes les autres parties sont faites pour celle-là : je veux dire, les os, les nerfs, la peau, les veines, les cheveux, les ongles et toutes les autres parties du corps, s'il en est d'autres du même genre; ainsi, les os ont été faits pour soutenir et protéger la partie molle du corps; par leur nature propre, ils sont durs dans les animaux qui en ont ; et dans ceux qui n'ont pas d'os, c'est la partie correspondante ; par exemple, chez les poissons, c'est l'arête pour les uns et le cartilage pour les autres. 4 Certains animaux ont ce ferme appui de leur corps à l'intérieur; quelques-uns de ceux (654b) qui n'ont pas de sang l'ont au dehors, comme toutes les espèces de crustacés, telles que les langoustes et les crabes ; et de même pour les espèces des testacés, telles que ceux qu'on appelle des huîtres. Dans toutes ces espèces, la partie charnue est au dedans ; la partie qui contient et qui protège est au dehors; c'est la partie terreuse. 5 Pour maintenir et préserver leur consistance, ces animaux ayant peu de chaleur parce qu'ils n'ont pas de sang, la coquille, placée tout autour comme une sorte de four, garde la chaleur qui est leur foyer intérieur. La tortue et le genre des hémydes paraissent organisés de la même manière, tout en étant d'une espèce différente. 6 Quant aux insectes et aux mollusques, ils sont précisément tout le contraire de ces animaux ; et entre eux, leur constitution n'est pas moins opposée des uns aux autres. Il ne semble pas qu'ils aient rien d'osseux, ni aucune partie terreuse, qu'on puisse distinguer, pour ainsi dire. Mais les mollusques sont presque entièrement charnus et mous ; et pour que leur corps ne fût pas par trop destructible, comme le sont les matières purement charnues, leur nature tient le milieu entre la chair et le tendon. Elle est molle, comme la chair ; et elle a une certaine rigidité, comme le tendon. Leur chair n'est pas divisible en ligne droite; mais on peut la partager par bandes circulaires. C'est cette disposition qui pouvait contribuer le mieux à leur donner quelque force. 7 Ces animaux ont une partie qui répond aux arêtes des poissons. Dans les seiches, c'est ce qu'on appelle l'os de la seiche ; dans les teuthides, c'est ce qu'on appelle leur épée. Il y a des polypes qui n'ont rien de cela, parce que la partie que l'on nomme en eux la tête forme une cavité trop petite ; d'autres l'ont très-large. Aussi, pour qu'ils pussent rester droits et qu'ils ne pliassent pas, la nature leur a dessiné cette organisation, comme, à certains des animaux qui ont du sang, elle a donné des os ; et qu'à d'autres de ces animaux, elle a donné l'arête. 8 Les insectes, ainsi qu'on vient de le dire, ont une organisation toute contraire à ces derniers, et à celle des animaux qui ont du sang. Ils n'ont pas une partie déterminée de leur corps qui soit dure ou molle; c'est le corps tout entier qui est dur, et cette dureté est calculée de façon qu'elle soit plus charnue que l'os, en même temps qu'elle est plus osseuse et plus terreuse que la chair, pour que leur corps ne fut pas trop susceptible de se déchirer et de se rompre. [2,9] CHAPITRE IX. 1 La nature des os et celle des veines se ressemblent en certains points. L'une et l'autre partent d'une seule origine et se développent sans discontinuité. Pas un seul os n'est séparé et isolé des autres ; et tout os est ou une partie d'un autre os qu'il continue et prolonge, ou il y touche et y est rattaché, pour que la nature puisse s'en servir à la fois (655a) comme s'il était seul et continu, et comme s'il y avait deux os qui ne fussent séparés que pour faciliter la flexion. De même non plus, il n'y a pas une seule veine qui soit isolée et indépendante des autres; mais toutes, sans exception, font partie d'une seule et unique veine. 2 Si un os quelconque eût été séparé des autres os, il n'aurait pas pu d'abord remplir la fonction à laquelle est destinée la nature des os, puisqu'il n'aurait pas pu procurer ni une flexion, ni un redressement quelconque, n'étant pas continu à d'autres et faisant lacune ; et en second lieu, il aurait pu nuire comme une épine ou une flèche pénétrant dans les chairs. 3 De même, si une veine quelconque eût été séparée, au lieu d'être continue à son origine et à son principe, elle n'aurait pu retenir et conserver le sang qui est en elle ; car la chaleur qu'elle cause empêche qu'il ne se coagule. Et de plus, tout ce qui est séparé tend évidemment à se gâter. 4 Le principe des veines, c'est le cœur ; le principe des os, c'est ce qu'on nomme le rachis, qui se retrouve dans tous les animaux qui ont des os; et c'est au rachis que se rattachent tous les autres os, sans aucune interruption ; car l'objet propre du rachis, c'est de conserver aux animaux toute leur grandeur et leur rectitude. Mais comme il faut nécessairement, quand l'animal se meut, que son corps s'infléchisse, le rachis est tout à la fois un, parce qu'il est continu, et divisé en parties nombreuses, par la multiplicité de ses vertèbres. 5 Dans les animaux pourvus de membres qui se rattachent au rachis, c'est du rachis que viennent leurs os ; alors les os sont en harmonie avec le rachis, en ce sens que les membres s'infléchissent, en étant reliés entre eux par des nerfs, et que leurs extrémités se combinent régulièrement, l'une étant creuse et l'autre étant ronde; ou même les deux extrémités étant creuses à la fois, elles sont du moins reliées au reste par leur milieu comme un coin et un osselet, afin que l'inflexion et l'extension puissent avoir lieu. Autrement, les os auraient été absolument incapables de produire ce mouvement ; ou du moins, ils ne l'auraient produit que très-imparfaitement. 