[0] Le Manuel de DHUODA. [1] Prologue. Peaucoup de gens ont des connaissances dont je suis privée, moi et les femmes qui me ressemblent. Mais Celui qui ouvre la bouche des muets et qui fait parler les enfants m'est toujours présent. Malgré la faiblesse de mon intelligence, je t'adresse ce Manuel. De même que le jeu des échecs est le plus brillant des arts mondains pour un jeune homme ; de même que le miroir d'une femme lui montre ce qui doit disparaitre de son visage et ce qu'elle doit y laisser voir pour plaire à son époux ; ainsi je désire qu'au milieu du tourbillon du monde et du siècle, tu lises fréquemment mon livre. Fais-le en souvenir de moi, aussi souvent qu'on se regarde dans un miroir ou qu'on joue aux échecs. Fais-le, quel que soit le nombre croissant de tes autres livres, et avec l'aide de Dieu comprends-le. Tu y trouveras ce que tu préfères connaitre, en abrégé ; tu y trouveras aussi un miroir où tu pourras considérer le salut de ton âme, afin de plaire non seulement au siècle, mais encore à Celui qui t'a formé du limon. Au milieu des soucis qui m'accablent, ô mon fils Guillaume, je t'adresse des paroles de salut, et mon coeur désire ardemment que tu lises ce qui a rapport à ta naissance. Tu le trouveras au début de ce qui suit. [2] Préface. La onzième année de l'avènement de l'empereur Louis, et le 24 juin, j'épousai, dans le palais d'Aix-la-Chapelle, ton père Bernard. La treizième année du règne de l'empereur et le 29 novembre, je t'ai donné le jour. Tu es mon premier-né et j'ai ardemment désiré ta naissance. Au milieu des malheurs croissants de ce siècle, et comme le royaume s'abîmait sous les révolutions et les discordes, l'empereur Louis alla où nous allons tous, et mourut sans achever la vingt-huitième année de son règne. L'année qui suivit sa mort, naquit ton frère. Sa naissance arriva à Uzès le 21 mars. Tou père Bernard se le fit amener en Aquitaine par Éléfant, évêque d'Uzès, et quelques autres de ses fidèles, avant même qu'il eût reçu le baptême. Les ordres de mon seigneur vous ont éloignés de moi et m'ont fait faire un long sejonr à Uzès, où je me suis réjouie de ses prospérités. Mais le coeur plein de toi et de ton frère, j'ai fait écrire pour toi ce petit livre, selon ma faible intelligence. Quoique mille obstacles s'opposent à ce que je te voie un jour, te voir est le premier de mes soucis, le seul devant Dieu. Si Dieu me donnait de la vertu, je renoncerais à ce bonheur. Mais j'y aspire, parce que mes péchés ont éloigné mon salut, et monâme dépérit de mon désir. Il est sans espoir, car j'ai appris que ton père Bernard t'a confié au roi Charles. Je te recommande de te montrer digne de cette faveur par ton zéle pour ce monarque. Cependant, comme dit l'Écriture, cherche d'abord en tout le royaume de Dieu, et le reste te viendra par surcroit.