[0] CARMEN CONTRA PAGANOS. 1 Dites-moi, vous qui honorez les bois sacrés et l'antre de la Sibylle, le bois de l'Ida, les sommets Capitolins du Tonnant, le Palladium et les Lares de Priam et le sanctuaire de Vesta, des dieux sans morale, une soeur épouse de son frère, un enfant cruel, tout ce qui rappelle l'impie Vénus, vous que seule la pourpre de votre toge prétexte rend sacrés, vous à qui le chaudron de Phébus n'a jamais adressé de parole véridique, vous de qui se joue sans cesse l'inconsistant haruspice étrusque : Ce Jupiter que vous vénérez, vaincu par l'amour de Léda, 10 a voulu, pour se déguiser en cygne, se couvrir d'un blanc plumage. Éperdu, il se serait soudain coulé en pluie d'or auprès de Danaé, en taureau adultère, il aurait mugi sur les ondes de Parthénopé. Si l'on croit à ces monstruosités, aucune de ses adeptes n'est vertueuse ! Le roi de l'Olympe fuyant les armes de Jupiter est chassé de son royaume : quelqu'un va-t-il alors, en suppliant, vénérer les temples d'un tyran, lorsqu'il voit un père contraint par son fils à prendre la fuite ? En fin de compte, si Jupiter en personne est soumis aux lois du destin, qu'apportent aux malheureux des flots de prières qui seront sans effet ? Dans les temples, on pleure le jeune et bel Adonis : 20 Vénus nue est en larmes, le héros Mavortius se réjouit, parmi eux Jupiter n'arrive pas à mettre fin à leurs querelles, et Bellone avec son fouet excite les dieux qui se disputent. Convient-il, éminents citoyens, d'espérer le salut avec de tels guides ? Pourrait-on permettre à leurs prêtres de régler vos différends ? Dites-moi : en quoi votre préfet a-t-il servi la ville, lui qui, déclarez-vous, s'en est allé vers le trône usurpé par Jupiter, lui dont une mort lente paie difficilement les crimes ? Cet homme excité, qui a parcouru la Ville dans tous les sens durant trois mois, a enfin atteint les bornes de sa vie ! 30 Quelle rage s'était emparée de son âme ? Quelle folie avait gagné son esprit ? Mais, au nom de Jupiter, allait-il pouvoir troubler votre tranquillité ? Qui décréta chez toi l'état d'urgence, ô magnifique Rome ? Le peuple allait-il reprendre des armes, délaissées depuis longtemps ? Mais personne sur terre ne fut plus adepte des cultes que cet homme, lui que Numa Pompilius, le premier d'une multitude d'haruspices, instruisit à souiller par de vains rituels et le sang d'animaux (quelle insanité !) les autels de bûchers malodorants. N'est-ce pas lui qui jadis détourna le vin de la patrie, et qui voulut, en mettant sens dessus dessous les antiques demeures, 40 les tours et les maisons des ancêtres, provoquer la ruine de la ville ? N'est-ce pas lui qui ornait les portails de lauriers, offrait des banquets, servait des pains souillés, imprégnés de fumée d'encens, cherchant dans les rires ceux qu'il livrerait à la mort, habitué à soudain couvrir leurs membres de tenues de mirmillons, toujours prêt, par une ruse nouvelle, à avilir des malheureux ? Votre saint homme, je vous le demande, qu'a-t-il apporté à la ville, lui qui montra comment chercher le Soleil sacré sous la terre ? Si par hasard un paysan rustre s'était façonné un objet en bois de poirier, il dirait que c'était un dieu, compagnon et maître de Bacchus, 50 lui, l'adorateur de Sarapis, l'ami invétéré des Étrusques. Sur des gens sans méfiance, il s'appliqua à répandre des poisons cachés, cherchant mille moyens de nuire, qui étaient autant d'artifices : ignoble serpent, il a frappé ceux qu'il a voulu perdre, prêt à lutter, mais en vain, contre le dieu véritable, lui qui, secrètement, ne cessait de déplorer nos temps de paix sans pouvoir manifester au grand jour sa propre douleur intérieure. Quel taurobole t'a persuadé, toi, homme riche gonflé d'orgueil, de changer de tenue pour devenir soudain un mendiant revêtu de haillons, quémandeur d'une petite obole, 60 envoyé sous terre, souillé du sang d'un taureau, sale et crasseux ? Qui t'a persuadé de conserver ces vêtements ensanglantés, dans l'espoir de vivre purifié durant vingt années ? Toi, en censeur sévère, tu étais allé abattre une vie meilleure, dans l'espoir qu'ainsi tes actes pourraient rester cachés, toi qui étais toujours entouré des chiens de la Grande Mère, et triomphais, (monstrueux spectacle!) escorté d'une cohorte lascive. Vieillard sexagénaire, il a toujours vécu en éphèbe, adorateur de Saturne, ami fidèle de Bellone, lui qui avait persuadé tout un chacun que les dieux Faunes 70 étaient les suivants de la nymphe Égérie, comme les Satyres et les Pans, lui, compagnon des nymphes et de Bacchus, prêtre de Trivia, qui savait mener les choeurs, manier les thyrses souples et agiter les cymbales, lui qu'avait instruit la Mère Bérécyntienne, lui, lié à ces divinités soumises à la puissante Galatée, née du grand Jupiter, laquelle, suite au jugement de Pâris, a remporté le prix de beauté. Aucun des adeptes de ces dieux ne pourrait rester honorable, habitués qu'ils sont tous à briser leur voix aux Fêtes Mégalésiennes. Dans sa démence, il a voulu perdre de nombreux chrétiens : ceux qui voulaient mourir en dehors de leur foi, il les chargeait d'honneurs 80 et ceux qui oubliaient leur salut, il les séduisait par des ruses démoniaques, cherchant à briser les esprits de certains par des charges, en poussant d'autres à apostasier, contre un peu d'argent, entraînant avec lui dans le Tartare ces malheureuses offrandes funèbres. Lui qui voulut rompre les pactes sacrés et les lois, il chargea Leucadius d'administrer les domaines d'Afrique, et poussa Marcianus à se perdre pour qu'il devienne son proconsul. Qu'ont pu t'apporter la déesse protectrice de Paphos, et Junon Pronuba, et le vieillard Saturne, à toi leur pieux zélateur ? Pauvre fou, quelle promesse as-tu reçue du trident de Neptune ? 90 Dis-moi, pourquoi courais-tu, de nuit, au temple de Sarapis ? Que t'a promis le fallacieux Mercure, au moment où tu partais ? À quoi te sert d'avoir honoré les Lares et Janus Bifrons ? Qu'a fait pour toi la Terre génitrice, mère des dieux, la toute belle ? En quoi Anubis l'aboyeur t'a-t-il plu, toi son dévot ? Pauvre malheureux, que sont pour toi Cérès, Proserpine la mère souterraine et le boiteux Vulcain, au pied infirme ? Qui n'a pas ri de toi, quand, tête rasée, gémissant près des autels, suppliant, tu implorais à voix haute Faria la porteuse de sistre ? 100 Et tandis qu'Anubis l'Aboyeur, pleurant le malheureux Osiris, cherchait celui qu'on pouvait perdre à nouveau, après l'avoir retrouvé, (qui n'a pas ri) lorsque, en pleurs, tu portais un rameau brisé d'olivier ? Nous avons vu que des lions portaient des jougs d'argent travaillé, lorsque, attelés, ils tiraient des chariots de bois grinçants, nous avons vu cet homme tenir en ses deux mains des rênes d'argent, et une élite de notables observer le char de Cybèle, tiré, lors des Mégalésies, par une troupe louée à cet effet : nous avons vu transporter à travers la ville un tronc d'arbre coupé, et le soleil levant annoncer soudain Attis castré. 110 Hélas, toi qui cherchais dans les arts magiques des honneurs de notables, te voilà gisant ainsi, pitoyable, doté d'un simple tombeau. Seule, il est vrai, à se réjouir de ton consulat, il y a Flora, la prostituée, mère infâme et maîtresse des jeux d'amour, à qui récemment ton successeur Symmaque a construit un temple. Toi, planté dans les temples, tu vénérais tous ces monstres si nombreux ! Ton épouse elle, suppliante, de ses mains enfarinées, sur les autels entasse des offrandes et au seuil du temple cherche à s'acquitter de ses voeux aux dieux et aux déesses, menace les dieux d'en haut, voulant ébranler l'Achéron par ses incantations magiques : 120 elle t'a précipité dans le Tartare, tel une malheureuse offrande funèbre. Cesse, après son hydropisie, de pleurer un tel mari, lui qui a voulu espérer le salut de Jupiter Latiaris !