6 Quelques os, dont l'un a son commencement au point où un autre os se termine, lui sont joints par des nerfs. Entre les jointures et les flexions, il y a des parties cartilagineuses, qui, comme la synovie, empêchent que les os ne s'usent et ne se choquent l'un contre l'autre. Les chairs sont placées autour des os et sont retenues par des liens légers et fibreux. C'est pour les chairs que les os sont faits. Car de même que les artistes, pour modeler un animal quelconque avec de la terre glaise ou avec quelque autre substance humide, ont soin de mettre dessous quelque corps solide sur lequel ils adaptent la matière dont ils se servent, de même c'est avec les chairs que la nature a construit l'animal. 7 Sous les autres parties qui sont charnues sont placés les os. Quand certaines de ces parties se meuvent par flexion, c'est en vue de cette flexion même ; quand les parties sont immobiles, c'est en vue de les préserver ; (655b) telles sont, par exemple, les côtes qui enveloppent et ferment la poitrine, pour garantir les viscères qui se trouvent autour du cœur. Dans tous les animaux, les parties du ventre sont dépourvues d'os, d'abord pour que rien ne gêne le gonflemeut que cause nécessairement la nourriture quand les animaux la prennent, et ensuite, pour que, dans les femelles, rien ne gêne le développement des embryons qu'elles nourrissent. 8 Les animaux qui sont vivipares soit en eux-mêmes, soi au dehors, ont à peu près également la charpente des os forte et solide. Toutes les espèces ont ces parties beaucoup plus grandes que les animaux qui ne sont pas vivipares, du moins relativement à la dimension de leurs corps. C'est qu'il y a des pays où il se trouve une foule de grands vivipares, comme il y en a en Libye et dans les régions chaudes et desséchées. 9 Pour ces grands êtres, il faut des appuis plus forts et plus grands, en même temps que plus durs, et surtout pour les plus féroces de ces animaux. C'est là pourquoi les os des mâles sont plus durs que ceux des femelles, et que ceux des carnassiers le sont également, parce qu'ils ne peuvent se nourrir que par la lutte et le combat. Tels sont les os du lion ; ils sont naturellement si durs qu'en les frappant on en fait jaillir des étincelles, comme on en tire des cailloux. Le dauphin a aussi des os et non des arêtes, parce qu'il est vivipare. 10 Dans les animaux qui ont du sang, mais qui ne sont pas vivipares, la nature a fait une déviation légère. Ainsi, pour les oiseaux, elle leur a donné des os, mais des os plus faibles. Les poissons ovipares ont une arête. La nature des os des serpents est assez semblable à l'arête, si ce n'est dans les très-grandes espèces, parce que ces dernières espèces ont, par les mêmes raisons que les vivipares, besoin d'appuis plus forts, afin d'avoir la vigueur indispensable. 11 Les animaux appelés les Sélaciens ont une nature qui tient du cartilage et de l'arête. Il faut en effet de toute nécessité que leur mouvement soit plus souple; et par conséquent, le mouvement de leurs points d'appui ne doit pas être trop rigide, mais plus mou également ; pour eux, la nature a dépensé toute la partie terreuse sur leur peau, parce que la nature ne peut pas répartir à la fois sur une foule de points la même exubérance de matière. 12 Les vivipares ont également beaucoup d'os qui ne sont que cartilagineux ; ce sont toutes les fois qu'il importe que la partie solide soit assez molle et assez spongieuse pour ménager la chair qui les environne. C'est ce qui se produit, par exemple, pour les oreilles et pour le nez, parce que les matières trop dures sont bien vite usées dans les parties qui s'avancent. La nature du cartilage est la même que celle de l'os ; entre eux, il n'y a qu'une différence du plus au moins. Ainsi, ni l'un et l'autre, une fois coupés, ne repoussent. 13 Dans les animaux terrestres, les cartilages n'ont pas de moelle, en ce sens qu'ils n'ont pas de moelle séparée ; mais la partie qui pourrait être de la moelle séparée, se répartit dans le tout, où elle fait que la composition du cartilage est molle et gluante. Pourtant, dans les sélaciens, le rachis est cartilagineux; (656a) et il n'en a pas moins de la moelle; car pour eux, cette partie du corps doit tenir la place des os. 14 II y a dans le corps des matières qui, au toucher, se rapprochent beaucoup des os, telles que les ongles, les soles, les pinces, les cornes et les becs chez les oiseaux. Les animaux ont reçu ces organes pour leur défense; car les corps entiers qui sont formés de ces matières et qui, dans leur ensemble, portent le même nom que leurs parties, comme c'est le cas pour la sole entière ou pour la corne entière, sont destinés dans chaque animal à le protéger et à assurer sa conservation. On peut encore ranger dans cette classe tout ce qui regarde l'organisation des dents, qui tantôt n'a qu'un seul objet, à savoir le travail des aliments, et qui tantôt, comme dans les animaux dont les dents sont en scie ou sont saillantes, ont d'abord cette disposition, et en outre ont pour but de leur permettre la lutte contre leurs ennemis. 15 Nécessairement, toutes ces matières sont de nature terreuse et solide ; car c'est là précisément la force qu'une arme doit avoir. Aussi, toutes ces conditions se réunissent-elles plus particulièrement dans les quadrupèdes vivipares, parce que tous ces animaux ont une nature plus terreuse que l'homme. 16 Du reste, tous ces détails, avec ceux qui en sont la conséquence, et qui concernent la peau, la vessie, les membranes, les poils, les plumes, et les parties qui les remplacent, et d'autres s'il en est qu'on puisse encore citer, trouveront leur place plus tard, et seront expliquées en même temps que nous étudierons les parties non-similaires, et que nous montrerons comment et pourquoi chaque espèce d'animal en est pourvue. Il est indispensable de constater les fonctions et les faits pour connaître ces nouvelles parties, aussi bien que les autres. Mais comme ces parties ont reçu le même nom que le tout où elles sont comprises, c'est ce qui nous a porté à leur donner place ici dans l'étude des parties similaires ; car les principes de toutes ces parties similaires et non-similaires, ce sont toujours l'os et la chair. 17 C'est encore ainsi que nous avons laissé de côté l'étude de la liqueur séminale et du lait, en traitant des liquides et des parties similaires, parce que ces considérations viennent plus convenablement dans les Recherches sur la Génération. L'une deces deux matières est en effet le principe même des animaux, et l'autre devient leur nourriture, une fois qu'ils sont nés. [2,10] CHAPITRE X. 1 A cette heure, reprenons les choses comme si nous les recommencions dès le principe, en étudiant premièrement les premières et les plus importantes. Tous les animaux, quand ils sont complètement formés, ont deux parties qui leur sont les plus indispensables de toutes, la partie par laquelle ils prennent leur nourriture, et la partie par laquelle ils doivent rejeter les excréments. Sans la nourriture, ils ne pourraient ni vivre ni croître. Les plantes, quoique, selon nous, elles soient bien vivantes aussi, n'ont pas d'organes pour expulser les résidus devenus inutiles. Elles empruntent à la terre leur nourriture toute digérée ; et au lieu d'excréments, elles donnent les graines et les fruits. 2 Dans tous les animaux, il y a enfin une troisième partie qui est placée entre les deux autres et qui renferme le principe même de la vie. La nature des plantes (656b) étant d'être immobiles, ne présente pas beaucoup de combinaisons des parties non-similaires; pour des fonctions peu nombreuses, il n'y a besoin que d'organes aussi peu nombreux qu'elles. Nous aurons à étudier à part la nature qui leur est propre. 3 Mais dans les êtres qui, outre la vie, possèdent encore la sensibilité, les choses se présentent sous des formes bien plus diverses. Les uns ont des rapports plus nombreux et beaucoup plus compliqués les uns que les autres, quand leur nature comporte non pas la vie seulement, mais la vie dans toutes ses perfections. L'espèce humaine jouit de cet avantage, puisque, de tous les êtres à nous connus, l'homme seul participe du divin, ou du moins il en participe plus que tous les autres êtres. Ainsi, par ce premier motif, et en même temps par cet autre motif que l'homme nous est plus connu que tout autre dans la forme de ses parties extérieures, c'est par lui qu'il convient de débuter. 4 Il est le seul être chez qui les parties mêmes dont la nature l'a formé sont précisément dans l'ordre naturel; le haut dans l'homme est dirigé vers le haut de l'univers, et l'homme, entre tous les animaux, est le seul qui se tienne droit. D'après ce que nous avons dit du cerveau, on doit voir que l'homme devait nécessairement avoir une tête qui ne fût pas chargée de chair. Ce n'est pas, comme quelques-uns le prétendent, que, si la tête eût été charnue, la vie de notre espèce eût été plus longue; ce n'est pas non plus, comme on l'affirme, que la tête doive être dépourvue de chair pour faciliter la sensation; car on prétend que, comme c'est par le cerveau que nous sentons, des parties par trop charnues ne serviraient pas bien à la sensibilité. 5 Aucune de ces deux explications n'est exacte. Mais ce qui est vrai, c'est que, si la région du cerveau avait été surchargée de chair, le cerveau aurait fonctionné d'une façon toute contraire à la fonction pour laquelle il a été donné aux animaux. Du moment qu'il aurait été trop chaud lui-même, il eût été hors d'état de refroidir l'organisation ; et il n'est cause d'aucune espèce de sensations, parce qu'il est absolument insensible, comme le sont d'ailleurs toutes les autres excrétions. 6 Mais ne découvrant pas la cause qui a fait que quelques sens sont, chez les animaux, placés dans la tête, et voyant que la tête est plus propre que toutes les autres parties à les recevoir, les naturalistes ont réuni par une simple conjecture le cerveau et la sensibilité l'un à l'autre. Dans nos ouvrages sur la Sensation, nous avons antérieurement démontré que c'est la région du cœur qui est le principe des sensations, et qu'il y a deux sens qui évidemment dépendent du cœur, le sens des choses tactiles, et le sens des saveurs. L'odorat est, entre les trois premiers sens, un sens intermédiaire. Quant à l'ouïe et à la vue, ces deux sens sont surtout dans la tête, à cause de la nature même de ces organes particuliers; et c'est dans la tête que la vue est placée chez tous les animaux. 7 L'ouïe et l'odorat, tels qu'ils sont dans les poissons et autres animaux semblables, prouvent bien la vérité de ce que nous venons de dire. Les poissons entendent et odorent; et cependant ils n'ont dans la tête aucun organe pour percevoir les objets sensibles de cet ordre. La vue est aussi très-bien placée dans le (657a) cerveau pour tous les animaux qui en ont un. Le cerveau est humide et froid. La vue est de la nature de l'eau ; car l'eau est de toutes les matières diaphanes celle qui peut se garder le mieux. 8 Il faut en outre que les sens les plus délicats le soient encore davantage dans les parties qui ont un sang plus pur. Le mouvement causé par la chaleur qui est dans le sang fait obstacle à l'action de la sensibilité, et c'est pour ces différentes causes que les organes de ces sens sont placés dans la tête. 9 Non seulement le devant de la tête doit être dégarni de chair; mais il faut en outre que le derrière le soit également, parce que, chez tous les animaux qui ont une tête, il faut que cette partie soit la plus droite possible. Or rien de ce qui porte un trop lourd fardeau ne peut être bien droit; et si la tête était charnue, cette partie ne pourrait se redresser. Ce qui montre bien encore que ce n'est pas en vue de la sensibilité du cerveau que la tête est dénuée de chair, c'est que le derrière n'a pas de cerveau, et que cette partie est sans chair également. 10 La raison comprend très-bien aussi que, chez quelques espèces d'animaux, l'ouïe soit placée dans la région de la tête. En effet, ce qu'on appelle le vide est rempli d'air; et nous disons que le sens de l'ouïe dépend de l'air. Les conduits qui partent des yeux vont aboutir aux veines qui environnent l'encéphale. De même, le canal qui part des oreilles aboutit également au derrière de la tête. Aucun organe privé de sang n'est sensible, pas plus que ne l'est le sang lui-même; mais ce qui est sensible, c'est une des matières qui en viennent, et c'est parce que dans les animaux qui ont du sang, aucune partie privée du sang n'est sensible, que le sang lui- même ne l'est pas davantage ; car il n'est pas une partie des animaux. 11 Tous les êtres qui ont un cerveau l'ont dans la portion antérieure de leur corps, parce que c'est en avant que se présente l'objet que l'on sent, que la sensation vient du cœur qui est aussi en avant, que la sensation ne se produit que grâce aux parties du corps qui ont du sang ; et que la cavité postérieure de la tête est dépourvue de veines. La nature a rangé dans un ordre admirable les organes des sens, en placant le sens de l'ouïe vers le milieu de la circonférence ; car on n'entend pas uniquement en ligne droite; on entend de toutes parts. Au contraire, la vue a été placée en avant, parce que la vue s'exerce toujours en ligne directe; et comme le mouvement qu'on fait a lieu en avant, il faut voir d'avance l'objet vers lequel le mouvement se dirige. 12 C'est avec non moins de raison que le sens de l'odorat a été placé entre les yeux. Chaque sens en effet est double, parce que le corps est double aussi, puisqu'il a la droite et la gauche. Cette disposition ne se voit plus dans le sens du toucher. La cause paraît en être que l'organe initial du toucher n'est pas la chair uniquement, ni telle partie analogue à la chair, mais que ce sens est tout intérieur. 13 Pour le sens dont la langue est l'organe, c'est moins clair que pour d'autres sens ; mais ce l'est plus que pour le toucher; car (657b) ce sens lui-même est aussi une espèce de toucher. Cette duplicité d'organes est cependant visible pour la langue elle-même, qui paraît aussi divisée en deux. Mais pour les autres sens, la sensation est partagée en deux d'une manière plus évidente. Ainsi, il y a deux oreilles ; il y a deux yeux ; et la disposition des narines est double également. Placé d'une autre manière et séparé en des lieux différents, comme l'est l'ouïe, le nez ne remplirait pas son office, non plus que l'organe dans lequel il est posé ; car c'est pour la respiration que l'organe de l'odorat a été donné aux animaux qui ont des narines ; et cet organe a dû être placé au milieu et dans les parties antérieures. 14 La nature a donc réuni les narines au milieu des trois autres sens, comme si elle eût voulu établir une règle unique pour le mouvement que cause la respiration. Ces sens d'ailleurs sont aussi merveilleusement disposés dans les animaux autres que l'homme, selon la nature propre de chacun d'eux. [2,11] CHAPITRE XI. 1 Les quadrupèdes ont les oreilles toutes dressées, et, au-dessus des yeux, du moins à ce qu'il semble ; mais en réalité les oreilles ne sont pas plus hautes; ce n'est qu'une apparence, venant de ce que les animaux ne sont pas droits et qu'ils baissent la tête. 3 Comme les animaux se meuvent le plus ordinairement dans cette position, les oreilles leur sont d'autant plus utiles qu'elles se dressent et peuvent se mouvoir ; car en se tournant en tous sens, elles recueillent bien mieux tous les bruits qui surviennent. [2,12] CHAPITRE XII. 1 Les oiseaux n'ont pas d'oreilles ; ils n'en ont que les conduits, parce que leur peau est trop dure, et qu'au lieu des poils qu'ils n'ont pas, ils ont des plumes. Il n'y a pas là une matière que la nature aurait pu employer à faire des oreilles. Parmi les quadrupèdes, ceux qui sont ovipares, et qui ont des écailles, sont dans le même cas, et la raison est aussi la même pour eux. Cependant, parmi les vivipares, le phoque n'a pas d'oreilles, et il n'a non plus que les conduits auditifs; ce qui tient à ce qu'il n'est qu'un quadrupède imparfait. [2,13] CHAPITRE XIII. 1 L'homme, les oiseaux, les quadrupèdes vivipares et ovipares, ont tous des appareils protecteurs pour la vue. Les vivipares ont deux paupières, qui leur servent à fermer les yeux. Les oiseaux à vol pesant et quelques autres, ainsi que les quadrupèdes ovipares, ferment les yeux par la paupière inférieure. Les oiseaux ordinaires clignent par des membranes qui viennent des coins de l'œil. Ce qui fait que les yeux ont besoin d'être protégés, c'est qu'ils sont liquides, et la nature les a faits ainsi pour que la vue soit perçante. 2 Si les yeux avaient eu une peau un peu dure, ils eussent été sans doute moins exposés au mal que peuvent leur faire en y tombant les objets extérieurs ; mais ils n'auraient pas constitué une bonne vue. C'est pour cela que la peau qui revêt la pupille est excessivement mince. Les paupières sont faites pour protéger et défendre les yeux; et c'est pour cette raison que tous les animaux, et spécialement l'homme, peuvent les cligner. C'est pour repousser les objets qui pourraient tomber dans les yeux que tous les animaux peuvent les cligner. Ce mouvement ne dépend pas d'eux, et c'est la nature (658a) qui le fait; mais si l'homme cligne les yeux plus souvent que tout autre animal, c'est qu'il a cette peau plus mince que ne l'ont tous les autres. 3 La paupière est entourée de peau; et c'est ce qui fait que, ni la paupière, ni le prépuce, ne repoussent jamais, parce que ce sont de simples peaux sans chair. Tous les oiseaux qui ferment leurs yeux par la paupière inférieure et les quadrupèdes ovipares, ne les ferment de cette façon qu'à cause de la dureté de la peau qui environne leur tête. Chez les oiseaux à vol pesant, précisément parce qu'ils volent peu, la croissance des plumes tourne à épaissir et à durcir la peau; et de là vient qu'ils ferment aussi les yeux par la paupière d'en bas. Les pigeons et les oiseaux de cette espèce ferment les yeux par les deux paupières à la fois. 4 On a vu que les quadrupèdes ovipares ont des écailles ; et ces écailles sont toujours plus dures que les poils, de sorte que leur peau est aussi plus dure que la peau ordinaire. La peau de leur tête est dure comme le reste ; et ce n'est pas de cette peau que peut être formée leur paupière. Au contraire, celle d'en bas est charnue, de facon que leur paupière est tout à la fois mince et extensible. Les oiseaux à vol pesant ferment les yeux, non pas avec la paupière, mais par une membrane. C'est que le mouvement de la paupière eût été trop lent et qu'il faut au contraire qu'il soit très-rapide ; or, c'est précisément ce que peut faire une membrane nictitante. 5 C'est à partir du coin de l'œil, qui est près du nez, qu'ils ferment leurs yeux, parce qu'il est mieux que cette organisation naturelle vienne en eux d'un seul et unique principe. Aussi a-t-elle pour point de départ l'excroissance qui est auprès du nez; et ce qui est en avant et direct est plus principe que ce qui est oblique et de côté. 6 Les quadrupèdes ovipares ne ferment pas les yeux de la même manière, parce qu'il n'est pas nécessaire aux quadrupèdes d'avoir la pupille liquide, ni d'avoir une vue très-longue, attendu qu'ils vivent sur la terre. Mais pour les oiseaux, c'est absolument nécessaire, parce qu'ils ne peuvent employer leur vue que de très-loin. C'est là ce qui fait que les oiseaux armés de serres ont tous une vue excessivement longue. C'est de très-haut qu'ils peuvent apercevoir la proie qui est leur nourriture. Aussi sont-ils de tous les oiseaux ceux dont le vol s'élève de beaucoup le plus haut. Les oiseaux de terre qui volent mal, comme le coq et les espèces semblables, n'ont pas une bonne vue ; car ils n'en ont pas un besoin absolu pour rechercher leurs aliments. 7 Les poissons et les insectes et les animaux à peau dure ont des yeux fort différents ; mais aucune de ces espèces n'a de paupières. D'abord, ceux qui ont la peau des yeux dure n'en ont pas du tout. L'usage de la paupière exige un acte rapide, qui demande une peau pour pouvoir s'accomplir. Aussi, au lieu de cette protection qui leur manque, tous ont les yeux durs, comme s'ils voyaient au travers d'une paupière adventice. Mais comme, à cause de la dureté même de cette partie, ils ne peuvent nécessairement avoir qu'une vue obtuse, la nature a donné aux insectes des yeux mobiles, et surtout (658b) à ceux qui ont la peau des yeux dure, tout de même qu'elle a donné des oreilles à certains quadrupèdes. Ces insectes peuvent ainsi beaucoup mieux voir en tournant les yeux vers la lumière, et en recevant la clarté indispensable à la vision. 8 Les poissons ont des yeux liquides, attendu que, pour les animaux qui font beaucoup de mouvements, l'emploi de la vue est utile de loin. Les animaux de terre peuvent voir aisément au travers de l'air ; mais pour les poissons, l'eau s'oppose à ce qu'ils voient bien. Comme elle ne présente pas, ainsi que l'air, une foule d'objets qui peuvent gêner et offenser la vue, les poissons n'ont pas de paupières ; car la nature ne fait rien en vain; et c'est à cause de l'épaisseur de l'eau que les poissons ont les yeux liquides. [2,14] CHAPITRE XIV. 1 Tous les animaux qui ont des poils ont des cils aux paupières. Les oiseaux et les animaux à écailles n'en ont pas, parce qu'ils n'ont pas de poils non plus. Nous parlerons plus tard du moineau de Libye ; et nous expliquerons la cause de son organisation ; car cet oiseau a des cils. 2 Parmi les animaux qui ont des poils, l'homme est le seul à avoir des cils aux deux paupières. En général, les quadrupèdes n'ont pas de poils dans les parties inférieures qui forment le dessous du corps; ils en ont bien plutôt dans les parties supérieures et le dessus. Les hommes, tout au contraire, en ont plus dans le dessous du corps que dans les parties supérieures. Les poils servent comme de rempart et de couverture aux animaux qui en sont pourvus; et, dans les quadrupèdes, ce sont surtout les parties dedessus qui ont besoin d'être protégées et couvertes, plus que le dessous du corps. Les parties du devant sont les plus importantes; et elles sont dégarnies en vue de la courbure et de la flexion. Mais dans l'homme, comme le devant du corps est en cela parfaitement semblable au derrière, à cause de sa station droite, la nature s'est surtout occupée de prêter secours aux plus nobles parties; car toujours elle produit ce qu'il y a de mieux, avec les matériaux dont elle dispose. 3 Voilà comment pas un quadrupède n'a de cils à la paupière inférieure ; et si, chez quelques-uns, il y a sous cette paupière des poils peu nombreux et rares, il n'y en a jamais, ni sous les aisselles, ni au pubis, comme il y en a chez l'homme. A la place de ces derniers poils, quelques animaux sont velus sur le dessus du corps tout entier, comme les chiens; les autres ont un toupet de crins, comme les chevaux et les animaux de cet ordre. D'autres enfin sont pourvus d'une crinière, comme le lion mâle. 4 Dans les espèces qui ont des queues de quelque longueur, la nature a orné ces queues de crins, qui sont longs quand la queue a peu de portée, comme dans les chevaux, et qui sont très-courts quand au contraire la portée est étendue, le tout s'accordant d'ailleurs avec le reste du corps. Car toujours la nature, lorsqu'elle veut favoriser un côté, prend une compensation sur l'autre côté. Là où elle a fait un corps très-velu, (659a) elle diminue l'ampleur de la queue, qui se réduit comme on le voit sur les ours. 5. L'homme est, de tous les animaux, celui dont la tête est la plus velue. C'était nécessaire par suite de l'humidité du crâne, et aussi à cause de ses sutures; car là où il y a beaucoup de liquide et de chaleur, il faut nécessairement que là aussi il y ait beaucoup de végétation ; et les cheveux sont destinés à protéger et à conserver l'animal, en le couvrant et en le garantissant des excès du froid et de la chaleur. L'encéphale de l'homme, étant le plus gros, est aussi le plus humide de tous ; et il a par suite plus besoin de protection que tout le reste. Ce qui est le plus humide peut tout à la fois s'échauffer et se refroidir le plus ; ce qui est dans l'état contraire est bien moins susceptible d'être affecté. 6 Nous nous sommes laissé entraîner à cette digression sur un sujet qui fait suite à la question des paupières et des cils, parce que ces études se tiennent de fort près. Mais nous saurons nous rappeler, en temps convenable, ce qui peut encore nous rester à dire sur ces sujets. [2,15] CHAPITRE XV. 1 Les sourcils, aussi bien que les cils, n'ont pour but que de protéger les yeux. Les sourcils les préservent contre les liquides qui y descendent, et leur font comme une toiture qui les défend contre les sueurs venant de la tête. Les cils sont faits pour écarter les objets qui peuvent tomber dans l'œil, comme les haies qu'on met parfois en avant des remparts. 2 Les sourcils se rapprochent de la composition des os ; et souvent dans la vieillesse, ils deviennent si épais qu'il faut absolument les couper. Les cils sont au contraire au bout de petites veines; car là où la peau finit, là aussi les veinules terminent leur parcours. 3 Par conséquent, il était nécessaire d'arrêter les gouttelettes qui sortent de la tête et qui sont toutes matérielles, si aucun autre besoin ne vient à empêcher cette œuvre de la nature ; et ce motif suffisait pour que, dans cet endroit du corps, il dût se trouver nécessairement des poils destinés à cet usage. [2,16] CHAPITRE XVI. 1 Dans la plupart des quadrupèdes vivipares, l'organe de l'odorat ne diffère en quelque sorte que très- peu des uns aux autres; mais ceux qui ont des mâchoires allongées, et resserrées étroitement, ont aussi, dans ce qu'on appelle leur museau, la partie des narines organisée comme elle peut l'être d'après leur conformation. 2 Dans les autres animaux, cette partie est plus rapprochée du long des joues. Mais l'éléphant présente, entre tous les animaux, l'organisation la plus singulière de cette partie, qui a chez lui une longueur et une force étonnantes. C'est par son nez, dont il se sert comme d'une main, qu'il saisit sa nourriture et la porte à sa bouche, que cette nourriture soit ou sèche (659b) ou liquide; c'est avec sa trompe qu'il entoure les arbres et qu'il les arrache, comme sa main, s'il en avait une, pourrait le faire. Par sa nature, il est tout à la fois un animal qui peut vivre dans les marécages et sur terre ; et par conséquent, comme il peut tirer sa nourriture de l'eau, il fallait qu'il pût y respirer, en tant qu'animal terrestre qui a du sang, et qu'il ne fût pas forcé de passer trop vite, par un brusque changement, du liquide au sec, comme le font quelques-uns des vivipares, qui ont du sang et qui respirent. 3 D'autre part, quoiqu'il soit d'une extrême grosseur, il n'était pas moins nécessaire qu'il pût vivre dans l'eau aussi bien que sur terre. De même que les plongeurs savent parfois se faire des instruments pour respirer et pouvoir rester longtemps au fond de la mer, et tirer par ce moyen l'air qui est en dehors de l'eau, de même la nature a donné une aussi grande dimension au nez de l'éléphant pour qu'il en fît un usage analogue. Quand les éléphants ont à faire route dans l'eau, ils élèvent leur nez au-dessus de l'eau, et ils respirent ainsi; car la trompe des éléphants, avons-nous dit, est leur nez. 4 Or, il était bien impossible qu'un nez de cette forme ne fût pas mou et qu'il ne pût pas être flexible. Sa longueur aurait empêché que l'animal pût prendre sa nourriture qui est au dehors, comme on dit que les cornes gênent certains bœufs qui sont obligés de paître à reculons, et qui, à ce qu'on assure, ne peuvent manger qu'en reculant pas à pas. 5 La trompe de l'éléphant étant ce qu'elle est, la nature, selon son habitude, emploie ici les mêmes organes à plusieurs fonctions, et la trompe supplée au service des pieds de devant. Les quadrupèdes polydactyles ont les pieds de devant à la place des mains, et ils ne les ont pas seulement pour supporter le poids de leur corps. Les éléphants sont polydactyles et n'ont, ni pieds fendus en deux, ni pieds à sole unique. Mais comme l'animal est très-grand et que le poids de son corps est énorme, les pieds ne sont faits absolument que pour le soutenir; ils ne pourraient servir à quoique ce soit, si ce n'est à cela, à cause de la lenteur de leur marche, et à cause de leur inaptitude naturelle à fléchir. 6 L'éléphant a donc un nez pour respirer, comme doivent le faire tous les animaux qui ont un poumon. Mais comme il doit vivre dans l'eau et que le mouvement est très-lent pour lui dans le liquide, sa trompe peut se replier et elle est fort longue. L'usage des pieds lui ayant été refusé, la nature emploie, en compensation, cet organe pour suppléer au secours que les pieds auraient pu donner. 7 Au contraire, les oiseaux, les serpents et (660a) tous les quadrupèdes ovipares qui ont du sang ont les conduits du nez en devant de la bouche; et ce sont des narines uniquement, peut-on dire, à cause de leurs fonctions ; mais ce ne sont pas des narines visiblement articulées ; et c'est à peine si, en parlant des oiseaux, on peut dire qu'ils ont des nez. Cela vient de ce qu'au lieu de mâchoires, ils ont ce qu'on appelle leur bec. 8 C'est la nature de l'oiseau, faite comme elle l'est, qui est cause de ces differences. Ayant deux pieds et des ailes, il fallait nécessairement que le poids du cou fût très-faible, ainsi que celui de la tête, et que la poitrine fut étroite. Aussi, les oiseaux ont- ils un bec osseux pour pouvoir s'en servir à se défendre et à prendre leur nourriture, et étroit, à cause de la petitesse de leur tête. D'ailleurs, ils ont les conduits de l'odorat dans le bec; mais il était bien impossible qu'ils eussent un nez. 9 Quant aux autres animaux qui ne respirent pas, nous avons expliqué plus haut pourquoi ils n'ont pas de narines, et comment ils sentent les odeurs les uns par des branchies, les autres par un évent, les insectes, par le corselet; et comment tous se meuvent en quelque sorte par le souffle que reçoit leur corps dès leur naissance, souffle qui se trouve dans tous les animaux, sans qu'ils aient à l'emprunter au dehors pour le faire entrer en eux. 10 Au-dessous des narines, se trouvent naturellement les lèvres chez tous les animaux qui ont du sang et des dents. Dans les oiseaux, comme nous venons de le dire, le bec est osseux, en vue de la nourriture et de la défense. Le bec peut se réunir en une seule pièce et tenir lieu de dents et de lèvres, comme si sur l'homme on enlevait les lèvres, qu'on joignît en une masse séparée les dents d'en haut, et qu'on avançât celles d'en bas, en donnant à chaque côté un prolongement qui irait en se rétrécissant. Cette transformation constituerait un bec dans le genre de celui des oiseaux. 11 Chez tous les autres animaux, les lèvres sont faites à la fois pour protéger les dents et pour les conserver. Voilà pourquoi autant les dents sont régulières et belles, ou sont le contraire, autant cette partie chez ceux qui en sont pourvus est bien articulée. Mais l'homme a des lèvres molles et charnues, qui peuvent s'ouvrir et se séparer, destinées à la fois à préserver les dents, comme chez le reste des animaux, et faites bien plus encore dans une vue de bien et de perfection ; ainsi, les lèvres de l'homme peuvent en outre servir à la parole. 12 De même que la nature a donné à l'homme une langue qui ne ressemble pas à celle des autres animaux et qu'elle a destine cette langue à deux usages, comme elle le fait d'ailleurs dans une foule de cas ainsi que nous l'avons dit, de même elle a fait (660b) notre langue à la fois pour percevoir les saveurs et pour parler, et les lèvres, pour parler et pour préserver les dents. 13 Le langage que forme notre voix se compose de lettres; si la langue n'était pas ce qu'elle est, et si les lèvres n'étaient pas humides, nous ne saurions prononcer la plupart des lettres, parce que les lettres ne sont que des percussions de la langue, ou des contractions des lèvres. Mais c'est aux maîtres de métrique de nous apprendre toutes les différences que ces organes présentent, la qualité, le nombre et la nature de ces diversités. 14 Par suite, il était nécessaire que chacune de ces deux parties fussent convenablement disposées en vue de l'usage qu'on vient de dire, étant propres à leurs fonctions et ayant la nature que nous leur voyons. De là vient qu'elles sont charnues; car la chair de l'homme est la plus molle de toutes; et c'est cette organisation qui fait de lui le plus sensible de tous les animaux, en ce qui concerne le sens du toucher. [2,17] CHAPITRE XVII. 1 La langue des animaux est placée dans leur bouche sous le palais; dans presque tous les animaux qui vivent sur la terre, la disposition de la langue est la même; mais chez quelques-uns cette disposition est différente, soit entre les individus dans une même espèce, soit entre d'autres espèces. C'est l'homme qui a la langue la plus mobile et la plus molle. 2 Elle est aussi la plus large pour pouvoir servir à ses deux fonctions. D'abord, elle doit percevoir les saveurs, puisque l'homme est de tous les êtres celui qui les perçoit le mieux; et que, si sa langue est molle, c'est pour qu'elle puisse le mieux possible toucher les choses, le goût n'étant qu'une sorte de toucher. En second lieu, la langue doit servir à l'articulation des lettres; et il fallait pour le langage qu'elle fût molle et large. 3 C'est surtout en étant telle qu'elle est et en étant mobile, qu'elle pouvait le mieux émettre des sons de tout genre et les combiner de toute manière. On le voit bien clairement chez les personnes qui n'ont pas la langue assez détachée ni assez libre; elles bégaient et elles bredouillent, parce qu'il leur manque de pouvoir former certaines lettres. En même temps que la langue est large, elle peut aussi se rétrécir; car le petit peut se trouver dans le grand, tandis que le grand ne peut pas se trouver dans le petit. 4 C'est là ce qui fait que, parmi les oiseaux, ceux qui peuvent le mieux prononcer certaines lettres sont aussi ceux qui ont la langue la plus large. Les quadrupèdes qui ont du sang et qui sont vivipares n'ont qu'une articulation très-peu étendue de la voix, parce que leur langue est dure, peu détachée et épaisse. Quelques oiseaux ont une forte voix, et ceux qui ont des serres ont en général une langue plus large. 5 Les oiseaux les plus petits ont aussi le plus de chant. Tous les oiseaux se servent de la voix qu'ils ont pour se faire comprendre les uns des autres; mais il y en a qui sont mieux doués que d'autres sous ce rapport. Il y a même des espèces (661a) où il semble qu'ils s'instruisent mutuellement entre eux. Du reste, on a traité ce sujet dans l'Histoire des Animaux. 6 Dans la plupart des animaux terrestres, qui sont ovipares et qui ont du sang, la langue est absolument inutile pour la fonction de la voix; chez eux, elle est liée et dure. Quant à la perception du goût et des saveurs, les serpents et les lézards ont une langue longue et partagée en deux. Les serpents l'ont tellement longue qu'ils peuvent l'étendre peu à peu fort loin. Ils l'ont double, et le bout en est mince comme un cheveu, parce que, de leur nature, ils sont très friands, et ils ont le plaisir de goûter deux fois les saveurs, comme ayant un double sens du goût. 7 Les animaux qui sont privés de sang, aussi bien que tous ceux qui en ont, sont pourvus de l'organe des saveurs; car ceux même qui passent vulgairement pour ne pas l'avoir, par exemple quelques poissons, l'ont cependant dans une certaine mesure incomplète, à peu près comme l'ont aussi les crocodiles de rivières. 8 Ce qui fait croire que la plupart des poissons ne possèdent pas ce sens spécial, c'est une très-bonne raison; car dans tous ces animaux, l'endroit de la bouche a quelque chose de la nature de l'arête; et comme les animaux aquatiques ne peuvent jamais percevoir les saveurs que très-peu d'instants, il en résulte que, de même que chez eux l'usage de ce sens est très-rapide et très-court, de même la conformation de la langue est tout aussi écourtée. Le passage des aliments à l'estomac est d'une extrême rapidité, et il leur est impossible de rester longtemps à déguster les saveurs, parce que l'eau leur entrerait dans la bouche. C'est si vrai qu'à moins de tenir leur bouche très-inclinée, on ne croirait pas même que cette partie est distincte et détachée, tant cette région ressemble à la nature de l'arête; en effet, elle est formée de la superposition des branchies, qui sont tout à fait de la consistance que les arêtes peuvent avoir. 9 Ce qui contribue à rendre chez les crocodiles cette partie plus imparfaite encore, c'est l'immobilité de leur mâchoire inférieure. Leur langue est attachée à la mâchoire d'en bas, avec laquelle elle se confond ; et c'est en haut qu'ils ont la mâchoire d'en bas; ce qui est un complet renversement, puisque, chez tous les autres animaux, c'est la mâchoire supérieure qui est immobile. Ils n'ont pas cependant une langue qui touche à la mâchoire supérieure, parce qu'alors elle aurait contrarié l'introduction des aliments. Mais leur langue est attachée à la mâchoire d'en bas, puisque celle d'en haut est, en quelque sorte, hors de place. 10 Il faut ajouter que le crocodile, tout en étant un animal terrestre, vit cependant de la vie des poissons ; et c'est à cause de cela que, dans son organisation, il fallait qu'il eût cet organe sans aucune articulation. 11 Beaucoup de poissons ont le palais charnu ; et, dans les rivières, quelques espèces l'ont excessivement chargé de chair et mou, comme les poissons qu'on appelle les carpes. C'est à ce point que, (661b) si l'on n'y regarde pas de très-près, il semble qu'ils ont là une langue. Mais, par la raison qu'on vient de dire, si les poissons ont une langue, l'articulation de cette langue n'est pas très-distincte. Comme le sens des saveurs ne s'exerce qu'en vue de la nourriture qu'elles renferment, cette partie doit avoir l'apparence d'une langue, non pas cependant dans toute son étendue, mais principalement à son extrémité. C'est là comment, chez les poissons, il n'y a que cette partie extrême qui soit bien déterminée. 12 Tous les animaux sans exception ont le désir et l'appétit de la nourriture, parce qu'ils sentent tous le plaisir qu'elle cause, le désir s'attachant toujours à ce qui peut plaire. Mais l'organe par lequel ils perçoivent la sensation de la nourriture est loin d'être le même dans tous; dans les uns, cet organe est détaché et libre; dans les autres, il est soudé; et ce sont les animaux où la voix n'a rien à faire. Chez ceux-ci, il est dur; chez ceux-là, il est mou et charnu. Aussi, dans les crustacés, tels que les crabes et les animaux de cet ordre, et chez les mollusques, comme les seiches et les polypes, cette partie est-elle à l'intérieur de la bouche. Dans quelques insectes, cette partie est également au dedans, comme dans les fourmis, et, en outre, dans beaucoup de testacés. D'autres l'ont en dehors comme une espèce de dard; et alors la nature en est spongieuse et creuse; et c'est par là que, tout à la fois, ces animaux goûtent et attirent leur nourriture. 13 C'est ce qu'on peut bien voir sur les mouches, les abeilles et tous les insectes analogues, et aussi chez quelques crustacés. Dans les pourpres, cette partie a une telle force qu'ils traversent et percent de part en part la coquille de certains testacés, tels que les escargots, avec lesquels les pêcheurs les amorcent. Les taons et les grosses mouches percent tantôt la peau de l'homme, et tantôt la peau d'autres animaux. Dans toutes ces petites bêtes, la nature de leur langue en fait comme un équivalent de la trompe de l'éléphant. Dans l'éléphant, la trompe est une utilité et une défense pour l'animal; et dans les insectes, la langue tient la place d'un aiguillon. 14 La langue est donc organisée chez tous les animaux, comme nous venons de le dire.